Réf. : Cass. civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.730, F-P+B+I (N° Lexbase : A05533XR)
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par Yann Bougenaux, Avocat au barreau de Lyon
le 12 Novembre 2020
Mots clés : faute inexcusable • reconnaissance ultérieure • action récursoire • CPAM
Une décision initiale de refus de prise en charge d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle demeure définitive à l’employeur même en cas de reconnaissance ultérieure de faute inexcusable.
En cas de reconnaissance ultérieure du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie suivi d’une reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur, la Cour de cassation considère que l’action récursoire de la CPAM ne peut être exercée.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 octobre 2020, publié au bulletin, vient apporter une précision supplémentaire dans le contentieux portant sur l’action récursoire de la CPAM en cas de reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur.
I. Le principe de l’action récursoire de la CPAM en cas de reconnaissance de faute inexcusable
Un principe…
À la suite d’un accident du travail, ou d’une maladie professionnelle, le salarié peut solliciter la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, en vue d’obtenir une indemnisation complémentaire (CSS, art. L. 452-1 N° Lexbase : L5300ADN).
Le salarié bénéficie d’une majoration de rente (CSS, art. L. 452-2 N° Lexbase : L7113IUY) et de la réparation des préjudices personnels.
La faute inexcusable correspond à un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur lorsqu’il aurait dû avoir conscience d’un danger et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour le prévenir.
En cas de reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur, le versement des indemnités allouées au salarié est à la charge de la CPAM qui doit en faire l’avance puis qui peut ensuite agir contre la société pour en obtenir le remboursement, dans le cadre d’une action récursoire.
Cette solution est prévue par l’article L. 452-3, alinéa 3, du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5302ADQ) :
« La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur. »
La caisse verse ainsi au salarié les indemnités auxquelles leur ouvre droit la faute inexcusable de l’employeur (rente et dommages personnels) et ne dispose que d’une action récursoire contre l’employeur.
Les sommes en jeux peuvent être conséquentes, ce qui va nécessairement nourrir un contentieux abondant.
…Nécessairement limité
En effet, la problématique évoquée trouve sa place dans une relation triangulaire entre la CPAM, l’employeur et le salarié.
Par ailleurs, les relations sont régies par le principe de l’indépendance des rapports entre la caisse et l’employeur d’une part et la caisse et le salarié d’autre part.
Ce principe n’apparait explicitement dans aucun texte et se déduit simplement de l’article R. 441-10 (N° Lexbase : L6185IES, dans rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2010).
La Cour de cassation a consacré ce principe à de nombreuses reprises et celui-ci doit donc être pris en compte dans l’ordonnancement juridique.
Ainsi, ce principe de l’indépendance des rapports conduit à traiter de manière autonome chacun des recours du salarié ou de l’employeur.
À titre d’exemple en cas de reconnaissance de prise en charge d’un accident du travail, l’employeur peut contester la décision, mais cette procédure n’aura aucune incidence pour le salarié, même en cas d’issue favorable pour l’employeur.
Le salarié conserve donc tous les bénéfices de la reconnaissance du caractère professionnelle de sa pathologie.
L’exemple inverse est également vrai.
Ainsi, il est admis qu’une décision initiale de refus de prise en charge de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle doive être définitive à l’égard de l’employeur.
L’employeur n’aura pas à subir les conséquences d’un recours du salarié du point de vue de la tarification et de son taux accident du travail / maladies professionnelles.
Ce principe de l’indépendance des rapports va donc nécessairement complexifier les relations, et notamment en cas de reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur, qui consacre alors un manquement à l’obligation de sécurité.
Les problématiques concernent principalement deux questions :
La Cour de cassation a déjà traité certaines interrogations à ce sujet.
Ainsi en cas d’augmentation du taux d’incapacité permanente partielle à la suite d’un recours du salarié, la majoration de rente ne peut être opposable à l’employeur que dans la limite du taux d’IPP initial (Cass. civ. 2, 9 mai 2018, n° 17-16.963, F-P+B N° Lexbase : A6179XMS) :
« Mais attendu que si la caisse primaire d'assurance maladie est fondée, en application de l'article L. 452-2 du Code de la Sécurité sociale, à récupérer auprès de l'employeur le montant de la majoration de la rente d'accident du travail attribuée à la victime en raison de la faute inexcusable de l'employeur, elle ne peut se prévaloir à l'égard de ce dernier d'une décision, même passée en force de chose jugée, rendue à l'issue d'une instance à laquelle il n'a pas été appelé »
Dans ce cas, le salarié bénéficie de la majoration de rente sur la base du taux d’incapacité permanente partielle obtenu à la suite de son recours, mais l’action récursoire de la caisse à l’encontre de l’employeur est limitée.
Il est donc communément admis que l’action récursoire de la CPAM puisse ne pas être utilisée pleinement à l’encontre de l’employeur.
La Cour de cassation, et le législateur, ont également apporté des précisions s’agissant des suites d’un jugement prononçant l’inopposabilité de la décision initiale de prise en charge, à la suite du recours de l’employeur.
Ainsi, il était acquis jusqu’en 2012 qu’un jugement d’inopposabilité de la décision de prise en charge privait la CPAM de la possibilité de récupérer les sommes versées au salarié au titre de la faute inexcusable auprès de l’employeur (Cass. soc., 2 mars 2004, n° 02-30.966, publié N° Lexbase : A4128DBI ; Cass. civ. 2, 21 septembre 2004, n° 03-30.067, F-D N° Lexbase : A4232DD4).
L’article L. 452-3-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L6937IUH), issu de la loi du 17 décembre 2012, prévoit désormais la possibilité pour la caisse de récupérer les dites sommes auprès de l’employeur, malgré un jugement d’inopposabilité, lorsque cette inopposabilité porte sur un moyen de procédure :
« Quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3. »
Ce texte conduisait à une interrogation s’agissant d’un jugement prononçant l’inopposabilité de la décision de prise en charge sur un moyen non procédural (matérialité de l’accident, exposition au risque, …).
La Cour de cassation avait répondu clairement que dans ce cas, l’action récursoire de la CPAM n’était pas envisageable (Cass. civ. 2, 15 février 2018, n° 17-12.567, F-P+B N° Lexbase : A7740XDZ) :
« Mais attendu que si la caisse primaire d'assurance maladie est fondée, en application des articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, à récupérer auprès de l'employeur le montant des majorations de rente et indemnités allouées à la victime et à ses ayants droit en raison de la faute inexcusable de ce dernier, son action ne peut s'exercer dans le cas où une décision de justice passée en force de chose jugée a reconnu, dans les rapports entre la caisse et l'employeur, que l'accident ou la maladie n'avait pas de caractère professionnel ; »
Si la situation semble claire de ce côté, qu’en est-il en cas de décision initiale de refus de prise en charge de l’accident ou de la maladie ?
II. L’action récursoire limitée par la décision initiale de la CPAM de refus de prise en charge
En cas de décision de la CPAM de refus de prise en charge de l’accident ou de la maladie, le salarié peut contester cette décision devant la commission de recours amiable, puis devant le désormais pôle social du tribunal judiciaire.
En cas de succès et de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, le salarié peut agir contre son employeur aux moyens d’une action en reconnaissance de faute inexcusable.
La question qui va nécessairement se poser est l’opposabilité à l’employeur de cette décision judiciaire de reconnaissance d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
La problématique a été soulevée devant la cour d’appel de Lyon (CA Lyon, 30 janvier 2018, n° 16/05328 N° Lexbase : A4950XCC) qui, dans ce cas, avait considéré que la caisse ne pouvait recouvrer auprès de l’employeur que « les sommes correspondantes aux préjudices personnels de la victime et non celles correspondant aux prestations de Sécurité sociale, dont la majoration de rente. »
Saisi par la CPAM, la Cour de cassation avait censuré cette analyse et renvoyée devant la cour d’appel de Lyon autrement composée (Cass. civ. 2, 9 mai 2019, n° 18-14.515, F-P+B+I N° Lexbase : A0750ZBE).
Le contentieux est toujours pendant.
Il semble donc qu’il soit impossible de diviser l’action récursoire de la CPAM en deux, avec d’un côté la majoration de rente et de l’autre côté les sommes correspondantes à la réparation des préjudices personnels de la victime.
Par un arrêt du 8 octobre 2020 (Cass. civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.730, F-P+B+I N° Lexbase : A05533XR), la Cour de cassation apporte une précision supplémentaire.
En l’occurrence, la cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 17 janvier 2019, n° 18/01020 N° Lexbase : A2469YWD) avait confirmé un jugement du tribunal des affaires de Sécurité sociale de Versailles qui considérait que l’action récursoire de la caisse était possible en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et ce malgré la décision initiale de refus de prise en charge de l’accident :
« Au demeurant, le caractère inopposable à l'employeur de la prise en charge d'un accident au titre de la législation professionnelle ne prive en aucune façon le salarié du droit de rechercher (et d'obtenir) la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur tandis que, dans ce cadre, ce dernier est tenu des condamnations qui seraient prononcées à l'encontre de la caisse dans l'hypothèse où celle-ci engagerait une action récursoire.
C'est ce que la caisse fait ici et la cour ne peut que, non pas dire la décision de prise en charge opposable à la Société, mais qu'il doit être fait droit à l'action récursoire de la caisse dans l'hypothèse où la faute inexcusable de l'employeur serait retenue. »
Ainsi, une des particularités de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles est de confirmer que la décision de prise en charge n’était pas opposable à l’employeur, mais de juger que l’action récursoire de la caisse était malgré tout possible.
L’employeur avait alors saisi la Cour de cassation considérant que la CPAM ne pouvait pas user de son action récursoire en cas de décision initiale de refus de prise en charge de l’accident.
La Cour de cassation rappelle dans un premier temps que l’article R. 441-14 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L6170IEA), dans rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2010, applicable à l’époque des faits, conduit à ce que la décision de refus de prise en charge soit définitive à l’égard de l’employeur.
La Cour en déduit ensuite que les dépenses afférentes à l’accident du travail ne peuvent être inscrites au compte de l’employeur :
« En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la décision de la caisse de refuser la prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle était définitive à l'égard de l'employeur, ce dont il résultait que les dépenses afférentes à l'accident du travail ne pouvaient être inscrites au compte de l'employeur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »
La particularité de cette décision réside également dans le fait que la société avait été mise en cause devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale dans le cadre du recours du salarié.
Une première lecture pourrait donc conduire à penser que la décision initiale de refus serait définitivement acquise au profit de l’employeur, même s’il a été mis en cause dans le cadre du recours du salarié.
Cependant il convient d’être prudent sur ce point, dans la mesure où le tribunal des affaires de Sécurité sociale n’avait pas déclaré le jugement commun et opposable à la société, ce qu’avait très justement relevé la cour d’appel de Versailles.
Il est donc difficile de conclure qu’un jugement reconnaissant un accident du travail ou une maladie professionnelle à la suite d’un recours du salarié ne puisse, en aucun cas, être opposable à la société.
Ainsi, la solution de la Cour de cassation apparait favorable aux employeurs qui peuvent se prévaloir d’une décision de refus de prise en charge initiale, même en cas de reconnaissance du caractère professionnel et d’une faute inexcusable de sa part.
L’effet d’une décision initiale de refus de prise en charge semble donc plus favorable aux employeurs qu’une décision judiciaire d’inopposabilité.
En effet dans ce dernier cas, l’effet de la décision judiciaire d’inopposabilité ne peut être invoqué lorsque la décision d’inopposabilité repose sur un moyen de procédure.
Contrairement à une décision de refus de prise en charge qui demeure donc plus favorable aux employeurs.
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