Réf. : CA Paris, Pôle 6, 12ème ch., 16 octobre 2020, n° 16/10434 (N° Lexbase : A89173XK)
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par François Taquet, Professeur de Droit social (IESEG, Skema BS), Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale, Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA
le 30 Novembre 2020
Mots-clés : contrôle URSSAF • lettre d’observations • annexe • procédure contradictoire
Dès lors qu’une URSSAF a envoyé une lettre d'observations qui faisait référence à des annexes dont le cotisant n’avait pas eu connaissance, la procédure contradictoire n’a pas été respectée.
Ouvrage : F. Taquet, ÉTUDE : Le contentieux du recouvrement, Le redressement, in Droit de la protection sociale, Lexbase (N° Lexbase : E71413NS)
Les faits de l’espèce étaient les suivants : une URSSAF avait envoyé une lettre d'observations datée du 5 juin 2012 qui indiquait « le détail des calculs vous a été transmis par courriel en date du 5 juin 2012 ». Par courrier du 5 juillet 2012, la société avait avisé l'organisme de recouvrement que faute d'information dans la lettre d'observations, elle contestait le redressement envisagé tout en précisant : « nous vous remercions de nous communiquer, sous format électronique et papier, le courriel auquel vous faites référence daté du 5 juin 2012 dont nous n'avons pas eu connaissance et qui nous prive de la possibilité de pourvoir apprécier le bien-fondé de la régularisation des cotisations que vous envisagez ». Par message électronique du 10 juillet 2012, l'inspecteur du recouvrement prenait acte du fait que la société n'avait pas reçu le message électronique, en précisant que : « l'adresse mail qui m'a été transmise par mon encadrement pour l'envoi du 5 juin 2012 est erronée ». Il attachait à cette réponse électronique le message du 5 juin 2012, sans indiquer de délai de réponse à la société. Finalement, le 31 juillet 2012 ledit inspecteur indiquait au cotisant qu'il maintenait le redressement et une mise en demeure avait été adressée à la société le 28 septembre 2012. Pour les juges du fond, le détail des calculs constituait un élément essentiel de compréhension du redressement pour la société. La lettre d'observations du 5 juin 2012, qui ne mentionnait pas le mode de calcul du redressement et n'était pas accompagnée des annexes détaillant ces calculs, était irrégulière. Et, l’envoi des calculs était, dans tous les cas, intervenu après la procédure prévue dans le cadre des échanges contradictoires…
Cette décision arrive à point pour rappeler l’exigence par l’URSSAF de deux périodes qu’il convient de ne pas confondre : le respect d’un débat contradictoire pendant le contrôle et l’obligation d’échanges contradictoires après le contrôle.
I. Le respect d’un débat contradictoire pendant le contrôle
Même si cette notion semble moins présente dans le Code de la Sécurité sociale que dans le Livre des procédures fiscales (LPF, art. L. 55 N° Lexbase : L5685IEB et s.), elle est inscrite au sein de la Charte du cotisant contrôlé auquel l’avis de contrôle fait référence (sauf situation de travail dissimulé). Rappelons en outre que suivant les dispositions de l’article R. 243-59, I, alinéa 4, du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9076LSX), « les dispositions contenues dans la charte sont opposables aux organismes effectuant le contrôle » (V. arrêté du 27 janvier 2020 N° Lexbase : L7450LUH). Ainsi, pour la Charte, « le contrôle est une occasion d'échanges et de dialogue », il « repose, avant tout, sur un dialogue permanent entre vous ou votre représentant et l'agent chargé du contrôle », c’est « une procédure contradictoire, c'est-à-dire qui permet à la personne contrôlée de faire valoir son point de vue dans le cadre de la contradiction, ce qui assure la garantie de vos droits » ; une définition est même donnée : « procédure contradictoire : lors du contrôle, procédure qui permet un dialogue permanent entre la personne contrôlée et celle qui effectue le contrôle. Elle permet notamment à la personne contrôlée de faire valoir ses droits et ses observations sur les régularisations envisagées en « contredisant » les observations de l'agent chargé du contrôle sur la base d'éléments probants ». La cause est entendue. Qu’il s’agisse de la présentation des documents, de l’interrogatoire éventuel de salariés, l’employeur se doit d’avoir connaissance de ces situations et de faire valoir son point de vue. On notera que l’arrêté du 27 janvier 2020 a renforcé encore cette obligation de débat en prévoyant l’obligation d’un entretien de fin de contrôle (« à l’issue de ses investigations, lorsque des observations avec ou sans redressements sont envisagées, l’agent de contrôle, hors constat de travail dissimulé ou d’obstacle à contrôle, propose un entretien au cotisant afin de lui présenter le résultat de ses analyses et les suites éventuelles »). Cette question du débat contradictoire pendant le contrôle a maintes fois été évoquée par la doctrine s’agissant par exemple de l’enregistrement par l’inspecteur de données comptables sur support de stockage amovible sans l’accord du cotisant. Une telle pratique pose incontestablement un problème puisqu’aucune procédure contradictoire n’aura été respectée. De même, la pratique de demande de documents par mail ne respecte pas non plus la procédure contradictoire puisqu’aucune discussion n’aura pu se tenir sur les éléments redressés.
II. L’obligation d’échanges contradictoires après le contrôle
Cette période d’échanges contradictoires commence « à l’issue du contrôle » (CSS, art. L. 243-7-1 A N° Lexbase : L6937LNA) et prend fin au terme du délai de réponse du cotisant de trente jours (éventuellement prolongé) ou la date d’envoi de la réponse de l’inspecteur du recouvrement (CSS, art. R. 243-59 III, al. 8). Pendant cette phase, plusieurs étapes devront être respectées :
Certes, ce schéma donne l’apparence d’une procédure contradictoire. Toutefois, la pratique montre rapidement les failles du système… En effet, le cotisant va répondre au même inspecteur qui a effectué le contrôle… et qui ne changera donc pas d’avis, sauf production d’éléments nouveaux. Finalement, on touche ici les limites de la procédure contradictoire qui se révèle bien souvent en la matière une simple obligation de façade. Sans doute eut-il été indispensable de donner la possibilité au cotisant de saisir un autre interlocuteur ! L’administration fiscale, dans un souci de pragmatisme, l’a bien compris puisque la charte du contribuable (opposable à l’administration : article L. 10 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L3156KWS) prévoit que: « si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l’inspecteur divisionnaire ou principal et que si, après ces contacts, des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l’interlocuteur départemental qui est un fonctionnaire de rang élevé spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur ». Or, une telle faculté n’existe pas dans le cadre du contrôle URSSAF…
Toujours est-il que les observations doivent être suffisamment claires et précises pour susciter un échange utile entre le cotisant et l’organisme. Dans la présente espèce, dès lors que la lettre d’observations faisait référence à un détail de calculs qui aurait été transmis par courriel, l’URSSAF reconnaissait du même coup l’importance de cette annexe. Et faute de réception de ces documents (à la suite d’une erreur d’adresse mail que l’organisme reconnaissait), la procédure contradictoire n’avait pas été respectée (v. dans le même sens : CA Nancy, 6 juin 2018, n° 15/01768 N° Lexbase : A3716XQP : absence d’un CD détaillant les redressements, pourtant annoncé dans les observations ou Paris, CA Paris, Pôle 6, 12ème ch., 28 février 2020, n° 17/09531 N° Lexbase : A72383G8 : absence des feuilles de calcul pourtant annoncées dans la lettre d'observations).
Sans nul doute peut-on se féliciter que les juges du fond veillent au grain ou plutôt au nécessaire dialogue entre l’URSSAF et les cotisants pendant et après la procédure de contrôle.
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