Le Quotidien du 10 décembre 2020 : Pénal

[A la une] Procès des « écoutes » : pour l’avocate de Nicolas Sarkozy « nous nageons dans les hypothèses, au mieux dans les conjectures »

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par Adélaïde Léon

le 10 Décembre 2020

Au cours d’une plaidoirie sobre mais dont le déroulement s’est révélé d’une exemplaire efficacité, Me Jacqueline Laffont, avocate de Nicolas Sarkozy, s’est appliquée à dénoncer une affaire construite sur des postulats qui, malgré une « débauche d’investigations », n’ont jamais été validés par des preuves tangibles, et à critiquer la persistance de l’accusation à ignorer les éléments à décharge dans ce dossier.

À l’exception de quelques traits d’ironie à l’adresse du parquet, c’est la sobriété qui a marqué cet avant dernier jour d’audience. Mais celle-ci, loin de desservir l’ancien chef de l’État a nourri le propos de son avocate qui s’est employée à démontrer que cette affaire n’est en fait qu’un dossier d’échanges informels, « des bavardages », non contraires à la loi.

Me Laffont débute sa plaidoirie par plusieurs remarques sur les réquisitions présentées la veille (v. J. Perot, Procès des « écoutes » : le PNF requiert 4 ans d’emprisonnement dont 2 ans avec sursis contre Nicolas Sarkozy, Le Quotidien, 9 décembre 2020 N° Lexbase : N5651BYX). L’avocate ne manque pas au passage de railler les moyens mis en œuvre pas le parquet « presque un tableau d’art contemporain ». Elle dénonce des réquisitions « aussi sévères, aussi fortes que leur démonstration fut faible […] la sévérité n’a jamais été la preuve ». La preuve, ou plutôt son absence, c’est ce qui guidera Me Laffont tout au long de sa plaidoirie. La preuve qu’il appartient à l’accusation d’apporter mais dont elle a le sentiment que sa charge a été inversée tout au long de ce dossier, sans que jamais l’accusation ne considère les arguments de la défense.

Elle répond ensuite, par le menu, aux six postulats exposés par le Parquet national financier (PNF) la veille. La jeunesse du PNF, l’affirmation selon laquelle l’enquête du PNF ne visait pas son client, l’inexistence d’écoutes téléphoniques, l’absence d’obligation de communiquer, la régularité de la procédure. L’avocate déconstruit point par point le sauvetage de l’enquête préliminaire.

« Des enquêtes préliminaires qui durent 6 ans sans que personne ne soit auditionné, je n'ai jamais vu cela. L’enquête a été dérogatoire, dissimulée, cachée »

Me Laffont s’applique ensuite à énumérer les postulats de l’instruction et de l’accusation avant de les réfuter un par un et de les déclarer effondrés. « Mais pas tous seuls. La défense a retroussé ses manches, c’est son rôle. Mais pas quand le parquet échoue à caractériser une infraction ». Nouvelle attaque dirigée contre le ministère public… L’utilisation d’une ligne cryptée « Bismuth » serait en lui-même le signe d’une intention délictueuse, ladite ligne aurait été ouverte pour court-circuiter la surveillance des portables officiels de Nicolas Sarkozy, les magistrats savaient qu’ils allaient découvrir chez Thierry Herzog des documents internes à la Cour de cassation, l’unique but du voyage de Nicolas Sarkozy à Monaco serait le service rendu à Gilbert Azibert, la motivation de la visite de Thierry Herzog à Nicolas Sarkozy lors de son séjour à Monaco. L’avocate de l’ancien chef de l’État déconstruit méthodiquement les convictions de l’accusation avant de dénoncer : « peu importe que rien n’ait été prouvé dit le parquet après 6 ans d’instruction, toutes ces investigations hors normes diligentées, n’ont servi à rien […] lorsque les investigations sont à décharge, elles ne comptent pas, elles n’existent pas ».

Non sans une certaine ironie, l’avocate reproche à l’accusation, face à l’absence de preuve, d’avoir, en désespoir de cause, cherché à sonder l’esprit de son client…

S’en suit un développement sur les conditions dans lesquelles Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog  auraient, grâce à Gilbert Azibert, pris connaissance de l’avis de l’avocat général et de l’opinion de conseillers à la Cour de cassation dans le cadre d’un pourvoi sur lequel l’ancien chef de l’État aurait cherché à obtenir des informations. Après avoir déconstruit la thèse de l’infiltration, Me Laffont ne manque pas de dénoncer les exigences procédurales « à géométrie variable » du parquet. Elle rappelle alors que, dans cette affaire, des juges d’instruction ont communiqué hors de tout cadre procédural sans que le ministère public s’en émeuve.

L’audience est suspendue pour une dizaine de minutes.

Me Laffont reprend sa plaidoirie et déconstruit la thèse selon laquelle il résulterait d’une conversation entre Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog, que Gilbert Azibert aurait été récompensé pour services rendus et qu’il y avait, dans l’esprit des prévenus, la conscience de la commission d’un acte délictueux. Elle reproche une fois encore au parquet d’avoir ignoré les éléments factuels.

L’avocate de Nicolas Sarkozy résume : le dossier débute par quelques extraits de conversation, les juges d’instruction et le parquet considèrent qu’il faut accomplir des investigations ; or ces investigations ne donnent rien, le parquet estime que « ce n’est pas grave », qu’il a des écoutes et qu’il va pouvoir les interpréter. « Voilà ce que c’est que ce dossier » conclut l’avocate. Un « dossier de quelques interceptions téléphoniques entre un avocat et son client. Pas le début du moindre élément de preuve (élément matériel, témoignage, déclaration) qui vienne conforter la thèse de l’accusation ».

La plaidoirie de Me Laffont touche à sa fin mais avant cela, elle ne manque pas de dénoncer, en se fondant sur la jurisprudence de la Chambre criminelle et de la Cour européenne des droits de l’Homme, l’illicéité des écoutes téléphoniques lesquelles sont « contraires au secret professionnel, aux principes fondamentaux de notre droit et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ».

L’avocate évoque également l’absence de lien causal et déterminant entre les services prétendument fournis par Gilbert Azibert avec le vague projet de celui-ci à Monaco « dont on ne sait même pas s’il était réellement demandeur ». Elle observe que cette absence de lien de causalité avait amené l’Assemblée plénière de la Cour de cassation à confirmer la relaxe d’un célèbre homme politique défendu par elle (Ass. plén., 23 juillet 2010, n° 10-85.505 N° Lexbase : A9342E4R).

Me Laffont achève sa plaidoirie en s’adressant au tribunal « je veux croire que cette affaire hors norme au cours de laquelle certains se sont probablement fourvoyés représente pour l’institution judiciaire une chance de dire ce qu’elle est, de montrer la force de ses valeurs et de démontrer le caractère impartial de ses décisions […] Il faut accepter de dire que la justice est faillible […] ce procès ne doit pas être un acte de vengeance institutionnel ».

Il est 17 heures 40, la plaidoirie de Me Laffont prend fin. Nicolas Sarkozy et Carla Bruni-Sarkozy repartent main dans la main sous les crépitements photographiques des journalistes venus nombreux.

Suivront, ce jeudi 10 décembre 2020 les plaidoiries des avocats de Gilbert Azibert puis Thierry Herzog.

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