La lettre juridique n°834 du 3 septembre 2020 : Harcèlement

[Jurisprudence] Harcèlement sexuel : jurisprudence estivale

Réf. : Cass. soc. 8 juillet 2020, n° 18-23.410 (N° Lexbase : A10413RY) et n° 18-24.320 (N° Lexbase : A12673RD), FS-P+B

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par Patrice Adam, Professeur à l’Université de Lorraine

le 02 Septembre 2020

 


Il résulte des dispositions des articles L. 1153-1 (N° Lexbase : L8840ITL) et L. 1154-1 (N° Lexbase : L6799K9P) du Code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement sexuel, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement (espèces n° 1 et n° 2). L'obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P) et des agissements de harcèlement sexuel instituée par l'article L. 1153-1 du même code et ne se confond pas avec elle (espèce n° 2).


Deux arrêts (publiés) rendus, le 8 juillet 2020, par la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans le champ du harcèlement sexuel au travail, méritent ici de retenir l’attention. Dans l’affaire « Alutil » (n° 18-23.410), deux salariés, licenciés (en mars 2014) pour faute grave pour avoir subtilisé le matériel de l’entreprise (deux garde-corps aluminium vitrés fabriqués par l’un, chef d’atelier, à la demande de l’autre, opératrice de saisie-accueil), sollicitent, entre autres demandes, la nullité de l’acte de rupture de leur contrat de travail. La première soutient avoir été victime de harcèlement sexuel ; le second, avoir été, en réalité, licencié au motif (caché) qu’il a relaté le harcèlement subi par sa collègue et complice du détournement de matériel dont il lui est fait « officiellement » grief. Dans la seconde décision, « AG2R Réunica » (n° 18-24.320), une salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail (en septembre 2015), imputant à son employeur un harcèlement sexuel, et saisi, un mois plus tard, la juridiction prud'homale aux fins de voir juger que sa prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul. Elle sollicite, par ailleurs, des dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat.

Dans ces deux affaires, les juges du second degré ont repoussé, sans ménagement, les prétentions des salariés. A tort, dans la première espèce ; à tort et à raison dans la seconde, selon la Chambre sociale de la Cour de cassation. Si ces deux arrêts n’apportent aucun bouleversement à l’état du droit, ni même aucune véritable innovation, ils n’en restent pas moins dignes d’intérêt. La Haute juridiction énonce d’abord -sans surprise- que la méthode probatoire qu’elle a initialement ciselée en matière de harcèlement moral trouve pleinement à s’appliquer sur les terres du harcèlement sexuel (I).  Ensuite, elle réaffirme, avec force, que l'obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements harcelants (II). Enfin, elle offre une illustration, qui n’est pas si fréquente, de l’exigence d’exactitude de la cause du licenciement dans l’appréciation judiciaire de sa légitimité/validité (III).

I. Harcèlement sexuel : méthode probatoire

Sur le terrain probatoire, la position adoptée par la Chambre sociale peut être présentée en deux points. Le premier concerne la méthode que doit suivre le juge du contrat de travail pour caractériser une situation de harcèlement sexuel (A). Le second est relatif au contrôle qu’exerce la Cour de cassation sur le bon usage de cette méthode par les juges du fond (B).

A. Règles de méthode (probatoire)

Cette méthode est strictement -et logiquement [1]- identique à celle qui s’applique dans le champ du harcèlement moral.

D’abord, « il résulte [des articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du Code du travail] que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement sexuel, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ». C’est dire que le juge doit examiner l’ensemble des faits avancés par le salarié et s’en saisir, pour ceux bien évidemment qui sont avérés, dans leur ensemble. Voilà qui interdit au juge social de « saucissonner » son appréciation des faits dont la réalité a été établie. Les apprécier « dans leur ensemble » signifie que le juge doit chercher si ces faits, qui pris indépendamment les uns des autres peuvent paraitre anodins, bénins ou insignifiants, ne caractérisent pas un système, un processus attentatoire à la dignité de celui qui les subit. L’opération attendue du juge n’est pas une addition au sens des mathématique linéaires (où le cumul de signaux faibles produirait un signal fort ; 1+1 = 2) mais bien plutôt une équation, reprise par la systémique et selon laquelle « le tout est supérieur à la somme des parties » (1+1 = 3), rendue vraie par un effet de synergie (chaque fait entre en écho avec les autres faits et produit un résultat qui n’est pas réductible à leur seule addition). Ensuite, « dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ». Si dans la première phase probatoire, l’employeur peut discuter de la réalité des faits avancés par le salarié, dans la seconde -si elle s’ouvre, i.e. si le salarié a préalablement réussi à tisser un voile d’apparence-, il lui revient de donner à voir les raisons des comportement ou actes dont il lui est fait reproche et de convaincre le juge qu’elles ne relèvent en rien d’un processus harcelant. Démonstration dont on peine un peu à saisir comment il pourrait concrètement fonctionner dans le champ du harcèlement sexuel, surtout lorsque « l’apparence » suffit à caractériser l’intention harcelante comme c’est le cas pour le « harcèlement sexuel assimilé » (C. trav., art. L. 1153-1, 2°). L’espace ouvert à la justification patronale semble bien réduit (à tout le moins, bien plus qu’en matière de harcèlement moral).

Dans les affaires « Alutil » et « AG2R Réunica », les débats ne se sont noués qu’autour de la première étape de cette démarche probatoire. Dans la première : « pour dire que la salariée n’a pas subi de harcèlement sexuel et la débouter de ses demandes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel et au titre de la nullité du licenciement et des indemnités afférentes, l’arrêt [d’appel] retient que les éléments présentés par l’intéressée, considérés dans leur ensemble, s'ils constituent un comportement inadapté sur le lieu de travail, ne laissent pas présumer l’existence d'un harcèlement sexuel ». Décision des juges du second degré censurée par la Haute juridction pour manque de base légale. En effet, « en se déterminant ainsi, alors que la salariée soutenait que son supérieur hiérarchique avait reconnu avoir été entreprenant à son égard et que l'employeur avait sanctionné ce dernier par un avertissement pour comportement inapproprié vis à vis de sa subordonnée, la cour d'appel, n’a pas pris en considération tous les éléments présentés par la salariée ». A vrai dire, ce n’est pas tant l’absence de prise en considération de ces éléments que semble vilipender la Cour de cassation que le peu de considération montrée à leur égard par le juge d’appel ! Où l’on croit percevoir que s’ils avaient été justement pris en compte, ces éléments auraient dû conduire les juges du fond à basculer du « comportement inadapté » au harcèlement sexuel…

Dans la seconde, pour rejeter le moyen du salarié, la Cour de cassation souligne que « la cour d'appel, par une appréciation souveraine des éléments de preuve et de fait qui lui étaient soumis, a, d'une part, constaté que certains des éléments de fait invoqués par la salariée comme étant susceptibles de constituer un harcèlement sexuel n'étaient pas établis et, d'autre part, estimé, sans dénaturation et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du Code du travail, s'agissant des autres faits qu'elle a examinés dans leur ensemble, qu'ils ne permettaient pas de présumer l'existence d'un harcèlement sexuel ». Si le salarié n’a point à prouver le harcèlement, il lui faut néanmoins convaincre le juge (lors de la première phase probatoire) que la situation qu’il dénonce est possiblement harcelante. Mais cette apparence doit trouver de solides étaies sur des faits dont la réalité est avérée. Et la charge d’en livrer démonstration pèse sur le salarié. Il ne peut se contenter de simples allégations… Ce n’est donc que sur l’ensemble des faits établis que le juge peut apprécier la situation qui lui est soumise. 

B. Contrôle de la Cour de cassation

Dans son arrêt du 8 juin 2016 (n° 14-13.418), la Cour de cassation a abandonné le contrôle de la qualification de harcèlement moral qu’elle avait repris en main quelques années plus tôt [2]. Cette position de repli allait-elle être étendue au cas du harcèlement sexuel ? L’esprit rechignait à ne point l’admettre. Pourquoi traiter différemment le harcèlement sexuel et le harcèlement moral ? De l’opportunité d’une approche identique, il était cependant des raisons légitimes de douter. C’est que le changement de cap jurisprudentiel opéré en juin 2016 reposait sur deux principales raisons. La première : la difficulté, sinon la gêne, pour la Cour de cassation de se saisir d’un contentieux massif où la qualification de harcèlement moral procède essentiellement d’appréciations d’ordre factuel dont les juges du fond sont les mieux à même de connaître. La seconde : pendant huit ans, la Haute juridiction a livré d’importantes directives d’interprétation de l’article L. 1152-1 du Code du travail. Aussi, maintenant que, dans les herbes folles d’une évanescente définition légale du harcèlement moral, le chemin était tracé, il était possible de redonner la main aux juges du fond qui ne risquaient plus de s’égarer. La voie était balisée [3].  

Dans le champ du harcèlement sexuel, la situation semblait bien différente. Le nombre d’informations factuelles à traiter y est, en général, moins important (l’exigence d’une connotation sexuelle des actes dénoncés en limite souvent le nombre) ; le contentieux social du harcèlement sexuel, relativement faible, est également sans commune mesure avec celui du harcèlement moral ; enfin, et peut-être surtout, la définition rénovée par la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 (N° Lexbase : L8784ITI) n’avait point encore donné lieu à de précises directives d’interprétation de la part des Hauts magistrats. Abandonner aux juges du fond la qualification de harcèlement sexuel pouvait donc faire craindre, au regard du large champ interprétatif ouvert par le texte de l’article L. 1153-1 du Code du travail, un éparpillement des solutions adoptées dans les forges du contentieux.

Reste que ces dissemblances n’ont pas parue suffisantes, ou suffisamment pertinentes, à la Cour de cassation pour maintenir (encore un temps) son contrôle sur la qualification de harcèlement sexuel.  Comme pour le harcèlement moral, « le juge [du fond] apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement ». Il faut tout de même souligner qu’en se défaisant du contrôle de qualification au profit des juges du fond, la Cour de cassation ne renonce pas à tout contrôle sur leur décision (au-delà du « contrôle disciplinaire » dont elle ne se peut se délester). D’abord, elle continue d’exercer son contrôle sur l’interprétation de la loi logée dans la décision qui lui est déférée. Cet office-là, traditionnel, n’est pas remis en cause. La Cour de cassation continuera de censurer les lectures hasardeuses de l’article L. 1153-1 du Code du travail. Ensuite, la liberté d’appréciation concédée aux juges du fond suppose que ces derniers respectent scrupuleusement la méthode probatoire que leur impose de suivre la Cour de cassation et sur laquelle elle maintient un ferme contrôle (les juges du fond apprécient souverainement en revanche les éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis [4]).

II. Harcèlement sexuel et obligation de prévention

« L'obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du Code du travail et des agissements de harcèlement sexuel instituée par l'article L. 1153-1 du même code et ne se confond pas avec elle ». Rendu au visa des articles L. 4121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8043LGY) (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7627LGL) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L6801K9R) du même code (dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 N° Lexbase : L8436K9C), la solution -ciselée dans des arrêts plus anciens [5]- posée par l’arrêt « AG2R Réunica » ne devrait en rien être affectée par les modifications apportées aux énoncés législatifs qui la fondent. Sur le fondement de cette distinction, la Chambre sociale de la Cour de cassation assoit deux solutions. Si la première, relative au devoir d’enquête de l’employeur, n’est pas contestable (A), la seconde, attachée à l’indemnisation du (des) préjudice(s) subi(s) par le salarié, semble plus critiquable (B).

A. Le devoir d’enquête de l’employeur

La distinction ainsi opérée entre obligation de prévention et prohibition des agissements harcelants a déjà permis de juger que l’employeur peut voir sa responsabilité engagée pour ne pas avoir diligenté une enquête sur des faits possibles de harcèlement quand bien même il s’avérerait ultérieurement qu’aucun des faits dénoncés n’est avéré [6]. Solution parfaitement logique. Dans ce cas particulier, l’impératif de prévention qui pèse sur l’employeur lui fait obligation de mettre fin le plus rapidement possible à la situation de harcèlement rapportée. Mais cette nécessité d’y mettre un terme suppose que des agissements répréhensibles aient été préalablement caractérisés, ce qui suppose que l’employeur mène de sérieuses investigations (plus ou moins longues, plus ou moins difficiles).  Il ne peut prétendre avoir correctement rempli son obligation de prévention, si, n’ayant point mené d’enquête, il ne compte que sur la providence, ou sa bonne fortune, pour, a posteriori, justifier son inaction. L’absence de harcèlement avéré ne légitime pas, après coup, son inaction, puisque en restant passif, l’employeur a pris le risque de laisser l’un de ses salariés subir un processus harcelant. Reste évidemment à identifier, mais c’est là un autre problème, le dommage (et les préjudices qui lui sont liés) dont le salarié peut demander réparation.

Dans l’affaire « AG2R Réunica », pour débouter la salariée (ayant pris acte de la rupture de son contrat de travail) de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, les juges d’appel ont retenu que « dès lors que les seules déclarations de la salariée ne sont pas suffisantes pour établir des faits permettant de présumer l'existence du harcèlement sexuel et que celle-ci n'établit pas l'existence de faits qui, pris dans leur ensemble, seraient de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son égard, il n'y a pas lieu d'examiner si un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est à l'origine de ce harcèlement sexuel et moral invoqué ». Position qui ne pouvait qu’être infirmée au regard de la distinction, mise en règle, ci-dessus énoncée.

Si la solution ici retenue s’imposait, il en est une autre que la Chambre sociale rattache à cette règle de distinction qui semble bien plus critiquable.

B. L’indemnisation du (des) préjudice(s) du salarié

Elle juge en effet que « les obligations résultant des articles L. 1153-1 et L. 1153-5 du Code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne des préjudices distincts, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques ». Initiée en matière de harcèlement moral [7], la solution a été étendue cinq ans plus tard au harcèlement sexuel [8]. Reste que si cette jurisprudence avait sa cohérence en 2012, elle semble l’avoir perdue aujourd’hui.  C’est que désormais l’employeur ne peut voir sa responsabilité engagée que s’il n’a pas mis en œuvre toutes les mesures de préventions nécessaires pour éviter la situation de harcèlement (moral ou sexuel) [9]. La seule caractérisation d’un harcèlement ne permettra donc pas -plus- de lui en faire systématiquement reproche (à supposer, évidemment, qu’il n’en soit pas l’auteur !), ou à tout le moins de lui en imputer la responsabilité. Il faudra nécessairement pour que ce reproche soit justifié qu’une faute de prévention puisse lui être attribuée. Mais, ce faisant, les obligations supportées par les articles L. 1152-1 et L. 1153-1 n’ont d’autre signification que celle d’une obligation de prévention (« de résultat », si l’on veut vraiment user de ce vocabulaire emprunté au droit des obligations contractuelles). Pour le dire encore autrement, dès lors qu’un harcèlement moral ou sexuel est établi, la seule question qui se pose est de savoir si l’employeur a, ou non, correctement exécuté son obligation de prévention. En fait, la jurisprudence de la Cour de cassation, en distinguant, l’obligation assise sur l’article L. 1153-1 (ou L. 1152-1) du Code du travail et celle que signifient les articles L. 4121-1 et suivants du même code, dessine, sur un même plan, deux cercles totalement séparés, dont aucun des points ne se touchent. Bancale géométrie, pensons-nous. Il serait bien plus juste de considérer que ces deux cercles sont, en réalité, concentriques, celui qui désigne l’obligation de sécurité (cercle A) ayant ici le diamètre le plus grand. Ce type de représentation exprimerait les solutions suivantes :

  • l’absence de harcèlement n’exclut pas la faute de prévention de l’employeur (où l’on retrouve l’hypothèse d’une absence fautive d’enquête) ;
  • l’existence d’un harcèlement ne permet d’engager la responsabilité de l’employeur que s’il a commis une faute de prévention (position qui implique de considérer que la survenance d’une situation harcelante ne caractérise pas, en soi, une telle faute et qu’elle ne permet d’aucune manière de la présumer).

Représentation qui exclut donc que le salarié, victime de harcèlement, puisse exiger une double indemnisation. Le problème n’est pas de rapporter la preuve de préjudices distincts, mais tout simplement l’absence en réalité d’obligations distinctes !

III. Harcèlement sexuel et cause exacte de licenciement

Si, lors d’un contentieux relatif à la légitimité de son licenciement, il est courant que le salarié conteste la réalité -l’existence- des griefs qui lui sont imputés, il est bien moins fréquent [10] qu’il en discute l’exactitude [11]. Posture qui le conduit à soutenir que le motif mis en avant dans la lettre de licenciement n’est pas la véritable cause de la rupture ; qu’il n’en est que le prétexte, le simple paravent d’une raison inavouée parce qu’inavouable. C’est là l’argument avancé par l’un des salariés licenciés pour avoir subtilisé le matériel de l’entreprise dans l’affaire « Alutil ». A l’en croire, son licenciement constituait, en réalité, une mesure de représailles prononcée en réaction au refus opposé par sa collègue aux avances de son supérieur hiérarchique et au soutien qu’il lui a apporté. Soulevé par le salarié dans ses conclusions, il incombait aux juges du fond de répondre, de façon motivée, à l’argument (CPC, art. 455 N° Lexbase : L6565H7B). Faute de l’avoir fait, la Cour de cassation censure leur décision. La cour d’appel de renvoi devra donc examiner avec soin l’éventuelle inexactitude du motif de licenciement. Et si sa preuve est toujours difficile, la chronologie des évènements ou la proximité temporelle entre le soutien du salarié et son licenciement pourra l’aider à se forger solide conviction.

👉 Quel enseignement pratique tirer de ces arrêts ?

Il en est un très fort : face à une situation potentielle de harcèlement, l’employeur doit immédiatement agir, réagir et prendre toutes les mesures de précautions qui s’imposent (en premier lieu, lancer une enquête sérieuse !). En aucun cas, ne doit-il compter sur sa « bonne fortune » (l’absence avérée de harcèlement) pour tenter, a posteriori, de justifier sa coupable passivité.


[1] Les dispositions de l’article L. 1154-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6799K9P) sont communes aux harcèlement moral et sexuel.

[2] Cass. soc. 24 septembre 2008, n° 06-45.747, n° 06-45794, n° 06-45.579 et n°06-43504, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4540EAE).

[3] P. Adam, Harcèlement moral et contrôle de qualification. Nouveau régime de "liberté surveillée", SSL, 13 juin 2016, n° 1727, p. 5.

[4] Cass. soc., 10 mai 2016, n° 15-10.467 (N° Lexbase : A0765RPZ) et n° 14-27.216, n° 14-27.216, F-D (N° Lexbase : A0701RPN) ; Cass. soc., 7 avril 2016, n° 15-13.258, F-D (N° Lexbase : A1640RCQ) ; Cass. soc., 11 février 2016, n° 15-14.092, F-D (N° Lexbase : A0341PL9) ; une formule alternative : les juge du fond apprécient souverainement « la valeur et la portée des éléments de fait et de preuve » qui leur sont soumis (Cass. soc., 7 avril 2016, n° 14-23.705, F-D N° Lexbase : A1501RCL ; Cass. soc., 16 mars 2016, n° 14-26.207, F-D N° Lexbase : A3603Q8X).

[5] Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-27.694, FS-P+B (N° Lexbase : A3825INY) : « les obligations résultant des articles L. 1152-4 et L. 1152-1 du Code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne des préjudices différents, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques » ; Cass. soc., 3 mars 2015, n° 13-23.521, FS-P+B (N° Lexbase : A9009NCN) ; Cass. soc., 17 mai 2017, n° 15-19.300, FS-P+B (N° Lexbase : A4797WDZ) ; Cass. soc., 12 avril 2018, n° 16-29.072, F-D (N° Lexbase : A1472XL4) ; Cass. soc., 20 juin 2018, n° 16-27.915, F-D (N° Lexbase : A8627XTP) ; Cass. soc., 17 octobre 2018, n° 17-21.689, F-D (N° Lexbase : A9820YGS) ; V. aussi, Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-27.028, FS-D (N° Lexbase : A2484MIT).

[6] Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 18-10.551, FP-P+B (N° Lexbase : A3486Z4U).

[7] Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-27.694, FS-P+B (N° Lexbase : A3825INY), Droit social, 2012, 845, obs. Ch. Radé.

[8] Cass. soc., 17 mai 2017, n° 15-19.300, FS-P+B (N° Lexbase : A4797WDZ), RDT, 2017, 548, nos obs..

[9] Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2663RR3) : « Attendu que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ».

[10] Cass. soc., 6 avril 2011, n° 09-66.818, FS-P+B (N° Lexbase : A3516HNK) ; V. aussi, Cass. soc., 23 octobre 1991, n° 88-44.099 (N° Lexbase : A4500ABB) ; Cass. soc., 9 juin 1998, n° 96-40.390 (N° Lexbase : A5591AC3).

[11] « L’exactitude de la cause est souvent confondue avec l’existence de la cause » (G. Auzero, D. Baugard, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz 2020, 33ème éd., p. 580).

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