La lettre juridique n°834 du 3 septembre 2020 : Avocats/Procédure pénale

[Jurisprudence] De l’arbitraire du magistrat qui perquisitionne à l’excès de pouvoir du JLD

Réf. : Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 19-85.491, F-P+B+I (N° Lexbase : A71553Q3)

Lecture: 30 min

N4317BYK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] De l’arbitraire du magistrat qui perquisitionne à l’excès de pouvoir du JLD. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/60143294-jurisprudencedelarbitrairedumagistratquiperquisitionnealexcesdepouvoirdujld
Copier

par Vincent Nioré, Avocat au Barreau de Paris

le 02 Septembre 2020

Mots-clefs : Jurisprudence • Commentaire • Perquisition • Cabinet d'avocat • Décision • Motivation 


 

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu une décision qui revêt une importance particulière en matière de contestation par le Bâtonnier ou son délégué de saisies opérées par un magistrat instructeur en cabinet d’avocat.

Elle concerne l’exigence de motivation de la décision de perquisition. Les magistrats instructeurs comme ceux du Parquet ne peuvent plus perquisitionner en s’abstenant de motiver ou en exposant n’importe quel motif de perquisition. Le risque encouru par eux est celui de l’excès de pouvoir du juge des libertés et de la détention (JLD) qui a pour socle celui du magistrat qui perquisitionne factuellement en excès voire en détournement de ses pouvoirs.

Par arrêt du 8 juillet 2020 (arrêt commenté) sur le recours en excès de pouvoirs de l’avocat perquisitionné contre l’ordonnance de validation des saisies rendue par le JLD, elle juge, comme elle l’avait fait le 9 février 2016, que : « Il résulte des articles 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4798AQR) et 56-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0488LTA) que les perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées, par un magistrat et en présence du Bâtonnier ou de son délégué, qu’à la suite d’une décision écrite et motivée prise par le magistrat, qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du Bâtonnier ou de son délégué. L’absence dans la décision des motifs justifiant la perquisition et décrivant l’objet de celle-ci, qui prive le Bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l’information qui lui est réservée et qui interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le juge des libertés et de la détention éventuellement saisi d’une contestation, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l’avocat concerné. Excède en conséquence ses pouvoirs le juge des libertés et de la détention qui ordonne le versement au dossier de l’information de documents saisis au cours de cette perquisition irrégulièrement menée ».

La recherche de la manifestation de la vérité ne peut avoir ses racines ni dans le mensonge fût-il par omission ni dans le sophisme encore moins dans la version imagée ou orientée à charge voire sophistiquée d’un fait au soutien d’une mesure intrusive chez un avocat au mépris du secret professionnel.

Un magistrat instructeur a récemment reconnu que lors de l’audience de contestation devant le JLD, il lui arrivait de faire dans la « surenchère… pour sauver des pièces, on tient des propos qui parfois sont dans la surenchère » pour pallier son impossibilité de démontrer avant la perquisition l’existence d’indices de la participation de l’avocat à la commission d’une infraction soutenant que le Bâtonnier de Paris ou son délégué plaçaient « la barre très haut » au plan de l’exigence de démonstration de l’existence antérieure à la perquisition d’indices contre l’avocat lui-même.

L’idée étant pour certains magistrats de s’affranchir contra legem de l’exigence de motivation par la force de l’invocation de l’incrimination répétée à l’envi jusqu’à la provocation pour qu’il en reste toujours quelque chose d’afflictif et d’infamant sur l’avocat au mépris de la règle de droit. A titre anecdotique, dans un autre registre mais évocateur, un juge d’instruction avait lancé à l’adresse du délégué du Bâtonnier en pleine perquisition « Maître ! Vous nous fatiguez avec votre jurisprudence » en l’occurrence celle invoquée de la Chambre criminelle qui interdit à peine de nullité d’interroger au fond la personne perquisitionnée hors la présence de son conseil non prévue en l’état en cette circonstance par les textes.

C’était pourtant l’exigence jurisprudentielle tant de la Chambre criminelle que de celle du JLD.

Force au droit de contester pour se défendre en assurant la « prééminence du droit » au sens où l’entend la CEDH.

C’est donc sous l’angle de l’excès de pouvoir du JLD qui valide une saisie en l’état d’une ordonnance de perquisition non motivée elle-même en excès de pouvoir que statue la Chambre criminelle. Sur ce point, c’est sur le recours en excès de pouvoir que se prononce la Cour de cassation.

L’ordonnance du JLD rejetait la contestation du Bâtonnier au prix d’un excès de pouvoir. Cette ordonnance est mentionnée au texte de l’article 56-1 du Code de procédure pénale comme « non susceptible de recours » sauf la réserve de l’excès de pouvoir. Le seul fait pour le JLD de statuer par le rejet de la contestation en l’état d’une décision de perquisition non motivée suffit à marquer cet excès.

L’Ordre ne s’était pas associé à ce recours intenté par l’avocat perquisitionné certes en l’état des réserves du Bâtonnier qui contenaient une référence exhaustive à l’arrêt du 8 janvier 2013 qui définit le Bâtonnier comme un auxiliaire de justice en charge d’une mission de protection des droits de la défense et, à celui du 9 février 2016, qui réaffirme la qualité de protecteur des droits de la défense du Bâtonnier et fait droit à la requête en nullité des opérations de perquisition faute de motivation portée par l’avocat perquisitionné puis mis en examen. Résumons les solutions dégagées par la Chambre criminelle.

Un avocat perquisitionné avait entrepris de saisir la Cour suprême d’un recours en excès de pouvoir seul recours possible contre l’ordonnance du JLD en cette matière qui exclut toute autre voie de recours dans le sillage de la contestation du délégué du Bâtonnier finalement rejetée.

Les dispositions de l’article 56-1 alinéa 4 du Code de procédure pénale prévoient que le JLD statue sur la contestation par « ordonnance motivée non susceptible de recours ».

La perquisition avait été pratiquée par un magistrat instructeur dont le dessaisissement avait été demandé par le même avocat dans un autre dossier d’importance au profit d’un juge d’instruction parisien. C’est donc le cabinet de ce même confrère qui était perquisitionné par ce même magistrat dans une affaire autre que celle du dessaisissement et concernant les conditions d’un appel d’offres au profit du cabinet avec un client de droit public ce que rappelle la Cour de cassation en rejetant le pourvoi sur ce point de contestation de l’impartialité subjective au motif que « le JLD n’étant pas le juge de la récusation ».

La Chambre criminelle rejette l’argument de l’impartialité subjective en estimant que « Il ne peut être reproché au juge des libertés et de la détention d’avoir commis un excès de pouvoir en ordonnant le versement, au dossier de l’information, de documents saisis par le juge d’instruction au cabinet de la demanderesse au pourvoi, avocat au barreau de Paris, malgré un conflit qui opposerait ce juge d’instruction à un associé de cet avocat, exerçant dans le même cabinet, qui aurait mis en cause l’inaction de ce juge d’instruction dans la conduite d’une information, dans une affaire distincte. En effet, chargé de statuer sur les contestations élevées à l’occasion de la saisie de documents, effectuée lors d’une perquisition pratiquée par le juge d’instruction dans un cabinet d’avocat, le juge des libertés et de la détention n’est pas juge de la récusation du juge d’instruction. Le grief ne peut donc être admis ».

Au plan des apparences, il semblait légitime de penser que l’heure était à la « perquisition/vendetta » venue troubler la « sérénité » annoncée de temps à autre par la Conférence des procureurs généraux comme indispensable à l’équilibre des forces au sein de la sacro-sainte famille judiciaire pourtant dans certains dossiers en perpétuel affrontement.

Une perquisition chez un avocat ne peut être fondée que sur l’existence antérieure et effective d’indices de la participation de l’avocat à la commission d’une infraction comme auteur ou comme complice.

En cette matière, qu’il soit admis une fois pour toutes que le néant ne constituera jamais l’indice de quoi que ce soit.

Nos confrères perquisitionnés sont donc invités à exercer des recours en excès de pouvoir (comme d’ailleurs les Bâtonniers) ou encore à déposer des requêtes en nullité en fonction de l’évolution de la procédure.

I - La condition de l’existence d’indices effectifs préexistants à la perquisition constitue l’exigence impérative de motivation de l’ordonnance de perquisition

Comme le souligne avec force François Saint-Pierre, « les raisons qui justifient la perquisition doivent être établies dans le dossier de la procédure antérieurement à la mesure de perquisition ; elles doivent être objectives et sérieuses, et ne doivent pas résulter de seules hypothèses ou d’une suspicion que la perquisition aurait pour but d’étayer ; enfin, la mesure de perquisition doit être absolument nécessaire pour la suite de l’instruction judiciaire ; elle doit n’être donc envisagée qu’à défaut de tout autre mode d’investigation possible. Ces critères de nécessité, de proportionnalité et de légitimité dans une société démocratique doivent impérativement gouverner l’usage des perquisitions des locaux d’avocats ». La circulaire relative à la présentation des dispositions de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive des infractions pénales renforçant les droits de la défense est explicite : « 2. Modifications relatives aux perquisitions concernant les avocats

Raisons justifiant la perquisition

Les informations qui figureront dans la décision devront être suffisamment explicites pour justifier l’opération (en indiquant par exemple que l’avocat est mis en cause par certaines personnes comme coauteur ou complice de telle ou telle infraction).

Pour autant, elles ne devront pas consister en des révélations qui seraient de nature à gêner les investigations en cours (l’identité de ces personnes pouvant par exemple ne pas être précisée).

Il convient à cet égard d’observer qu’une motivation jugée insuffisamment explicite par le Bâtonnier ou son délégué pourra conduire celui-ci à contester le bien-fondé de la perquisition et à s’opposer en conséquence à toute saisie, ce qui amènera le juge des libertés et de la détention à se prononcer sur la contestation au vu de l’ensemble du dossier de la procédure, en application des dispositions, inchangées, des alinéas trois à sept (anciennement deux à six) de l’article 56-1 ».

La solution dégagée par le présent arrêt renvoie directement aux termes de l’article 56-1 du Code de procédure pénale alinéa 1er qui prévoit à peine de nullité (doublement au visa de l’article 59 alinéa 2 du Code de procédure pénale qui dispose que le respect des formalités de l’article précité est à peine de nullité) que la perquisition ne peut se faire qu’en vertu d’une décision écrite préalable et motivée indiquant la nature de l’infraction poursuivie, les raisons de la perquisition et son objet.

La décision visée est celle du magistrat, parquetier ou juge d’instruction, qui pratique la perquisition et non pas la décision du JLD qui en amont autorise le parquetier à perquisitionner sur sa requête dans les conditions de l’article 76 alinéa 4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0490LTC).

En l’occurrence, c’est ce manquement à cette règle d’ordre public que la Chambre criminelle sanctionne en annulant l’ordonnance du JLD qui validait les saisies fustigeant la déloyauté de la manœuvre organisant volontairement l’absence des motifs et des raisons justifiant la perquisition dans la décision de perquisition.

Précision d’importance, cette carence de motivation expressément voulue par certains magistrats qui perquisitionnent soucieux de ne rien révéler de leur instruction pour tenter de mieux surprendre en perquisition, se révèle préjudiciable non seulement au Bâtonnier « protecteur des droits de la défense privé de l’information qui lui est réservée » mais aussi à l’avocat perquisitionné qui pourtant n’est pas destinataire de la décision de perquisition faute pour le texte de prévoir sa communication à son profit.

II - Le Bâtonnier ou son délégué agit dans le cadre d’une mission d’auxiliaire de justice chargée de la protection des droits de la défense 

Par son arrêt du 8 janvier 2013 [1], la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que :

« Attendu que le Bâtonnier de l'Ordre des avocats n'est pas, au sens de l'article R. 49-21 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5793IGN), une partie lorsqu'il exerce les prérogatives qui lui sont données par l'article 56-1 dudit code à l'occasion d'une perquisition dans un cabinet d'avocat, dès lors qu'il agit dans le cadre d'une mission d'auxiliaire de justice chargée de la protection des droits de la défense ».

Dans le même sens, il faut relever l’arrêt de la Chambre criminelle du 9 février 2016 [2] qui juge que le Bâtonnier est « chargé de la protection des droits de la défense » et que la CEDH définit comme étant une « garantie spéciale de procédure ».

Par ce même arrêt, elle retient déjà l’exigence de motivation : « Il résulte des articles 56-1 du Code de procédure pénale et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme que l'absence, dans la décision, prise par un magistrat, de perquisition du cabinet d'un avocat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l'objet de celle-ci, qui prive le bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l'information qui lui est réservée et interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le juge des libertés et de la détention éventuellement saisi, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l'avocat concerné ».

Par arrêt du 25 juin 2013 (Cass. crim., 25 juin 2013, n° 12-88.021, FS-P+B N° Lexbase : A3071KIL), la Chambre Criminelle maintenant l’arrêt de la chambre de l’Instruction avait retenu que « le Bâtonnier ou son délégué est présent et exerce tout au long de la perquisition son contrôle avant toute éventuelle saisie d’un document en exprimant son opposition à la saisie lorsque celle-ci peut concerner d’autres infractions que celle mentionnée dans la décision ».

L’ordonnance de perquisition doit mentionner tous les faits compris dans la saisine du juge d’instruction afin que le Bâtonnier ou son délégué soit informé de l’étendue de la perquisition qui ne peut porter sur des faits différents de ceux appartenant à la saisine du magistrat instructeur.

Par arrêt rendu le 8 août 2007 [3], la Chambre criminelle a déjà jugé qu’il incombait au juge des libertés et de la détention d’exercer le contrôle prévu par les alinéas 4 à 7 de l’article 56-1 du Code de procédure pénale « afin de rechercher si la saisie des données informatiques ne portait pas atteinte au libre exercice de la profession d’avocat, au respect du secret professionnel et à celui des droits de la défense ».

Le Bâtonnier est un protecteur des droits de la défense qui doit bénéficier d’une information sérieusement motivée qui lui est réservée sous peine d’excès de pouvoir du JLD. Cette solution a été dégagée à trois reprises par la Cour de cassation.

Son rôle ne se limite pas à la seule défense du secret professionnel. Certes le texte de l’article 56-1 du Code de procédure pénale est muet et mérite d’être entièrement réécrit alors que l’article 56 alinéa 3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8552LXZ) définit l’OPJ comme gardien du secret professionnel et des droits de la défense en perquisition : « Toutefois, sans préjudice de l'application des articles 56-1 à 56-5, il a l'obligation de provoquer préalablement toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense ».

Ajoutons également que les solutions dégagées pour le Bâtonnier sont aussi valables pour le vice-Bâtonnier qui devra être mentionné par des termes identiques dans le texte lors d’une prochaine et urgente réforme pour actualiser le texte de l’article 56-1 du Code de procédure pénale aux solutions jurisprudentielles.

Ainsi, une décision de perquisition non motivée trompe le Bâtonnier ou son délégué privé de l’information que le magistrat doit lui réserver sauf à vouloir l’induire en erreur par l’omission et par la rétention dolosives d’informations essentielles à la compréhension de la mesure intrusive et au bon déroulement de l’audience du JLD d’autant que le Bâtonnier n’a pas accès au dossier pénal, contrairement au magistrat qui perquisitionne et au JLD.

Pour autant, la Chambre criminelle ne définit pas à proprement parler le contenu de la motivation de la décision de perquisition. Elle fustige à partir d’une analyse du dossier pénal auquel ni le Bâtonnier ni le perquisitionné n’ont accès, le fait d’avoir saisi des éléments « saisis hors saisine » pour marquer a posteriori l’insuffisance de motivation de la décision de perquisition.

En effet, elle retient que « L’ordonnance de perquisition, prise par le juge d’instruction, n’identifie pas les différents marchés publics visés par le réquisitoire introductif, ne contient pas les noms des personnes susceptibles d’avoir été victimes de harcèlement, visées au réquisitoire introductif, ne précise pas le document informatique qui aurait été supprimé de manière illégale, cette précision se trouvant dans le réquisitoire introductif, et n’indique pas la nature des documents qui auraient été falsifiés, ni des faux documents dont il aurait été fait usage. Cette ordonnance ne mentionne pas tous les marchés publics visés par le réquisitoire supplétif, et n’indique pas, en particulier, que la saisine du juge d’instruction s’étendait au projet de SEMOP, alors que des documents relatifs à ce projet ont été saisis par le juge d’instruction au cours de la perquisition ».

Mais elle ne formule pas expressément dans le texte l’exigence d’indices proprement dit antérieurs à la perquisition de la participation de l’avocat à la commission d’une infraction. En tout cas elle s’abstient d’en employer les termes stricto sensu alors qu’elle en formule l’exigence à propos du « degré de participation de l’avocat concerné » par ses critiques contre l’ordonnance du JLD dans les termes suivants « Il suit de là que le Bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, n’a pas reçu, au début de la perquisition, les informations lui permettant de connaître les motifs de celle-ci, ainsi que son objet, qui comprenait la recherche de documents portant sur le marché public du projet de S..., afin de déterminer le degré de participation à celui-ci de l’avocat concerné. Il en résulte que cette imprécision de l’ordonnance de perquisition a porté atteinte aux droits de la défense ».

Pourtant par son arrêt du 22 mars 2016 [4] dans une espèce relative à l’annulation d’une perquisition concernant des magistrats dans ses propres locaux, la Chambre criminelle avait affirmé l’exigence du constat d’indices nécessairement antérieurs à la perquisition contre les magistrats eux-mêmes comme condition impérative à la perquisition chez certains de ses membres :

« Mais attendu qu’en refusant d’annuler la saisie de l’avis du rapporteur et du projet rédigé par lui, alors que cette appréhension n’était pas indispensable à la recherche de la preuve d’un trafic d’influence, dont seul était suspecté un magistrat étranger à la Chambre criminelle, qu’il n’existait aucun indice de participation d’un membre de la formation de jugement ayant participé au délibéré à une quelconque infraction et qu’en conséquence, en procédant ainsi, les juges d’instruction avaient porté une atteinte non nécessaire au secret du délibéré, la chambre de l’instruction a méconnu le texte susvisé et le principe énoncé ci-dessus ».

Pour sa part, le JLD a jugé à plusieurs reprises que la perquisition supposait la démonstration d’indices antérieurs « effectifs » préexistants/ antérieurs à la perquisition. Ainsi un avocat ne peut plus être perquisitionné parce qu’il détiendrait simplement « les pièces de la fraude » soit les pièces que son client lui a remises et qui d’ailleurs constituent les « pièces du dossier » couvertes par le secret au sens de l’article 2.2 du RIBP sans que soient pour autant marqués contre lui des indices antérieurs de sa participation à la commission d’une infraction en fait reprochée au client lui-même.

S’agissant de la jurisprudence du JLD, une première ordonnance du JLD de Rennes du 8 mars 2013 a consacré le principe de la présomption d’innocence au bénéfice des avocats : « S’agissant plus particulièrement des pièces échangées entre un avocat et son client dans le cadre de la défense pénale de ce dernier, la saisie n’est susceptible de concerner que les pièces qui sont de nature à faire suspecter l’implication de l’avocat lui-même dans la commission de l’infraction reprochée à son client. Il n’est évidemment pas nécessaire au stade de la perquisition que soit démontrée la culpabilité de l’avocat, lequel est présumé innocent, mais simplement qu’il existe au regard des pièces, des indices de la possible commission d’une infraction dont l’information devra confirmer ou infirmer l’existence. A cet égard, il convient d’observer que les pièces éventuellement versées à la procédure peuvent constituer des éléments à charge comme à décharge ».  

Une autre ordonnance du JLD de Paris du 9 octobre 2014 retient qu’au stade de la perquisition qu’il n’est « aucunement démontré que les téléphones portables utilisés par Me X ont été utilisés à des fins délictueuses ou criminelles, ou dans la préparation des faits, objets de l’information en cours » et les restitue.

Cette ordonnance ajoute, concernant le rôle du JLD, que ce magistrat doit « exercer un contrôle suffisamment rigoureux de nature à éviter, sous quelque forme que ce soit, que soit portée une quelconque atteinte au libre exercice de la profession d’avocat, au respect du secret professionnel et à celui des droits de la défense mais aussi au respect de la confidentialité qui s’attache aux fonctions de Bâtonnier en exercice, dans sa relation avec l’ensemble des confrères de son Barreau ».

Il a été jugé par ordonnance du JLD de Paris du 7 octobre 2016 que : « Le secret professionnel d’un avocat ne peut être évincé que s’il existe des indices effectifs de la participation de cet avocat à la commission d’une infraction, indices qui doivent préexister à la perquisition et résulter intrinsèquement du contenu de chacune des pièces saisies ». En outre, par cette même décision, le JLD a jugé que « la protection du secret professionnel fait obstacle à la saisie de pièces uniquement utiles à la détermination des circonstances d’une infraction ayant pu être commise par ailleurs » .

Relevons en outre l’ordonnance du JLD de Versailles du 26 mai 2017 qui retient que : « Le secret professionnel de l’avocat n’a pas un caractère absolu et les dispositions précitées (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques art. 66-5 N° Lexbase : L6343AGZ) ne s’opposent pas à la saisie chez l’avocat des pièces :

- qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité,

- mais à la condition que celles-ci ne soient pas relatives à l’exercice des droits de la défense,

- cette dernière restriction pouvant être levée seulement en cas de suspicion d’implication de l’avocat concerné dans l’infraction (…)

Qu’ainsi, le document saisi, nonobstant son utilité pour la manifestation de la vérité, bénéficie de la protection absolue des droits de la défense s’agissant d’une correspondance entre avocats où sont abordées des données confidentielles relatives à leurs clients respectifs et leurs intérêts.

Que faute d’éléments constitutifs d’une présomption d’implication de l’avocat dans l’infraction concernée, il ne saurait être dérogé au principe de la protection du secret professionnel.

Qu’il convient par conséquent d’invalider la saisie…, d’en ordonner la restitution… et d’ordonner la cancellation de toutes références aux documents restitués ou à leur contenu qui figureraient dans le dossier de la procédure ».

Également, une ordonnance du JLD de Paris du 2 avril 2017 retient qu’il y a lieu de « considérer que la perquisition litigieuse, qui par sa nature intrusive pourrait générer une atteinte excessive à la renommée du cabinet d’avocats, a été conduite en l’espèce avec mesure et célérité, sans priver l’avocat des originaux nécessaires au libre exercice de sa profession ».

Par conséquent, un document couvert par le secret professionnel, même s’il est objectivement utile à la manifestation de la vérité, ne peut être versé en procédure que s’il permet de caractériser « une présomption d’implication », en d’autres termes, des indices de la participation de l’avocat à la commission d’une infraction, appréciation qui devra se faire de manière intrinsèque.

Par ordonnance du 30 octobre 2018, le JLD de Paris a jugé « qu’il (l’élément saisi) ne contient pas d’indice suffisant et déterminant de la participation de Maître X aux infractions visées, étant observé par ailleurs, la faiblesse des éléments ayant motivé la perquisition de son cabinet, que l’atteinte portée au secret professionnel de l’avocat apparait disproportionnée ».

Par une ordonnance du 17 avril 2019, le JLD de Paris a jugé que « si le secret ainsi défini ne peut revêtir un caractère absolu de nature à faire échec aux dispositions du Code de procédure pénale, cette protection doit être strictement appréciée et ne peut connaitre de dérogation concernant l’exercice des droits de la défense que lorsque les documents saisis sont susceptibles d’établir ou non l’existence, la révélation intrinsèque des infractions reprochées à l’encontre de l’avocat ».

Par ordonnance rendue le 19 avril 2019, le JLD de Paris a jugé que « si le secret… ne peut revêtir un caractère absolu de nature à faire échec aux dispositions du Code de procédure pénale, cette protection doit être strictement appréciée et ne peut connaitre de dérogations concernant l’exercice des droits de la défense que lorsque les documents saisis sont susceptibles d’établir ou non l’existence la révélation intrinsèque des infractions reprochées à l’encontre de l’avocat ».

Par ordonnance rendue le 26 avril 2019, le JLD de Paris a jugé que « attendu néanmoins que le secret professionnel de l’avocat ne saurait avoir un caractère absolu et que les dispositions précitées ne s’opposent pas à la saisie chez l’avocat des pièces qui seraient de nature à démontrer son implication dans l’infraction, ou des pièces qui, dès lors qu’elles ne sont pas relatives à l’exercice des droits de la défense, sont nécessaires à la manifestation de la vérité et en relation directe avec l’infraction ».

Par ordonnance rendue le 29 avril 2019, le JLD de Paris a jugé que « si le secret ainsi défini ne peut revêtir un caractère absolu de nature à faire échec aux dispositions du Code de procédure pénale, cette protection doit être strictement appréciée et ne peut connaître de dérogations concernant l’exercice des droits de la défense que lorsque les documents saisis dans le cadre de l’information judiciaire sont susceptibles en l’espèce d’établir ou non à l’encontre de Maître X les infractions de (…) ».

Par une ordonnance du 3 juillet 2019, le JLD de Paris a jugé à propos des documents officiels, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas relatifs à l’exercice des droits de la défense, que : « Si le secret ainsi défini ne peut revêtir aucun caractère absolu de nature à faire échec aux dispositions du Code de procédure pénale, cette protection doit être strictement appréciée et ne peut connaitre de dérogations concernant l’exercice des droits de la défense que lorsque les documents saisis sont susceptibles d’établir ou non l’existence des infractions reprochées à l’encontre de l’avocat.

Ainsi, il y a lieu de distinguer d’une part, les documents qui ne sont pas couverts par le secret professionnel et qui peuvent être versés à la procédure s’ils sont utiles à la manifestation de la vérité, et d’autre part, les documents couverts par le secret professionnel et qui ne peuvent être versés à la procédure d’instruction qu’à la condition qu’ils manifestent l’indice de la participation de l’avocat à l’infraction objet de la poursuite (…) ».

La CEDH par l’arrêt « André » (CEDH, 24 juillet 2008, André c. France, Req. 18603/03, N° Lexbase : A8281D9L) avait déjà dégagé cette solution et il est heureux de voir la Chambre criminelle de la Cour de cassation converger une fois encore dans le même sens qui par voie de conséquence fustige le fait de perquisitionner un avocat pour des faits reprochés à son seul client : « Ensuite, et surtout, la Cour constate que la visite domiciliaire litigieuse avait pour but la découverte chez les requérants, en leur seule qualité d’avocats de la société soupçonnée de fraude, de documents susceptibles d’établir la fraude présumée de celle-ci et de les utiliser à charge contre elle. A aucun moment les requérants n’ont été accusés ou soupçonnés d’avoir commis une infraction ou participé à une fraude commise par leur cliente ».

III - Reste l’impossibilité d’apprécier l’existence ou non d’indices faute d’accès au dossier par le Bâtonnier ou son délégué :

La perquisition, par sa nature intrusive, génère nécessairement une atteinte excessive aux droits de la défense et au secret professionnel que le Bâtonnier ou son délégué est dans l’obligation de contester à charge pour le magistrat de saisir le JLD.

En outre, le délégué du Bâtonnier se heurte en fait à l’impossibilité d’apprécier l’existence ou non des indices mentionnés à la décision de perquisition ou invoqués en cours de perquisition comme en l’occurrence, faute d’accès au dossier pénal dont aucune règle d’ailleurs n’interdit la communication lors de la perquisition comme lors de l’audience du JLD à son profit.

En effet, qu’il s’agisse des pièces et objets, documents papiers ou dématérialisés copiés ou non sur un support par le magistrat saisissant, couverts par le secret professionnel ou officiels, le Bâtonnier ou le délégué du Bâtonnier est par principe dans l’incapacité d’apprécier si ces objets et éléments contiennent ou non l’indice de la participation de l’avocat - présumé innocent - à la commission d’une infraction faute d’avoir accès au dossier pénal dont l’absence de communication empêche l’exercice d’un contrôle suffisamment rigoureux de nature à éviter que soit portée une quelconque atteinte au libre exercice de la profession d’avocat et au respect du secret professionnel.

Une réforme des textes s’impose sur ce point.

Surtout, cet arrêt de la Chambre criminelle ouvre aussi une autre perspective sur les rapports entre magistrats et avocats qu’il est urgent de véritablement reconstruire dans une relation plus que jamais apaisée loin des paroxysmes inutiles à une bonne vie judiciaire respectueuse des droits et des êtres. Que des incidents ponctuels qui participent de la liberté d’expression, que revendiquent de manière absolue à l’audience certains magistrats comme les avocats, s’interposent dans le débat judiciaire fusse de manière vécue comme violente par les mots est une chose. Vouloir en revanche la « guerre » - le mot est fréquemment employé - et son inévitable cortège d’horreurs en est une autre. Il est regrettable que ne soit pas à l’ordre du jour des réformes de la Chancellerie, faute de « temps » semble-t-il, le « souhait » du Garde des Sceaux EDM de réformer l’ENM « ferment du corporatisme » qu’il dénonce et dans la foulée d’organiser la fusion avec les écoles d’avocats. Une formation commune, au moins sur  quelques  thèmes essentiels,  des avocats et des magistrats s’impose impérativement comme un socle de valeurs partagées et de respect mutuel. Vraiment qui donc parmi les avocats et les magistrats veut réellement le désastre et le chaos comme mode de résolution des litiges ? Les enchères sont ouvertes entre défenseurs de l’intérêt public et défenseurs des intérêts privés. Sincèrement.

 

[1] Cass. QPC, 8 janvier 2013, n° 12-90.063, F-D (N° Lexbase : A5069I37).

[2] Cass. crim., 9 février 2016, n° 15-85.063, FS-P+B (N° Lexbase : A0246PLP).

[3] Cass. crim., 8 août 2007, n° 07-84.252, F-P+F (N° Lexbase : A0577DYZ).

[4] Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-83.207, FS-P+B (N° Lexbase : A7140Q9C).

newsid:474317