Lecture: 5 min
N2101BTY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Dura lex sed lex nous livrait, il y a peu, le Professeur Christophe Radé : la solution rendue le 4 mai 2012 par les Sages de la rue de Montpensier était "techniquement justifiée". L'article 222-33 du Code pénal, qui permettait que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis, méconnaissait, ainsi, le principe de légalité des délits et des peines et devait être abrogé avec effet immédiat. Et, à n'en pas douter, le Conseil constitutionnel devrait rapidement abroger l'article L. 1153-1 du Code du travail qui définit le harcèlement sexuel en des termes sensiblement identiques.
L'effet boomerang était à prévoir : la majorité de la doctrine universitaire avait alerté les pouvoirs publics contre une définition "attrape tout" du harcèlement sexuel. Le Sénat s'en était, d'ailleurs, ému à l'occasion d'un rapport sur le projet de loi relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs victimes et sur la proposition de loi relative à la répression des crimes. Pour le rapporteur de l'époque, le terme "pressions" apparaissait peu précis et risquait de s'avérer difficile à caractériser... alors, qu'il se réjouissait que, lors des travaux préparatoires du nouveau Code pénal, le Sénat ait retenu, pour la définition du délit de harcèlement sexuel, une formule faisant disparaître le terme de "pressions" qui figurait dans le texte de l'Assemblée nationale. Autant dire que le ver était dans le fruit depuis longtemps, et qu'il n'attendait plus qu'à sortir du trou à l'occasion d'une QPC, mal intentionnée.
Bien entendu, les harceleurs de tout poil n'allaient pas en rester là. Malgré la levée de boucliers des associations féministes et l'indignation d'une société profane des arguties juridiques, ils revenaient à la charge : cette fois à l'encontre de l'article 222-33-2 du Code pénal qui définit les sanctions pénales du harcèlement moral. En effet, fort de la décision rendue le 4 mai 2012, le tribunal de grande instance d'Epinal a transmis à la Cour de cassation, dans un jugement, rendu le 10 mai 2012, la question prioritaire de constitutionnalité suivante : "l'article 222-33-2 du Code pénal, en ne définissant pas de manière précise les éléments constitutifs de l'infraction, à savoir les éléments répréhensibles et les droits auxquels le prévenu est susceptible de porter atteinte, viole-t-il les droits de la défense et les principes d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ?".
A nouveau, le harcèlement est pris en défaut de définition claire et précise ; les termes de sa caractérisation, qu'il soit sexuel ou moral, apparaissent, aux harceleurs, par trop évasifs et, partant, inconstitutionnels.
Même motif, même punition ? La chose ne semble, toutefois, pas aller de soi. Notre Directeur scientifique rappelle, justement, le soin mis en 2002 à définir précisément le harcèlement moral, ce qui a d'ailleurs permis de sauver le texte lors de son examen liminaire par le Conseil. Et, la Cour de cassation semble emboîter le pas, redéfinissant posément, le 16 mai 2012, l'office du juge en la matière. Ainsi, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, le juge doit se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause sont étrangères à tout harcèlement moral. Et le même jour, de conclure : présume un harcèlement moral, le fait qu'une salariée ait déposé une plainte pénale nominative contre deux collègues dénommées pour des dégradations commises sur son véhicule, qu'elle ait bénéficié d'un nombre de nuits travaillées inférieur à celui de ses collègues, qu'elle ait fait l'objet d'une rétrogradation unilatérale de ses fonctions, que deux témoins ont fait état du dénigrement observé à son égard, et que les certificats médicaux produits attestaient des répercussions sur son état de santé de cette situation ainsi que des problèmes relationnels rencontrés avec ses collègues. La caractérisation est donc bien affaire de preuves de la matérialité des faits incriminés, alors que la définition du harcèlement moral pourrait être jugée, également, "évasive" par les empêcheurs d'un monde tournant rond.
Aussi, sauf à intégrer dans la définition du harcèlement moral, les 45 agissements du harcèlement (mobbing), selon Heinz Leymann, docteur en psychologie et psychosociologue suédois, célèbre pour ses recherches sur ce concept, depuis un essai sur la question publié en 1993, avec pour finalité cinq objectifs : empêcher la victime de s'exprimer, isoler la victime, la déconsidérer, discréditer le travail de la victime et compromettre sa santé physique, la chose pourrait s'avérer complexe. Encore, qu'en France, on s'en réfère à Marie-France Hirigoyen qui définit, dans Le Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, paru en 1998, l'infraction comme "toute conduite abusive qui se manifeste notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l'intégrité physique ou psychologique d'une personne, mettant en péril l'emploi de celle-ci ou dégradant le climat social". Mais, par où l'on voit que le droit ne peut se satisfaire d'une définition par trop générale qui risquerait de tomber sous les fourches caudines constitutionnelles. "Sous prétexte de tolérance, on devient complaisant" écrivait-elle, encore : les Sages ne l'ont décidément pas entendu de cette oreille, du moins en ce qui concerne le volet sexuel du harcèlement.
Si "une loi injuste, une loi mauvaise, n'est pas une loi, n'est pas du droit", nous livre Platon dans Les lois, l'inverse n'est pas assurément vrai. Le principe de légalité des délits et des peines, hier, et celui de l'accessibilité et de l'intelligibilité de la loi, demain -tous deux principes éminemment clairs et précis !- pourraient bien faire tomber nombres de dispositifs "trop protecteurs" ou "trop généreux", sous la guillotine constitutionnelle. Pour l'heure, comme il fut question, un jour, de "terroriser les terroristes", convient-il de poursuivre l'éradication du harcèlement, en "harcelant les harceleurs", sur des fondements législatifs plus sûrs, que l'on attend avec impatience.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:432101