La lettre juridique n°844 du 19 novembre 2020 : Cotisations sociales

[Jurisprudence] Rejet de la méthode dite de « rebrutalisation » d’assiette utilisée par l’URSSAF

Réf. : Cass. civ. 2, 24 septembre 2020, n° 19-13.194, F-P+B+I (N° Lexbase : A05613WP)

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par Sonia Blondeau, Avocat counsel, Avanty avocats

le 20 Novembre 2020

 


Mots clés : cotisations sociale • assiette de redressement • rebrutalisation • contrôle URSSAF

Sauf dispositions particulières contraires, les cotisations de Sécurité sociale et d'allocations familiales sont calculées sur le montant brut, avant précompte s'il y a lieu de la part des cotisations et contributions supportée par le salarié, des sommes et avantages compris dans l'assiette des cotisations.


La Cour de cassation, dans un arrêt de principe estampillé « P+B+I » du 24 septembre 2020 voué à une large diffusion, met fin à une pratique de certaines URSSAF consistant à reconstituer l’assiette d’un redressement, en « rebrutalisant » des avantages ou sommes perçus par le salarié en « net », aboutissant à une majoration du redressement envisagé.

Il s’agit d’un revirement de la deuxième chambre civile qui avait validé cette méthode dans une décision du 16 septembre 2010 (Cass. civ. 2, 16 septembre 2010, n° 09-10.346, FS-D N° Lexbase : A5762E9B) relative à des avantages versés par le comité d’entreprise.

Cet arrêt devrait inciter les entreprises qui ont fait l’objet d’un contrôle URSSAF récent, à vérifier la manière dont le chiffrage des différents chefs de redressement a été opéré et à contester, le cas échéant, la méthode de majoration artificielle d’assiette qui aurait pu être appliquée par l’URSSAF.

I. Faits d’espèce et procédure

Une société a fait l’objet d’un contrôle URSSAF pour l’ensemble de ses établissements pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012. Cette vérification a donné lieu à un redressement d’assiette pour un montant global de 315 885 euros, concernant notamment des avantages en nature, des frais professionnels, des primes diverses, des acomptes, des avances, des prêts non récupérés, des rémunérations non déclarées qui n’avaient pas été soumis à cotisations sociales par l’entreprise.

Pour chiffrer le montant de ces chefs de redressement, l’URSSAF a décidé de reconstituer « en brut » des montants ou avantages accordés « en net » aux salariés. Cette méthode consiste à imputer fictivement les cotisations salariales sur le montant de la somme versée ou l’avantage octroyé afin de faire « comme si » ces sommes avaient été soumises à la part salariale des cotisations et contributions sociales.

La société a contesté plusieurs chefs de redressement sur le fond et a également mis en cause la méthode retenue par l’URSSAF pour calculer la réintégration d’assiette des certaines sommes et avantages versés aux salariés.

Sur la reconstitution d’assiette, le cotisant faisait valoir, d’une part, que cette méthode ne reposait sur aucune base légale, d’autre part, que l’URSSAF ne pouvait se substituer à l’employeur pour fixer la valeur des avantages octroyés, qu’ensuite la méthode retenue par l’URSSAF revenait à faire supporter à l’employeur le paiement des cotisations salariales et enfin que la méthode retenue par l’organisme du recouvrement n’avait pas été portée à la connaissance du cotisant dans la lettre d’observations, l’empêchant de comprendre le calcul opéré.

L’URSSAF, quant à elle, justifiait sa position par le fait que les cotisations doivent être assises sur la rémunération brute versée aux collaborateurs, avant déduction des cotisations salariales, et que dans la mesure où l’employeur a injustement alloué ou versé des avantages ou sommes « en net », il est nécessaire de reconstituer l’assiette afin d’obtenir un montant brut, correspondant au montant « net » versé aux salariés.

L’organisme de recouvrement estime, par ailleurs, que les informations figurant dans la lettre d’observations étaient conformes aux obligations figurant à l’article R. 243-59 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9076LSX), et qu’il n’y avait pas lieu de détailler le chiffrage aboutissant à cette majoration d’assiette.

La cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 23 janvier 2019, n° 16/04427 N° Lexbase : A9089YTS) a donné raison à l’URSSAF en retenant que les rémunérations, qui auraient dû être soumises à cotisations et charges sociales, devaient être reconstituées en base brute pour être réintégrées à l’assiette des cotisations, et que l’URSSAF n’avait d’autre moyen que de procéder à cette reconstitution pour opérer le chiffrage.

Elle rejette les autres arguments de l’employeur et notamment celui selon lequel l’URSSAF aurait dû, a minima, détailler le calcul retenu pour aboutir au montant brut, notamment le taux des cotisations salariales appliqué, en retenant que les taux utilisés étaient les « taux connus habituellement pratiqués ».

La société a saisi la Cour de cassation pour contester, non pas le fond du redressement, mais la méthode utilisée par l’URSSAF pour opérer cette « rebrutalisation ».

À cette occasion, la Cour de cassation a opéré un revirement et a très clairement censuré la pratique de l’organisme de recouvrement.

II. Censure de la pratique de l’URSSAF

Saisie une nouvelle fois de cette question, la Cour de cassation a rejeté la méthode dite de la « rebrutalisation ».

Dans un attendu de principe, les Hauts magistrats ont précisé qu’ « il résulte d’une combinaison de ces textes [les articles L. 242-1 (N° Lexbase : L4986LR4) et L. 243-1 (N° Lexbase : L4419ADZ) du Code de la Sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige] que, sauf dispositions particulières contraires, les cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales sont calculées sur le montant brut, avant précompte s’il y lieu de la part des cotisations et contributions supporté par le salarié, des sommes et avantages compris dans l’assiette des cotisations ».

Ainsi, l’URSSAF aurait dû se contenter de réintégrer à l’assiette du redressement le montant brut des avantages octroyés aux salariés, sans opérer aucune reconstitution d’assiette. L’URSSAF ne peut pas fictivement faire payer au cotisant des cotisations sur une somme qui n’a pas été versée aux salariés ou sur la valeur d’un avantage qui n’est pas sa valeur réelle, alors même que la société n’a pas procédé au précompte de la part des cotisations et contributions due par les salariés.

Cette solution logique doit donc être saluée.

Elle se justifie par une application combinée des articles L. 242-1 et L. 243-1 du Code de la Sécurité sociale qui définissent l’assiette des cotisations sociales ainsi que le principe du précompte des cotisations salariales sur le montant brut des sommes versées aux salariés, opération qui incombe à l’employeur. Elle considère, que malgré l’absence de précompte des cotisations salariales, les sommes octroyées par un employeur toujours des sommes « brutes », sauf mention contraire.

Donner raison à l’URSSAF aurait abouti à des situations très discutables notamment s’agissant de la détermination de la valeur d’un avantage en nature, qui s’apprécie, il faut le rappeler, selon la valeur « représentative » de l’avantage (CSS, art. R. 242-1 N° Lexbase : L3579LMI), soit en retenant la valeur réelle de l’avantage ou sur une base forfaitaire, (Arr. du 10 décembre 2002). La méthode de la reconstitution d’assiette entraine une surévaluation fictive de l’avantage qui ne correspond en rien au prix de revient pour l’employeur.

Il aurait, de surcroît, été contestable de ne pas sanctionner l’URSSAF de ne pas avoir justifié son calcul et notamment le taux retenu pour effectuer cette « rebrutalisation » alors même que la lettre d’observations doit comprendre notamment le montant des assiettes correspondant pour chacun des chefs de redressement, et l’indication du mode de calcul (CSS, art. R. 243-59).

Par ailleurs, cette décision confirme que les sommes versées par un employeur à ses salariés sont exprimées en « brut », à défaut de précision contraire. On se souvient que la Cour de cassation a récemment reconnu que les sommes versées dans le cadre d’une condamnation prud’homale, à titre de rappel de salaire et d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, en principe, exprimées en brut, sauf si le jugement en dispose autrement (Cass. soc., 3 juillet 2019, n° 18-12.149, FS-P+B N° Lexbase : A2881ZIK).

Une attention toute particulière doit donc être portée aux contrôles URSSAF en cours ou qui font l’objet d’une contestation afin de s’assurer que cette méthode n’a pas été appliquée afin de déterminer l’assiette du redressement. Si tel est le cas et si le chef de redressement concerné a fait l’objet d’un redressement, il serait possible d’opposer à l’URSSAF cet arrêt devant la commission de recours amiable ou devant le tribunal judiciaire, et de demander l’annulation des chefs de redressement qui ont été chiffrés de la sorte.

Dans la pratique, nous avons pu constater que cette méthode n’était pas appliquée systématiquement par les URSSAF, et quand elle l’était, elle concernait le plus souvent des avantages en nature ou en espèce, des avantages octroyés par le comité social et économique (ancien comité d’entreprise) ou des indemnités versées à l’occasion de la rupture.

Reste à savoir comment les URSSAF sur le terrain vont appliquer cette décision. Si la méthode de la « rebrutalisation » devrait logiquement être abandonnée, un inspecteur du recouvrement pourrait néanmoins, en réaction, changer de fusil d’épaule et, de façon très contestable, redresser « l’économie » de cotisations réalisée par le salarié sur ces avantages et réintégrer ce montant à l’assiette des cotisations, ce qui amoindrirait sensiblement la portée de cet arrêt.

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