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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix-Marseille III
le 16 Février 2012
La France pratique la dualité de juridictions : ordre administratif et ordre judiciaire. Des conflits de compétence peuvent surgir, qui sont dits "négatifs" si les deux ordres de juridictions s'estiment incompétents, et "positifs" si, au contraire, les deux revendiquent le droit de trancher une même affaire. Pour régler cette question, un arbitre paritaire, composé pour moitié de conseillers d'Etat et pour moitié de conseillers à la Cour de cassation, est indispensable. Il s'agit du Tribunal des conflits (Thierry Lambert, Contentieux fiscal, Hachette, coll : Les fondamentaux, 2011, p. 14).
Dans l'affaire qui nous occupe, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard d'une SARL. A cette occasion, l'administration a déclaré, à titre définitif, une créance privilégiée. La mandataire ad hoc de la société a fait valoir que celle-ci serait prescrite.
La cour d'appel de Paris a décliné la compétence du tribunal de la procédure collective pour connaître de cette contestation. Elle a imparti à l'intéressé un délai de deux mois pour saisir la juridiction administrative compétente. En conséquence, le tribunal administratif a été saisi d'une demande tendant à ce que la créance fiscale en cause soit déclarée prescrite.
Le tribunal administratif a jugé que la procédure de liquidation judiciaire, clôturée par jugement du tribunal de commerce de Paris, était toujours en cours. Il a décliné la compétence de la juridiction administrative pour connaître de la contestation soulevée par le mandataire et a saisi le Tribunal des conflits.
Rappelons que l'article L. 281 du LPF (N° Lexbase : L8541AE3) prévoit que les contestations relatives aux poursuites concernant les impositions dont le contentieux relève de la compétence du juge administratif sont soumises au tribunal administratif lorsqu'elles portent sur l'existence de l'obligation de payer, sur la quotité ou sur l'exigibilité de l'impôt.
La cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé que les tribunaux de l'ordre judiciaire étaient seuls compétents pour connaître des contestations relatives au droit de l'administration de mettre en oeuvre le privilège du Trésor (CAA Bordeaux, 5ème ch., 29 mars 2005, n° 01BX00918, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9854DHG).
Le fait que la liquidation des biens d'une société exerce une influence sur l'action en contestation de la mise en oeuvre de la solidarité pour paiement d'impôts n'entraîne pas systématiquement la compétence du tribunal de la procédure collective (Cass. com., 28 juin 2005, n° 03-14.767, F-D N° Lexbase : A8454DIX).
Dans le cas général où une procédure collective suit son cours, le tribunal de la procédure collective est seul compétent pour connaître des contestations nées du redressement ou de la liquidation judiciaire, même si les créances contestées sont fiscales et concernent un impôt dont le contentieux appartient à la compétence du juge administratif (T. conf., 26 mai 2003, n° 3354 N° Lexbase : A1558DQR ; RJF, 2003, 8-9, comm. 1025). Mais quand la contestation est relative à l'exigibilité d'une créance fiscale afférente à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu qui ne se rattache à aucune procédure collective en cours, elle relève de la compétence du juge administratif (T. conf., 17 décembre 2007, n° 3643 N° Lexbase : A1582D3Y ; RJF, 2008, 5, comm. 590).
Le Tribunal des conflits n'a d'autre solution que de déclarer compétente la juridiction administrative pour un litige relatif à un avis à tiers détenteur émis après la clôture d'une procédure collective pour insuffisance d'actifs, quand bien même la dette fiscale litigieuse est née au cours de la période écoulée entre l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire et la liquidation de l'entreprise (T. conf., 10 octobre 2009, n° 3694 N° Lexbase : A2509EMU ; Procédures, 2009, 12, comm. 432, note Ayrault).
A suivre la cour administrative d'appel de Nancy, le tribunal de la procédure collective est seul compétent pour connaître de la contestation relative à la déclaration provisionnelle d'une créance fiscale au représentant des créanciers lors d'une procédure collective (CAA Nancy, 1ère ch., 17 janvier 2008, n° 06NC01078, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1405D4S).
Le Tribunal des conflits observe que la contestation portée devant la juridiction administrative est relative à une créance déclarée par le comptable public lors de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire. Cette procédure a, ensuite, été irrévocablement clôturée postérieurement à la saisine de la juridiction administrative. En conséquence, Le Tribunal affirme que toute contestation relative à une créance fiscale, soulevée avant la clôture d'une procédure collective, doit être traitée par le juge de la procédure collective. Autrement dit, alors même que la contestation portait sur l'exigibilité d'une créance fiscale, il n'appartenait qu'au tribunal de la procédure collective d'en connaître.
La conclusion s'impose : la juridiction judiciaire est seule compétente pour connaître du litige qui oppose le mandataire de la société à l'administration fiscale. Le juge de la procédure collective n'est compétent que tant que la procédure de cette nature n'est pas épuisée.
Dans cette affaire, le juge délégué par le président du tribunal de grande instance a autorisé des agents de l'administration fiscale, le 21 avril 1999, à effectuer une visite et une saisie de documents dans des locaux occupés par le contribuable et son épouse mais aussi dans une banque, en vue de rechercher la preuve d'une fraude fiscale au titre de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, ou des bénéfices non commerciaux, et de la TVA.
Il était fait application de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L2813IPU).
Le contribuable était soupçonné de fraude fiscale, au motif que, lors d'une perquisition chez un tiers, exerçant dans le négoce de produits agro-alimentaires, sa carte de visite professionnelle a été découverte. Il était, en outre, titulaire de plusieurs comptes bancaires, disposait de trois lignes téléphoniques et deux abonnements de téléphone portable révélant d'importantes consommations, de deux véhicules et d'un appartement dont il était propriétaire. Ce contribuable n'avait pas souscrit de déclarations de revenus, ce qui sans doute avait suscité l'intérêt de l'administration.
Le décret du 10 septembre 1990, portant incorporation au Livre des procédures fiscales de diverses dispositions (décret n° 90-799 du 10 septembre 1990, portant incorporation au LPF de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce livre N° Lexbase : L1755ISS), fixe pour principe que "le juge motive sa décision par des indications des éléments de fait et de droit qu'il retient et qui lui laissent présumer, en l'espèce, l'existence des infractions dont la preuve est recherchée". Pour la Cour de cassation, de simples présomptions justifient l'autorisation de visites domiciliaires (Cass. com., 2 février 2010, n° 09-13.741, F-PB N° Lexbase : A6172ERZ ; RJF, 2010, 5, comm. 497). Ajoutons que, si le juge doit vérifier que l'administration a réuni des éléments d'information laissant présumer l'existence d'une fraude, il n'exige pas, pour autoriser la visite, qu'elle prouve la fraude (Cass. com., 4 octobre 1994, n° 93-12.949, publié au Bulletin N° Lexbase : A4953ACG).
Reconnaissons que, dans l'affaire qui nous occupe, beaucoup d'éléments peuvent laisser penser que le contribuable disposait de revenus, alors que le contribuable n'avait rien déclaré.
Si le juge autorise, par une ordonnance complémentaire, une visite chez une personne qui n'était pas destinataire de l'ordonnance principale, les mentions exigées doivent être reportées sur cette ordonnance complémentaire (Cass. com., 4 octobre 1994, n° 93-12.956, publié au Bulletin N° Lexbase : A4954ACH).
Le contribuable a contesté cette procédure devant le premier président de la cour d'appel de Paris qui, le 12 octobre 2010, a validé la procédure. Selon une formule consacrée, le premier président justifie sa décision en relevant, par des motifs propres et adaptés, les faits à partir desquels il apprécie souverainement l'existence d'une présomption de fraude fiscale et retient, sans inverser la charge de la preuve, que les griefs à l'encontre de l'ordonnance contestée ne sont pas établis (Cass. com., 14 septembre 2010, n° 09-67.404, F-P+B N° Lexbase : A5877E9K ; RJF, 2011, 1, comm. 54).
L'intéressé faisait valoir que, devant le premier juge, il n'avait pas bénéficié d'une procédure contradictoire, reprochant à l'administration de ne pas avoir fait valoir tous les éléments à décharge qui étaient en sa possession. Il souhaite tirer argument du fait qu'il avait répondu à l'administration quand celle-ci lui demandait de souscrire des déclarations de revenus, considérant que résident étranger il n'avait pas à satisfaire à cette exigence. Enfin, le contribuable avait excipé de sa qualité de diplomate, en produisant un passeport diplomatique dès le début de la visite. Sur ce point, le premier juge avait pris la précaution d'informer le ministère des Affaires étrangères.
Celui-ci n'a pas reconnu le contribuable comme diplomate accrédité par la France.
Le contribuable concluait de ses éléments que le premier président de la cour d'appel avait violé à la fois l'article L. 16 B du LPF mais aussi l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR).
L'inexécution des obligations déclaratives, qui est sanctionnée par des pénalités, est sans incidence sur la mise en oeuvre de l'article L. 16 B du LPF (Cass. com., 12 janvier 1999, n° 97-30.033, inédit N° Lexbase : A7899CRY, RJF, 1999, 4, comm. 431).
Il a été jugé que l'administration n'a pas l'obligation de fournir au juge des éléments en sa possession qui n'ont pas d'incidence sur l'appréciation du juge, ou qui constituent des éléments à décharge (Cass. com., 29 juin 1999, n° 97-30.288, inédit au Bulletin N° Lexbase : A8225AH4).
La Cour de cassation a donné acte au contribuable, qui n'avait à souscrire de déclarations de revenus, étant résident au Niger. Ceci est sans incidence, pas plus que la possession d'un passeport diplomatique, sur la mise en oeuvre de l'article L. 16 B du LPF. En effet, la Cour retient, sans nous en dire plus, que l'autorisation administrative "était fondée sur une présomption de fraude résultant d'autres éléments". Si le contribuable avait été un diplomate accrédité par la France la solution aurait-elle été autre? Rien n'est moins certain.
Un couple de contribuables a fait l'objet d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle (ESFP). A la suite de la proposition de rectification que leur a adressée l'administration, ils ont demandé à cette dernière de bien vouloir leur communiquer une copie des documents qu'elle s'était procurée auprès de la société dont l'époux avait été le gérant jusqu'à la date de la liquidation judiciaire et de la désignation d'un mandataire judiciaire. La demande était restée vaine. Il appartient au contribuable d'administrer la preuve qu'il a demandé à l'administration la communication des documents avant la mise en recouvrement (CE 8° et 3° s-s-r., 1er mars 2000, n° 181665, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9255AGU ; Revue de jurisprudence fiscale, 2000, 4, comm. 524).
L'article L. 76 B du LPF (N° Lexbase : L7606HEG) expose clairement que "l'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet d'une proposition" de rectification. Le contribuable doit recevoir cette information dans la proposition de rectification ou, éventuellement, dans la réponse aux observations du contribuable (CE 10° s-s., 12 octobre 2001, n° 217378, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1808AXA ; RJF, 4, comm. 423). En l'espèce, le juge rappelle à l'administration ce principe. Celle-ci n'est tenue de mettre à la disposition des contribuables qui le demandent que les documents qui contiennent des renseignements qui lui ont été utiles pour rédiger une proposition de rectification (CE 10° et 9° s-s-r., 15 février 2002, n° 217394, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1689AY9 ; Droit fiscal, 2002, comm. 623, concl. Mitjavile).
En revanche, il appartient à l'administration de répondre à la demande de communication en proposant au contribuable des modalités pratiques de communication destinées à tenir compte de la nature et du volume des documents demandés, faute de quoi la procédure est irrégulière (CE 8° et 9° s-s-r., 19 janvier 1998, n° 169132, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6091ASE ; Droit fiscal, 1998, comm. 309, concl. Arrighi de Casanova).
L'administration ne peut pas régulariser la situation devant le juge. En effet, il a été jugé que les impositions doivent être annulées bien que les documents concernés aient été communiqués devant le tribunal administratif, au motif que le caractère contradictoire de la procédure visée par l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L0638IH4) n'a pas été respecté, cette irrégularité constituant une atteinte aux droits de la défense (CAA Paris, 2ème ch., 15 décembre 2004, n° 01PA03912, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1148DID ; RJF, 2005, 2, comm. 137).
L'administration qui entend faire référence aux documents ainsi obtenus doit le faire avec une précision suffisante pour permettre au contribuable de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition, avant la mise en recouvrement des impositions.
Il est incontestable que, lorsque le contribuable en fait la demande, l'administration est tenue de lui communiquer les documents, ou copies, contenant les renseignements obtenus auprès de tiers et qui lui sont opposés. Ajoutons que ce principe s'applique alors même que le contribuable a pu avoir connaissance de ces renseignements ou de certains d'entre eux (CE 8° et 3° s-s-r., 13 avril 2005, n° 252165, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8416DH8 ; RJF, 2005, 7, comm. 720). Ceci permet au contribuable de discuter, éventuellement, l'authenticité des documents et la teneur des informations exploitées par l'administration.
Dans cette affaire, l'administration s'est abstenue de communiquer les documents à partir desquels elle a proposé une rectification, au motif que le couple avait également saisi d'une demande analogue le mandataire judiciaire.
La cour administrative d'appel de Nancy a jugé que l'abstention de l'administration entache la procédure d'irrégularité. Cette solution s'inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d'Etat, selon laquelle sont entachées de nullité les rectifications fondées sur des documents dont le contribuable a demandé la communication, mais que l'administration lui a refusée avant la mise en recouvrement des impositions (CE 9° et 8° s-s-r., 9 juillet 1986, n° 30770, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3898AMC ; Droit fiscal, 1986, comm. 2393, concl. Racine).
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