La lettre juridique n°473 du 16 février 2012 : Droit des étrangers

[Jurisprudence] Quand le demandeur d'asile peine à faire valoir son droit à un recours effectif sur le territoire français... la CEDH veille !

Réf. : CEDH, 2 février 2012, Req. 9152/09 (N° Lexbase : A9424IBN)

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N0276BTE

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 18 Février 2012

"Les frontières sont une invention des hommes, la nature s'en fout" déclare l'un des personnages de La Grande Illusion, le film de Jean Renoir. Dans un même élan fraternaliste, le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la protection internationale doit être accordée par référence aux termes de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés et à la protection subsidiaire (N° Lexbase : L6810BHP), laquelle énonce, notamment à son article 33, qu'"aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques [...]". Ce beau principe est pourtant parfois difficilement mis en application par les juges français puisque, dans un arrêt rendu le 2 février 2012, la Cour de Strasbourg a jugé, au sujet d'une affaire se déroulant sur le territoire hexagonal, qu'est privé de recours effectif l'étranger voyant sa première demande d'asile examinée selon la procédure prioritaire. Il s'agissait, en l'espèce, d'un ressortissant soudanais entré de manière illégale sur le territoire français, et qui alléguait que la mise à exécution de la décision des autorités françaises de l'éloigner vers le Soudan l'exposait, en tant qu'opposant politique, au risque d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la CESDH (N° Lexbase : L4764AQI) (interdiction des traitements inhumains ou dégradants). Invoquant les articles 13 de la Convention (N° Lexbase : L4746AQT) (droit à un recours effectif) et 3 combinés, il soutenait ne pas avoir disposé d'un recours effectif en France en raison de l'examen de sa demande d'asile selon la procédure prioritaire. Le seul fait que la demande d'asile du requérant ait été considérée comme étant postérieure à l'arrêté de reconduite à la frontière avait suffi aux autorités françaises pour considérer qu'elle reposait sur une "fraude délibérée" ou qu'elle constituait un "recours abusif à l'asile" (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 741-4 N° Lexbase : L5127IQX). Cet unique élément a donc valu à la demande du requérant un classement en procédure prioritaire, ce qui a induit des conséquences substantielles quant au déroulement de la procédure. Ainsi, le délai imparti à l'intéressé pour présenter sa demande a été réduit de vingt-et-un à cinq jours, sous peine, en cas de non-respect, de rejet pour tardiveté. Cela a, également, abouti à un traitement extrêmement rapide de cette demande par l'OFPRA. Pour la CEDH, l'ensemble des contraintes imposées au requérant tout au long de cette procédure (brièveté des délais de recours, difficultés matérielles et procédurales), alors qu'il était privé de liberté, et qu'il s'agissait d'une première demande d'asile, ont affecté en pratique sa capacité à faire valoir le bien-fondé de ses griefs tirés de l'article 3 de la Convention. Il y a donc bien eu, selon les juges strasbourgeois, violation de l'article 13 combiné à l'article 3. Les procédures d'asile accélérées, originellement destinées à faciliter le traitement des demandes pouvant paraître abusives ou infondées, peuvent donc aboutir à mettre le demandeur en difficulté, notamment lorsque celui-ci se trouve dans la position de dépôt d'une première demande, situation constituant environ les deux tiers des procédures prioritaires, qui représentent elles-mêmes un quart de la demande globale des demandes d'asile, le nombre de demandes en procédure prioritaire ayant, par ailleurs, augmenté de 15,5 % en 2010 (1). L'occasion a donc été donnée à la Cour de Strasbourg d'examiner la conformité des procédures d'asile accélérées à la Convention (I), laquelle en a profité pour relever les insuffisances quant à l'effectivité des recours offerts par les autorités françaises (II).

I - La conformité des procédures d'asile accélérées à la CESDH

Arrêté à la frontière franco-espagnole puis placé en rétention administrative alors qu'il faisait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, il déposa une demande d'asile qui fut classée en procédure prioritaire, ce qui implique que l'absence de caractère suspensif du recours déposé devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) contre une éventuelle décision de rejet de l'OFPRA, décision qui eut lieu en l'espèce. Le requérant ne dut donc son salut qu'à l'intervention du président de la chambre à laquelle l'affaire avait été attribuée, lequel décida de ne pas procéder à son éloignement vers le Soudan pour la durée de la procédure devant la Cour. Le risque d'un éloignement vers une destination qui exposerait le requérant à des traitements contraires à l'article 3 disparaissait donc, d'autres demandeurs ont récemment brandi avec succès le risque d'une violation de l'article 3 (pour une telle violation, voir CEDH, 19 janvier 2012, Req. 39472/07 et 39474/07 N° Lexbase : A1647IBM). Restait, néanmoins, pour le demandeur, le sentiment légitime de n'avoir pu faire valoir ses droits à un recours effectif. En effet, le défaut d'effectivité des voies de recours disponibles en cas de placement en procédure prioritaire était "consommée" au moment où le risque de renvoi vers le Soudan a été levé. Or, le requérant a obtenu le statut de réfugié le 14 octobre 2010, soit bien après la dernière décision rendue par les autorités internes, la décision de l'OFPRA rejetant sa demande lui ayant été notifiée le 31 janvier 2009.

Ce sentiment a pu être exacerbé par le caractère intrinsèque de la procédure d'asile prioritaire. Elle implique que l'étranger placé en centre de rétention administrative soit informé, à son arrivée et dans une langue qu'il comprend, de son droit à demander l'asile et des conditions d'exercice de ce droit (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 551-2 N° Lexbase : L5065IQN et L. 551-3 N° Lexbase : L5811G4Y). Il dispose d'un délai réduit, c'est-à-dire de cinq jours à partir de cette notification, pour présenter sa demande d'asile. En outre, le non-respect de ce délai entraîne l'irrecevabilité de la demande d'asile pendant toute la période de rétention (Cons. const., décision n° 2003-484 DC, du 20 novembre 2003 N° Lexbase : A1952DAK). La demande d'asile formulée en centre ou en local de rétention est présentée selon les mêmes modalités que celles prévues pour une demande classique : la demande est rédigée en français sur un imprimé établi par l'office. Toutefois, le demandeur ne bénéficie pas de l'assistance gratuite d'un interprète pour préparer sa demande (CE 2° et 7° s-s-r., deux arrêts, 12 octobre 2005, n° 273198 N° Lexbase : A0071DL9, et 12 juin 2006, n° 282275 N° Lexbase : A9349DPX, mentionnés aux tables du recueil Lebon), et si le dossier est incomplet et/ou envoyé hors délai, l'OFPRA refuse de procéder à son enregistrement, cette décision pouvant, alors, être contestée devant les juridictions administratives de droit commun. Lorsqu'il est saisi en application de la procédure prioritaire, l'OFPRA statue dans un délai de quinze jours sur la demande d'asile. Ce délai est ramené à quatre-vingt-seize heures lorsque le demandeur d'asile est placé en rétention administrative (C. entr. séj. étrang. et asile, art. R. 723-3 N° Lexbase : L0301IBR). L'étranger présent sur le territoire français dont la demande d'asile est examinée selon la procédure prioritaire bénéficie du droit de se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA, lorsqu'il s'agit d'une décision de rejet. Aucune mesure d'éloignement ne peut être mise à exécution avant cette décision (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 742-6 N° Lexbase : L7219IQG). En outre, lorsque l'étranger est, après l'introduction de son recours, renvoyé vers son pays d'origine, la CNDA interrompt l'instruction dudit recours, lequel doit, alors, être regardé comme temporairement sans objet. Il appartient, ensuite, à son auteur, en cas de retour en France, de s'adresser à elle afin qu'il y soit statué. Comme on le voit, cette procédure n'est pas sans conséquences pour le demandeur d'asile.

Après que la Cour de justice de l'Union européenne ait validé la réduction à quinze jours du délai de recours contre une décision de refus d'asile dans le cadre des procédures d'asile accélérées, énonçant que, "s'agissant de procédures abrégées, un délai de recours de quinze jours ne semble pas, en principe, matériellement insuffisant pour préparer et former un recours effectif, et apparaît comme étant raisonnable et proportionné par rapport aux droits et aux intérêts en présence" (CJUE, 28 juillet 2011, aff. C-69/10 N° Lexbase : A8898HWH), c'était donc au tour des juges strasbourgeois de préciser leur position sur la question. Pourtant, l'examen de leur décision ne permet pas de dégager une position précise. La CEDH commence par observer que le requérant, gardé à vue puis détenu, n'a pas pu se rendre en personne à la préfecture pour introduire une demande d'asile, comme l'exige le droit français. Elle note, ensuite, que les procès-verbaux de garde à vue du requérant paraissent fournir des éléments, même partiels, quant aux tentatives de demandes d'asile que le requérant allègue avoir faites dès son arrivée en France (§ 21 et 22). Surtout, la Cour constate que le seul fait que la demande d'asile du requérant ait été considérée comme étant postérieure à l'arrêté de reconduite à la frontière a suffi aux autorités pour considérer qu'elle reposait sur une "fraude délibérée" ou constituait un "recours abusif à l'asile" sur la base du 4° de l'article L. 741-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5127IQX) (§ 141).

Pour la Cour, l'ensemble des contraintes imposées au requérant tout au long de cette procédure, alors qu'il était privé de liberté et qu'il s'agissait d'une première demande d'asile, ont affecté en pratique la capacité du requérant à faire valoir le bien-fondé de ses griefs tirés de l'article 3 de la Convention (§ 148). Ainsi, quant à l'effectivité du système de droit interne pris dans son ensemble, la Cour constate que, si les recours exercés par le requérant étaient théoriquement disponibles, leur accessibilité en pratique a été limitée par plusieurs facteurs, liés, pour l'essentiel, au classement automatique de sa demande en procédure prioritaire, à la brièveté des délais de recours à sa disposition et aux difficultés matérielles et procédurales d'apporter des preuves alors que le requérant se trouvait en détention ou en rétention (§ 154). Si elle fait donc preuve d'une certaine clémence vis-à-vis des Etats confrontés à l'afflux massif de demande d'asile, en reconnaissant la nécessité pour ceux-ci de disposer des moyens nécessaires pour faire face à un tel contentieux, elle précise que la rapidité des recours ne devrait pas être privilégiée aux dépens de l'effectivité de garanties procédurales essentielles visant à protéger le requérant contre un refoulement arbitraire vers le Soudan (§ 147). L'une des principales critiques que l'on pourrait formuler à l'égard de cette décision est que, une fois le principe du délai de cinq jours pour préparer le recours sans assistance adéquate jugé insuffisant, la Cour n'apporte pas davantage de précisions, laissant ainsi, le législateur français en charge d'apporter des améliorations au système, dans la plus grande expectative (2).

II - Les insuffisances relevées par la Cour quant à l'effectivité des recours des demandes d'asile en procédure prioritaire

Les juges strasbourgeois précisent, par ailleurs, que le manque d'effectivité des recours exercés par le requérant n'a pu être compensé en appel. Sa demande ayant été traitée en procédure prioritaire, le requérant ne disposait, en effet, d'aucun recours en appel ou en cassation suspensifs, que ce soit devant la CNDA, la cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat, la simple possibilité d'un recours de plein droit suspensif devant le tribunal administratif pouvant, cependant, suffire à estimer que les exigences de l'article 13 sont satisfaites (CEDH, 22 septembre 2011, Req. 64780/09 N° Lexbase : A9480HXE). Ici, seule l'application de l'article 39 du règlement de la CEDH a pu suspendre l'éloignement du requérant, pour lequel un laissez-passer avait déjà été émis par les autorités soudanaises. En effet, à l'issue des procédures devant l'OFPRA et le juge administratif, rien n'aurait pu empêcher cet éloignement du requérant, ni, par conséquent, la décision de non-lieu à statuer de la CNDA. L'effectivité des recours au sens de l'article 13 de la Convention ne dépend évidemment pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant. Toutefois, sans son intervention, le requérant aurait fait l'objet d'un refoulement vers le Soudan, sans que ses demandes aient fait l'objet d'un examen aussi rigoureux que possible, l'accessibilité en "pratique d'un recours étant déterminante pour évaluer son effectivité" (CEDH, 21 janvier 2011, Req. 30696/09 N° Lexbase : A4543GQC).

Par ailleurs, l'effectivité implique des exigences de qualité et de rapidité même si les Etats doivent conserver une certaine marge d'appréciation quant à la manière de se conformer à leurs obligations en la matière (CEDH, 11 juillet 2000, Req. 40035/98 N° Lexbase : A3850ICL), la durée excessive d'un recours pouvant le rendre inadéquat (CEDH, 31 juillet 2003, Req. 50389/99 N° Lexbase : A3851ICM). Elle demande aussi impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale (CEDH, 12 avril 2005, Req. 36378/02 N° Lexbase : A9432DHS), un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l'article 3, ainsi qu'une célérité particulière (CEDH, 3 juin 2004, Req. 33097/96 N° Lexbase : A3719DCQ). La Cour estime donc que le requérant n'ayant pas disposé en pratique de recours effectifs lui permettant de faire valoir le bien-fondé du grief tiré de l'article 3 de la Convention, alors que son éloignement vers le Soudan était en cours, elle conclut à la violation de l'article 13 combiné à l'article 3.

Toutefois, plusieurs décisions rendues par les juridictions françaises récemment n'inclinent pas à penser que ces points feront l'objet d'une amélioration concrète dans un futur proche. Dans une décision rendue le 8 avril 2011 (Cons. const., décision n° 2011-120 QPC, du 8 avril 2011 N° Lexbase : A5889HM3), les Sages relèvent que les articles L. 551-1 (N° Lexbase : L1317HPH), L. 552-1 (N° Lexbase : L5110IPX), L. 741-4 (N° Lexbase : L5929G4D) et L. 742-6 (N° Lexbase : L5935G4L) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui sont relatifs au placement en rétention administrative des étrangers et aux conditions dans lesquelles l'admission en France d'un étranger demandant à bénéficier de l'asile peut être refusée, ont déjà été jugés conformes à la Constitution dans trois décisions datant de 1993 (Cons. const., décision n° 93-325 DC N° Lexbase : A8285ACT) et 2003 (Cons. const., décision n° 2003-484 DC, du 20 novembre 2003 N° Lexbase : A1952DAK) et décision n° 2003-485 DC, du 4 décembre 2003 N° Lexbase : A0372DIM). Les modifications dont ces articles ont fait l'objet depuis ces décisions n'étant pas, elles-mêmes, contraires à la Constitution, ces articles demeurent donc conformes à la Constitution.

En outre, dans deux décisions rendues le 21 mars 2011 (CE 9° et 10° s-s-r., 21 mars 2011, deux arrêts, n° 346164 N° Lexbase : A5811HI3 et CE référé, 21 mars 2011, n° 347232 N° Lexbase : A5815HI9, mentionné aux tables du recueil Lebon), le Conseil d'Etat a jugé que a circonstance qu'il existe actuellement un risque que certaines demandes d'asile ne soient pas traitées dans l'un des pays de l'Union européenne, dans des conditions propres à garantir le droit d'asile et le droit de toute personne à ne pas subir de traitements inhumains et dégradants, ne justifie pas le renvoi au Conseil constitutionnel des dispositions codifiées au premier alinéa de l'article L. 531-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1313HPC), relatives aux mesures d'éloignement prises dans le cadre de l'Union européenne. Enfin, une nouvelle et récente condamnation de la France (CEDH, 19 janvier 2012, Req. 39472/07 et 39474/07, préc..) peut aussi causer une certaine inquiétude en la matière. "Les frontières sont une invention des hommes [...]", disait l'autre.


(1) OFPRA, Rapport annuel 2010.
(2) Lire Nicolas Hervieu, Le droit français de l'asile et la procédure prioritaire à l'épreuve des exigences conventionnelles, in Lettre "Actualités Droits-Libertés" du CREDOF, 3 février 2012.

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