Lecture: 5 min
N0202BTN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Le problème avec les auxiliaires, c'est qu'il faut composer avec eux, au passé comme au futur. Et, les avocats ne sont pas tendres, ni avec leur état, ni avec leur avoir ; et l'on sait que les auxiliaires ne se plaisent pas au conditionnel. Mais, cela n'empêche pas les pouvoirs publics de détricoter, chaque nuit, ce que les avocats défendent, chaque jour, tels Sisyphe, au côté des justiciables : l'exception déontologique française.
Certes, l'article 3 du décret du 12 juillet 2005 et l'article 1.3 du règlement intérieur national érigent l'indépendance au rang de principe essentiel de la profession d'avocat, et le nouveau Président de la Conférence des Bâtonniers, Jean-Luc Forget, clame aux oreilles du Garde des Sceaux qu'"être indépendant est une démarche de tous les instants au point d'en devenir un réflexe". Il n'en demeure pas moins que l'Arlésienne de "l'avocat en entreprise" ressort, régulièrement, de derrière les fagots, mettant intrinsèquement à mal cette indépendance consubstantielle et si chère au coeur de l'auxiliaire de justice, et ne reculant pas devant l'oxymore "salarié indépendant". La "Grande profession" du droit de Jean-Michel Darrois préconisait d'appliquer une seule déontologie aux différentes professions du droit, c'est tout l'inverse qui est débattu : une profession, deux déontologies ; une exigeante, une au rabais. Tant est si bien que le 14 septembre 2010, le juge communautaire ne s'y est pas trompé. L'indépendance ne se salarie pas. La protection de la confidentialité des communications entre l'avocat et son client ne s'applique pas aux avocats internes dans les procédures menées par la Commission en matière d'entente. Point de legal privilege à la française, le secret professionnelle est l'attribut d'une profession à la déontologie réglementaire.
Alors, si on ne peut les "salarier", pourquoi ne pas "fonctionnariser" les avocats, s'écrient les caciques gouvernementaux ? Soit, une pierre deux coups, et l'article 1635 bis Q du Code général des impôt instaure une contribution pour l'aide juridique de 35 euros perçue par instance introduite en matière civile, commerciale, prud'homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire ou par instance introduite devant une juridiction administrative, recouvrée par les avocats, désormais auxiliaire du Trésor public, pour financer l'aide juridictionnelle : "aide-toi et le ciel t'aidera". Et, le pétillant ministre de la Justice de confirmer l'aphorisme, en rappelant devant les Bâtonniers éberlués, que les avocats n'ont que la monnaie leur pièce, en forçant la réforme de la garde à vue et en exigeant, au surplus, une rétribution pour cette nouvelle mission ! Et, puisqu'on n'est pas à une contradiction près, l'article 1635 bis P du même code institue un droit d'un montant de 150 euros dû par les parties à l'instance d'appel lorsque la constitution d'avocat est obligatoire devant la cour d'appel, acquitté par l'avocat postulant, et affecté au fonds d'indemnisation de la profession d'avoués ; réforme que les avocats n'ont, eux-mêmes, pas souhaitée... Les QPC portant sur ce droit et cette contribution, transmises par le Conseil d'Etat au Conseil constitutionnel le 3 février 2012, si elles ont une raison d'être, sauront-elles restaurer, à leur humble niveau, l'état d'indépendance de l'avocat ?
Touché dans son être, encore fallait-il déposséder cet auxiliaire par trop encombrant de son attribut le plus flamboyant, le secret professionnel. La première lettre de cachet visant à exécuter ce noble et précieux attribut fut signée à deux mains : l'exécutif européen se chargea d'en adresser, le 26 octobre 2005, la Directive, pour que le Gouvernement français ordonne, le 30 janvier 2009, la basse oeuvre. Si la lutte anti-blanchiment est un noble Graal, nécessitait-elle de fossoyer le secret professionnel de l'avocat, obligeant ce dernier jusqu'à dénoncer son client ? Par un arrêt rendu le 23 juillet 2010, le Conseil d'Etat a estimé que, eu égard à l'intérêt général qui s'attache à la lutte contre le blanchiment des capitaux et à la garantie que représente l'exclusion de son champ d'application des informations reçues et obtenues par les avocats à l'occasion de leurs activités juridictionnelles, ainsi que celles reçues et obtenues dans le cadre d'une consultation juridique, la Directive litigieuse ne portait pas une atteinte excessive au secret professionnel. Ite missa est, atteinte suivante...
Comme le juge judiciaire, dans cette cabale contre son auxiliaire, ne souhaitait pas être en reste, il se pencha, lui aussi, sur cet avoir. Le 22 septembre 2011, il décida que le principe de confidentialité ne s'étendait pas aux correspondances échangées entre l'avocat et les autorités ordinales. Mieux, le 31 janvier 2012, il rejette une demande d'annulation du versement au dossier d'instruction d'enregistrements clandestins de conversations entre une personne et ses avocats. Ainsi, la chambre de l'instruction est bien fondée à rejeter une demande de nullité du versement au dossier d'enregistrements de conversations privées réalisées à l'insu des protagonistes dès lors qu'ils ne sont pas en eux-mêmes des actes ou des pièces de l'information au sens de l'article 170 du Code de procédure pénale, et comme tels, susceptibles d'être annulés, mais des moyens de preuve susceptibles d'être discutés contradictoirement et la transcription des enregistrements, ayant pour seul objet d'en matérialiser le contenu, ne peut davantage donner lieu à annulation. Cette "porte ouverte à la généralisation de toutes sortes de dérives", comme le souligne le nouveau Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, Christiane Féral-Schuhl, est une atteinte caractérisée au secret professionnel de l'avocat, réduit à une peau de chagrin, lorsque les informations couvertes par ce secret et provenant d'une collecte déloyale, voire frauduleuse, sont recevables. "La justification d'écoutes illégales" entretient "la déloyauté, la défiance, la dénonciation, la violation de l'intimité", écrit le Bâtonnier de Paris, jugeant "dangereux" qu'un avocat ne puisse "échanger avec son client en toute confidentialité". La réaction est vive, mais être le Premier auxiliaire de France oblige à défendre l'avoir du secret professionnel de l'avocat.
N'en déplaise aux fossoyeurs, non moins qu'être, avoir est agréable à l'avocat. "Être" et "avoir", deux faces d'un même sacerdoce ; si bien que l'auxiliaire de justice ne peut être considéré comme accessoire à la Justice. Encombrant, mais nécessaire, l'avocat n'a pas fini de se rebeller pour son indépendance, sa liberté de parole et son secret professionnel.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:430202