Réf. : CA Montpellier, 6 octobre 2020, n° 17/03582 (N° Lexbase : A89623WT)
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N5333BY8
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)
le 19 Novembre 2020
Mots-clés : déclaration de créance • irrégularité • possibilité pour le créancier de renouveler une sûreté réelle (oui) • équivalence de la décision du juge-commissaire déclarant la déclaration de créance irrecevable à une décision rejetant la créance (non)
Lorsqu’une créance est irrégulièrement déclarée, il y a place à une irrecevabilité de la déclaration de créance. La créance déclarée n’est pas éteinte. Il en résulte que le débiteur ne peut qu’être débouté de sa demande de radiation de l’inscription de sûreté grevant un bien lui appartenant.
On se souvient d’un arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 2017 [1], qui avait assimilé la décision d’irrégularité de la déclaration de créance à une décision de rejet. Cette décision avait été beaucoup commentée et la doctrine, à la quasi-unanimité, l’avait critiquée. Cela n’avait pourtant pas empêché la Chambre commerciale de la Cour de cassation de reproduire, quelque temps plus tard, sa solution [2].
L’arrêt du 4 mai 2017 avait été cassé avec renvoi. L’arrêt sous commentaire de la cour d’appel de Montpellier [3] est l’arrêt de renvoi après cassation.
En l’espèce, une banque avait accordé un prêt à une société, garanti par un nantissement sur le fonds de commerce. Le 3 janvier 2006, l’emprunteur est placé en sauvegarde. Le 3 avril 2007, il obtient un plan de sauvegarde. Le 2 juin 2008, le juge-commissaire rend une ordonnance déclarant irrecevable la déclaration de créance faite irrégulièrement par la banque pour une question tenant à l’absence de pouvoir de l’auteur de la déclaration de créance. La banque renouvelle son inscription de nantissement le 20 septembre 2011. Le débiteur saisit alors le tribunal aux fins de voir ordonner la radiation de la sûreté. Les juges du fond rejettent la prétention du débiteur au motif que la créance n’est pas éteinte, mais seulement inopposable à la procédure collective. Cette solution est censurée par la Cour de cassation qui juge que « en statuant ainsi, alors que l’article L. 624-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L7295IZ9), qui prévoit que le juge-commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence, ne distingue pas entre les différents motifs de rejet d’une créance déclarée, de sorte que la décision par laquelle le juge-commissaire retient qu’une créance a été irrégulièrement déclarée et ne peut être admise au passif est, au sens du texte précité, une décision de rejet de la créance, qui entraine, par voie de conséquence, l’extinction de la sûreté qui la garantissait ».
C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier. Pour le comprendre, il faut d’abord faire état des critiques que nous avions pu émettre contre l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation [4].
Avant de pouvoir statuer sur le fond de la créance déclarée, le juge-commissaire doit s’assurer que la créance a été régulièrement déclarée. Autrement dit, il doit, comme le ferait tout juge, d’abord se demander si la déclaration de créance est recevable. S’il répond oui à cette question, alors il peut statuer sur le fond de la créance déclarée. S’il y répond non, il doit rendre une décision déclarant irrecevable la déclaration de créance. Il ne s’agit pas d’une décision sur le fond de la créance déclarée. Il ne l’admet pas, pas plus qu’il ne la rejette.
Certes, l’article L. 624-2 du Code de commerce énonce, a priori limitativement les possibilités qui sont ouvertes au juge-commissaire statuant sur une créance déclarée. Or ce texte qui prévoit le constat d’une instance en cours, l’incompétence, l’admission ou le rejet de la créance déclarée, ne prévoit pas la possibilité pour le juge-commissaire de déclarer irrecevable la déclaration de créance. Est-ce une raison suffisante pour lui interdire de le faire ? Une réponse négative s’impose assurément. En effet, pour que le juge-commissaire puisse rendre une décision au rang de celles qui sont énoncées à l’article L. 624-2, encore faut-il qu’il puisse statuer, ce qui présuppose que la demande présentée devant lui ne soit pas irrecevable. Et ce n’est là que le respect du principe posé par l’article R. 662-1, 1° du Code de commerce (N° Lexbase : L6334I3Y) selon lequel les règles du Code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le livre VI du Code de commerce, sauf texte contraire. Ainsi, ne convient-il pas d’interdire au juge-commissaire, comme pourrait le faire tout autre juge, de dire irrecevable la demande présentée devant lui.
On ne peut donc pas, à notre sens, mettre sur un même plan une décision qui statue sur le fond de la créance déclarée et une décision qui ne statue que sur la régularité de la déclaration de créance, la régularité de la déclaration de créance conditionnant la possibilité de statuer sur le fond de la créance déclarée.
La distinction entre les questions de régularité et de bien-fondé de la créance déclarée sont bien connues. Il y a même un texte qui le précise, à savoir l’article L. 622-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L7285IZT). Selon ce texte, la contestation de créance au sens de l’article L. 622-27 (N° Lexbase : L7291IZ3) s’entend d’une contestation sur le fond de la créance déclarée. Si le créancier reçoit un courrier du mandataire judiciaire lui indiquant qu’il conteste la régularité de la déclaration de créance, le silence du créancier sur ce courrier ne lui interdira pas d’exercer un recours sur la décision du juge-commissaire qui confirmerait la proposition du mandataire judiciaire, le silence ne produisant d’effet que si la contestation porte sur le fond de la créance déclarée.
Et il ne peut être prétendu que le principe posé par le texte serait nouveau. La Cour de cassation, elle-même, l’a affirmé dès 1998, en jugeant que la discussion sur la régularité de la déclaration de créance, par exemple pour motif tiré du pouvoir du déclarant, ne constitue pas une contestation, au sens du code [5]. Il n’est là question que de régularité de la déclaration et non d’une contestation de créance au fond du droit. C’est cette solution qu’a consacrée l’article L. 622-7 du Code de commerce.
Dès lors que le départ est bien établi entre l’irrégularité de la déclaration de créance et le rejet de la créance déclarée pour un motif de fond qui touche à l’existence, au montant ou à la nature de la créance, c’est-à-dire les trois éléments couverts par l’autorité de chose jugée attachée à la décision qui statue sur l’admission ou le rejet de la créance déclarée, on doit également faire la différence entre les sanctions applicables. La créance rejetée pour motif de fond est éteinte, cette extinction ne valant cependant que dans la procédure collective au cours de laquelle le rejet est intervenu [6]. La créance irrégulièrement déclarée ou la créance non déclarée est, quant à elle, simplement inopposable à la procédure collective [7] ; elle n’est pas éteinte.
Ce sont ces solutions que nous avions exprimées et que l’on retrouve dans la motivation de l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier.
La cour commence par rappeler que la créance rejetée est éteinte. Puis la cour d’appel rappelle les dispositions de l’article R. 662-1, 1° du Code de commerce selon lequel les règles du Code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le livre VI du Code de commerce, sauf texte contraire.
La cour remarque très opportunément qu’il n’existe pas de dispositions particulières dans l’article L. 624-2 du Code de commerce dérogeant aux règles du Code de procédure civile. Elle en déduit qu’il faut donc appliquer le droit commun : lorsque la demande en justice est jugée irrecevable, la demande n’est pas considérée comme rejetée au fond du droit.
Et la cour d’ajouter que l’exercice des pouvoirs du juge-commissaire en application de l’article L. 624-2 implique une déclaration de créance régulièrement déclarée préalablement à la vérification de l’existence, de la nature et du montant de celle-ci.
Nous ne pouvons évidemment qu’approuver la solution de la cour d’appel de Montpellier qui restaure l’orthodoxie en la matière. Pour discuter du fond, il faut que la demande soit recevable. Si la demande est irrecevable, alors elle ne peut qu’être déclarée irrecevable. C’est bien le cas d’une déclaration de créance effectuée sans pouvoir.
Par conséquent, la demande du débiteur de voir radier l’inscription de nantissement prise en renouvellement d’une précédente inscription ne peut qu’échouer.
Il reste à attendre, peut-être, un arrêt d’Assemblée plénière sur la question et nul doute que la procédure civile, au cœur des débats de l’arrêt, en sera la vedette.
[1] Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-24.854, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5282WBA) ; D., 2017, pan. 1941, note P.-M. Le Corre ; D., 2017, 2001, note P. Crocq ; Gaz. Pal., 27 juin 2017, n° 24, p. 60, note P.-M. Le Corre ; Bull. Joly Entrep. en diff., 2017, 268, crit. J.-E. Degenhardt ; Act. proc. coll., 2017/11, comm. 167, note T. Le Bars ; JCP E, 2017, chron. 1460, n° 13, note crit. Ph. Pétel ; JCP E, 2017, 1434, note approb. T. Stéfania ; RTD com., 2017, 687, n° 2, note A. Martin-Serf et 704, n° 13, note crit. J.-L. Vallens ; JCP E, 2017, chron. 1667, n° 21, note Ph. Delebecque ; Rev. proc. coll., mai/juin 2018, comm. 100, p. 55, note P. Cagnoli ; P.-M. Le Corre, in Chron., Lexbase Affaires, mai 2017, n° 510 (N° Lexbase : N8225BWK).
[2] Cass. com., 22 janvier 2020, n° 18-19.526, FS-P+B (N° Lexbase : A60003C9) ; D., 2020, 855, note J.-D. Pellier ; Gaz. Pal., 21 avril 2020, n° 15, p. 59, note P.-M. Le Corre ; Rev. sociétés, 2020, 193, note Fl. Reille ; Act. proc. coll., 2020/3, comm. 39, note P. Cagnoli ; Bull. Joly Entrep. en diff., mars/avril 2020, p. 37, note M. Houssin ; JCP E, 2020, chron. 1204, n° 14, obs. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll., mai/juin 2020, comm. 52, note N. Borga ; E. Le Corre-Broly, Lexbase Affaires, janvier 2020, n° 622 (N° Lexbase : N2016BYC).
[3] Cette décision nous a été aimablement communiquée par notre collègue Pascal Rubellin.
[4] Sur le détail de ces critiques, cf. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 11ème éd., 2020, n° 682.412.
[5] Cass. com., 7 juillet 1998, n° 95-18.984, publié (N° Lexbase : A5329ACD), Bull. civ. IV, n° 219 ; D. Affaires, 1998, 1322, obs. A. Lienhard ; JCP E, 1998, pan. 1231 ; D., 1998, IR 209 ; RJDA, 1998/11, p. 945, n° 1260 – Cass. com., 5 janvier 1999, n° 95-16.360, inédit (N° Lexbase : A0049AUD), Act. proc. coll., 1999/4, n° 51 – Cass. com., 16 octobre 2001, n° 98-19.316, FS-P (N° Lexbase : A4776AWS), Bull. civ. IV, n° 168 ; Rev. proc. coll., 2002, p. 95, n° 7, obs. Legrand – CA Reims, 3 juillet 2001, JCP E et A, 2002, pan. 1015, p. 1120.
[6] Cass. com., 30 janvier 2019, n° 17-31.060, F-P+B (N° Lexbase : A9776YUM), Gaz. Pal., 2019, n° 15, 70, note D. Voinot et n° 25, p. 68, note P.-M. Le Corre ; Rev. sociétés, 2019, 214, note Ph. Roussel Galle ; Bull. Joly Entrep. en diff., mai/juin 2019, 116w6, p. 42, note Benilsi ; Rev. proc. coll., septembre/octobre 2019, comm. 134, note N. Borga ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, février 2019, no 583 (N° Lexbase : N7619BXT).
[7] Cass. com., 3 novembre 2010, n° 09-70.312, FS-P+B (N° Lexbase : A5651GDN), D., 2010, 2645, note A. Lienhard ; D., 2011, pan. 2075, obs. F.-X. Lucas ; Gaz. Pal. entr. diff., 7-8 janvier 2011, n° 7 et 8, note E. Le Corre-Broly ; JCP E, 2011, Chron. 1030, n° 10, obs. M. Cabrillac ; Rev. sociétés, 2011, 194, note crit. Ph. Roussel Galle ; Gaz. Pal., 25-26 février 2011, p. 45, note S. Reifegerste ; Bull. Joly Entrep. en diff., juillet/août 2011, comm. 89, p. 186, note C. Saint-Alary-Houin ; RTD com., 2011, 413, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; P.-M. Le Corre, in Chron., Lexbase Affaires, 21 novembre 2010, n° 228 (N° Lexbase : N5745BQT).
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