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par Marie Le Guerroué et Adélaïde Léon
le 03 Septembre 2020
Mots-clefs : attentats • janvier 2015 • terrorisme • cour d'assises spéciale • enregistrement des audiences • archives de la justice
Le procès historique des attentats de janvier 2015 s’est ouvert ce mercredi 2 septembre et devrait se tenir jusqu’au 10 novembre 2020. La nature et l’ampleur des faits, les enjeux juridiques et le dispositif mis en place autour de ces audiences sont autant de points inédits sur lesquels il est important de revenir alors que la cour d’assises spéciale s’apprête à juger ces évènements douloureux qui ont durablement marqué la France.
Quels sont les faits jugés ?
Les faits qui seront jugés depuis le mercredi 2 septembre sont ceux qui se sont déroulés les 7, 8 et 9 janvier 2015 respectivement dans les locaux du journal Charlie Hebdo (Paris), à Montrouge (Haut de Seine), Villers-Cotterêts (Aisne), Dammartin-en-Goël (Seine-et-Marne), Montagny-Saint-Félicité (Oise) et à l’Hypercacher de la porte de Vincennes (Paris) et au cours desquels dix-sept personnes ont été tuées et vingt autres blessées.
Le 7 janvier 2015, deux individus se rendent au 10, rue Nicolas Appart à Paris, dans l’immeuble abritant la rédaction de Charlie Hebdo et tuent dix personnes. Ils quittent ensuite les lieux en voiture. Quelques minutes plus tard, au cours d’une fusillade avec les forces de l’ordre rue Richard Lenoir, ils tuent un policier. Après une collision avec une autre voiture place du Colonel Fabien, ils braquent un automobiliste et lui vole son véhicule.
Le 8 janvier 2015, un homme abat une policière municipale à Montrouge et blesse un chef d’équipe voirie-propreté. Le même jour, deux individus, identifiés comme les auteurs des attaques du 7 janvier, commettent un vol à main armée à la station-service AVIA de Villers-Cotterêts (Aisne).
Le 9 janvier 2015, les auteurs présumés des tirs au sein de la rédaction de Charlie Hebdo volent, à nouveau sous la menace d’une arme, un véhicule à Montagny-Saint-Félicité (Oise). Ils se rendent ensuite dans une imprimerie à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne) et prennent en otage son gérant. Ils seront ensuite localisés par les forces de l’ordre et abattus par ces dernières après avoir ouvert le feu.
Le même jour, l’auteur présumé du meurtre de Montrouge pénètre dans le magasin Hypercacher de la porte de Vincennes à Paris, tue quatre personnes et en prend dix-sept autres en otage. Il sera abattu par les forces spéciales quelques heures plus tard.
Qui sont les prévenus ?
Les quatorze personnes renvoyées devant la cour d’assises de Paris sont soupçonnées d’avoir contribué, à des degrés divers, à la logistique des attaques perpétrées les 7, 8 et 9 janvier 2015.
Onze prévenus, dix placés en détention provisoire et un sous contrôle judiciaire, devraient comparaître lors de ce procès. Les trois derniers, visés par un mandat d’arrêt, seront quant à eux jugés par défaut. Leur mort, évoquée à de nombreuses reprises n’a toutefois jamais été confirmée.
Quels sont les chefs d’accusation retenus à l’encontre des prévenus et les peines encourues ?
Deux des accusés, l’un en détention provisoire et l’autre visé par un mandat d’arrêt, sont notamment renvoyés pour complicité de crimes terroristes. Ils encourent tous deux la réclusion criminelle à perpétuité (C. pén., art. 421-1 et s. N° Lexbase : L8959K8C).
Les autres détenus ont, pour la grande majorité, été renvoyés pour « participation à une association de malfaiteur terroriste criminelle » et encourent de ce fait une peine de vingt ans de réclusion criminelle (C. pén., art. 421-6 N° Lexbase : L4481K9T).
Le seul prévenu à comparaître libre à quant à lui été renvoyé pour « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation de crimes de droit commun sans caractère terroriste » (C. pén., art. 450-1 N° Lexbase : L1964AMP). La qualification terroriste n’a en effet pas été retenue à son encontre. Il encourt une peine de dix ans de prison.
Devant quelle formation ce procès se tiendra-t-il ?
Les faits ci-dessus exposés seront jugés par la cour d’assises spéciale de Paris laquelle est compétente en matière de terrorisme (C. proc. pén., art. 706-25 N° Lexbase : L7566LPW) mais également de trafic de stupéfiants (C. proc. pén., art. 706-27 et s. N° Lexbase : L4109AZ9), de trahison, d’espionnage et d’atteinte à la défense nationale (C. proc. pén., art. 702 N° Lexbase : L0574LTG), de prolifération d’armes de destruction massive (C. proc. pén., art. 706-167 et s. N° Lexbase : L7445IPG) et de certains crimes de droit commun commis par des militaires impliquant un risque de divulgation d’un secret de la défense nationale (C. proc. pén., art. 698-7 N° Lexbase : L4071AZS).
Contrairement aux cours d’assises « classiques », elle a la particularité de n’être composée que de magistrats professionnels. Aucun jury n’intervient donc dans le cadre du procès.
En réaction à la recrudescence d’affaires criminelles en matière de terrorisme, le nombre de magistrats composant cette cour a été réduit pas la loi n° 2017-258 du 28 février 2017, relative à la sécurité publique (N° Lexbase : L0527LDU). En modifiant l’article 698-6 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7524LPD), ce texte a réduit le nombre d’assesseurs de six à quatre en première instance et de huit à six en appel.
Aujourd’hui, la cour d’assises spéciale est donc composée d’un président et de quatre ou huit assesseurs selon si elle statue en première instance ou en appel. Ce procès sera présidé par Régis de Jorna, premier président de chambre à la cour d’appel de Paris.
Le ministère public sera quant à lui représenté par les avocats généraux Jean-Michel Bourles, procureur de la République antiterroriste adjoint ainsi que Julie Holveck, vice-procureur de la République antiterroriste.
Pourquoi s’agit-il d’un procès hors normes ?
Contrairement au procès des attentats du Bataclan qui se déroulera en janvier prochain au Palais de justice de Paris sur l’île de la Cité (une structure spécifique dédiée est actuellement en construction dans la salle des pas perdus), le procès des attentats de Charlie Hebdo se déroule dans le nouveau tribunal judiciaire de Paris, porte de Clichy.
Au-delà du caractère spécial de la formation qui aura à juger ces faits, il s’agit d’un procès hors normes à plusieurs titres. D’abord, en raison de sa durée. Le procès se déroulera, en effet, sur une période de 50 jours, du 2 septembre au 10 novembre 2020. Ensuite, en raison du nombre de ses protagonistes : 14 accusés, 94 avocats, 200 parties civiles, 144 témoins et 14 experts.
Le contexte sanitaire ajoute aussi des difficultés pratiques. Toutes les personnes présentes devront porter un masque.
Ce procès revêt également une dimension historique puisqu’il concerne des attaques qui ont durablement marquées les français et qui ont été parmi les premières d’une série d'actions terroristes dirigées contre la France durant cette même année 2015.
Pourquoi le procès est-il filmé ?
En principe, depuis la loi de 1881 sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW), il est interdit de filmer ou d’enregistrer les audiences. La loi n° 85-699 du 11 juillet 1985 tendant à la constitution d'archives audiovisuelles de la Justice (N° Lexbase : C29607BA) a toutefois tempéré cette interdiction en autorisant la captation lorsque le procès « présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice » (C. patr., articles L. 221-1 et s. N° Lexbase : L6883DYL). Ont ainsi été filmés pour leur dimension historique : le procès de Klaus Barbie en 1987, « du sang contaminé » en 1992 et 1993, de Paul Touvier en 1994, de Maurice Papon en 1998, d’AZF en 2009 et en 2011/2012 et le procès Pinochet en 2010.
À la demande du Parquet national antiterroriste (PNAT), la cour d’appel a accepté que le procès des attentats de janvier 2015 soit intégralement filmé pour devenir lui aussi un témoignage de l’Histoire. Une première s’agissant d’ un procès pour terrorisme en France. La cour a souligné que les événements avaient « profondément marqué l’histoire du terrorisme national et international » et engendré un retentissement et une émotion qui « ont largement dépassé les frontières en raison des symboles visés : la liberté de la presse, l’État et ses représentants ainsi que la communauté juive ». La cour a également précisé que l’enregistrement vidéo se ferait à partir de points fixes dans la salle d’audience et « dans des conditions ne portant atteinte, ni au bon déroulement des débats, ni au libre exercice des droits de la défense » [1]. À noter, que l'enregistrement audiovisuel sera communicable à des fins historiques ou scientifiques dès que l'instance aura pris fin et que la décision sera devenue définitive.
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