La lettre juridique n°487 du 31 mai 2012 : Taxes diverses et taxes parafiscales

[Le point sur...] La taxe sur les salaires, un impôt très contesté mais toujours en vigueur

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N2113BTG

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[Le point sur...] La taxe sur les salaires, un impôt très contesté mais toujours en vigueur. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/6388343-le-point-sur-la-taxe-sur-les-salaires-un-impot-tres-conteste-mais-toujours-en-vigueur
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par Bernard Thévenet, Conservateur des hypothèques honoraire, Avocat au barreau de Lyon

le 31 Mai 2012

Un ancien adage veut qu'un vieil impôt soit un bon impôt. Cet adage peut-il s'appliquer à la taxe sur les salaires, créée en 1948 ? Il est possible d'en douter, compte tenu du niveau de contestation dont cette taxe fait l'objet. Les critiques sont nombreuses et argumentées, mais rien n'y fait.

Déjà en octobre 2001, dans un rapport d'information du Sénat, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation, il est écrit en introduction : "le poids budgétaire de la taxe sur les salaires et l'imbrication des flux financiers publics conduiront nécessairement à une réforme prudente et progressive. Il demeure que cette réforme de la taxe sur les salaires est nécessaire" et en conclusion : "compte tenu de son coût budgétaire, et malgré la demande de l'ensemble des professionnels, une telle mesure [la suppression de la taxe] ne peut pas être envisagée. Un amendement parlementaire en ce sens nécessiterait une compensation budgétaire et la création d'une recette nouvelle qui serait supportée par d'autres acteurs économiques". En 2012, la taxe est toujours vivante. I - Le champ d'application de la taxe sur les salaires

A - Le cas général

Toutes les personnes physiques ou morales qui versent des traitements et salaires sont passibles de la taxe sur les salaires (CGI, art. 231 N° Lexbase : L4915IQ4).

En effet, il est prévu que les sommes payées à titre de traitements, salaires, indemnités et émoluments, y compris la valeur des avantages en nature, sont soumises à une taxe sur les salaires qui est à la charge des personnes ou organismes qui versent les sommes dont il s'agit.

Toutefois, certains employeurs sont exonérés de la taxe sur les salaires. Il s'agit, notamment :
- des collectivités locales et de leurs groupements, les centres d'action sociale dotés d'une personnalité propre et subventionnés par les collectivités locales, les caisses des écoles ;
- des employeurs assujettis à la TVA sur au moins 90 % de leur chiffre d'affaires de l'année civile précédant celle du paiement des salaires. Pour les personnes ou organismes qui ne sont pas assujettis à la TVA, la taxe est assise sur la totalité des rémunérations. Pour celles qui n'ont pas été assujetties à la TVA sur au moins 90 % de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement des rémunérations taxables, l'assiette de la taxe est constituée par une partie des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la TVA et le chiffre d'affaires total.

Les principaux contributeurs à la taxe sur les salaires sont les établissements bancaires et financiers, le secteur des assurances, les établissements de santé et les organismes sans but lucratif.

B - La situation particulière des organismes sans but lucratif (OSBL)

Les OSBL qui versent des traitements et salaires sont donc imposables à la taxe sur les salaires, notamment ceux qui sont exonérées totalement ou partiellement de TVA en vertu des dispositions de l'article 261-7-1° du CGI (N° Lexbase : L5444IR3), c'est-à-dire ceux qui rendent des services à caractère social, éducatif, culturel ou sportif à leurs membres et ceux qui réalisent des opérations au bénéfice de toutes personnes par des oeuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée.

Pour l'année 2012, le taux de la taxe est, en France métropolitaine, de :
- 4,25 % pour la fraction de la rémunération individuelle qui n'excède pas 7 604 euros ;
- 9,35 % pour la fraction comprise entre 7 604 euros et 15 185 euros ;
- 13,60 % pour la fraction supérieure à 15 185 euros.

Il n'y a qu'un taux unique de 2,95 % dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion, et de 2,55 % dans le département de la Guyane.

La charge de cette taxe est relativement lourde pour les associations même si un abattement est prévu en leur faveur. Le montant de cet abattement est de 6 002 euros pour 2012.

II - La contestation de la taxe sur les salaires

Toutes les voies, politiques ou judiciaires, sont régulièrement empruntées pour tenter d'abattre cette taxe ou, à tout le moins, d'en amoindrir la portée.

A - Les voies de contestations empruntées

1 - Offensives parlementaires

Très régulièrement, les parlementaires appellent l'attention du Gouvernement sur la charge que représente cette taxe pour les associations. La réponse du Gouvernement est invariablement la même : "la taxe sur les salaires (TS) permet de soumettre à l'impôt une des composantes de la valeur ajoutée (les salaires) des employeurs qui ne sont pas assujettis à TVA ou l'ont été sur moins de 90 % de leur chiffre d'affaires ou de leurs recettes. Ce faisant, elle concerne les employeurs qui exercent des activités bénéficiant d'une exonération de la TVA (activités dans les domaines associatifs mais également les activités bancaires et financières, le secteur des assurances...). Cette taxe a un rendement annuel de près de 11,2 milliards d'euros, étant précisé que l'intégralité de cette somme est affectée au financement de la Sécurité sociale depuis l'entrée en vigueur de l'article 54 de la loi de finances pour 2008 (loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 N° Lexbase : L5488H3N). Le doublement de l'abattement de TS prévu à l'article 1679 A du CGI (N° Lexbase : L4846IQK) en faveur des associations à but non lucratif se traduirait par un manque à gagner de 150 millions d'euros, au détriment des organismes de sécurité sociale, qui ne paraît pas compatible avec leur actuelle situation financière. Au demeurant, l'abattement spécial de TS, dont le montant s'établira à 6 002 euros en 2011, permet d'exonérer complètement les associations employant jusqu'à six salariés occupés à temps plein et rémunérés au niveau du SMIC, voire plus en cas de recours au temps partiel. De fait, à son niveau actuel, l'abattement, qui représente un effort budgétaire significatif en faveur du secteur associatif de l'ordre de 250 millions d'euros, permet déjà à la majorité des associations d'être totalement dispensées du paiement de la TS. Sans méconnaître l'importance du rôle des maisons des jeunes et de la culture, les contraintes budgétaires permettent difficilement d'aller au-delà s'agissant de l'abattement spécial de TS applicable aux associations" (QE n° 93932 de M. David Habib, JOAN 23 novembre 2010, p. 12579, réponse publ. le 1er février 2011, p. 991, 13ème législature N° Lexbase : L2104IT4).

2 - Une QPC infructueuse

L'offensive contre la TS a été conduite, sans plus de succès, jusque devant le Conseil constitutionnel. L'Association sportive Football Club soutenait, notamment, qu'en mettant la taxe sur les salaires à la charge des seuls personnes ou organismes qui ne sont pas assujettis à la TVA ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires, les dispositions de l'article 231 du CGI créaient une distorsion entre des entreprises qui ont la même masse salariale. Saisi par le Conseil d'Etat de cette question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit (Cons. const., décision n° 2010-28 QPC du 17 septembre 2010, RJF 2010, n° 1214, N° Lexbase : A4759E97).

3 - Les juridictions administratives

Jusqu'à présent, les juridictions administratives n'ont pas accueilli favorablement les moyens développés par les employeurs tendant à démontrer que la taxe sur les salaires était incompatible avec les Directives communautaires, voire avec des principes généraux du droit, comme la liberté d'entreprise ou l'égalité de traitement (cf. infra).

B - Les arguments opposés

1 - Les arguments des assujettis à la taxe sur les salaires

Les principaux arguments développés par les assujettis à la taxe sur les salaires pour en contester la légalité sont les suivants :

- la taxe sur les salaires constitue une taxe cumulative à cascade prohibée et incompatible avec les objectifs poursuivis par le législateur communautaire exposés par la Directive 67/227/CEE du Conseil de la Communauté européenne du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (N° Lexbase : L7913AUM) ;

- l'article 33 de la 6ème Directive-TVA (Directive 77/388/CE du Conseil du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de TVA : assiette uniforme N° Lexbase : L9279AU9) interdit les taxes sur le chiffre d'affaires, autres que les taxes cumulatives, qui frappent les transactions commerciales d'une façon comparable à celle qui caractérise la TVA communautaire ;

- la taxe sur les salaires constitue une taxe sur le chiffre d'affaires dont l'introduction et le maintien sont prohibés en tant qu'elle concurrence la TVA dans son principe de fonctionnement, dans ses objectifs ou dans ses effets ;

- la taxe sur les salaires est un impôt substitutif de la TVA ;

- la taxe sur les salaires ne présente aucune autonomie par rapport à la TVA, ni quant au champ d'application, ni quant à l'assiette, lui étant indissociable et complémentaire. Le montant de la taxe sur les salaires due par un employeur est, en effet, proportionnel au montant de ses recettes n'ayant pas ouvert droit à déduction de la TVA. Ainsi, en laissant subsister une taxe non prévue par la 6ème Directive-TVA et non autonome par rapport à la TVA, la France a violé l'article 1er de la 6ème Directive-TVA et le système commun de la TVA ;

- la taxe sur les salaires est incompatible avec les articles 43 (liberté d'établissement ; TFUE, art. 49 N° Lexbase : L2697IPL), 48 (TFUE, art. 50 N° Lexbase : L2699IPN) et 49 (libre prestation de services ; TFUE, art. 56 N° Lexbase : L2705IPU) du Traité instituant la Communauté économique européenne. Il ressort de ces trois textes que toute restriction à la libre prestation de services ou à la liberté d'établissement est susceptible d'être incompatible avec le droit communautaire, sauf à démontrer que les mesures fiscales nationales qui entravent l'exercice de ces libertés sont justifiées par une considération relative à l'ordre public ou par une raison impérieuse d'intérêt général et qu'elles soient proportionnées. A cet égard, le fait qu'il soit plus intéressant pour une société française de s'établir dans un autre Etat membre plutôt que d'y proposer ses services mis en oeuvre depuis la France doit être analysé comme une atteinte à la libre prestation des services garantie par l'article 49 du TCE, observation faite que la restriction à la libre prestation de services peut être invoquée par l'entreprise à l'égard de l'Etat où elle est établie, dès lors que les services sont fournis à des destinataires établis dans des Etats membres ;

- l'existence de la taxe sur les salaires contraint les sociétés françaises à privilégier l'établissement de l'activité dans tous les autres Etats membres, où cette taxe n'existe pas, sur l'établissement en France. Il y a là une violation de l'article 49 du Traité CE. Un dispositif fiscal qui dissuade un opérateur de fournir un service depuis son Etat d'origine et qui le contraint à s'établir dans l'Etat où se situe la bénéficiaire est incompatible avec les exigences du droit communautaire ;

- la législation française doit s'analyser comme une restriction à la liberté d'établissement garantie par les articles 43 et 48 du Traité CE, dès lors qu'elle contraint une société française qui a décidé de créer une structure secondaire dans un autre Etat membre à privilégier la mutation de ses salariés dans cette structure au détriment de leur détachement, puisque leurs salaires ne seront pas assujettis à la taxe sur les salaires dans le premier cas ;

- la taxe sur les salaires est incompatible avec les stipulations combinées de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4747AQU) et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette Convention (N° Lexbase : L1625AZ9), dans la mesure où elle introduit une discrimination injustifiée entre les contribuables, ne répondant pas à des critères objectifs et rationnels et sans rapport direct avec la loi ;

- la taxe sur les salaires est incompatible avec les stipulations de l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce qu'elle n'a pas d'autonomie par rapport à la TVA et constitue une restriction à la liberté d'entreprise et d'établissement.

2 - Les réponses à ces arguments par la justice administrative

Plusieurs cours administratives d'appel, en particulier celles de Lyon et de Versailles (CAA Lyon, 1er juillet 2010, n° 09LY02922, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9964E78 ; CAA Lyon, n° 10LY01178, 6 janvier 2011, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3232G4H ; CAA Lyon, 20 janvier 2011, deux arrêts, n° 10LY00201 N° Lexbase : A3154G4L et n° 10LY00202 N° Lexbase : A3155G4M, inédits au recueil Lebon ; CAA Lyon, 16 février 2012, n° 11LY00024, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2411II7 ; CAA Versailles, 28 février 2012, trois arrêts, n° 10VE01591 N° Lexbase : A5672IG8, n° 10VE01607 N° Lexbase : A5674IGA et n° 10VE01608 N° Lexbase : A5675IGB, inédits au recueil Lebon), ont rejeté ces arguments en faisant notamment valoir que :

- aux termes du paragraphe 1 de l'article 33 de la 6ème Directive-TVA, dont les dispositions sont reprises à l'article 401 de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ) : "sans préjudice d'autres dispositions communautaires, notamment de celles prévues par les dispositions communautaires en vigueur relatives au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, les dispositions de la présente Directive ne font pas obstacle au maintien ou à l'introduction par un Etat membre de taxes sur les contrats d'assurance, sur les jeux et paris, d'accises, de droits d'enregistrement, et, plus généralement, de tous impôts , droits et taxes n'ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d'affaires, à condition, toutefois, que ces impôts, droits et taxes ne donnent pas lieu dans les échanges entre Etats membres à des formalités liées au passage d'une frontière". Selon la cour administrative d'appel, l'objet de cet article est d'éviter que soient instaurés ou maintenus des impôts, droits et taxes qui, du fait qu'ils grèvent la circulation des biens et des services d'une façon comparable à la TVA, compromettent le fonctionnement du système commun de cette dernière. Doivent être considérés comme tels les impôts, droits et taxes qui présentent les caractéristiques essentielles de cette taxe. Cet article ne fait, en revanche, pas obstacle au maintien ou à l'introduction d'autres types d'impôts, droits et taxes, et en particulier de taxes assises sur les salaires versés par les entreprises, dès lors que ces impôts, droits ou taxes ne présentent pas les caractéristiques essentielles de la TVA ;

- la taxe sur les salaires est un impôt direct dont l'assiette est constituée, comme sa dénomination l'indique, par les salaires versés par les assujettis ;

- les cotisations de taxe sur les salaires, qui sont assises sur les rémunérations ou une partie des rémunérations versées par ses redevables, ne sont pas établies d'une manière générale sur la base des transactions réalisées par ceux-ci et portant sur des biens ou des services, ni calculées proportionnellement au prix acquitté par le client, ni perçues à chaque stade du processus de production et de distribution, après déduction des droits acquittés lors de la transaction précédente. Dans ces conditions, la taxe sur les salaires ne présente pas les caractéristiques essentielles d'une taxe sur le chiffre d'affaires... elle n'est donc pas incompatible avec les objectifs tracés aux articles 1er et 2 précités de la Directive européenne du 11 avril 1967 ;

aucune règle communautaire relative à la concurrence ne fait obstacle à l'institution d'une taxe présentant la nature et les règles d'assiette de la taxe sur les salaires critiquée. Les circonstances que la taxe sur les salaires pénaliserait les opérations exonérées de TVA, qu'elle aurait des effets économiques négatifs, qu'elle pèserait sur la compétitivité des entreprises assujetties à défaut d'exonération des exportations, ou qu'elle désavantagerait les associations de services ou d'aide à domicile qui la payent alors que les particuliers utilisant le concours d'un seul salarié à domicile ou d'une assistante maternelle en sont exonérés, ne constituent pas une atteinte aux règles communautaires relatives à la concurrence ;

- la circonstance que la taxe sur les salaires ne frappe que les entreprises exonérées de TVA ou non soumises à cette taxe sur au moins 90 % de leur chiffre d'affaires n'a pas pour effet de lui conférer le caractère d'une taxe sur le chiffre d'affaires prohibée par l'article 33 de la 6ème Directive-TVA. Compte tenu des différences entre les caractéristiques de ces deux impôts, les circonstances que le champ d'application de la taxe sur les salaires est défini négativement par rapport à celui de la TVA, et que son assiette est, en raison de ses modalités de calcul, corrélée au montant ou à la proportion des recettes n'ouvrant pas droit à déduction de TVA d'amont ne confèrent pas à la taxe sur les salaires le caractère d'une taxe non autonome par rapport à la TVA. Ces circonstances ne créent pas une situation d'incompatibilité avec les exigences des dispositions de l'article 1er de la 6ème Directive-TVA et de l'article 1er de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006. Par ailleurs, aucune disposition communautaire ne fait obstacle à ce qu'un Etat membre institue un impôt direct qui frappe l'assiette constituée par les salaires et qui ne touche que les entreprises exonérées de TVA ou non soumises à cette taxe sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires ;

- est inopérant l'argument selon lequel les dispositions de l'article 231 du CGI ont pour effet d'inciter les employeurs assujettis à la taxe sur les salaires à créer des établissements secondaires dans les Etats membres où ils entendent développer leurs activités et d'inciter les entités d'un autre Etat membre à créer en France des succursales non dotées de personnalité juridique propre plutôt que d'y ouvrir un établissement secondaire sous la forme d'une filiale pour échapper à l'assujettissement à la taxe sur les salaires. En effet, de telles conséquences ne sont pas de nature à caractériser une restriction à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre, prohibée par les articles 43 et 48 du TCE ;

- la circonstance que la réglementation relative à la taxe sur les salaires conduirait un employeur à privilégier la mutation de ses salariés dans ses filiales européennes plutôt que leur détachement dans ces entités n'est pas, par elle-même, de nature à constituer une entrave au principe de liberté d'établissement au sein des Etats membres ;

- la taxe sur les salaires n'est pas incompatible avec les stipulations combinées de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette Convention. En effet, une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de conditions objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi. Or, l'assujettissement à la taxe sur les salaires des employeurs dépend du montant du chiffre d'affaires non soumis à la TVA, qu'il s'agisse, par exemple, de dividendes ou de subventions. Son assiette est fonction du rapport existant entre le chiffre d'affaires passible de la TVA et le chiffre d'affaires total. Les entreprises dont le chiffre d'affaires est, au moins pour 10 %, constitué de recettes ou de produits non assujettis à la TVA sont placées dans une situation différente des entreprises entièrement assujetties à la TVA... En soumettant à la taxe sur les salaires les entreprises qui ne sont pas assujetties à TVA ou le sont pour moins de 90 % de leur chiffre d'affaires, l'article 231 du CGI poursuit un objectif d'intérêt public et se fonde sur des critères rationnels en rapport avec les objectifs du prélèvement qu'il institue ;

- les dispositions de l'article 231 du CGI ne sauraient être regardées comme portant atteinte au principe de liberté d'entreprise telle que définie par de l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 18 décembre 2000.

C - La confirmation par le Conseil d'Etat

Pour sa part, le Conseil d'Etat a validé la décision de rejet de la requête de l'Association française des oeuvres pontificales missionnaires (CE 8 s-s., 26 juillet 2011, n° 343094, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8385HWH) visant à la décharger des cotisations de taxe sur les salaires qui lui étaient réclamées, prononcée par la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 1er juillet 2010, n° 09LY02922, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9964E78). La Haute juridiction a, en premier lieu, confirmé que la taxe sur les salaires est due par tout employeur établi en France à raison des rémunérations qu'il verse à son personnel salarié, même si celui-ci est employé hors de France.

Ensuite, le Conseil d'Etat a considéré que :

- a été, à juste titre, rejeté l'argument de l'association requérante selon lequel l'existence de la taxe sur les salaires aurait pour effet de l'inciter à créer des établissements secondaires dans les Etats membres où elle entend développer ses activités et d'inciter les entités d'un autre Etat membre à créer en France des succursales non dotées de personnalité juridique propre plutôt que d'y ouvrir un établissement secondaire sous la forme d'une filiale. En effet, de telles conséquences ne sont pas de nature à caractériser une restriction à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre, prohibée par les articles 43 et 48 du TCE ;

n'est pas de nature à constituer une entrave au principe de liberté d'établissement au sein des Etats membres la circonstance que la réglementation relative à la taxe sur les salaires conduirait l'association requérante à privilégier la mutation de ses salariés dans ses filiales européennes plutôt que leur détachement dans ces entités ;

- n'ont pas été violées les stipulations des articles 43 et 48 du TCE, dès lors que

  • d'une part, une personne morale établie en France entrant dans le champ de la taxe sur les salaires est soumise indistinctement au paiement de cet impôt pour les rémunérations versées à l'ensemble des salariés qu'elle emploie, que ceux-ci exercent leurs fonctions en France ou dans un autre Etat membre ;
  • d'autre part, la création par cette personne morale d'une filiale dans un autre Etat membre se traduit par l'application du même régime d'imposition que celui de ses établissements secondaires situés en France et enfin que la possibilité offerte à la personne morale de créer un établissement indépendant dans un autre Etat membre plutôt qu'une filiale, ou de muter son personnel plutôt que de le détacher afin de ne pas être soumis à la taxe, ne saurait constituer, par elle-même, une entrave à la liberté d'établissement ;

- l'assujettissement à la taxe sur les salaires dépend uniquement de l'établissement de l'employeur en France et non de la circonstance que la prestation rendue soit destinée à un preneur domicilié en France ou dans un autre Etat membre.

Enfin, le Conseil d'Etat a considéré que, pour cette affaire, il n'y avait pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel (CE, 8° s-s.., 26 juillet 2011, n° 343094, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8385HWH).

Comme on vient de le voir, les divers arguments développés pour soutenir l'illégalité de la taxe sur les salaires en raison, notamment, de son incompatibilité avec les règles de l'Union européenne ou avec des principes généraux du droit comme la liberté d'entreprise ou l'égalité de traitement ont été, jusqu'ici, rejetés par les juges administratifs. Pour les adversaires de la taxe sur les salaires, la bataille juridique paraît mal engagée, sinon perdue. Reste l'offensive politique, mais le contexte budgétaire actuel étant ce qu'il est, le renoncement aux recettes de la taxe sur les salaires est peu probable. Et pourtant : "dans un contexte de lutte contre le chômage et de reprise de la croissance, la réduction du coût du travail apparaît comme un enjeu majeur de la société française. Les poids extérieurs au marché de l'emploi, particulièrement fiscaux, constituent des freins dans le processus de décision de création d'emplois par les entreprises" (introduction à l'étude sur la taxe sur les salaires que le Sénat avait commandée au cours de la session 1999-2000 au cabinet Andersen Legal, citée supra) !

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