La lettre juridique n°835 du 10 septembre 2020 : Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Jurisprudence] L’impossible indemnisation du salarié expatrié par la CFE des conséquences de la faute inexcusable de l’employeur : une couverture moins favorable en cas d’accidents du travail ?

Réf. : Cass. civ. 2, 16 juillet 2020, n° 18-24.942, FS-P+B+I (N° Lexbase : A35573R8)

Lecture: 15 min

N4447BYD

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] L’impossible indemnisation du salarié expatrié par la CFE des conséquences de la faute inexcusable de l’employeur : une couverture moins favorable en cas d’accidents du travail ?. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/60240430-jurisprudencelimpossibleindemnisationdusalarieexpatrieparlacfedesconsequencesdelafaute
Copier

par Cécile Cottin-Dusart, avocat associé, département mobilité internationale, Vaughan Avocats

le 10 Septembre 2020

 


Mots clef : expatrié • accident du travail • maladie professionnelle • faute inexcusable • CFE

Il résulte de l’article L. 762-1, alinéa 1er, du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L6645LNG), qui déroge au principe de l’application territoriale de la législation française de Sécurité sociale, que la couverture des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles qu’il ouvre au travailleur expatrié qui y adhère, est limitée aux seules prestations prévues au titre de la législation professionnelle, à l’exclusion de l’indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l’employeur. En conséquence, la Caisse des Français de l’étranger (CFE) ne peut être tenue de faire l’avance des prestations et indemnités allouées à la victime au titre de la faute inexcusable de la société.


Le salarié expatrié, affilié à la Caisse des Français de l’Etranger (CFE), ne peut pas être indemnisé par la CFE au titre de la faute inexcusable de son employeur en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

L’affaire. Un salarié a été embauché du 11 septembre 1978 au 31 mars 2012 en qualité de prospecteur mécanicien. Il a déclaré le 18 décembre 2009 une maladie consécutive à une exposition à l’amiante alors qu’il était expatrié et affilié à ce titre à la CFE auprès de laquelle il avait souscrit une assurance volontaire accidents du travail et maladies professionnelles (1er mai 2008 au 30 novembre 2011).  La CPAM a néanmoins instruit le dossier et reconnu le caractère professionnel de la maladie le 26 mars 2010. La CFE a fixé le taux d’incapacité résultant de la maladie professionnelle et lui a attribué une indemnité en capital. Le salarié a saisi une juridiction de Sécurité sociale pour voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur et pouvoir bénéficier d’une majoration de la rente et du capital perçus.

Le conseil de prud’hommes a reconnu l’existence de la faute inexcusable de l’employeur, a dit que la majoration de la rente serait versée par la CPAM, n’a pas mis hors de cause la CFE et a ordonné une expertise médicale pour la détermination des préjudices. LA CPAM et la CFE ont interjeté appel.

La cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 26 septembre 2018, n° 16/04042 N° Lexbase : A8210X79), relevait que lors de la première constatation médicale de la maladie, le salarié était affilié à la CFE qui a reconnu le caractère professionnel de la maladie. Elle mettait logiquement hors de cause la CPAM mais jugeait que l’assurance volontaire accidents du travail et maladies professionnelles donnait droit à l’ensemble des dispositions du livre IV et en conséquence que le salarié était en droit d’obtenir de la CFE l’indemnisation de son préjudice en cas de faute inexcusable de son employeur. La cour d’appel, reconnaissant l’existence de la faute inexcusable, condamnait donc la CFE à indemniser les différents préjudices en résultant et rappelait que celle-ci disposait d’un recours subrogatoire contre l’employeur.

Le pourvoi. La CFE contestait la décision en faisant valoir que « le régime de la faute inexcusable de l’employeur n’est pas applicable au salarié expatrié qui souscrit à l’assurance volontaire accidents du travail et maladies professionnelles auprès de la CFE ».

La cassation. Au visa des articles L. 762-1, alinéa 1er et L. 762-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4543ADM), la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en affirmant que la couverture des risques d’accidents du travail et maladies professionnelles ouverte par l’assurance volontaire est limitée aux seules prestations prévues au titre de la législation professionnelle, à l’exclusion de l’indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l’employeur. En conséquence, la CFE ne peut être tenue de faire l’avance des prestations et indemnisés allouées au titre de la faute inexcusable.

La Cour de cassation n’avait pas eu l’occasion de confirmer expressément l’exclusion de la prise en charge de la faute inexcusable au titre de la législation sur les accidents du travail pour les salariés expatriés. C’est désormais chose faite, sans équivoque. La Chambre civile s’aligne ainsi avec la jurisprudence de la Chambre sociale qui avait, il y a neuf ans, ouvert la voie de la responsabilité contractuelle de droit commun dans un tel cas (Cass. soc., 7 décembre 2011, n° 10-22.875, FS-P+B+R N° Lexbase : A1882H4H).

Cette solution qui s’explique tant sur le plan juridique que pratique (I) vient rappeler que la couverture sociale du salarié expatrié, malgré l’affiliation volontaire à la CFE, n’est probablement pas aussi favorable que celle du salarié travaillant sur le sol français même si l’obligation de sécurité de l’employeur ne nous semble pas entachée (II).

I. L’inapplicabilité de la législation sur les accidents du travail aux salariés expatriés : la conséquence de l’absence d’une assurance obligatoire

A. Une application stricte du principe de territorialité : la législation française n’est pas applicable

Dans cet arrêt la Cour de cassation affirme que la couverture volontaire contre les accidents du travail et maladies professionnelles ouverte aux salariés expatriés est limitée aux seules prestations prévues au titre de la législation professionnelle et exclut l’indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l’employeur.

Depuis longtemps, l’administration considère que le régime de la faute inexcusable est inapplicable aux salariés expatriés (Lettre du ministre des Affaires sociales, 6 février 1992 au directeur de la CFE, Bureau AT 92-27 R).

Dans le présent arrêt du 16 juillet 2020, la deuxième chambre civile vient confirmer l’exclusion de la prise en charge de la faute inexcusable au titre de la législation sur les accidents du travail pour les salariés expatriés au visa, notamment, de l’article L. 762-1, alinéa 1er du Code de la Sécurité sociale. Cet article prévoit la faculté, pour les salariés expatriés, de s’assurer volontairement contre les risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles auprès de la CFE. Cette assurance étant ouverte aux salariés qui exercent leur activité à l’étranger et qui ne sont pas ou plus soumis à la législation française de Sécurité sociale, la solution est cohérente. Le salarié expatrié n’étant pas soumis à législation française de Sécurité sociale, on comprend aisément qu’il ne saurait en bénéficier, au-delà des strictes prestations de la couverture volontaire qu’il a souscrite.

Faire bénéficier au salarié expatrié de l’ensemble des dispositions sur les accidents du travail et maladies professionnelles (visées par le livre IV du Code de la Sécurité sociale) reviendrait à lui appliquer l’ensemble de la législation française sur les accidents du travail et maladies professionnelles, alors que le principe de territorialité l’exclut.

On peut néanmoins imaginer que malgré le principe de territorialité, l’existence d’une assurance obligatoire contre les accidents du travail aurait abouti à une solution différente. En effet, dans ce cas la protection contre le risque accidents du travail deviendrait d’ordre public comme l’est la protection contre le risque chômage en cas de mobilité en dehors de l’Union européenne. Mais l’article L. 762-8 du code de la sécurité sociale prévoit une affiliation sur option et restreint la couverture.

B. Une application stricte de l’article L. 762-8 du Code de la Sécurité sociale : une assurance accidents du travail et maladies professionnelles de la CFE sur option

Devant la cour d’appel de Rennes, la CFE arguait du fait que s’agissant d’un organisme de Sécurité sociale volontaire, les cotisations sont mises à la charge du salarié et ne peuvent donc donner droit à une indemnisation au titre de la faute inexcusable de l’employeur. Cet argument ne pouvait prospérer à notre sens dans la mesure où même si en l’espèce les cotisations avaient éventuellement été mises à la charge du salarié, elles peuvent dans d’autres cas être mises, également sur option, à la charge de l’employeur. Par ailleurs, et surtout, cette position pouvait se comprendre avant 2013 à cause de son inapplicabilité pratique qui aurait abouti à faire peser sur la CFE la charge financière en cas de faute inexcusable de l’employeur sans pouvoir se retourner contre lui.

En effet, avant 2013, l'article L. 452-2, alinéa 6, du Code de la Sécurité sociale prévoyait que la caisse qui versait au salarié victime une indemnité complémentaire en récupérait le montant auprès de l’employeur par l'imposition d'une cotisation complémentaire. Dans la mesure où l’affiliation à la CFE est volontaire et peut n’être supportée que par le salarié (sans cotisations patronales) la CFE n’aurait pas pu, dans de nombreux cas, se retourner contre l’employeur, ce dernier n’étant débiteur d’aucune cotisation, ou pouvant décider (sauf convention collective) de ne plus l’être.

C’est probablement la raison pour laquelle la quatrième chambre sociale de la cour d’appel de Montpellier (CA Montpellier, 18 avril 2007, n° RG 06/06994) concluait en 2007 au fait que la faute inexcusable de l’employeur ne pouvait être prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail, en raison de l’inexistence d’une assurance obligatoire d’accident du travail pour les salariés expatriés.

Depuis le décret du 8 janvier 2014 applicable au titre des majorations de rente et d'indemnités en capital ayant pris effet à compter du 1er avril 2013, la majoration de rente ou de capital versée à la victime par la caisse est récupérée sous la forme d’un capital auprès de l’employeur (ce qui a récemment été confirmé par la jurisprudence : Cass. civ. 2, 9 mai 2019, n° 18-14.515, F-P+B+I N° Lexbase : A0750ZBE ; Cass. civ. 2, 15 mars 2018, n° 17-10.877, F-P+B N° Lexbase : A2102XHC ; Cass. civ. 2, 28 mai 2020, n° 19-10.714, F-D N° Lexbase : A54093MB). Aujourd’hui, le fait que l’affiliation soit volontaire, sans qu’il y ait nécessairement de cotisations patronales, n’est plus, en soi, un obstacle à l’action récursoire de la caisse.

La cour d’appel de Rennes dont l’arrêt est cassé par le présent arrêt, considérait d’ailleurs que l’assurance, bien que volontaire, permettait d’étendre la couverture accidents du travail et maladies professionnelles à l’ensemble des dispositions du livre IV et ainsi permettre l’indemnisation de la faute inexcusable par la CFE qui dispose d’une action récursoire contre l’employeur.

Mais cette position allait au-delà de la lettre de l’article L. 762-8, alinéa 2 du Code de la Sécurité sociale. Celui-ci n’indique pas « l’assurance volontaire […] donne droit à l’ensemble des dispositions prévues par le livre IV » qui aurait permis d’appliquer l’ensemble du livre IV et notamment le titre V relatif à l’indemnisation de la faute inexcusable de l’employeur. L’article se contente de faire référence au « prestations » : « L'assurance volontaire accidents du travail et maladies professionnelles donne droit à l'ensemble des prestations prévues par le livre IV ». Les prestations sont visées par le Titre III uniquement qui ne mentionne pas les conséquences de la faute inexcusable.

La solution de la Cour de cassation résulte donc d’une application stricte des textes : l’ « indemnisation » de la faute inexcusable par la caisse n’est pas une « prestation » au sens du livre IV du code de la sécurité sociale.   L’affiliation à la CFE se faisant sur option, elle ne donne pas droit à l’application de la législation des accidents du travail et maladies professionnelles.

Le salarié expatrié, est-il pour autant, privé d’indemnisation complémentaire en cas de faute inexcusable de son employeur ? La position de la deuxième chambre civile vient confirmer la nécessité pour le salarié victime de solliciter la réparation de son préjudice au titre de la faute inexcusable de son employeur sur le fondement de la responsabilité contractuelle, ce qui vient probablement rendre moins favorable la couverture du salarié expatrié, même affilié à la CFE.

II. Le nécessaire recours à la responsabilité contractuelle de droit commun en cas de faute inexcusable : une protection du salarié expatrié moins favorable ?

A. En cas de faute inexcusable de son employeur : la nécessaire saisine de la juridiction prud’hommale, que le salarié expatrié soit ou non affilié à la CFE

La position de la cour d’appel de Rennes infirmée par la chambre civile permettait au salarié expatrié, s’il avait été affilié à la CFE, de bénéficier de la protection de la législation AT/MP prévoyant une majoration de la rente et l’indemnisation de ses préjudices en cas de faute inexcusable de l’employeur.

La position contraire de la deuxième chambre civile fait perdre au salarié expatrié le bénéfice de ce régime favorable permettant une automaticité de la réparation mais ne vient néanmoins pas réduire à néant la possibilité de bénéficier d’une indemnisation complémentaire en cas de faute inexcusable.

En effet, selon une jurisprudence constante, le salarié dont l’affection n’est pas prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail ou les maladies professionnelles, peut engager une action contre son employeur sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile contractuelle (Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 95-40.509 N° Lexbase : A3114ABX).

Dans une série d’arrêts du 28 février 2002 (Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-10.051, publié, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0806AYI), la Cour de cassation a posé le principe selon lequel l’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles (en l’espèce d’ailleurs liées à l’amiante comme dans la présente affaire).

On notera néanmoins que l’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne vient pas remettre en cause l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur, même lorsque le salarié est expatrié. On notera que l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur qui envoie un salarié à l’étranger lui impose notamment d’évaluer les risques politiques, criminels et sanitaires, d’informer son salarié des conditions de travail et de sa protection sociale (Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 11-11.374, FS-P+B N° Lexbase : A4366IBC). Une fois sur place, il doit continuer à tout mettre en œuvre pour assurer la sécurité de son salarié.

Une indemnisation reste donc possible en application de l’article L. 4121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8043LGY) selon lequel l’employeur doit prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. ». La responsabilité de l’employeur peut être engagée sur le fondement de son obligation de sécurité (sous réserve que le droit français soit applicable à la relation de travail).

C’est d’ailleurs ce qu’a jugé la Chambre sociale de la Cour de cassation en 2011 en reconnaissant la possibilité pour le salarié expatrié d’obtenir réparation du préjudice subi sur le fondement de la responsabilité contractuelle et de l’obligation de sécurité de l’employeur, lorsque l’affection n’est pas prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail ou les maladies professionnelles (Cass. soc., 7 décembre 2011, n° 10-22.875, FS-P+B+R N° Lexbase : A1882H4H).

B. En cas de faute inexcusable de son employeur, le salarié expatrié moins protégé que le salarié travaillant sur le sol français ?

Le salarié qui travaille sur le sol français et qui est victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle peut bénéficier d’une indemnisation automatique par la caisse de Sécurité sociale en application des article L. 452-2 (N° Lexbase : L7113IUY) et L. 452-3 (N° Lexbase : L5302ADQ) du Code de la Sécurité sociale, en cas de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité alors que celui-ci aurait dû avoir conscience du danger et qu’il n’a pas pris les dispositions nécessaires. Cette réparation est automatique mais en contrepartie est forfaitaire et limitée aux chefs de préjudices listés par le code : préjudice causé par les souffrances physiques et morales, préjudices esthétiques et d'agrément et préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Toutefois, compte tenu des réserves du Conseil constitutionnel en la matière (Cons. const., décision n° 2010-8 QPC, du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9572EZK), les juridictions de Sécurité sociale devraient avoir tendance à réparer l’ensemble des dommages subis même si la réparation intégrale n’est pas affirmée.

En étant contraint d’aller sur le terrain de la responsabilité contractuelle en saisissant la juridiction prud’homale sur le fondement de l’obligation de sécurité de son employeur, le salarié expatrié perd le bénéfice de l’indemnisation automatique. Par ailleurs, il peut être confronté à l’insolvabilité de son employeur et celui-ci pourrait s’exonérer de sa responsabilité (ou à tout le moins en invoquer le partage) en cas de faute du salarié victime (Cass. soc., 7 décembre 2011, n° 10-22.875, FS-P+B+R N° Lexbase : A1882H4H). Le régime de la faute inexcusable dont ne bénéficie pas le salarié expatrié selon cet arrêt du 16 juillet 2020 aurait pourtant été plus favorable puisque la faute de la victime ne peut pas exonérer l’employeur de sa responsabilité mais seulement réduire la majoration de la rente versée et il doit s’agir d’une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience (Ass. plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038 N° Lexbase : A8502DIQ).

newsid:474447

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus