La lettre juridique n°847 du 10 décembre 2020 : Procédure civile

[Textes] Ajustements et restrictions, entre joies et peines : à propos des dispositions relatives à la procédure d’appel du décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020

Réf. : Décret n° 2020-1452, du 27 novembre 2020, portant diverses dispositions relatives notamment à la procédure civile et à la procédure d'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (N° Lexbase : Z7419194)

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[Textes] Ajustements et restrictions, entre joies et peines : à propos des dispositions relatives à la procédure d’appel du décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/62147076-textesajustementsetrestrictionsentrejoiesetpeinesaproposdesdispositionsrelativesalapr
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par Farid Seba, ancien Avoué à la cour, Avocat spécialiste en procédure d’appel, formateur en procédure civile

le 23 Décembre 2020


Mots clés : déclaration d'appel • mentions obligatoires • nullité de l'acte d'appel • objet de la demande • état civil de l'appelant • requête en déféré • ordonnance du conseiller de la mise en état • irrecevabilité des conclusions de l'intimé • 901 du CPC • 916 du CPC • juge de la mise en état • fin de non-recevoir


La réforme d’une règle de procédure, quelle qu'elle soit, devrait logiquement procéder de l’idée d’une amélioration ou d’une simplification du système. C’est à cela que l’on mesure les progrès accomplis dans la mission de service publique qu’est la justice. Malheureusement, depuis quelques années, force est de constater que ces objectifs ne semblent plus ceux qui prévalent en matière de réforme judiciaire.

Le dernier décret de procédure du 27 novembre 2020 n’échappe pas à cette critique. En effet, en marge de quelques retouches de forme ci et là, certes nécessaires, le pouvoir réglementaire en a profité pour réduire encore un peu plus la marge de manoeuvre du justiciable qui peine déjà à naviguer dans une procédure d’appel dont la complexité n’a d'égal que la propension grandissante à faire courir des risques que rien ne justifie.

I. Des modifications plutôt bienvenues

A. Mentions de la déclaration d’appel : clarté et précisions
B. Objet de la demande et état civil de l'appelant, rien de nouveau

II. Une restriction certaine du droit d'accès au juge du fond, juge de la procédure

A. Sur la forme du déféré
B. La restriction de l'étendue des possibilités en matière de déféré : un net recul des droits des parties

La période de confinement imposée par la crise sanitaire que nous traversons s’accompagne pour la majorité d’entre nous d’un ralentissement de notre activité. Un temps de pause imposé que l'on voudrait propice à la réflexion et à la retenue. Il n'en est manifestement pas de même pour tout le monde.

En effet, alors que nous digérons à peine l’entrée en vigueur du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 (N° Lexbase : L8421LT3), le 27 novembre 2020 paraissait au journal officiel, un nouveau décret n° 2020-1452 portant diverses dispositions relatives notamment à la procédure civile et à la procédure d'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions. Ce texte, appelé à entrer en vigueur le 1er janvier 2021, vient principalement modifier et préciser la procédure de première instance relativement à la forme et aux modalités de remise de l’assignation introductive d'instance devant le tribunal judiciaire, la mise en état, la procédure sans audience, la comparution à l'audience, l'exécution provisoire, la conciliation et la médiation ou encore la procédure de divorce. Sur les dispositions concernant la procédure de première instance, voir le commentaire de Charles Simon. [1] 

Mais le nouveau décret apporte également quelques modifications à la procédure applicable devant la cour d'appel. Les articles 901 (N° Lexbase : L9351LTI), 905 (N° Lexbase : L2324LUM), 916 (N° Lexbase : L7248LE8) et 933 (N° Lexbase : L9352LTK) du Code de procédure civile ont ainsi été modifiés. Les changements portent essentiellement sur la rédaction de la déclaration d’appel (CPC, art. 901 et 933), sur l'étendue du champ d'application de la procédure à brefs délais (CPC, art. 905) et enfin, sur la procédure de déféré (CPC, art. 916). Si certaines de ces modifications sont plutôt bienvenues pour avoir été appelées de leur vœux par la doctrine, ou parce qu’elles s’inscrivent dans la logique des précédentes réformes (I), il en va différemment des restrictions apportées par le décret à l'accès au juge du fond dans son rôle d'autorité régulatrice des excès du magistrat instructeur dans une procédure d’appel de plus en plus complexe et exigeante (II).

I. Des modifications plutôt bienvenues

Le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 présente le mérite de clarifier les exigences de forme de la déclaration d’appel (A), c’est là l’occasion d'en préciser la portée (B).

A. Mentions de la déclaration d’appel : clarté et précisions

Le précédent décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, entré en vigueur le 1er janvier 2020, a considérablement réformé la procédure de première instance en fixant de nouvelles règles de saisine et d'instruction des dossiers devant le tribunal judiciaire. Ce texte contenait également quelques nouvelles dispositions relatives à la procédure d’appel et notamment à l'article 901 du Code de procédure civile lequel fixe les mentions exigées à peine de nullité dans l'acte d’appel.

Mû par un élan réformateur, le législateur avait alors substitué, dans le texte de l’article 901, la mention du renvoi à l’article 58 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9290LTA) par une mention de renvoi à l’article 57 (N° Lexbase : L9288LT8) du même code.

Rappelons que l'article 57 du Code de procédure civile renvoie lui-même expressément à l’article 54 (N° Lexbase : L9077LTD), lequel prévoit, entres autres mentions à faire figurer à l’acte de saisine de la juridiction et ce à peine de nullité, l’obligation de mentionner les pièces sur lesquelles la demande est fondée.

Ce jeu de renvois successifs d’un texte à un autre, s’il présente l'avantage pour son auteur de faire l’économie d’une nouvelle rédaction, présente l’inconvénient majeur de calquer, sans ajustement aucun, une ou plusieurs exigences procédurales d'une instance à l'autre, sans tenir compte des spécificités propres à chaque instance.

Or, le chemin le plus court n'est pas toujours le plus aisé, surtout en matière de procédure civile.

La plus grande confusion s’est donc installée avant même que n'entre en vigueur le décret du 11 décembre 2019, sur la question de savoir si la déclaration d’appel devait nécessairement, et au risque de voir l'acte déclaré nul, être accompagnée d’une liste de pièces sur lesquelles la demande est fondée. Sans que l’on sache d’ailleurs de quelles pièces il s'agit, ou encore comment articuler cette exigence avec les dispositions des articles 132 (N° Lexbase : L0429IGY) à 137 (N° Lexbase : L1482H4N) et 906 (N° Lexbase : L7238LES) du Code de procédure civile et la faculté qu’ont les parties de faire état de nouvelles pièces à tout moment du déroulement de la procédure.

Cette situation inconfortable a suscité beaucoup de remous dans la pratique des cabinets d'avocat, habitués que nous sommes, depuis les premiers décrets dits « Magendie », à prendre toutes les précautions envisageables dans la rédaction de nos actes de procédure. Si bien que toutes sortes de recommandations plus ou moins utiles, mais légitimes, ont été formulées pour parer à l'éventualité d'une sanction : mention de la liste des pièces de première instance dès la préparation de la déclaration d’appel directement dans le champ « observations » de l’écran RPVA ; jonction à la déclaration d’appel de la liste des pièces de première instance au format PDF ou encore, communication au greffe de la cour d’un bordereau de pièces portant la mention « sous réserves »…

C'est bien connu, « l'homo sapiens juriste » et plus particulièrement « l'homo sapiens avocat » consacre une part de plus en plus importante de son énergie et de son temps à tenter de remédier aux situations inconfortables dans lesquelles il est placé, dans l'exercice de son activité professionnelle, par l'inflation grandissante de la règle de droit.

Cette crainte n'a plus lieu d’être, le décret du 27 novembre 2020 supprime purement et simplement l’exigence de la mention des pièces qui fondent la demande. En effet, le texte de l’article 901 du Code de procédure civile a été revu et corrigé dans ses excès de renvoi d'un texte de procédure à l'autre. Ainsi, la mention faite à l’article 57 du Code de procédure civile dans son intégralité, est désormais remplacée par la reproduction in extenso de certaines dispositions bien choisies des article 54 et 57 du Code de procédure civile. L'article 901 du Code de procédure civile ne fait désormais référence qu'aux seules dispositions des 2° et 3° de l'article 54 du Code de procédure civile ainsi qu'au troisième alinéa de l'article 57.

Nouvelle rédaction de l’article 901 du Code de procédure civile :

« La déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 et par le troisième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité :
1° La constitution de l'avocat de l'appelant ;
2° L'indication de la décision attaquée ;
3° L'indication de la cour devant laquelle l'appel est porté ;
4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Elle est signée par l'avocat constitué.
Elle est accompagnée d'une copie de la décision.
Elle est remise au greffe et vaut demande d'inscription au rôle. »

La première observation que l’on peut faire tient au fait que les mentions qui ont été écartées, l'ont été à juste titre, car elles faisaient pour certaines d'entre elles, double emploi avec celles figurant déjà nativement dans le texte de l'article 901 ou ne trouvaient en réalité aucune véritable justification procédurale au stade de la déclaration d’appel.

Il en va ainsi par exemple de :

  • l'indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée, mention faisant double emploi avec la mention de l'indication de la cour devant laquelle l'appel est porté ;
  • ou encore des mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier, mention pour le moins incongrue au stade de la saisine de la cour.

Le texte gagne donc en clarté et en précision et cette modification doit être accueillie favorablement.

Par ailleurs, l’exigence d’une mention dès la déclaration d'appel de la liste des pièces sur lesquelles la demande serait fondée, exigence qui posait difficulté au praticien, a fort heureusement disparu du texte de l’article 901 et dans sa fiche de présentation du nouveau texte [2], la Direction des affaires civiles et du Sceau est venue préciser à juste titre que cette exigence n'avait de toute façon pas de sens dans la mesure où :

« ...l’appelant ou le demandeur au pourvoi ne connaît pas nécessairement l’intégralité́ des pièces qu’il produira dès la déclaration d’appel ou le pourvoi. Cette exigence, à ce stade de la procédure, était donc prématurée. »

L'argument ne souffre aucune discussion et il y a fort à parier que la cour de cassation, qui n'a pas eu l'opportunité de se prononcer sur cette question, aurait statué dans le même sens. Nous voilà fixés pour ne pas dire rassurés.

B. Objet de la demande et état civil de l'appelant, rien de nouveau

S'agissant des autres mentions du texte et plus particulièrement du renvoi aux deuxièmement et troisièmement de l’article 54 du Code de procédure civile, le renvoi à l'alinéa 3 de l'article 57 ne semblant pas poser de difficulté, il convient d'apporter les précisions suivantes.

1) Que faut-il entendre par “ l'objet de la demande “ (CPC, art. 54, 2° )

Relevons d’abord que ce que n'est que très récemment et plus particulièrement depuis la publication du décret du 27 novembre 2020, que certains commentateurs du nouveau décret se sont émus de cette exigence procédurale considérée à tort, comme un piège tendu par le législateur.

Or, cette référence à l'article 54 qui n’est pas nouvelle pour avoir été introduite à l'article 901 du Code de procédure civile par une réforme de 2005 [3], par renvoi de l'article 58 du Code de procédure civile, n'a jusqu'à aujourd'hui posé aucune difficulté d'interprétation. Les craintes exprimées au sujet de cette mention peuvent être résumées de la manière suivante.

Que faut-il entendre par « objet de la demande » au stade de la déclaration d'appel ? S’agit-il des demandes envisagées devant la cour ? Dans l'affirmative, quid des demandes de première instance ? Et quel sort réserver à la déclaration d'appel qui ferait l'économie d'une mention conforme de l'objet de la demande ?

A y regarder de plus près, ces inquiétudes ne sont absolument pas fondées. En effet, alors que devant le tribunal l'objet de la demande s'apprécie à l'aune de l'article 4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1113H4Y) lequel définit l'objet du litige comme étant : «... l’ensemble des prétentions des parties, telles qu’elles sont fixées dans l’acte introductif d’instance et les conclusions en défense, étant précisé que celui-ci peut se trouver modifié par les demandes incidentes qui se rattachent aux demandes originaires par un lien suffisant. »,  il en va différemment au stade de l'appel.

Ainsi, devant la cour, la notion d'objet de la demande doit être envisagée par rapport aux dispositions de l’article 542 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7230LEI) lequel précise que :« L'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel. »

L’objet de la demande à faire figurer dans la déclaration d'appel, vise donc en réalité l’objet de la demande d’appel, dans le sens premier du terme.

S’agit-il d’un appel réformation du jugement, ou d’un appel annulation du jugement ? Ou encore, comme le permet la jurisprudence dans des certains cas particuliers, d'un appel nullité de la décision entreprise ?

Il revient à l'appelant de déclarer son intention en précisant le but recherché devant la cour et il ne s'agit là nullement de faire état des prétentions que l'on entend soumettre à la cour. Cette précision relative à l’objet de la demande est par ailleurs aujourd'hui utilement complétée par la mention des chefs de jugement critiqués devant la cour, mention exigée depuis la réforme de procédure introduite en 2017. [4]

Il n’y a donc là aucun piège, et l'absence de contentieux portée devant la Cour de cassation sur cette question en témoigne largement.

Enfin, c’est en remplissant les champs du RPVA correspondants, lors de la formalisation de la déclaration d’appel, que le praticien satisfera à l’exigence de cette mention qu'il convient tout même d'observer à peine de nullité de l'acte d'appel. Les mentions relatives à l’état civil du ou des appelants dans la déclaration d'appel posent quant à elles bien moins de difficultés.

2) Les mentions relatives à l’état civil de l'appelant (CPC, art. 54, 3°)

L'appelant personne physique ou personne morale doit mentionner son état civil complet dans sa déclaration d'appel.

Cette exigence, empruntée à la procédure de première instance, est principalement destinée à assurer l’identification du demandeur à l’instance d’appel.

Elle est évidemment prévue à peine de nullité de l'acte, mais la sanction est toute relative.

Rappelons, en effet, que la Cour de cassation semble avoir définitivement enterré le contentieux de la déclaration d’appel relatif au défaut ou à l’inexactitude de ces mentions, en les rangeant dans la catégorie des exceptions de procédure et plus précisément des nullités pour vice de forme pour lesquelles la démonstration d’un grief est exigée, démonstration pas toujours aisée à faire.

Précisons par ailleurs que l’inexactitude ou l’omission dans l’une ou l’autre de ces mentions, peut toujours être réparée par les mentions apportées à l'énoncé des parties lors de la rédaction des conclusions d'appel, à condition que cette régularisation intervienne à l'intérieur du délai pour former appel.

Enfin, il est utile d’indiquer que la récente évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation initiée en 2014 [5] sur l’application des dispositions de l’article 2241 du Code civil (N° Lexbase : L7181IA9), relatives à l’interruption du délai de forclusion, à la déclaration d’appel entachée d’un vice de procédure, qu’il soit de forme ou de fond, permettant de réitérer l'acte d'appel, le délai d'appel ayant été interrompu par le premier acte entaché d'une nullité, a fait perdre à la sanction du non-respect de ces dispositions, une grande part d'intérêt.

Mais là où le décret du 27 novembre 2020 innove véritablement, c'est dans son aspect réducteur du droit d’accès à la juridiction d’appel statuant en matière de déféré.

II. Une restriction certaine du droit d'accès au juge du fond, juge de la procédure

Le principal changement, ou devrait-on dire le principal écueil, du décret du 27 novembre 2020, réside dans la modification des dispositions de l’article 916 du Code de procédure civile.

L'article 916 du Code de procédure civile règle la procédure de déféré des ordonnances du conseiller de la mise en état.

Les modifications apportées par la réforme sont à la fois de forme (A) et de fond (B).

A. Sur la forme du déféré

L'article 916 du Code de procédure civile a été modifié en ce sens que, dans la forme que doit prendre la requête en déféré, il n'est plus fait allusion à l'article 58 du Code de procédure civile, mais à l'instar des modifications apportées au texte de l'article 901 évoquées ci-dessus, à l'article 57 du Code de procédure civile.

Malheureusement, le législateur n'a pas fait preuve ici du même esprit de clarté que pour la réécriture de l'article 901 du même code.

En effet, l'article 57 du Code de procédure civile est à nouveau visé, dans l’article 916, dans sa totalité. Ce qui relance le débat de l'utilité de la mention de certaines des dispositions du texte de l'article 57 dans la requête en déféré, mentions qui ne trouvent manifestement aucune justification à ce stade de la procédure.

Il eut été plus judicieux de procéder comme à l'article 901 du code de procédure civile, par une sélection des seules mentions ayant un sens utile sur le plan procédural lors de la mise en œuvre du déféré.

Cet inconfort dans la rédaction de l'article 916 du code de procédure civile est d'autant moins justifié, que de l'avis même de la Cour de cassation [6] :

« La requête en déféré est un acte de procédure qui s’inscrit dans le déroulement de la procédure d’appel », et non une voie de recours « ouvrant une instance autonome» .

Or, les dispositions de l'article 57 comme celles de l'article 54 d'ailleurs, servent essentiellement pour ne pas dire exclusivement à fixer les formes dans lesquelles se fait la saisine des juridictions.

Manifestement et pour paraphraser la Bible, en matière de réforme des textes, la main gauche ignore ce que fait la main droite. [7]

Quoi qu'il en soit, le bon sens commandera de limiter la rédaction de la requête en déféré aux seules mentions utiles et en relation directe avec cette procédure.

Il en va ainsi des mentions relatives à l’identification des parties ou encore l'indication de la décision déférée et surtout à l'exposé des moyens en fait et en droit.

S'agissant enfin du délai dans lequel le déféré doit être régularisé, il convient de rappeler que l'acte doit être remis à la juridiction d'appel dans les 15 jours de l'ordonnance du conseiller de la mise en état à peine d'irrecevabilité.

A cet égard, la Cour de cassation considère que : « ... l'irrecevabilité frappant le déféré formé au-delà de ce délai ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, dès lors que les parties sont tenues de constituer un avocat, professionnel avisé, en mesure d'accomplir les actes de la procédure d'appel, dont fait partie le déféré, dans les formes et délais requis.[8]

La question est donc entendue.

Ceci étant, la préoccupation majeure de cette réforme se trouve en réalité dans le fait que désormais le déféré est considérablement limité dans son champ d'application.

B. La restriction de l'étendue des possibilités en matière de déféré : un net recul des droits des parties

Le conseiller de la mise en état est de facto considéré comme le pendant du juge de la mise en état devant la cour en ce qu'il tire principalement ses pouvoirs de ceux accordés au juge de la mise en état par les articles 780 (N° Lexbase : L9318LTB) et suivants du Code de procédure civile.

Mais le conseiller de la mise en état dispose par ailleurs d'autres pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 914 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7247LE7) et qui sont spécifiques à la procédure d'appel ;

En application de ce texte, le conseiller de la mise en état est compétent pour :

  • prononcer la caducité de l'appel ;
  • déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel ;
  • déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 (N° Lexbase : L7240LEU) et 910 (N° Lexbase : L7241LEW) du Code de procédure civile ;
  • déclarer les actes de procédure irrecevables en application de l'article 930-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7249LE9).

Les décisions prises par le conseiller de la mise en état sur la base de ces pouvoirs sont susceptibles d'être remises en question devant la cour par la procédure dite de déféré.

Ainsi le texte de l'article 916 du Code de procédure civile prévoyait que les ordonnances du conseiller de la mise en état, qui ne peuvent pas être frappées de pourvoi indépendamment de l’arrêt sur le fond, peuvent être déférées par requête, lorsqu’elles statuent notamment :

  • sur une exception de procédure, un incident mettant fin à l'instance, la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou la caducité de celui-ci ou sur l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910, et 930-1. »

Ce sont précisément ces dispositions de l'article 916 du Code de procédure civile que vient modifier le décret du 27 novembre 2020.

Désormais, le déféré est limité aux seules décisions statuant sur :

  • une fin de non-recevoir ou sur la caducité de l'appel

Ce changement de paradigme mérite quelques observations et ne peut échapper à une critique sévère, tant les conséquences, en termes de limite aux droits de la défense, sont désastreuses.

La première observation qui s'impose consiste à relever que le texte ne vise plus uniquement « la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel » mais plus généralement la « fin de non-recevoir ».

Est-ce à dire que nous avons perdu la possibilité de déférer à la cour les ordonnances statuant sur l'irrecevabilité de l'appel ?

La réponse est assurément négative, car il faut ranger dans la catégorie des fins de non recevoir, les incidents de procédure qui ont trait à l'inobservation des délais d'exercice des voies de recours ou à l'absence d'ouverture de la voie de recours, tels que l'irrégularité de la saisine de la cour, la question de savoir s'il s'agit bien d'un jugement susceptible d'appel et si oui, d'un appel immédiat, ou encore l'éventuelle application de l'article 528-1 du Code de procédure civile(N° Lexbase : L6677H7G).

Ces fins de non-recevoir sont d'ailleurs expressément visées à l'article 125 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1421H4E), lequel n'a fait l'objet d'aucune modification, et ont un caractère d'ordre public, ce qui a pour conséquence que le juge doit les relever d'office.

En fait, la nouvelle formulation « fin de non-recevoir » vise plutôt à synthétiser, à regrouper à la fois les fins de non-recevoir dites classiques, celles de l'article 122 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1414H47), avec les fins de non-recevoir propres à la procédure d'appel.

En effet, la modification apportée par la réforme au texte de l'article 789 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9322LTG) qui donne désormais compétence au juge de la mise en état, et donc par voie d'extension au conseiller de la mise en état, pour statuer sur les fins de non-recevoir de l'article 122 du même code, est sans aucun doute à l'origine de la réécriture de l'article 916 du Code de procédure civile sur ce point.

A cet égard, on relèvera que le décret du 27 novembre tire les conséquences de cette nouvelle compétence du juge de la mise en état en ouvrant la voie de l’appel aux décisions, qu’elles émanent du magistrat instructeur ou de la formation de jugement sur renvoi, qui statuent sur une fin de non-recevoir et sur une question de fond liée à cette fin de non-recevoir.

L’appel qui relèvera ici du circuit court prévu à l’article 905 lequel a fait l’objet d’une modification en ce sens, devra porter sur les deux aspects de la décision, la fin de non-recevoir et la question de fond car ils sont indissociables.

Même si cet ajustement d’une réforme à l’autre est plutôt bienvenu, le doute est tout de même permis sur l’efficacité pratique d’un tel dispositif.

En effet, la question de fond ainsi tranchée peut aisément déborder sur l’ensemble du litige. Prenons par exemple l’hypothèse de la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir, qui pour être tranchée, conduira nécessairement le juge de première instance à envisager le litige en son entier et à déborder ainsi largement le périmètre de la question qui lui a été posée.

Dans ces conditions, il est peu probable que les avocats, à tort ou à raison mais assurément dans un réflexe de défense légitime, ne se privent de multiplier les appels de ces décisions, ce qui aura pour conséquence directe de ralentir davantage la machinerie lourde que constitue la cour d’appel.

C’est encore le justiciable, consommateur final de toutes ces réformes, qui va en pâtir.

Mais ce qui est surtout préoccupant c’est que si le déféré a été maintenu relativement aux ordonnances statuant sur la caducité de l'appel, il a été en revanche supprimé en ce qui concerne les ordonnances qui statuent sur l'irrecevabilité des conclusions de l'intimé principal, de l'intimé à un appel incident ou à un appel provoqué, de l'intervenant forcé ou volontaire.

C'est donc toute une partie du contentieux procédural dévolu au juge d'appel qui disparaît et le conseiller de la mise en état est dès lors consacré dans un rôle de plus en plus important.

Le séisme est d'une amplitude considérable.

A première vue, on pourrait conclure que seuls les intimés ou les intervenants à la procédure d'appel seront affectés par cette suppression. Or, il n'en est rien.

En effet, le texte supprime également la possibilité de déférer les ordonnances qui statuent sur l’irrecevabilité des actes en application de l'article 930-1 du Code de procédure civile.

Ce texte qui fait obligation aux parties de remettre à la juridiction d'appel leurs actes par voie électronique sous peine d'irrecevabilité, vise l'ensemble des actes de la procédure d'appel, de quelque partie qu'ils émanent.

Ainsi, par exemple, l'assignation en appel provoqué qui n'aurait pas été remise au greffe de la cour par la voie électronique pourrait donner lieu à une ordonnance du conseiller de la mise en état déclarant l'acte nul, ordonnance désormais exclue de la procédure de déféré, ce qui limite la possibilité tant pour l'appelant que pour l'intimé d'étendre le procès en appel à d'autres parties.

Pire encore, cette restriction de l'accès au déféré, risque de relancer le contentieux pour ne pas dire la polémique autour de la question de l'appel formé en matière social par un avocat se situant hors ressort de la cour compétente pour connaître de cet appel.

En effet, même si la Cour de cassation semble plus ou moins avoir fermé les yeux sur la régularité d'une déclaration d'appel adressée par courrier au greffe de la cour par un avocat n'ayant pas accès au RPVA de ladite cour [9], parce que hors de son ressort, avec la réforme de l'article 916 du Code de procédure civile, le contentieux sur cette question, précisément celle de savoir ce qu'il faut entendre par « cause étrangère » autorisant la remise papier d'une déclaration au greffe de la cour, est désormais laissé à la seule appréciation des conseillers de la mise en état et risque de rebondir.

Dans la mesure où il y aura autant d'avis sur cette question qu'il y a de conseillers de la mise en état, sans parler des contradictions dans la jurisprudence qui se dégagera au sein d'une même cour d'appel, cette nouvelle répartition des pouvoirs pourrait avoir comme conséquence un accroissement du risque de voir déclarées irrecevables les déclarations d’appel qui ne seraient pas transmises par voie électronique motif pris de l’existence d’une cause étrangère. La cour d’appel n’étant plus appelée à se prononcer sur ce contentieux, c’est la jurisprudence des conseillers de la mise en état qui en fixera les limites avec tout ce que cela comporte d’incertitudes. Force est donc de constater que, même si la Cour de cassation ne considère pas le déféré comme une voie de recours à proprement parler et qu'il est donc difficile de parler de suppression d'une voie de recours, il s'agit là tout de même d'une privation considérable de l'accès au juge du fond, doublée d'un effet d'inégalité de traitement des justiciables selon le conseiller devant lequel ils se trouveront.

Ajoutons à cela le fait que l'article 914 du Code de procédure civile accorde aux ordonnances du conseiller de la mise en état statuant au visa des articles 909, 910, et 930-1 du même code, l'autorité de la chose jugée au principal, ce qui interdit à la cour de connaître de la question ainsi définitivement tranchée, seul le pourvoi en cassation mais uniquement avec l'arrêt sur le fond permettant de remettre en cause la décision du magistrat instructeur.

On peinera à trouver dans cette restriction du champ d'application du déféré quelque logique procédurale d'efficacité ou de célérité dans la conduite du procès d'appel, pas même l'idée souvent prêtée au législateur d'une volonté sournoise de réduire le contentieux d'appel.

En effet, comme c'est principalement la partie attraite devant la cour qui subira les conséquences de cette réécriture de l'article 916, il est fort probable que dorénavant, l'intimé qui aurait des velléités de former appel incident ou appel provoqué, pourrait être amené à choisir la voie de l'appel principal, limitant ainsi la restriction de l'accès au juge d’appel que pose ce changement dans l'article 916, et ce même si en qualité d'appelant il pourrait également souffrir de cette limitation mais dans une moindre mesure. On mesure alors l'efficacité plutôt restreinte d'une telle modification de l'article 916 du Code de procédure civile. Pour ceux d'entre nous qui avaient vu comme une lueur d'espoir dans l’introduction, en son temps, du texte de l'article 910-3 (N° Lexbase : L7043LEL) qui prévoit qu'en cas de force majeure le président de la chambre ou le conseiller de la mise en état, peut écarter l'application des sanctions prévues aux articles 905-2 (N° Lexbase : L7036LEC) et 908 (N° Lexbase : L7239LET) à 911 (N° Lexbase : L7242LEX), seule véritable bulle d'oxygène dans un arsenal de règles plutôt asphyxiant, ils devront modérer leur enthousiasme et finir par admettre que « L'espoir fait vivre, mais comme sur une corde raide ». [10]

 

[1] C. Simon, « Même joueur joue encore : la réforme de la réforme de la procédure civile », Lexbase, Droit privé, décembre 2020, n°847 (N° Lexbase : N5622BYU).

[2] Ministère de la justice, Direction des affaires civiles et du Sceau, Fiche de présentation des dispositions de procédure civile du décret portant diverses dispositions relatives notamment à la procédure civile et à la procédure d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions, 28 novembre 2020, I. a., p. 1, [en ligne].

[3] Décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005,relatif à la procédure civile, à certaines procédures d'exécution et à la procédure de changement de nom, art. 6 (N° Lexbase : L3298HEU).

[4] Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 applicable à compter du 1er septembre 2017, relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile (N° Lexbase : L2696LEL).

[5] Cass. civ. 2, 16 octobre 2014, n° 13-22.088, F-P+B, (N° Lexbase : A6522MY9) ; Cass. civ. 2, 1er juin 2017, n° 16-14.300, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8538WEX).

[6]  Cass. civ. 2, 11 janvier 2018, n° 16-23.992, F-P+B (N° Lexbase : A2014XAT).

[7]  Matthieu, 6, 3.

[8] Cass. civ. 2, 21 février 2019, n° 17-28.285, F-P+B (N° Lexbase : A9006YY9).

[9] Voir en ce sens l'avis de la Cour de cassation du 5 décembre 2017 (Cass. avis, 5 mai 2017, n°17006 N° Lexbase : A9752WBS).

[10] Citation de P. Valery.

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