La lettre juridique n°481 du 12 avril 2012 : Avocats/Gestion de cabinet

[Le point sur...] Retour sur la location et le commodat du fonds libéral ou de clientèle d'avocats

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par Cédric Tahri, Directeur de l'Institut rochelais de formation juridique (IRFJ), Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 12 Avril 2012

Un cabinet d'avocat est considéré aujourd'hui comme un fonds libéral et son mode d'organisation s'apparente désormais à celui d'une entreprise libérale. Or, c'est la réification de l'entreprise libérale, sous la forme du fonds libéral, qui autorise, non seulement la cession, mais encore d'autres pratiques contractuelles fondées sur le droit commun, tels la location et le commodat dudit fonds.
Les deux opérations doivent être clairement distinguées même si l'une et l'autre sont des contrats nommés et réglementés par le Code civil lui-même. Aux termes de l'article 1709 du Code civil (N° Lexbase : L1832ABH), le contrat de louage de choses est celui "par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige à lui payer". Ce contrat est consensuel et synallagmatique. Il est également commutatif, à titre onéreux et à exécution successive. Par ailleurs, d'après l'article 1875 du Code civil (N° Lexbase : L1745IED), le prêt à usage, autrefois appelé "commodat" (1), est le contrat "par lequel l'une des parties [le commodant ou prêteur] livre une chose à l'autre [le commodataire ou l'emprunteur] pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi". A la différence du contrat de louage de choses, le contrat de commodat est "essentiellement gratuit" (C. civ., art. 1876 N° Lexbase : L2093AB7). Il s'agit, en cela, d'un contrat de service gratuit, d'un contrat de bienfaisance. Par conséquent, dès lors que la mise à disposition de la chose trouve une contrepartie dans une prestation réciproque, qu'il s'agisse d'un loyer, d'une simple redevance ou de prestations matérielles, le contrat cesse d'être un prêt pour devenir une location.

Cela étant, la pratique de la location ou du commodat de fonds libéral souffre de l'absence d'une reconnaissance légale. Certes, il existe des professions libérales non réglementées, pour lesquelles la liberté contractuelle demeure la règle de principe et qui, en conséquence, peuvent sans nul doute pratiquer aisément, dans le silence des textes, la location ou le commodat de fonds libéral. Mais les restrictions professionnelles sont fortes, en ce qui concerne la plupart des professions réglementées, de sorte que doit être saluée l'initiative prise par la profession d'avocat, en vue de reconnaître (I) et d'encadrer (II) la pratique des conventions de location et commodat de fonds libéral.

I - L'avènement de la location et du commodat du fonds libéral ou de clientèle d'avocats

Pendant un siècle et demi, chaque convention visant à opérer un transfert de clientèle était, en principe, vouée aux foudres prétoriennes. L'hostilité manifestée trouvait son fondement dans l'affirmation du caractère intuitu personae de ces clientèles et dans la sacralisation du principe de libre choix dont découlait la règle de l'extracommercialité de la clientèle. Certes, le tempérament prétorien que constituait l'admission de la pratique des conventions de présentation pouvait autoriser à valider les locations ou commodats de clientèles civiles, dans la mesure où ces dernières accédaient, par ce biais, à une forme de patrimonialité. Toutefois, cette patrimonialisation s'opérait indirectement, par le truchement de la valorisation financière d'une prestation réalisée par le titulaire du poste professionnel au profit d'un tiers : la présentation du tiers à la clientèle du titulaire. Dans ces conditions, une évolution de la jurisprudence apparaissait nécessaire pour permettre véritablement la pratique de la mise à disposition d'une entreprise libérale au bénéfice d'autrui.

Dans un arrêt rendu le 7 novembre 2000 (2), la première chambre civile de la Cour de cassation a opéré un revirement spectaculaire en considérant que "la cession d'une clientèle médicale n'est pas illicite, dès lors que la liberté du choix du patient est expressément sauvegardée". Transposé à la profession d'avocat, l'arrêt autorise désormais la cession à titre onéreux ou gratuit, non plus du seul droit de présentation à clientèle mais de la clientèle, elle-même, prise en tant qu'entité c'est-à-dire comme élément incorporel du fonds d'exercice libéral. Il autorise également d'autres opérations telles que les contrats de location et de commodat (3).

Prenant acte "avec satisfaction" de cette évolution prétorienne sur la question de la patrimonialité des clientèles libérales, le Conseil national des barreaux (CNB) a pris position en faveur de la validation des contrats permettant à un praticien de conférer l'utilité de son fonds libéral à un confrère. En effet, sur présentation d'un rapport de la Commission du Statut fiscal, social et financier de l'avocat, et après avis favorable de la Commission des Règles et Usages réunie le 4 décembre 2004, l'Assemblée générale du CNB, réunie les 11 et 12 mars 2005 à Paris, a adopté une résolution validant la location et le commodat du fonds libéral ou de clientèle d'avocats (4). Le texte insiste sur le fait que ce type de convention constitue une technique juridique souple de nature à faciliter le rapprochement souhaité des cabinets d'avocats. Il peut répondre à de nombreuses motivations : création d'une période d'essai avant l'acquisition définitive, exploitation d'un cabinet par un tiers en cas d'omission, mandats électifs, maladie ou décès, constitution d'une capacité de financement pour l'avocat locataire en vue d'une future acquisition. Surtout, il offre une grande souplesse (5) et comporte un intérêt fiscal certain (6).

II - L'encadrement de la location et du commodat du fonds libéral ou de clientèle d'avocats

Le cabinet considéré comme un fonds libéral peut être l'objet de contrats de location ou de commodat, à condition qu'ils respectent certaines règles déontologiques, notamment le principe de libre choix du client, certaines modalités d'inscription au tableau et l'arbitrage du Bâtonnier.

Précisément, la résolution adoptée par le CNB indique que la location ou le commodat du fonds d'exercice libéral ou de la clientèle doivent être obligatoirement soumis au Bâtonnier de l'Ordre où sont inscrites respectivement les deux parties. Il est également recommandé que le contrat comprenne une clause obligeant en toutes circonstances à respecter le choix, par le client, de son conseil. Cette recommandation rappelle la solution de l'arrêt fondateur du fonds libéral, lequel avait subordonné la validité de la convention de cession de clientèle civile au respect du libre choix de son praticien par le client ou patient, affirmant littéralement "que, si la cession de la clientèle n'est pas illicite, c'est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient". Depuis lors, la Cour de cassation maintient cette exigence propre aux activités libérales (7). Initiée en matière de professions médicales, elle a été précisée dans la jurisprudence postérieure, le respect du principe évoqué paraissant s'imposer à toutes activités libérales et relever de l'appréciation souveraine des juges du fond (8).

Ensuite, la résolution du CNB impose que l'avocat loueur soit inscrit et ait exercé pendant au moins cinq ans. Il s'agit d'éviter toute spéculation sur la clientèle de l'avocat, par respect pour la clientèle elle-même, ainsi que par souci déontologique. Encore la force majeure devrait-elle, sans doute, justifier la levée de l'exigence d'ancienneté (par exemple en cas de décès, de maladie ou d'omission du tableau du praticien titulaire).

De plus, la résolution dispose que l'avocat loueur ne peut se réinstaller au titre de la clientèle, objet de la convention, pendant toute la durée du contrat. La raison en est que le commodataire ou preneur doit être garanti de toute tentative du loueur, ou du prêteur, de lui faire concurrence.

Par ailleurs, le texte précise que le contrat comprend, à défaut d'une promesse de vente, un droit de préemption ou de préférence au profit du locataire et que le Bâtonnier arbitre les conflits, tranche les litiges et autorise, le cas échéant, une dérogation aux règles précédentes.

Enfin, l'attention des avocats est attirée sur la nécessité absolue d'obtenir parallèlement l'accord du bailleur à défaut de dispositions du bail professionnel autorisant expressément la sous-location. Les tiers à la convention ne sont donc pas "oubliés" par le CNB qui veille, notamment, à ce que le propriétaire du local dans lequel est exploité le fonds soit associé à la démarche contractuelle.

Un arrêt de la cour d'appel de Douai, rendu le 25 octobre 2010 (9), rappelle que l'obligation de rendre la chose prêtée après s'en être servi est de l'essence du commodat, le prêteur demeurant propriétaire de la chose prêtée. Le prêt à usage concernant un fonds de clientèle libérale, le matériel professionnel et un bail professionnel, l'article 1832-2 du Code civil (N° Lexbase : L2003ABS) est inapplicable, dans la mesure où le commodat exclut tout acte de disposition sur la communauté et où la clientèle reste propriété de ladite communauté. L'arrêt, qui concerne la profession de chirurgien ophtalmologiste, mais qui est transposable à la profession d'avocat, rappelle également que l'article 1424 du Code civil (N° Lexbase : L2300IBS) énonce que les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables, et les meubles corporels dont l'aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations. Et, en application de l'article 262-2 du Code civil (N° Lexbase : L2645ABL), toute obligation contractée par l'un des époux à la charge de la communauté, toute aliénation de biens communs faite par l'un d'eux dans la limite de ses pouvoirs, postérieurement à la requête initiale en divorce sera déclarée nulle, s'il est prouvé qu'il y a eu fraude aux droits de l'autre conjoint. Aussi, la société d'exercice libéral à laquelle l'un des conjoints en instance de divorce transfert l'usage par l'intermédiaire d'un commodat est nulle, les parts sociales acquises au moyen d'une donation étant considérées comme des biens propres, le conjoint commodant n'ayant, dès lors, plus de comptes à rendre à la communauté en ce qui concerne les bénéfices perçus par la société dans laquelle il s'est associé avec un tiers, ainsi que sur les actifs détenus par cette société.


(1) L'expression a été supprimée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures (N° Lexbase : L1612IEG).
(2) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 98-17.731 (N° Lexbase : A7780AHM), JCP éd. E, 2001, p. 419, note G. Loiseau. V. également, Cass. civ. 1, 2 mai 2001, n° 99-11.336 (N° Lexbase : A3498ATQ), Bull. civ. I, n° 110.
(3) V. F. Vialla, Les contrats du fonds libéral, Dr. et patrimoine, septembre 2002, p. 32.
(4) V. F. Vialla, Les contrats portant sur le fonds libéral. Résolution du Conseil national des barreaux, D., 2005, n° 1500.
(5) V. M.-H. Monsèrié-Bon, Utilisation des contrats de location et de commodat par les professions libérales, Dr. et patrimoine, juillet-août 1999, p. 28.
(6) V. G. Notté, Location et commodat du fonds libéral ou de clientèle d'avocats, JCP éd. E, 2005, actu. n° 130.
(7) V. par exemple, Cass. civ. 1, 16 janvier 2007, n° 04-20.711, FS-P+B (N° Lexbase : A6133DTC), Rev. Lamy dr. civ. mars 2007, n° 2435, obs. S. Doireau, à propos d'une convention à titre onéreux permettant l'exercice privilégié d'actes infirmiers dans le cadre d'une maison de retraite.
(8) V. Cass. civ. 1, 30 juin 2004, n° 99-20.286, F-P (N° Lexbase : A9187DCA), D., 2005, somm. p. 405, obs. J. Penneau.
(9) CA Douai, 1ère ch., 1ère sect., 25 octobre 2010, n° 08/09690 (N° Lexbase : A1704GDH).

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