Le Quotidien du 8 décembre 2020 : Télétravail

[Focus] Les principales nouveautés de l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 relatif au télétravail

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[Focus] Les principales nouveautés de l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 relatif au télétravail. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/61994177-focus-les-principales-nouveautes-de-laccord-national-interprofessionnel-du-26-novembre-2020-relatif-
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par Marie-Laurence Boulanger, avocat associé, et Alexandra Clerc, avocat, cabinet Fromont Briens

le 09 Décembre 2020

Les partenaires sociaux ont finalisé, le 26 novembre dernier, un projet d’accord national interprofessionnel (ANI) sur le télétravail très attendu. Le texte est ouvert à la signature jusqu’au 23 décembre prochain. À cette date, il devrait être signé par tous les partenaires sociaux, à l’exception de la CGT.

Ce nouveau texte, qui intervient dans un contexte exceptionnel, durant lequel le télétravail s’est, de fait, mis en place de manière massive au sein des entreprises pour faire face à la crise sanitaire, permet notamment de clarifier les règles applicables existantes et de les compléter.

S’il vient compléter le cadre juridique du télétravail, composé de l’ANI du 19 juillet 2005, relatif au télétravail et des articles L. 1222-9 (N° Lexbase : L0292LMR) à L. 1222-11 (N° Lexbase : L8103LG9) du Code du travail (modifiés par les ordonnances « Macron » en 2017), il ne créé pas de droits nouveaux.

En effet et selon les termes du texte : « les organisations signataires souhaitent, par le présent accord, expliciter l’environnement juridique applicable au télétravail et proposer aux acteurs sociaux dans l’entreprise et dans les branches professionnelles, un outil d’aide au dialogue social, et un appui à la négociation, leur permettant de favoriser une mise en œuvre réussie du télétravail ».

L’ANI constitue donc un cadre « non contraignant » pour l’organisation du télétravail et laisse une large place à la négociation et à la décision de l’employeur dans son organisation, tout en donnant un cadre clair sur les modalités de sa mise en œuvre.

En effet, « c’est au niveau de l’entreprise que les modalités de mise en œuvre du télétravail sont définies ».

Par ailleurs, il prend en compte, à la suite des récents retours d’expérience, de nouvelles thématiques telles que la nécessité de préserver le collectif de travail et de maintenir le lien social (avec notamment la prévention de l’isolement), l’adaptation des pratiques managériales au télétravail…

Il est à noter que le nombre d’accords relatifs au télétravail a doublé depuis 2017. Il est fort probable que cette forme d’organisation du travail, qui a pris un essor supplémentaire avec les périodes de confinements successifs, soit de plus en plus plébiscitée. Le cadre général ainsi posé par l’ANI du 26 novembre 2020 permettra-t-il d’encourager cette dynamique de négociation et le déploiement du télétravail à plus grande échelle ?

1. Intégration du télétravail dans l’entreprise

Fort du diagnostic sur le télétravail rendu par les partenaires sociaux en septembre dernier sur les avantages et les risques du télétravail, relevant notamment des enjeux organisationnels importants au niveau de l’entreprise, l’ANI invite, dans un premier temps, les entreprises à réfléchir à l’articulation entre le présentiel et le distanciel afin de préserver les fonctionnements collectifs et l’efficacité des organisations du travail, en particulier dans le cadre du dialogue social.

L’accord incite les entreprises à rester attentives à ce que la mise en place et le développement du télétravail ne soient pas source de difficultés entre les salariés en termes d’inégalité de traitement ou encore de perte du lien social. La cohésion sociale interne doit être préservée !

Conscient du pouvoir d’attractivité et de fidélisation du télétravail sur des salariés, l’ANI précise également que ce mode d’organisation peut figurer dans les offres d’emploi.

2. Identifier les activités éligibles au télétravail

Après avoir rappelé, d’une part :

  • la définition du télétravail à savoir « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail aurait pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux, de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication »
  • et, d’autre part, les règles de mise en place de celui-ci :

- par un accord d’entreprise ou, à défaut, une charte élaborée par l’employeur après avis du CSE s’il existe,

- en l’absence d’accord ou de charte, d’un commun accord entre les parties,

l’ANI souligne l’importance d’identifier les activités éligibles au télétravail, qui relèvent du pouvoir de direction de l’employeur, tout en précisant que la détermination des critères d’éligibilité peut utilement alimenter le dialogue social.

Ainsi, le CSE devra être consulté sur les décisions de l’employeur relatives à l’organisation du travail ayant un impact sur la marche générale de l’entreprise, « dont les conditions de mise en œuvre et le périmètre du télétravail ». Dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux ou de CSE, l’employeur est encouragé à se concerter avec les salariés, au regard d’un accord de branche s’il existe.

3. Les conditions d’accès et de sortie du télétravail

L’accord reprend les conditions d’accès au télétravail, rappelle l’existence d’une période d’adaptation ainsi que les conditions de réversibilité de ce dispositif.

3.1 Conditions d’accès au télétravail

Le télétravail revêt un caractère volontaire, que ce soit de la part du salarié comme de l’employeur, sauf en cas de circonstances exceptionnelles ou force majeure (comme l’a d’ailleurs parfaitement illustré la crise sanitaire).

En cas de refus de l’employeur d’accorder à un salarié le passage en télétravail, celui-ci devra :

  • dans l’hypothèse où le télétravail a été institué par un accord collectif ou une charte et que le salarié y est éligible, motiver sa décision ;
  • dans les autres cas, il est simplement invité à préciser les raisons de son refus.

Rappelons que, si l’employeur est à l’initiative de la demande de passage en télétravail, le refus du salarié ne constitue pas un motif de rupture du contrat de travail.

3.2 Formalisation de l’accord des parties

Le télétravail peut être prévu à l’embauche ou en cours d’exécution du contrat.

En l’absence de dispositions dans l’accord ou la charte, les parties peuvent formaliser leur accord par tout moyen. Cependant, si l’écrit n’est pas obligatoire, il reste fortement recommandé, et ce pour des raisons probatoires évidentes.

Le texte vient d’ailleurs préciser les informations devant être transmises, par écrit, au salarié, à savoir notamment les modalités d’articulation entre télétravail et présentiel, les modalités pratiques du télétravail telles que le rattachement hiérarchique, les modalités d’évaluation de la charge de travail, les règles de prise en charge des frais professionnels…

3.3 Période d’adaptation et réversibilité

À cet effet, l’ANI vient rappeler l’existence, dans le cadre du télétravail régulier, d’une période d’adaptation pendant laquelle l’employeur, comme le salarié, peuvent mettre un terme à ce dispositif en respectant un délai de prévenance (période de test qui permet à l’employeur de vérifier si le télétravail est compatible avec l’organisation du travail et les compétences techniques du salarié mais également au salarié de revenir sur son lieu de travail si le télétravail ne lui convient pas). Dans cette hypothèse, le salarié retrouve son poste dans l’entreprise.

Quant aux règles de réversibilité, les conditions de retour à une exécution de travail doivent être prévues (délai de prévenance, formalisme à adopter, énumération des situations autorisant la fin du télétravail) :

  • si le salarié est en télétravail depuis son embauche, il bénéficie d’une simple priorité « à tout emploi vacant, s’exerçant dans les locaux de l’entreprise et correspondant à sa qualification » ;
  • si le télétravail a été instauré en cours d’exécution du contrat, le salarié devra retrouver son poste au sein de l’entreprise.

Le texte précise également que l’employeur peut toujours prévoir les conditions de retour ponctuel du salarié en cas de situation ou besoin particulier.

4. L’organisation du télétravail

Au préalable, il est à noter que la « fréquence du télétravail », hors circonstances exceptionnelles, soit le nombre de jours de télétravail par semaine ou par mois, est fixée par accord entre l’employeur et le salarié. L’ANI met ainsi en exergue l’importance de trouver un équilibre entre le télétravail et le travail sur site (mesure mise en évidence par le retour d’expérience à la suite du premier confinement, où le télétravail à 100 % n’a pas toujours été bien vécu, que ce soit par l’entreprise ou par le salarié).

4.1 Le temps de travail

Rappel important : les salariés en télétravail ont les mêmes droits que les salariés en présentiel et notamment en termes de durée du travail et temps de repos, de contrôle du temps de travail et respect du droit à la déconnexion et de la vie privée.

À cet effet, l’employeur à l’obligation de s’assurer du respect par ses salariés des dispositions relatives à la durée du travail.

Focus : Les questions relatives au temps de travail, régulièrement objet de contentieux, doivent être particulièrement sécurisées.

À cet effet, il est impératif de veiller à fixer des règles précises, que ce soit en termes :

  • de plages horaires durant lesquelles le salarié en télétravail peut être contacté,
  • de décompte du temps travaillé,
  • de suivi régulier de l’activité et de la charge de travail,
  • mais également de droit à la déconnexion et au respect de la vie privée.

4.2 Les outils et équipements de travail

L’ANI précise que les outils utilisés en télétravail peuvent être ceux fournis par l’employeur comme ceux appartenant personnellement aux salariés.

Focus : l’employeur doit encadrer l’utilisation des outils numériques notamment au vu de règles du « RGPD ».

L’employeur doit notamment prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection :

  • des données personnelles du salarié en télétravail,
  • comme des données traitées par ce dernier à des fins professionnelles.

À titre d’exemple, l’entreprise peut notamment informer le salarié par le biais d’un « socle de consignes minimales à respecter » ou « d’une liste de communications et de travail collaboratif appropriés au travail à distance ».

En tout état de cause, en pratique, la mise en œuvre du télétravail doit être accompagnée de la mise à jour notamment de la charte informatique et de la charte « RGPD ».

Il est également effectué des recommandations en termes d’ergonomie du matériel de travail ou encore les règles relatives aux écrans de visualisation.

4.3 La prise en charge des frais professionnels

Sur ce point, l’accord réaffirme que le principe selon lequel les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l’employeur s’applique à l’ensemble des situations de travail et donc également au télétravail.

À cet effet, il appartient à l’employeur de prendre en charge les dépenses engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle, après validation de sa part.

Il précise à ce sujet que le choix des modalités de prise en charge des frais professionnels peut être un sujet de dialogue social au sein de l’entreprise.

Enfin, le texte précise que l’allocation forfaitaire, que peut verser l’employeur pour rembourser le salarié, est réputée utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite des seuils prévus par la loi.

Focus : la question des frais est au cœur du débat. D’emblée, on peut relever que l’accord semble prévoir une nouvelle condition de prise en charge des dépenses, tenant à leur validation préalable par l’employeur, qui serait alors moins favorable que l’ancien dispositif.

Par ailleurs, aucune indication n’est donnée quant à la possibilité d’un cumul entre une allocation forfaitaire et un remboursement au réel des frais.

En effet, certaines situations de télétravail pourraient amener l’employeur à souhaiter cumuler les deux systèmes de remboursement en fonction des besoins et de l’objet du remboursement. Ce cumul est-il envisageable ? Cette question reste en suspens.

4.4 Protection de la santé et accidents du travail

Un télétravailleur demeure un salarié comme les autres. En conséquence, il bénéficie des dispositions du Code de la Sécurité sociale relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles.

Comme auparavant, il y a une présomption d’imputabilité en matière d’accidents de travail et ce « malgré les difficultés de mise en œuvre pratique » que le télétravail occasionne.

Même si l’employeur ne peut avoir une maitrise complète du lieu dans lequel s’exerce le télétravail et de l’environnement (qui relève de la sphère privée), les télétravailleurs bénéficient des mêmes protections en matière de santé et sécurité que les autres salariés.

5. L’adaptation des pratiques managériales et la prévention de l’isolement

À l’heure où le télétravail a été mis en place de manière massive et dans l’urgence, il ressort une nécessité de faire évoluer les pratiques managériales. Les nouveaux enjeux liés au management à distance étaient déjà abordés dans le cadre de l’ANI du 28 février 2020, portant diverses orientations pour les cadres, en précisant que « le télétravail appelle à une forme de renouveau des pratiques managériales qui parviendrait à concilier la multiplicité des organisations de travail, la mobilisation des nouveaux outils numériques, et les bénéfices que représentent les liens humains avec le collectif de travail ».

L’importance de cette notion d’adaptation des pratiques managériales ainsi que de la prévention de l’isolement ont été exacerbées par les périodes de confinement.

Focus sur la sensibilisation des managers au télétravail ainsi que leur formation :

Dans le cadre d’une étude menée début 2020 [1], les managers interrogés confirment une hausse des difficultés ressenties lors de la mise en place du télétravail entre 2018 et 2019 (exemples : une diminution des échanges informels, des difficultés pour répartir la charge de travail, des difficultés pour détecter les collaborateurs pour lesquels le télétravail engendre une certaine souffrance ou de l’isolement, des difficultés pour maintenir le lien et la cohésion des équipes…).

Face à ses situations, il convient donc de faire évoluer la culture managériale qui ne pourra être un succès que si elle repose « sur une relation de confiance entre le responsable et le travailleur », mais également sur l’autonomie et la responsabilité nécessaires au télétravail.

Par ailleurs, une importance particulière doit être portée par le manager sur la conservation du lien social et les risques d’isolement.

« La mise en œuvre réussie du télétravail, se traduit par des règles d’organisation claires (définies principalement par les managers) afin d’assurer le bon fonctionnement de la communauté de travail et de fixer un cadre au sein duquel le collaborateur peut évoluer de la manière la plus autonome possible ».

Dans le même sens, l’accord précise les catégories de salariés nécessitant une « attention particulière », à savoir :

  • les nouveaux embauchés, pour lesquels une période de présentiel peut précéder la mise en œuvre du télétravail pour une meilleure intégration dans la collectivité de travail ;
  • les alternants, pour qui le télétravail peut nécessiter une adaptation afin de garantir l’encadrement des missions, la formation et le lien avec le tuteur ou le maître d’apprentissage ;
  • les salariés en situation de handicap et ceux présentant des problèmes de santé ou atteints d’une maladie chronique ou invalidante pour lesquels l’organisation du travail peut être adaptée, avec une attention particulière des managers ;
  • les aidants familiaux pour lesquels le télétravail peut être mobilisé, articulé avec les dispositifs ou droits spécifiques dont ils disposent au titre de leur qualité d’aidants.

6. La continuité du dialogue social de proximité en situation de télétravail

Là encore, l’accord rappelle que les salariés en télétravail ont les mêmes droits collectifs que les autres salariés et notamment s’agissant « de leurs relations avec les représentants du personnel, s’ils existent, et l’accès aux informations syndicales ».

Dans ce cadre, il est proposé, à titre d’exemple, la mise en place de « panneaux d’affichage ou de local syndical numérique ». La mise en place de ces outils numériques fait l’objet d’une forte sollicitation des organisations syndicales ces derniers mois afin notamment que l’exercice de leur mission auprès des salariés en télétravail soit préservée.

7. Le télétravail en cas de circonstances exceptionnelles

Tirant les leçons de la crise sanitaire, l’accord invite à anticiper désormais une telle situation et à prévoir les modalités de télétravail applicables en cas de circonstances exceptionnelles ou force majeure.

Ainsi, si dans l’ensemble, les règles applicables au télétravail régulier ou occasionnel ont vocation à s’appliquer en cas de circonstances exceptionnelles, l’identification des activités éligibles au télétravail ainsi que l’élaboration d’un plan de continuité et/ou de reprise d’activité peut à cet effet prévoir une mise en place plus rapide.

Dans ce cadre, et compte tenu du fait que le télétravail est rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité et garantir la protection des salariés, le principe du volontariat n’a pas à être respecté et le télétravail s’impose au salarié, après qu’il en a été informé par tout moyen (si possible par écrit).

En l’absence d’accord ou de charte, il est rappelé que le CSE doit être consulté, mais peut l’être a posteriori, dans les plus brefs délais, en raison de l’urgence.


[1] Étude télétravail, Malakoff, mars 2020 [en ligne].

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