Réf. : Cass. civ. 1, 15 février 2012, n° 10-27.512, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4000IC7)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 01 Mars 2012
Droit au prénom. Le prénom constitue un élément essentiel de l'identité de l'enfant, notamment afin d'être individualisé dans le cadre de sa famille. La Cour européenne des droits de l'Homme reconnaît un droit au prénom fondé sur le droit à la vie privée et familiale de l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR) (1).
Titulaires du choix du prénom. Selon l'article 57 du Code civil (N° Lexbase : L8839G9A), "les prénoms de l'enfant sont choisis par ses père et mère". Ce choix est donc une conséquence directe de l'établissement de la filiation. Il reste que, concrètement, l'officier d'état civil mentionne dans l'acte de naissance les prénoms indiqués par le déclarant sans vérifier que ce choix a reçu l'assentiment des deux parents. S'il est d'usage de donner plusieurs prénoms, la formulation de l'article 57 ne paraît pas imposer la pluralité. En outre, alors qu'elle n'a pas, par hypothèse, établi sa filiation à l'égard de l'enfant, la mère qui a accouché sous X peut choisir les prénoms de l'enfant, lesquels seront inscrits sur l'acte de naissance (2).
Liberté de choix. Le choix des parents est libre depuis la loi du 8 janvier 1993, qui a posé l'intérêt de l'enfant et le droit des tiers comme seules limites à ce choix autrefois limité aux saints du calendrier et aux personnages historiques (3). Cette évolution s'inscrit dans la conformité de la jurisprudence européenne. La Cour de Strasbourg considère, en effet, que le contrôle par l'Etat du choix du prénom de l'enfant par ses parents qui "revêt un caractère intime et affectif, et entre donc dans la sphère privée de ces derniers", constitue une atteinte au droit à la vie privée. Cette atteinte doit donc poursuivre un but légitime et être proportionnée (4). Toutefois, dans son arrêt du 24 octobre 1996, la Cour, tout en admettant que les requérants aient pu être affectés par le refus du prénom qu'ils avaient choisi pour leur fille, considère que ces désagréments ne sont pas suffisants pour constituer une violation de l'article 8 de la Convention. La Cour note, par ailleurs, que les juridictions françaises ont notamment fondé leur décision sur l'intérêt de l'enfant.
Limites. Ce dernier critère est au coeur du mécanisme de contrôle du choix du prénom par les parents. Le prénom lui-même, ainsi que la combinaison du prénom et du nom, ne doivent pas être contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille. Il convient de noter que le Code civil n'impose pas de vérifier que le prénom choisi par les parents est conforme à l'intérêt de l'enfant, mais seulement que ce prénom n'est pas contraire à l'intérêt de l'enfant, "ce qui change sensiblement l'étendue du contrôle judiciaire" (5).
Procédure. Le contrôle de la conformité du prénom à l'intérêt de l'enfant repose sur un système relativement complexe : l'officier d'état civil ne peut en effet refuser d'inscrire le prénom choisi par les parents ; mais s'il l'estime contraire à l'intérêt de l'enfant, il en avise le procureur de la République qui, le cas échéant, saisit à son tour le juge aux affaires familiales (6), lequel peut en ordonner la suppression sur les registres de l'état civil. Si les parents invités à faire un nouveau choix n'y procèdent pas, le juge attribue à l'enfant un prénom qu'il détermine lui-même, mention de cette décision étant portée en marge de l'acte de naissance de l'enfant. En l'espèce, lorsque Dominique X et Isabelle Y ont déclaré vouloir prénommer leur fils, né le 7 novembre 2009, "Titeuf, Gregory, Léo", l'officier d'état civil, en l'occurrence le maire de le commune, a informé le procureur de la République que le choix du premier prénom, "Titeuf", lui paraissait contraire à l'intérêt de l'enfant ; sur le fondement de l'article 57 du Code civil, le Parquet a fait assigner les parents afin de voir prononcer la suppression du prénom "Titeuf" ; par jugement du 1er juin 2010, le tribunal de grande instance de Pontoise, se fondant sur l'intérêt de l'enfant, a ordonné la suppression du prénom "Titeuf" de son acte de naissance et dit qu'il se prénommera "Grégory, Léo" ; la cour d'appel de Versailles a confirmé cette solution dans un arrêt du 7 octobre 2010 (7). Dans sa décision du 15 février 2012, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cette décision au motif que "c'est par une appréciation souveraine qu'en une décision motivée la cour d'appel a estimé qu'il était contraire à l'intérêt de l'enfant de le prénommer Titeuf ; que le moyen qui ne tend en réalité qu'à contester cette appréciation ne peut être accueilli".
II - L'appréciation souveraine de l'intérêt de l'enfant par les juges du fond
Absence de contrôle de la Cour de cassation. La formulation lapidaire de l'arrêt du 15 février 2012 exprime très clairement le refus, au demeurant parfaitement logique, de la Cour de cassation de contrôler l'appréciation de l'intérêt de l'enfant dans le cadre du choix de son prénom. Il s'agit, en effet, d'apprécier concrètement l'intérêt de l'enfant de porter tel ou tel prénom, ce qui ne saurait constituer une question de droit mais bien une question de fait exclusive du contrôle de la Cour de cassation. Dans l'arrêt du 15 février 2012, cette dernière ne répond pas à l'argument du pourvoi selon lequel le refus de la cour d'appel serait contraire aux articles 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL) et 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR).
Faiblesse du contentieux. Les décisions rendues en la matière par les juges du fond sont relativement rares, vraisemblablement parce que les procureurs de la République réussissent le plus souvent, le cas échéant, à convaincre les parents de modifier leur choix avant d'entamer une procédure judiciaire.
Prénoms admis. Les rares décisions rendues montrent qu'il est fait un usage modéré du pouvoir judiciaire de contrôle du choix des parents. La circulaire du 3 mars 1993, relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant (N° Lexbase : L9081H3Q) (8), précise que doivent être refusés "les prénoms ayant une apparence ou une consonance péjorative ou grossière, ceux difficiles à porter en raison de leur complexité ou de la référence à une personnage déconsidéré dans l'histoire". La cour d'appel de Besançon (9) a ainsi accepté le prénom "Zébulon" au motif que, n'étant d'apparence ni ridicule ni péjorative ou grossière, ni relatif à un personnage déconsidéré de l'histoire ou de la littérature, il n'était pas contraire à l'intérêt de l'enfant. La cour d'appel de Bordeaux (10) a également admis le prénom "Canta", certes choisi en hommage à un chanteur devenu meurtrier, au motif que la célébrité du chanteur n'est pas destinée à perdurer dans les mémoires et que le prénom a une consonance latine, évoquant le chant... Le Professeur Teyssié (11) cite, en outre, parmi les prénoms admis, "Anémone", "Toulouse", "Clio", "Gilau", "Bryan", "Goarnic" ou "Tokalie" (12). La cour d'appel de Rennes a même considéré que s'appeler "Mégane Renaud" n'était pas contraire à l'intérêt de l'enfant (13).
Prénoms refusés. Ont, en revanche, été notamment refusés selon le Professeur Malaurie : "Assedic", "Babar", ou "Aude" dès lors que le nom de famille était "Vaisselle"... (14).
"Titeuf". Dans sa décision du 7 octobre 2010, la cour d'appel de Versailles a rappelé, au préalable, que le choix du prénom par les parents revêt pour eux un caractère intime et affectif et qu'il entre dans la sphère de leur vie privée laquelle est garantie par la CESDH ; mais elle a également affirmé que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants conformément à l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, applicable directement devant les tribunaux français. Elle en a justement déduit qu'il convenait de rechercher si le prénom "Titeuf" est ou non conforme à l'intérêt de l'enfant.
Appréciation in concreto. La cour reprend l'appréciation des juges de premier instance qui ont pris en considération le fait que "Titeuf" est présenté comme un garnement pas très malin dont les principales préoccupations concernent les relations avec les filles et le sexe -l'ouvrage intitulé "guide du zizi sexuel" est directement associé à ce personnage dont la naïveté et l'ignorance concernant le sexe sont tournées en dérision-. Même si les magistrats admettent que le personnage est plutôt sympathique, ils constatent qu'il est destiné à faire rire le public en raison de sa naïveté et des situations ridicules dans lesquelles il se retrouve. Selon la cour d'appel, "c'est donc à bon droit et par des motifs exacts et pertinents que le premier juge a considéré que le prénom Titeuf n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant au motif qu'il est de nature à attirer les moqueries tant de la part des enfants que des adultes en raison de la grande popularité du personnage en France depuis plusieurs années, et que l'association du prénom Titeuf au personnage de pré-adolescent naïf et maladroit risque de constituer un réel handicap pour l'enfant devenu adolescent puis adulte, tant dans ses relations personnelles que professionnelles". L'appréciation concrète des juges du fond repose ainsi sur une analyse précise et détaillée de l'intérêt présent et futur de l'enfant en cause à porter le prénom de "Titeuf".
Eléments extérieurs. Certaines décisions ont fondé leur refus d'un prénom sur des éléments extérieurs à l'enfant. Ainsi, la cour d'appel d'Angers, dans une décision du 12 janvier 2011 (15) avait-elle eu à juger de la contrariété à l'intérêt de deux jumeaux du choix par leur mère de prénoms très proches, le premier devant porter comme premier prénom "Dyclan" tandis que le premier prénom du second serait "Dylan". Le juge aux affaires familiales avait, en première instance, considéré que ce choix était de nature à provoquer une confusion identitaire entre les enfants et avait ordonné que le second enfant porte un autre prénom. La mère avait finalement opéré un autre choix plus conforme à l'exigence de différenciation des enfants qui a été entériné par la cour d'appel.
Le tribunal de grande instance de Bordeaux a, également, dans un jugement du 20 mars 2008 (16), refusé que soit attribué comme prénom à un enfant le nom de famille de la concubine de sa mère. La juridiction bordelaise se fonde, toutefois, sur une motivation prudente et peu détaillée, selon laquelle, malgré "la volonté morale légitime de la mère d'établir une relation à l'autre parent moral", le choix du prénom "ne paraît pas conforme à l'intérêt de l'enfant au regard de son étrangeté en tant que prénom" et "méconnaît les droits des tiers à voir protéger leur nom de famille".
(1) CEDH, 24 octobre 1996, Req. 52/1995/558/644 (N° Lexbase : A8339AWR), JCP éd. G, 1997, I, 4000, obs. F. Sudre.
(2) C. civ., art. 57, al. 1er.
(3) Une jurisprudence relativement tolérante avait cependant admis l'attribution à titre de prénom de prénoms de personnages de romans ou de théâtre, voire des noms de lieux ou de fleurs en limitant toutefois ces possibilités par l'appréciation de l'intérêt de l'enfant : notamment Cass. civ. 1, 10 juin 1981, n° 80-11.600 (N° Lexbase : A5009IDU), D., 1982, p. 160, note E. Agostini ; RTDCiv., 1981, p. 832, obs. R. Nerson et J. Rubellin-Devichi, qui admet le prénom "Cerise".
(4) CEDH, 24 octobre 1996, préc..
(5) M. Lamarche, Choix du prénom et intérêt de l'enfant : de l'appréciation subjsetcive des parents à l'appréciation objective des juges, Dr. fam., 2010, Focus n° 1.
(6) Cette action du parquet contre l'attribution d'un prénom est une action contentieuse : Cass. civ. 1, 14 décembre 2004, n° 02-20.080, F-P+B (N° Lexbase : A4656DE8), RTDCiv., 2005, p. 362, obs. J. Hauser.
(7) CA Versailles, 1ère ch., 1ère sect., 7 octobre 2010, n° 10/04665 (N° Lexbase : A6920GBW).
(8) JO du 24 mars 1993, p. 4551.
(9) CA Besançon, 16 novembre 1999, D., 2001, p. 1133, note C. Phlippe et F. Pouëch.
(10) CA Bordeaux, 22 octobre 2009, n° 08/06835 (N° Lexbase : A7641GG4), obs. M. Lamarche, préc..
(11) Droit civil, Les personnes, Litec, 2010,12ème éd., n° 290.
(12) CA Caen, 30 avril 1998, RTDCiv., 1999, p. 813, obs. J. Hauser.
(13) CA Rennes, 4 mai 2000, JCP éd. G, 2001, IV, 2655.
(14) Cités par P. Malaurie et L. Aynès, Les personnes, Defrénois, 2010, n° 122.
(15) CA Angers, 1ère ch., sect. B, 12 janvier 2011, n° 10/00565 (N° Lexbase : A4460GQA).
(16) TGI Bordeaux, 20 mars 2008, Proc. Rép. Bordeaux c/ Claudine Maryse G., Dr. fam., 2008, Focus n° 29, obs. M. Lamarche.
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