La lettre juridique n°487 du 31 mai 2012 : Immobilier et urbanisme

[Evénement] L'ordre public dans les baux commerciaux - Compte-rendu de l'intervention de Jehan-Denis Barbier, Avocat au barreau de Paris

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par Anne-Lise Lonné-Clément, rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 31 Mai 2012

L'Association Justice-Construction, présidée par Fabrice Jacomet, dont l'objet essentiel est de favoriser une meilleure imprégnation des contraintes réciproques entre les acteurs du droit immobilier, a tenté de regrouper l'ensemble des questions qui concernent la gestion de l'immobilier à travers le spectre des lois d'ordre public, dans le cadre d'un colloque qui se tenait le 16 février 2012, à la première chambre de la cour d'appel de Paris, sur le thème "Les lois d'ordre public dans le droit immobilier". Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver ici le compte-rendu de l'intervention de Jehan-Denis Barbier, Avocat au barreau de Paris, qui portait sur l'ordre public dans les baux commerciaux.

En droit des baux commerciaux, ce n'est pas une caricature de dire que la loi est faite pour le locataire, et le contrat pour le propriétaire.

Le droit au renouvellement, le droit à indemnité d'éviction, le droit au maintien dans les lieux, la durée minimum de neuf ans, le plafonnement du loyer, la limitation des augmentations du loyer, le droit de céder le fonds de commerce et le droit au bail, le droit de déspécialiser, c'est-à-dire le droit de changer d'activité et d'étendre son activité, la réglementation de la clause résolutoire... Toutes ces dispositions ont vocation à protéger le locataire, le fonds de commerce, et le droit au bail.

D'ailleurs la réglementation des baux commerciaux figure dans le Code de commerce, et non dans le Code civil. Or, le Code civil est le siège de la protection de la propriété privée, alors que le Code de commerce est le siège de la protection du fonds du commerce. Cette réglementation figure sous le titre du fonds de commerce alors que le droit commun des obligations et des relations locatives figure, lui, dans le Code civil sous les articles 1717 (N° Lexbase : L1839ABQ) et suivants.

Si la loi est faite pour le locataire, le contrat lui, à l'opposé, est fait pour le bailleur. Il est rédigé par le bailleur, pour le bailleur. Le bail commercial ne contient que l'énumération des obligations du locataire, de ses charges, des taxes qu'il doit payer, des interdictions qui lui sont faites, les autorisations qu'il doit demander, etc.. Ne figure dans le contrat aucune stipulation rappelant les obligations du bailleur lui-même.

Si les baux commerciaux d'il y a 30 ans comptaient environ quatre pages, ils comptent aujourd'hui entre quarante et cinquante pages. Ce phénomène d'inflation contractuelle est marqué par l'influence anglo-saxonne, et par l'influence des centres commerciaux. Ces baux "pléthoriques" sont d'abord apparus dans les centres commerciaux, puis se sont développés ensuite en centre ville ; ils sont devenus aujourd'hui de véritables contrats d'adhésion.

Les locataires se plaignent de cette inflation contractuelle. La question avait d'ailleurs été soumise à la mission "Pelletier", créée en 2004, pour réfléchir à la modernisation des statuts des baux commerciaux, laquelle relevait dans son rapport : "la rédaction actuelle de certains baux inspirée parfois de pratiques anglo-saxonnes se caractérise par la longueur du contrat et la densité de ses stipulations. Les locataires évoquent de véritables contrats d'adhésion et se plaignent du corps excessif des obligations mises à leur charge".

C'est ici qu'apparaît le problème en matière d'ordre public. Où se situe la limite entre la loi, notamment la loi d'ordre public qui protège les locataires, et ce contrat qui prend une place de plus en plus grande ? Où se situe la limite entre l'ordre public et la liberté contractuelle ?

A cet égard, Maître Barbier à souhaité soumettre à l'honorable assistance une réflexion : ce terme de liberté contractuelle est-il adapté à la situation actuelle ? En matière de baux commerciaux, la signature d'un contrat d'adhésion ne comporte aucune liberté contractuelle.

L'intervenant pense que l'Université devrait peut-être réfléchir à une nouvelle terminologie, pour désigner ce domaine qui n'est pas contrôlé par la loi et qui relève non plus de la loi, mais finalement de la loi du bailleur, puisque c'est lui qui impose ses conditions.

Pour étudier cette limite de l'ordre public, il convient de traiter, dans une première partie, la détermination de l'ordre public en matière de baux commerciaux, et dans une seconde partie, les sanctions de cet ordre public.

1. La détermination de l'ordre public

En ce qui concerne la détermination de l'ordre public, il convient d'abord d'opérer une distinction entre les clauses qui sont contraires à une disposition d'ordre public précisément, et d'autres clauses qui peuvent être sanctionnées, non pas en vertu de l'ordre public, mais parce que faisant obstacle à une obligation essentielle

1.1. L'obligation de délivrance, obligation essentielle du contrat de bail

L'obligation de délivrance constitue une obligation essentielle du contrat de base. Il s'agit d'une obligation dont le bailleur ne peut se décharger. Si l'on supprime l'obligation de délivrance, l'essence même du contrat disparaît.

Dans une affaire soumise à la Cour de cassation, une clause du bail interdisait au preneur d'exercer contre le bailleur un recours quelconque pour vice caché, vice apparent, défaut, ou malfaçon. Or, d'importantes infiltrations avaient eu pour effet d'interrompre l'exploitation du locataire. La Cour de cassation a jugé non pas que la clause était nulle, mais que cette clause ne dispensait pas le bailleur de son obligation de délivrance. La Cour de Cassation a donc appliqué la clause en limitant son étendue. Malgré une telle clause, le propriétaire a dû réaliser les travaux nécessaires pour remédier à ces infiltrations.

Il en a été de même dans le cadre d'une affaire qui concernait de graves défaillances de l'installation électrique. Le bail contenait une clause selon laquelle le preneur avait pris les locaux, plus ou moins vétustes, dans l'état dans lequel ils se trouvaient. Le bailleur se déchargeait de toute responsabilité, faisant valoir que le locataire avait accepté les locaux dans l'état où ils se trouvaient. Mais la Cour de cassation a jugé que cette clause ne déchargeait pas le bailleur de son obligation de délivrance.

Voilà des exemples de sanctions fondées sur l'obligation essentielle du contrat, mais pas sur l'ordre public.

1. 2. L'ordre public proprement dit

- 1.2.1. Les sources légales de l'ordre public

Cet ordre public figure, d'abord, évidemment dans le statut des baux commerciaux, dans le Code de commerce. Mais le statut des baux commerciaux est une réglementation partielle. Elle ne règle qu'un certain nombre de questions et l'on ne trouve pas, par exemple, dans le Code de commerce, de dispositions relatives à l'entretien des locaux. Cela relève du droit commun des obligations (cf. les charges, les taxes, les réparations locatives).

Par ailleurs, cette réglementation partielle est partiellement d'ordre public. Toutes les dispositions du statut ne sont pas d'ordre public.

Certes, le droit au renouvellement est d'ordre public, une clause qui dans le bail tiendrait en échec le droit au renouvellement du locataire serait nulle.

Les dispositions concernant la durée du bail, durée minimum de neuf ans sont également d'ordre public.

De même, les dispositions concernant la révision du loyer en cours de bail sont d'ordre public ; on ne peut donc ni les interdire, ni les modifier.

En revanche, ne sont pas d'ordre public les dispositions relatives au plafonnement du loyer du bail renouvelé. La Cour de cassation a rendu plusieurs décisions en admettant que les parties pouvaient parfaitement prévoir dans le bail les conditions dans lesquelles le loyer serait fixé lors du renouvellement, hors plafonnement, hors valeur locative, selon d'autres critères. Les parties demeurent parfaitement libres.

Est également d'ordre public la réglementation de la clause résolutoire, qui prévoit l'obligation de délivrer un commandement pour faire courir le délai d'un mois.

Les règles concernant la déspécialisation sont également d'ordre public. Le locataire peut, sous certaines conditions, étendre son activité.

Enfin, le droit de céder le bail avec le fonds de commerce constitue une règle d'ordre public ; on ne peut interdire à un commerçant de céder son fonds de commerce avec le droit au bail inclus dans le fonds.

En dehors du statut des baux commerciaux du Code de commerce, on trouve d'autres sources d'ordre public, dont on voit les applications dans le droit des baux commerciaux. Il existe actuellement un grand débat sur les clauses d'indexation, dont on attend des décisions en jurisprudence.

Certains locataires contestent les clauses d'indexation qui comportent un indice de base fixe. Ces contestations sont fondées sur l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5471ICM), qui réglemente les clauses d'indexation. Si cela dépasse le droit des baux commerciaux, on en trouve une application concrète dans nos baux. La sanction relève, ici, de l'ordre public de direction, auquel les parties ne peuvent renoncer, alors que le statut des baux commerciaux est un ordre public de protection, auquel les parties peuvent choisir de renoncer.

Enfin, autre source légale de l'ordre public, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, dont la Cour de cassation a fait application à propos d'un bail commercial qui comportait, dans un centre commercial, comme dans tous les centres commerciaux, l'obligation pour le locataire d'adhérer à l'association des commerçants du centre.

La Cour de cassation a annulé ce type de clause en retenant qu'elle était entachée d'une nullité absolue au visa de l'article 11 de la CESDH (N° Lexbase : L4744AQR) et de la loi du 1er juillet 1901 (N° Lexbase : L3076AIR), sur le droit de s'associer précisément.

- 1.2.2. Les sources jurisprudentielles de l'ordre public

A côté de la loi, l'ordre public peut éventuellement résulter de la jurisprudence elle-même ; lorsque la loi ne dispose pas expressément qu'un texte est d'ordre public, les juges peuvent néanmoins décider que ce texte est impératif.

Comme l'écrivait le regretté Professeur Jean-Luc Aubert, si le juge estime que la règle considérée est particulièrement importante pour le bon ordre social, il lui reconnaîtra un caractère impératif, ce que l'on appelle l'ordre public virtuel.

La Cour de cassation a fait application de ce pouvoir, et a jugé que certaines dispositions étaient d'ordre public alors que cela ne figure pas expressément dans le Code de commerce, notamment à propos du congé commercial.

Dans certains baux, il était prévu que le locataire pouvait donner congé par lettre recommandé avec accusé de réception. Or, la loi prévoit que le congé doit être délivré par acte extrajudiciaire ; toutefois, ces dispositions ne sont pas visées par les articles L. 145-15 (N° Lexbase : L5743AIK) et L. 145-16 (N° Lexbase : L5763ISA) comme étant d'ordre public.

La Cour de cassation a estimé que cette forme était une forme impérative et que la clause contraire devait être considérée comme nulle. Elle a qualifié la forme extrajudiciaire du congé de règle d'ordre public.

Il en est de même s'agissant de la durée du bail renouvelé. Si la durée du bail de neuf ans est une disposition d'ordre public, les dispositions qui prévoient que le bail renouvelé est d'une durée de neuf ans ne sont pas visées par les textes sur l'ordre public.

La Cour de cassation a été saisie d'un dossier où le bail avait été signé initialement pour une durée de douze ans ; le propriétaire soutenait que le renouvellement devait intervenir également pour une durée de douze ans. Le locataire n'était pas d'accord et estimait que son renouvellement devait intervenir pour une durée de neuf ans, conformément aux textes.

La Cour de cassation a précisé que ce texte était d'ordre public : "l'article L. 145-12, alinéa 1er, du Code de commerce est une disposition d'ordre public, au terme de laquelle la durée du bail renouvelé est de neuf ans". Elle a précisé que, lors de chaque renouvellement, il appartient aux parties de se mettre d'accord, si elles veulent signer un bail de douze ans ; elles doivent alors manifester leur accord lors de chaque renouvellement, faute de quoi le bail est renouvelé pour la durée légale de neuf ans.

- 1.2.3. La convention elle-même

A côté de la loi et de la jurisprudence, la convention elle-même peut être une source de l'ordre public, ce qui peut paraître un peu paradoxal ; il s'agit d'un cas d'application volontaire du statut des baux commerciaux.

Lorsque les parties ne remplissent pas les conditions légales pour bénéficier du statut de baux commerciaux, notamment lorsque le locataire n'est pas commerçant, les parties peuvent néanmoins, conventionnellement, se soumettre à cette réglementation.

Ainsi, par exemple, les médecins ou les avocats, les professionnels d'une façon générale, qui ne sont pas commerçants et n'ont pas droit au statut des baux commerciaux, peuvent parfaitement signer des baux commerciaux si le propriétaire est d'accord pour leur consentir un tel bail. La convention précise alors : "bien que le locataire soit médecin, bien qu'il ne soit pas commerçant, bien qu'il n'ait pas de fonds de commerce, qu'il ne soit pas immatriculé au registre du commerce, les parties conviennent de se soumettre au statut des baux commerciaux et d'adopter conventionnellement cette réglementation".

Dans une affaire où les parties s'étaient volontairement soumises au statut des baux commerciaux, elles avaient convenu dans le bail que le congé pourrait être délivré par lettre recommandée avec accusé de réception ; le locataire avait délivré un congé par lettre recommandée et l'affaire était venue devant le juge ; le propriétaire contestait ce congé faisant valoir qu'il aurait dû être délivré par acte d'huissier ; la cour d'appel avait donné raison au locataire en retenant que, dès lors que l'on se trouvait dans un cas d'application conventionnel du statut, la notion d'ordre public n'intervenait pas. La Cour de cassation a censuré la décision après avoir précisé que, lorsque les parties adoptent conventionnellement un statut d'ordre public, elles l'adoptent en totalité et ne peuvent plus y déroger ; le congé délivré par lettre recommandée était donc nul.

On peut considérer que la convention des parties est une troisième source d'ordre public.

Quelles sont les limites de cet ordre public ?

Là aussi, la jurisprudence a été amenée à délimiter ce qui relève de l'ordre public et de la convention dans des cas quelque peu délicats, notamment à propos du loyer de renouvellement.

On a vu que, pour le loyer de renouvellement, le plafonnement n'est pas d'ordre public ; les parties peuvent donc convenir différemment et peuvent prévoir les conditions dans lesquelles le bail se renouvellera pour une période de neuf ans, par exemple en fixant par avance le loyer de renouvellement. Dans une affaire soumise à la Cour de cassation, les parties avaient convenu que, lors du renouvellement, le loyer serait fixé à l'ancien prix majoré d'un taux de 20 %.

Les juges d'appel avaient estimé que cette stipulation contractuelle, qui portait sur le loyer de renouvellement, avait pour effet de dissuader le preneur d'exercer son droit de renouvellement à des conditions économiques sans rapport avec la progression des données commerciales. Ils avaient donc estimé que la clause était nulle, non pas tant parce qu'elle portait sur le loyer mais parce que, indirectement, elle faisait échec au droit de renouvellement.

La Cour de cassation a fait preuve de sévérité en cassant l'arrêt et en posant le principe selon lequel "rien ne s'oppose à ce que les parties choisissent d'un commun accord de déterminer à l'avance, par une stipulation du bail, les conditions de fixation du prix du bail renouvelé. Les parties sont libres absolument".

On peut toutefois se demander si les parties sont libres absolument. Maître Jehan-Denis Barbier estime en effet qu'il doit exister une limite ; quand on en arrive à un prix tel qu'il porte directement atteinte au droit de renouvellement, il semble que l'on porte atteinte à un droit d'ordre public... Mais en l'état de la jurisprudence les conventions sont parfaitement libres en ce qui concerne le loyer.

On voit ici la difficulté de marquer la limite entre ce qui est d'ordre public, ce qui protège le locataire et ce qui relève de la liberté des conventions.

Un autre exemple de limite délicate concerne une jurisprudence plus ancienne sur les loyers variables. La clause de loyer variable, qui a été inventée, il y a environ quarante ans pour les centres commerciaux, est une clause selon laquelle le loyer est fixé partiellement comme un loyer classique, un loyer fixe, et partiellement en fonction du chiffre d'affaires du locataire (3 %, 4 %, 5 % du chiffre d'affaires si on dépasse un certain seuil). Ce type de loyer n'est pas prévu par le statut des baux commerciaux.

Lorsque ce type de clause est venu devant les tribunaux, certains locataires ou certains propriétaires ont voulu demander la révision du loyer, la révision étant d'ordre public, à la différence du renouvellement. La Cour de cassation a jugé que le locataire ne pouvait pas demander la révision, dès lors que cette clause particulière échappe aux dispositions du décret de 1953 et n'est régie que par la convention des parties.

Mais Jehan-Denis Barbier relève que la convention des parties était ici contraire à l'ordre public... Pour ce type de clause, la Cour de cassation a fait prévaloir la convention des parties sur une disposition d'ordre public.

2. Les sanctions de l'ordre public en matière de baux commerciaux

Il convient, d'abord, d'étudier l'étendue de la nullité qui peut être prononcée par le juge, et ensuite, la mise en oeuvre de cette nullité.

2.1. L'étendue de la nullité

En ce qui concerne l'étendue de la nullité, on peut hésiter entre plusieurs hypothèses.

On pourrait considérer que la clause d'ordre public est nulle, et entraîne la nullité du contrat dans sa totalité. C'est une thèse qui est maintenant abandonnée depuis longtemps, même lorsque la clause est dite déterminante, puisqu'il n'y aurait pas, alors, de sanction.

Le problème se pose quant à l'étendue de la clause elle-même. En cas de stipulation contraire à l'ordre public, est-ce qu'il convient d'annuler la stipulation seule ou la clause en totalité ?

Les juges ont ici un très large pouvoir d'appréciation ; c'est un thème en droit des contrats largement étudié par la doctrine. On parle de la nullité partielle, de la clause réputée non écrite, de la clause réputée partiellement non écrite, de la nullité réduction, de la nullité de conversion, la nullité de substitution. Il existe toute une palette de sanctions possibles.

S'agissant de la clause résolutoire, par exemple, il convient de revenir sur un arrêt récent de la Cour de cassation en date du 8 décembre 2010 (Cass. civ. 3, 8 décembre 2010, n° 09-16.939, FS-P+B+I N° Lexbase : A7045GMU). Dans cette affaire, la clause résolutoire en cas de non-paiement d'un arriéré de loyer visait un délai de quinze jours ; or, la loi, d'ordre public, prévoit que la clause résolutoire ne peut jouer qu'après un délai d'un mois, après commandement. Cette clause était tout à fait contraire à la loi.

Quelle sanction retenir ? On peut considérer que la clause résolutoire est maintenue et annuler le délai de quinze jours qui serait remplacé de fait par le délai légal d'un mois ; on peut aussi considérer que la clause résolutoire doit être annulée en totalité, parce qu'elle mentionne un délai de quinze jours, et que le bail ne contient alors plus de clause résolutoire.

C'est cette seconde solution que la Cour de cassation a retenue, en annulant la clause en totalité. La solution est logique, sans quoi la sanction n'aurait aucun effet dissuasif.

On peut également considérer l'exemple des clauses d'enseigne. Ces clauses imposent aux locataires d'exploiter sous une certaine enseigne. Dans une affaire soumise à la Cour de cassation le 12 juillet 2000 (Cass. civ. 3, 12 juillet 2000, n° 98-21.671 N° Lexbase : A9125AG3), une clause contractuelle prévoyait que les lieux loués étaient à usage d'approvisionnement général avec rayon boucherie sous l'enseigne "Commode".

La Cour de cassation a retenu que les clauses d'enseigne étaient nulles dès lors qu'elles font obstacle à la déspécialisation. Elles font également obstacle au droit de céder le fonds de commerce, ce qui est un droit absolu. Quelle est alors l'étendue de la nullité ?

La Cour de cassation, dans son arrêt du 12 juillet 2000, a jugé que la clause de destination exclusive du bail ne permettait pas l'application des dispositions d'ordre public du décret de 1953, et que la cour d'appel a retenu à bon droit qu'il convenait d'annuler cette clause. La clause a été annulée en totalité.

On en arrive alors à un bail tous commerces. Là encore, on peut se référer aux réflexions du Professeur Thomas Genicon, dans la Revue des contrats. Il traitait de cette question, non pas à propos des baux commerciaux, mais à propos des relations en droit du travail. Il approuvait l'annulation totale des clauses en relevant qu'à défaut, la sanction n'aurait pas d'effet prophylactique, car le contractant aurait tout intérêt à tenter sa chance en glissant une modalité illicite dans la clause puisqu'il ne serait pas privé de son bénéfice. A l'inverse, la menace d'une nullité totale de la clause l'incite à la rédiger en toute légalité pour ne pas courir le risque de tout perdre.

Ce type de nullité doit sans doute être approuvé dans une optique préventive et dissuasive.

2.2. La mise en oeuvre de la nullité

Si les clauses sont frappées de nullité, encore faut-il le faire juger et en matière de baux commerciaux la mise en oeuvre de la nullité est assez difficile dans la mesure où toutes les actions fondées sur le statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans.

Aussi, pour faire annuler une clause contraire à l'ordre public, il est impératif d'assigner dans les deux ans de la signature du bail.

La jurisprudence est absolument constante. Les clauses nulles ne peuvent être sanctionnées que dans ce délai de prescription, sans quoi, elles sont indirectement validées.

C'est évidemment très gênant pour les locataires puisque ce sont eux qui sont concernés.

Quels sont les moyens de sortie ?

La seule solution pour le locataire consiste à invoquer la nullité par voie d'exception, c'est-à-dire comme moyen de défense ; il faut être prudent et veiller à ne pas demander à ce que la clause soit annulée.

Un autre moyen de sortie peut aussi être mis en oeuvre à l'occasion de renouvellement du bail. Le renouvellement du bail constitue en effet un nouveau contrat ; toutes les conditions de validité du contrat doivent s'apprécier à la date du renouvellement (la capacité, la cause, l'objet, etc.) et, selon Jehan-Denis Barbier, le renouvellement du bail fait courir un nouveau délai de deux ans.

Si le bail contient une clause nulle qui aura duré neuf ans, le locataire peut attendre le renouvellement pour engager son action en nullité, dans les deux ans suivant le renouvellement.

La mise en oeuvre de cet ordre public se heurte ainsi à des difficultés pratiques et concrètes assez réelles.

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