La lettre juridique n°838 du 1 octobre 2020 : Avocats/Publicité

[Brèves] Interdiction aux avocats en cabinets « groupés » d'ouvrir un site internet commun : la résolution du conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Nantes annulée

Réf. : CA Rennes, 18 septembre 2020, n° 20/00380 (N° Lexbase : A28643UM)

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[Brèves] Interdiction aux avocats en cabinets « groupés » d'ouvrir un site internet commun : la résolution du conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Nantes annulée. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/60632960-brevesinterdictionauxavocatsencabinetsgroupesdouvrirunsiteinternetcommunlaresolutiondu
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par Marie Le Guerroué

le 01 Octobre 2020

► L’interdiction a priori, aux avocats non associés au sein d'une structure de moyens ou d'exercice de maintenir ou d'ouvrir un site internet commun qui ne résulte pas du RIN et porte atteinte à la liberté d'expression des avocats, est disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, l'Ordre ayant la possibilité, dans le cadre de son pouvoir de contrôle a posteriori des sites Internet professionnels de faire respecter par les avocats qui y contreviendraient, les dispositions de l'article 10.2 du RIN, le Bâtonnier pouvant, le cas échéant, agir par la voie disciplinaire (CA Rennes, 18 septembre 2020, n° 20/00380 (N° Lexbase : A28643UM).

 

Faits et procédure. En octobre 2019, le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Nantes a, adopté la résolution suivante : «Le Conseil de l'Ordre constate que les règles du R.I.N. relatives à la communication des avocats ne permettent pas d'autoriser les avocats qui n'ont pas de lien autre qu'un exercice en un lieu commun (cabinet dit «groupés») à communiquer de manière unifiée et, par conséquence, ouvrir ou maintenir un site Internet commun pour présenter leurs activités en qualité d'avocats. Les dispositions seront insérées au projet de règlement intérieur à son article 3. 11 ‘communication de l'avocat’ ».
Le Conseil de l'Ordre autorise les avocats du barreau de Nantes qui sont associés en SCM ou en GIE ou toute autre structure à solliciter l'homologation d'un site Internet commun pour présenter leurs activités en qualité d'avocats à condition de respecter, outre les règles du Code de la consommation et de l'article 10 du RIN, notamment les précautions rédactionnelles prédéfinies. Le conseil de l'Ordre leur rappelle que sont considérées comme structure d'exercice les associations, les AARPI, et toutes sociétés d'exercice (SCP, SEM, SARL, SAS"). Ces structures sont autorisées à solliciter l'homologation d'un site Internet devant respecter les règles du Code de la consommation et de l'article 10 du RIN'». Un recours a été formé contre ces délibérations.

 

  • Sur la communication des avocats exerçant en un lieu commun (cabinets dits groupés).


Les avocats qu'ils exercent seuls, en structure de moyens ou d'exercice, bénéficient de la liberté d'expression telle qu'elle est reconnue par les textes fondamentaux. Cette liberté inclut les communications professionnelles, notamment par le truchement de sites Internet, lesquelles doivent avoir lieu, s'agissant des professions réglementées, dans le respect des règles propres qui les régissent. Suivant les dispositions de l'article 24 de la directive services 2006/123/CE du 12 décembre 2006, celles-ci doivent être « non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnées ».

La cour rappelle les disposition des articles 10.2 et 10.5 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8)
La prohibition de toute mention susceptible de créer dans l'esprit du public l'apparence d'une structure d'exercice inexistante, prévue par l'article 10.2, est notamment justifiée par la réglementation protectrice des consommateurs à laquelle les avocats sont soumis et qui prohibe les pratiques déloyales ou trompeuses.
Pour ne pas autoriser « et donc interdire » aux avocats non associés au sein d'une structure de moyens ou d'exercice de maintenir ou d'ouvrir un site internet commun pour présenter leurs activités, le conseil de l'Ordre considère, en premier lieu, qu'un tel site donnerait «immanquablement une information manifestement trompeuse aux consommateurs consultant leur site» puisque ceux-ci auraient nécessairement «le sentiment d'être en face d'un cabinet d'avocats structuré composé de plusieurs avocats».

Une présentation pas forcément trompeuse. La cour souligne que, quant bien même l'objectif poursuivi par le conseil de l'Ordre est légitime et louable, une telle analyse ne peut être suivie. En effet, l'interdiction ainsi édictée repose sur le postulat, en l'occurrence contestable, que le site commun adoptera obligatoirement une présentation trompeuse et de nature à induire en erreur le consommateur sur la structure face à laquelle il se trouve. Or, tel ne sera pas nécessairement le cas, pour peu que les avocats concernés exposent en toute clarté, dans leur site, leur situation.

Avocat et cabinet d'avocat sont des termes génériques. En second lieu, la cour ajoute que la circonstance tirée du fait que l'article 10.5 du RIN énonce que le nom du domaine doit comporter le nom de l'avocat ou la dénomination du cabinet en totalité ou en abrégé ne peut fonder l'interdiction édictée, les termes d'avocat et de cabinet devant être compris comme des termes génériques susceptibles d'être employés au singulier comme au pluriel et n'excluant aucunement un site commun à plusieurs avocats mêmes non unis par des liens juridiques. Enfin, les dispositions de l'article 10.6.3 du RIN, également invoquées par l'Ordre, relatives à la dénomination du cabinet ou de la structure sont étrangères à la problématique soumise à la cour et ne peuvent justifier la restriction qui a été posée à la liberté d'expression.
Interdiction disproportionnée. Dès lors, cette interdiction a priori, qui ne résulte pas du RIN (lequel énonce seulement un certain nombre de principes essentiels que les avocats doivent respecter) et porte atteinte à la liberté d'expression des avocats, est disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, l'Ordre (nécessairement informé de l'ouverture ou de la modification substantielle de tout site professionnel en application des dispositions de l'article 10.5 du RIN) ayant la possibilité, dans le cadre de son pouvoir de contrôle a posteriori des sites Internet professionnels de faire respecter par les avocats qui y contreviendraient, les dispositions de l'article 10.2 du RIN, le Bâtonnier pouvant, le cas échéant, agir par la voie disciplinaire. C'est, dès lors, à bon droit que les requérants sollicitent l'annulation du premier paragraphe de la délibération contestée (concernant la communication des avocats exerçant sur le même site en cabinets dits «groupés»).
 

  • Sur la communication des avocats exerçant en structure de moyens (SCM, GIE...)


La cour souligne que les caractéristiques énoncées dans la délibération litigieuse rappellent, d'une part, l'interdiction posée par l'article 10.2 relative à la structure d'exercice inexistante et la règle posée par l'article 10.5 quant à la dénomination du site, d'autre part, l'évidence tenant à la pluralité de cabinets, la mutualisation d'une page d'accueil et d'un formulaire de contact, le renvoi au site propre de chacun (avocat ou structure d'exercice) pour tout ce qui est des présentations, activités et services de l'avocat ou de la structure d'exercice, enfin la possibilité d'adopter une charte graphique commune. Ces différents points ne portent nullement atteinte à la liberté d'expression des avocats concernés mais respectent, au contraire, l'esprit de la structure (de moyens) au sein de laquelle ceux-ci ont librement décidé de limiter leur union. La discussion sémantique sur la page Internet que les sites de ces structures sont autorisés à comporter est dépourvue d'intérêt dès lors que l'objectif est clairement de dissocier la page commune du site de la structure de moyens, des sites propres des avocats ou structures d'exercice de chacun des associés. La cour estime qu’il n’y a pas lieu d'annuler la seconde partie de la délibération litigieuse (V., L’Etude : Les cabinets groupés, in La profession d’avocat N° Lexbase : E41263RA).

 

►A paraître, dans le prochain numéro de la revue Lexbase Avocats, le commentaire de Gaëlle Deharo sur cette décision

 

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