La lettre juridique n°838 du 1 octobre 2020 : Procédure civile

[Jurisprudence] Aux délices des procéduriers : obligations de demander formellement l’infirmation dans le dispositif des conclusions d’appel et d’avoir l’autorisation du juge pour faire une mesure conservatoire à un domicile

Réf. : Cass. Civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I (N° Lexbase : A88313TA)

Lecture: 26 min

N4668BYK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Aux délices des procéduriers : obligations de demander formellement l’infirmation dans le dispositif des conclusions d’appel et d’avoir l’autorisation du juge pour faire une mesure conservatoire à un domicile. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/60738542-jurisprudence-aux-delices-des-proceduriers-obligations-de-demander-formellement-linfirmation-dans-le
Copier

par Charles Simon, Avocat au barreau de Paris, Membre des associations AAPPE et Droit & Procédure

le 01 Octobre 2020

 


Mots-clés : appel • procédure d’appel • mentions obligatoires • infirmation • dispositif • voies d’exécution • saisies conservatoires • meubles • lieu servant à l’habitation

La Cour de cassation pose deux solutions nouvelles et qui n’étaient pas évidentes à la lecture des textes : l’appelant doit expressément demander l’infirmation du jugement dont appel dans le dispositif de ses conclusions, à défaut, la cour doit confirmer le premier jugement ; une saisie conservatoire de meubles dans un lieu servant à l’habitation doit toujours être préalablement autorisée par le juge, même lorsque le pseudo-créancier dispose d’un quasi-titre l’en dispensant normalement.


La Cour de cassation a rendu le 17 septembre 2020 un arrêt de principe, publié au bulletin et sur son site internet, posant deux solutions nouvelles.

La première doit être connue de toutes personnes engagées dans un contentieux devant les tribunaux, en particulier des professionnels que sont les avocats : les conclusions d’appel doivent expressément contenir dans leur dispositif une demande d’infirmation de la décision de première instance. À défaut, la cour d’appel ne peut que confirmer la première décision.

La seconde intéresse un public sans doute plus restreint, c’est-à-dire les huissiers et les avocats qui pratiquent les voies d’exécution : une saisie conservatoire réalisée au domicile du pseudo-débiteur doit être autorisée par le juge, même lorsque le pseudo-créancier dispose d’un quasi-titre lui permettant normalement de se passer d’une telle autorisation. L’ajout des préfixes « pseudo » et « quasi » signale que nous sommes ici en matière conservatoire, avant un titre exécutoire, alors que les qualités de créancier et de débiteur ne sont pas encore judiciairement fixées et que le titre fondant la mesure conservatoire n’est pas un titre exécutoire.

Ni la première, ni la seconde des solutions posées par la Cour de cassation n’étaient évidentes à la lecture des textes. La première est même choquante, outre qu’elle fragilise encore le droit d’appel, déjà bien malmené depuis la réforme Magendie de 2009.

Après un rappel des faits (I.), nous étudierons la première solution (II.), puis la seconde (III.).

I. Rappel des faits

Une personne a été condamnée par les tribunaux turcs à payer certaines sommes à une autre. Son créancier a pratiqué à son encontre différentes mesures conservatoires en France (saisies conservatoires de créances ; de droits d’associés et de valeurs mobilières et de meubles corporels, cette dernière saisie à son domicile). Ces saisies conservatoires ont manifestement été pratiquées sans autorisation du juge de l’exécution. Elles ont été contestées.

Dans un premier temps, le juge de l’exécution a rejeté intégralement la contestation, puis la cour d’appel l’a accueillie partiellement, sur la seule validité de la saisie conservatoire de meuble pratiquée au domicile du pseudo-débiteur qu’elle a annulée (CA Paris, pôle 4 chambre 8, 6 septembre 2018, n° 18/02624 N° Lexbase : A4517X3P).

La cour d’appel a également tranché un argument du pseudo-créancier, de pure procédure. Le pseudo-créancier, intimé en appel, prétendait que la cour d’appel ne pouvait pas se prononcer sur l’appel du pseudo-débiteur car celui-ci n’avait pas expressément demandé l’infirmation de la décision dont appel dans ses premières conclusions d’appelant. La Cour suprême a répondu que les demandes du pseudo-débiteur tendaient à l’annulation des saisies et qu’elles s'analysaient donc nécessairement comme des critiques du jugement auxquelles la cour d’appel devait répondre.

Le pseudo-créancier a formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt d’appel, en particulier en ce qu’il l’avait débouté de son argument de procédure et en ce qu’il avait annulé sa saisie conservatoire de meubles au domicile du pseudo-débiteur.

Bien que ce ne soit pas précisé dans l’arrêt de la Cour de cassation qui nous préoccupe, on ajoutera que, au vu de la configuration des faits, on imagine que le pseudo-créancier a engagé une instance en exéquatur des jugements turcs en parallèle de ses saisies conservatoires, soit antérieurement à elles soit dans le délai d’un mois de la première. En effet et pour rappel, si la personne qui se prétend créancier n’a pas déjà engagé une procédure en vue d’obtenir un titre exécutoire au moment de la saisie conservatoire qu’elle pratique, elle doit le faire dans un délai d’un mois (CPCEx, art. L. 511-4 N° Lexbase : L5916IRK et art. R. 511-7 N° Lexbase : L2542ITC)

Une autre décision dans la même affaire confirme que le pseudo-créancier a bien engagé une procédure en exéquatur des jugements turcs. A priori, en l’état, il a été débouté de sa demande (TGI Paris, 1ère Chambre 1ère Section 1ère sous-Section, 27 mars 2019, n° 17/11704 N° Lexbase : A13183WQ). À ce jour, il ne dispose donc toujours pas de titre exécutoire en France.

C’est ainsi dans cette configuration que les faits se présentaient devant la Cour de cassation.

II. Les conclusions de l’appelant doivent demander expressément l’infirmation de la première décision dans leur dispositif

La solution selon laquelle les conclusions de l’appelant doivent demander expressément l’infirmation de la première décision est essentielle à connaître tant les effets d’un non-respect paraissent dévastateurs pour l’appelant (A.). Heureusement, la Cour de cassation a modulé dans le temps l’entrée en vigueur de cette obligation, afin de sauver les procédures en cours dans lesquelles les conclusions ne seraient pas conformes (B.). Une fois que cette règle s’appliquera pleinement, il n’est cependant pas sûr qu’elle soit si aisée que cela à mettre en œuvre (C.). Plus généralement, on peut s’interroger sur sa conventionalité alors que sa justification semble reposer sur le fait que les juges d’appel seraient idiots (D.).

A. Le principe : la cour d’appel doit confirmer le premier jugement lorsque les conclusions de l’appelant ne comportent pas de demande d’infirmation dans leur dispositif

L’attendu de principe qu'énonce la Cour de cassation doit être connu :

« il résulte des articles 542 (N° Lexbase : L7230LEI) et 954 (N° Lexbase : L7253LED) du Code de procédure civile que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement. »

Pour rappel, l’article 542 du Code de procédure civile concerne l’objet de l’appel et prévoit que :

« l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel. »

L’article 954 du même code concerne quant à lui le contenu des conclusions d’appel et prévoit, à ses alinéas 3 et 5, que :

« la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

« La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance. »

La Cour de cassation a donc tiré de la combinaison de ces deux articles la règle selon laquelle les conclusions d’appel doivent expressément mentionner dans leur dispositif que l’appelant demande l’infirmation de la première décision dont appel.

Il s’agit d’une pure règle de forme. On pourrait donc penser que, en tant que telle, sa sanction soit bénigne ou, à tout le moins, que la personne qui soulève sa violation doive faire la preuve d’un grief, impossible ici à rapporter tant il est évident pour tous qu’une personne qui fait appel d’un jugement devant la cour d’appel entend le voir infirmer.

Mais c’est sans compter sur l’évolution de la procédure d’appel qui, depuis la réforme dite « Magendie » issue du décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW), multiplie les pièges procéduraux sur des questions de forme. Les sanctions sont automatiques, dans l’espoir de vider, à peu de frais, le rôle des cours d’appel et de décourager les justiciables de contester les décisions de première instance. À cet égard, il est effarant que la lettre de mission du ministère de la justice demandant à l’inspection générale de la justice de dresser le bilan des réformes de la procédure d’appel commence ainsi :

« évaluer si les objectifs d’amélioration de la qualité et la célérité de la justice, recherchés depuis la réforme de 2009, ont été atteints, s’agissant de la volonté d’une part de réduire les stocks… » (Ministère de la justice, IGS, Bilan des réformes de la procédure d’appel en matière civile, commerciale et sociale et perspectives, juillet 2019, p. 13).

La sanction de ce formalisme qu’on qualifiera de punitif est donc ici que la cour d’appel se trouve liée par l’absence de demande d’infirmation du jugement dans le dispositif des conclusions d’appel et doit ainsi le confirmer.

On précisera un point : cette solution et ses conséquences particulièrement drastiques concernent l’appelant principal, bien sûr, mais aussi l’appelant incident, c’est-à-dire l’intimé principal. C’est le cas du défendeur à l’appel qui demande, par voie reconventionnelle, l’infirmation de tout ou partie du premier jugement et qui doit donc, là aussi, le mentionner expressément dans le dispositif de ses conclusions.

B. L’application du principe pour le passé : la Cour de cassation sauve les procédures déjà engagées

La solution paraît particulièrement injuste, en particulier vu de ses conséquences dramatiques pour l’appelant. Elle n’avait rien d’évident au regard des textes et encore moins du simple bon sens. Par faveur, la Cour de cassation a donc décidé de moduler son application dans le temps.

Pour rappel, cette possibilité de moduler dans le temps les effets d’une règle jurisprudentielle nouvelle a été notamment affirmée par un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 21 décembre 2006 (Ass. plén., 21 décembre 2006, n 00-20.493, P+B+R +I N° Lexbase : A0788DTD). La Cour de cassation a précisé la raison sous-tendant cette exception au principe d’effet rétroactif de la jurisprudence dans son rapport 2014 :

  • « en matière civile, c’est lorsque le revirement pourrait avoir une incidence sur l’accès à un juge que la Cour de cassation décide la modulation exceptionnelle des effets dans le temps de la décision de revirement »[1].

En l’espèce, la Cour de cassation a ainsi jugé que :

  • « l’application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d’une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 (N° Lexbase : L2696LEL) et qui n’a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d’appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable. »

Il s’agit donc ici de préserver l’accès au juge d’appel face à une interprétation jurisprudentielle inattendue des règles de droit. En conséquence, la Cour de cassation a sauvé l’arrêt d’appel qui se trouve légalement justifié plutôt que cassé, comme il aurait dû l’être si la Cour de cassation avait appliqué immédiatement la règle nouvelle. 

Ce sauvetage temporaire s’étend à toutes les procédures d’appel introduites avant le 17 septembre 2020. Un appelant qui aurait donc oublié de préciser, dans le dispositif de ses conclusions d’appel, qu’il demandait l’infirmation de la décision de première instance n’est donc, a priori, pas à risque. Les appelants dont la déclaration d’appel est postérieure au 17 septembre 2020 doivent quant à eux d’urgence réviser leurs pratiques, si bien sûr ils ne demandaient pas déjà expressément l’infirmation du jugement dont appel dans le dispositif de leurs conclusions.

C. L’application du principe pour le futur : casse-tête en perspective

Il n’est cependant pas certain que les conséquences les plus graves de cette nouvelle solution ne puissent être contrées pour les déclarations d’appel formées à compter du 17 septembre 2020.

En effet, quelle est donc la sanction de l’absence de demande formelle d’infirmation dans le dispositif des conclusions de l’appelant ? Devant la cour d’appel, l’intimé invoquait l’irrecevabilité de l’appel et n’a pas été suivi. Il soulevait le même moyen dans son pourvoi et la Cour de cassation ne l’a pas plus suivi. L’absence de demande expresse d’infirmation dans le dispositif des conclusions de l’appelant a donc bien uniquement pour conséquence que la cour d’appel ne peut que confirmer le premier jugement. Ainsi, il ne s’agit pas d’une des sanctions classiques des vices de forme : nullité ; irrecevabilité ou caducité.

Or, il est possible de déposer plusieurs jeux de conclusions devant la cour d’appel qui n’est saisie que des dernières (CPC, art. 954 alinéa 4). Certes, l’article 910-4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9354LTM) indique que, à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, l’appelant notamment doit présenter dès ses premières conclusions l’ensemble de ses prétentions sur le fond mais :

  • tout d’abord, il est possible d’ajouter dans des conclusions ultérieures des prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses (CPC, art.  910-4). En conséquence, si l’absence de la demande d’infirmation dans le dispositif des conclusions de l’appelant est soulevée par l’intimé, l’appelant devrait pouvoir y répliquer en ajoutant cette demande dans son dispositif ;
  • ensuite, la demande d’infirmation est nécessairement contenue dans la discussion des premières conclusions de l’appelant qui critique le jugement dont appel. En conséquence, le fait de reprendre formellement cette demande dans le dispositif de conclusions ultérieures ne devraient pas en faire une prétention nouvelle.

La difficulté liée à l’exigence nouvelle de mentionner expressément la demande d’infirmation dans le dispositif des conclusions de l’appelant nous paraît donc contournable. Pour autant que l’appelant pense bien à régulariser la difficulté dans ses dernières conclusions d’appelant.

Se posent en outre deux problèmes procéduraux.

Le premier est spécifique à la procédure d’appel avec représentation obligatoire « ordinaire », c’est-à-dire hors procédure à brefs délais des articles 905 (N° Lexbase : L2324LUM) à 905-2 (N° Lexbase : L7036LEC) du Code de procédure civile. Qui peut connaître de la difficulté, le conseiller de la mise en état ou la cour ? Ne s’agissant ni d’une caducité ni d’une irrecevabilité de l’appel ni encore d’une irrecevabilité des conclusions, ce devrait être la Cour (CPC, art. 914 N° Lexbase : L7247LE7). Mais c’est alors un véritable gaspillage, le dossier suivant le parcours habituel, avec ses délais et ses frais, tout cela pour aboutir à une confirmation automatique du premier jugement.

Le second problème est général : on sait que la caducité de l’appel principal rend irrecevable l’appel incident (Cass. civ. 2, 13 mai 2015, n° 14-13.801, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8860NHM). Mais ici l’appel principal n’est ni irrecevable ni caduc, c’est comme si ses effets étaient paralysés, tout en maintenant la procédure d’appel. L’intimé peut donc former sur lui un appel incident auquel l’appelant pourra répondre en tant qu’intimé incident. On marche alors sur la tête !

Nul doute donc que cette solution nouvelle, issue des réformes successives de la procédure d’appel, ne se transforme en véritable nid à contentieux, allant à l’encontre de l’objectif poursuivi par la Chancellerie, à savoir précisément diminuer le contentieux. Bien au contraire, tout porte à croire que cette solution nouvelle créera un contentieux totalement artificiel sur des points de forme sans aucun intérêt, encombrant les cours d’appel et exaspérant les appelants.

D. Prospective : un principe à la conventionalité incertaine

Il n’est cependant pas certain que cette solution nouvelle résiste à un test de conventionalité. En effet, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle régulièrement que l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR) garantissant le droit à un procès équitable n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Cependant, si de telles juridictions existent, les garanties de l’article 6 doivent être respectées, notamment en ce qu’il assure aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs droits et obligations de caractère civil.

Pour apprécier les restrictions à l’accès aux juridictions supérieures découlant d’un taux d’appel, la Cour européenne a déjà pu par le passé s’interroger sur l’existence de restrictions relevant d’un « formalisme excessif ». Ce formalisme excessif « peut résulter d’une interprétation particulièrement rigoureuse d’une règle procédurale, qui empêche l’examen au fond de l’action d’un requérant et constitue un élément de nature à emporter violation du droit à une protection effective par les cours et tribunaux » (voir, récemment, CEDH, 5 avril 2018, Req.40160/12, Zubac c/ Croatie, N° Lexbase : A4684XKP, §80 ; 85 et 96 à 99).

Jusqu’à présent, la Cour de cassation a toujours validé la conventionalité du formalisme punitif que les réformes successives de la procédure d’appel ont développé depuis 2009 :

  • caducité de la déclaration d’appel à défaut de dépôt des conclusions de l’appelant dans les délais impartis par la loi, dès lors que cette sanction n’est pas disproportionnée au but poursuivi qui est d'assurer la célérité et l'efficacité de la procédure d'appel (Cass. civ. 2, 24 septembre 2015, n°13-28.017, F-P+B N° Lexbase : A8173NPE ; Cass. civ. 2, 26 juin 2014, n° 13-22.013, F-P+B, N° Lexbase : A1504MSI) ;
  • absence d’effet d’évolutif de la déclaration d’appel qui ne mentionne pas les chefs de jugements critiqués, l’obligation de les mentionner poursuivant le but légitime de garantir la bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique et l’efficacité de la procédure d’appel (Cass. civ. 2, 30 janvier 2020, n° 18-22.528, FS-P+B+I [LXB=A89403C4).

La solution nouvelle pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La seule justification possible à la règle voulant que l’appelant doive expressément mentionner dans le dispositif de ses conclusions qu’il entend voir infirmer le jugement dont appel semble en effet être que les juges d’appel sont des idiots.

Or, tout montre le contraire, à commencer par l’arrêt d’appel dans le cas d’espèce. Dans celui-ci, la cour d’appel a jugé que :

  • des demandes tendant à voir dire autre chose que ce que le premier juge avait jugé s’analysaient nécessairement comme des critiques du jugement ayant rejeté les demandes de l’appelant ;
  • la déclaration d’appel mentionnait expressément que celui-ci tendait à la réformation ou à l’annulation du jugement attaqué et précisait les chefs de jugement critiqués.

D’autres cours d’appel ont eu l’occasion de dire strictement la même chose (CA Colmar, 8 octobre 2010, 09/02674 N° Lexbase : A0751TD8 ; CA Aix-en-Provence, 3 juin 2016, 14/20853 N° Lexbase : A8461RRS ; CA Paris, Pôle 5 Chambre 4, 4 décembre 2019, 18/05708 N° Lexbase : A8804Z4T).

La règle nouvelle est donc de l’ordre du formalisme creux qui nous semble ne pas pouvoir passer le test de conventionalité, dès lors qu’il a pour conséquence de priver effectivement l’appelant de son droit d’appel, sans justification sérieuse.

III. Une saisie conservatoire de meubles au domicile du pseudo-débiteur doit toujours être autorisée par le juge

La seconde solution posée par l’arrêt du 17 septembre 2020 a des conséquences moins dramatiques mais méritent également d’être connue des praticiens de l’exécution, huissiers et avocats. Elle protège le domicile du pseudo-débiteur, en phase conservatoire, contre une intrusion non préalablement autorisée par le juge (A). Cela doit amener à revoir certaines pratiques de créanciers disposant d’un titre exécutoire et procédant tout de même à une saisie conservatoire de meubles, afin de prendre de court un débiteur soupçonné de vouloir organiser son insolvabilité (B).

A. La protection du domicile du pseudo-débiteur contre une intrusion du pseudo-créancier non-autorisée par le juge

Pour comprendre comment la Cour de cassation en est arrivée à poser la solution selon laquelle toute saisie conservatoire de meubles au domicile du pseudo-débiteur doit être autorisée par un juge, il faut revenir au principe, à ses exceptions et aux faits de l’espèce.

Le principe est que toute mesure conservatoire doit être préalablement autorisée par un juge qui est soit le juge de l’exécution soit le Président du Tribunal de commerce (CPCEx, art. L. 511-1 N° Lexbase : L5913IRG).

Par exception, une autorisation préalable du juge n’est pas nécessaire lorsque le pseudo-créancier se prévaut notamment d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire (CPCEx, art. L. 511-2 (N° Lexbase : L5914IRH) et art. R. 511-1 alinéa 2).

Or, en l’espèce, le pseudo-créancier disposait de jugements étrangers. Ceux-ci sont régulièrement analysés par la jurisprudence comme des décisions de justice qui n’ont pas encore force exécutoire, dans l’attente de leur reconnaissance éventuelle à l’issue d’une procédure d’exéquatur (CA Versailles, 4 novembre 2010, 10/04141, N° Lexbase : A8075GDG ; CA Poitiers, 30 mars 2012, 10/03946, N° Lexbase : A9421IGZ ; Cass. civ. 2, 4 septembre 2014, n° 13-14.060 N° Lexbase : A0526MWE, visant l’ancien article 68 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, codifiée depuis lors N° Lexbase : C14517BD). C’est d’ailleurs le raisonnement que la cour d’appel a explicitement adopté en l’espèce (CA Paris, Pôle 4 Chambre 8, 6 septembre 2018, 18/02624 N° Lexbase : A4517X3P).

C’est ainsi que le pseudo-créancier a pu pratiquer des saisies conservatoires, en particulier une saisie conservatoire de meubles au domicile du pseudo-débiteur, sans autorisation préalable du juge de l’exécution.

On précisera que l’auteur des présentes lignes est en désaccord avec la jurisprudence selon laquelle un jugement étranger non encore revêtu de l’exéquatur vaudrait décision de justice n’ayant pas encore force exécutoire au sens du Code des procédures civiles d’exécution. En effet, sauf pour les jugements en provenance d’autres États-membres de l’Union européenne qui bénéficient d’une reconnaissance automatique en France, sans exequatur, en vertu du droit de l’Union [2]. Il n’y a pas de présomption de régularité des jugements étrangers «non-exequaturés» [3] En conséquence, ces jugements étrangers ne peuvent valoir comme un jugement français qui, même non-exécutoire, a autorité de la chose jugée dès son prononcé (CPC, art. 480 N° Lexbase : L2318LUE). Mais l’auteur des présentes lignes a bien conscience d’être en minorité sur ce point qui n’a, à sa connaissance, jamais été plaidé.

Quoi qu’il en soit, le pseudo-débiteur a contesté le fait qu’une saisie conservatoire puisse avoir lieu à son domicile sans autorisation préalable du juge et la Cour de cassation lui a donné raison sur ce point. En effet, si rien dans les textes du Code des procédures civiles d’exécution n’impose une telle autorisation préalable, la Cour de cassation a tiré cette obligation du droit à valeur constitutionnelle au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile, également consacré par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. En conséquence, une mesure conservatoire pratiquée sans autorisation préalable comme en l’espèce doit être annulée. On notera que cette solution avait déjà été posée il y a plus de onze ans par la cour d’appel de Paris, au visa du seul principe de l’inviolabilité du domicile et sans référence à l’article 8 de la Convention (CA Paris, 8ème Chambre Section B, 12 mars 2009, 08/13940, N° Lexbase : A8374EDI).

La solution énoncée, ce contrôle de proportionnalité au regard d’un droit « supérieur » laisse sur sa faim tant il paraît subjectif. En effet, en pratique, en quoi l’autorisation préalable du juge assurera-t-elle au pseudo-débiteur une meilleure protection de son droit au respect de la vie privée et de l’inviolabilité de son domicile (dont la violation peut, précisément, être autorisée par le juge) ? Pour rappel, le juge qui autorise une mesure conservatoire a les mains largement liées. Il doit uniquement vérifier que deux conditions cumulatives sont réunies pour autoriser la mesure (CPCEx, art. L. 511-1) :

  • l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe. Ce sera, en pratique, toujours le cas en présence d’un quasi-titre comme ici ;
  • une menace sur le recouvrement. Cette seconde condition donne une certaine marge de manœuvre au juge, notamment si d’autres saisies conservatoires peuvent être entreprises avant une saisie de meubles au domicile du pseudo-débiteur. Ainsi d’une saisie de comptes bancaires. Mais la pratique montre qu’il n’est pas rare que les juges autorisent des saisies conservatoires « tapis de bombes », portant sur l’intégralité du patrimoine connu du pseudo-débiteur, meubles compris, lorsque les créances sont importantes.

Malgré ces réserves, la solution paraît bonne, c’est bien uniquement sa justification qui nous semble pêcher. Nous nous permettrons de citer à ce sujet un huissier qui a écrit sur l’arrêt d’appel dans cette affaire[4]. Permettre à un pseudo-créancier de s’introduire sans autorisation dans le domicile du pseudo-débiteur pour pratiquer une saisie conservatoire de meubles est « contraire à la philosophie du Code des procédures civiles d’exécution. À quel titre le législateur aurait-il conférer davantage de pouvoirs au créancier conservatoire qu’au bénéficiaire d’un titre exécutoire ? En effet, ce dernier est contraint de respecter un délai minimal de huit jours avant d’entrer dans un local servant à l’habitation… L’esprit des mesures conservatoires n’est nullement un « super créancier » aux pouvoirs exorbitants ».

Cette position qui limite les pouvoirs de l’huissier en l’absence d’autorisation du juge était aussi défendue par la doctrine la plus autorisée. Elle émane en effet de personnes à l’origine de la réforme de 1991 qui a posé le droit actuel des voies d’exécution : Roger Perrot et Philippe Théry[5].

De ce point de vue, la solution d’espèce nous paraît donc pleinement justifiée.

B. La nécessaire mise à jour des pratiques de certains praticiens des voies d’exécution lorsqu’ils détiennent un titre exécutoire

Ce commentaire effleure cependant une autre pratique bien connue des praticiens des voies d’exécution, même si elle n’était pas en cause ici : la saisie conservatoire de meubles pratiquée par le créancier titulaire d’un titre exécutoire.

À première vue, il s’agit d’une pratique étonnante : étant titulaire d’un titre exécutoire, le créancier peut procéder immédiatement à une saisie-vente des meubles. Mais, pour cela et comme dit ci-dessus, il doit d’abord signifier un commandement aux fins de saisie laissant huit jours au débiteur pour payer sa dette (CPCEx, art. L. 221-1 N° Lexbase : L5851IR7 et R. 221-10 N° Lexbase : L2255ITP)… Ou cacher ses meubles de valeur !

Mieux vaut donc utiliser son titre exécutoire comme « quasi-titre », ce que permet expressément l’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution, pour pratiquer une saisie conservatoire de meubles qui ne nécessite pas de commandement préalable et donc prend de court le débiteur. Puis le créancier convertira cette saisie conservatoire en saisie-vente (CPCEx, art. R. 522-7 (N° Lexbase : L2554ITR).

La nouvelle solution ne devrait rien changer à cette pratique lorsque la saisie conservatoire est pratiquée dans un local qui ne sert pas à l’habitation. Dans le cas où la saisie conservatoire a lieu au domicile du débiteur, le créancier devra désormais obtenir une autorisation préalable du juge. L’existence d’une créance paraissant fondée en son principe ne fera pas de difficulté en présence d’un titre exécutoire. Le créancier devra en revanche s’expliquer sur le risque sur le recouvrement. Ce sera sans doute l’occasion pour les juges de découvrir l’étendue de ce que les praticiens de l’exécution ont imaginé à partir des instruments qu’on leur a fournis.

 

[1] Cour de cassation, rapport annuel 2014, Livre 3, Partie 2, Titre 1. Chapitre 2. La Cour de cassation, gardienne de l’application de la jurisprudence dans le temps, La documentation française, 2015

[2] Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 dit Bruxelles 1 bis (N° Lexbase : L9189IUU) concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, article 36 1

[3] Cour de cassation, Étude 2017, Partie 1, Titre 2, Chapitre 1, Section 2, §1, A., 3. Les conditions de la régularité internationale du jugement étranger, La documentation française, 2017

[4] S. Dorol, commentaire s. CA Paris, 6 septembre 2018, 18/02624 in Droit et Procédure 2019, n° 4, p. 79 et s.

[5] R.Perrot, Ph. Théry, Droit des procédures civiles d’exécution, Dalloz, 3e éd., 2013, 1143

newsid:474668