La lettre juridique n°473 du 16 février 2012 : Voies d'exécution

[Jurisprudence] Conséquences en France de l'altération du caractère exécutoire d'une décision de justice allemande certifiée en tant que titre exécutoire européen

Réf. : Cass. civ. 2, 6 janvier 2012, n° 10-23.518, F-P+B (N° Lexbase : A0300H9Y)

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N0282BTM

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par Guillaume Payan, Maître de conférences à l'Université du Maine

le 16 Février 2012

Le certificat de titre exécutoire européen, visé dans le Règlement européen (CE) n° 805/2004 du 21 avril 2004 (N° Lexbase : L1994DYI), ne produit ses effets que dans les limites de la force exécutoire de la décision de justice certifiée. En cas d'altération de cette force exécutoire, la mesure d'exécution forcée pratiquée sur la base de cette décision de justice n'a plus de fondement juridique et sa mainlevée peut être ordonnée. Telle est la solution qui se dégage d'un arrêt rendu le 6 janvier 2012 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation. A l'instar du Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 dit "Bruxelles I" (N° Lexbase : L7541A8S) (1), le Règlement (CE) n° 805/2004 du 21 avril 2004, portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées (2), permet l'exécution d'un titre exécutoire dans un Etat membre différent de celui dans lequel il a été obtenu. En somme, il organise la circulation des titres exécutoires -décisions de justice, transactions judiciaires et actes authentiques- entre les Etats membres de l'Union européenne. Ce règlement se distingue toutefois du Règlement "Bruxelles I" en supprimant toutes "mesures intermédiaires", dans l'Etat membre d'exécution, préalables à la reconnaissance et à l'exécution desdits titres exécutoires. En effet, de façon assez originale, ce règlement subordonne la circulation transfrontière d'un titre à la délivrance, dans l'Etat membre d'origine, par la "juridiction d'origine" (3), d'un certificat de titre exécutoire européen. La délivrance de ce certificat est alors soumise à différentes conditions énumérées dans le règlement (4). Ainsi, par exemple, pour être certifiée en tant que titre exécutoire européen, une décision de justice relative à une créance "incontestée" -telle que définie à l'article 3, § 1, point b) ou c) du Règlement (5) - doit être exécutoire dans l'Etat membre d'origine. Elle doit également avoir été obtenue à l'issue d'une procédure judiciaire respectant les "normes minimales" visées dans le chapitre III de ce Règlement (6) et ne pas être incompatible avec certaines règles de compétence (7) définies par le Règlement (CE) n° 44/2001. Il est, en outre, exigé que la décision ait été rendue dans l'Etat membre du domicile du débiteur, si la créance se rapporte à un contrat conclu par un consommateur et si le débiteur est consommateur.

Le Règlement (CE) n° 805/2004 a abondamment été commenté (8) et constitue sans doute l'un des instruments européens, adoptés dans le domaine de la coopération judiciaire civile (9), qui a été le plus critiqués par la doctrine européenne (10). On lui reproche principalement sa complexité ainsi que le caractère peu protecteur des "normes minimales de procédure" au respect desquelles la -libre- circulation transfrontière des décisions de justice est subordonnée. Par ailleurs, souffrant sans doute de la "concurrence" d'autres Règlements européens ayant un objet similaire (11), ce Règlement demeure peu utilisé en France. En conséquence, la jurisprudence le concernant est, à ce jour, peu abondante. C'est donc avec grand intérêt que l'on peut se pencher sur l'une des premières affaires, relatives à la mise en oeuvre de ce règlement, soumises à la Cour de cassation.

L'affaire qui a donné lieu à l'arrêt -de rejet- de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 6 janvier 2012, est somme toute assez banale. Il s'agit d'un litige entre deux ex-époux, respectivement domiciliés en Allemagne et en France, relatif au paiement d'arriérés de pensions alimentaires. Ce litige, qui s'est déroulé parallèlement dans ces deux Etats membres, a néanmoins engendré, pour sa résolution, l'intervention de six juridictions différentes.

En octobre 2005, le tribunal d'instance de Stuttgart prononce, à la demande de l'ex-épouse (ci-après, la requérante), une ordonnance d'injonction de payer à l'encontre de son ex-mari. Le patrimoine de ce dernier se situant en France, la requérante demande à cette même juridiction -et obtient en janvier 2006- la certification de cette décision de justice exécutoire en titre exécutoire européen. Sur le fondement de ce titre exécutoire européen, elle fait pratiquer, en France, en décembre 2006, une saisie-attribution sur les comptes ouverts au nom de son ex-époux et fait procéder à l'inscription d'une hypothèque judiciaire sur un bien immobilier lui appartenant. En réaction, ce dernier va organiser sa défense en Allemagne, comme en France.

En Allemagne, il fait opposition à l'injonction de payer servant de base au titre exécutoire européen et obtient, du tribunal de première instance de Konstanz, en octobre 2007, la remise en cause de l'ordonnance d'injonction de payer. Cette solution passe en force de chose jugée en août 2008, la requérante ayant, entre temps, sans succès, interjeté appel de cette décision auprès de la cour d'appel de Karlsruhe (12).

Parallèlement, en France, il saisit un juge de l'exécution d'une demande de mainlevée des mesures prises à son encontre. Après avoir, dans un premier temps, sursis à statuer de ces demandes dans l'attente de l'issue de la procédure introduite -par l'ex-mari- devant la Cour d'appel de Karlsruhe, le juge de l'exécution saisi a, dans un second temps, ordonné notamment la mainlevée de la saisie-attribution et condamné la requérante à restituer à son ex-mari une somme d'argent au titre des intérêts au taux légal sur les sommes ayant fait l'objet de ladite saisie-attribution. La requérante a alors interjeté appel de cette décision devant la cour d'appel de Caen et a été déboutée dans un arrêt du 23 mars 2010. Elle s'est alors pourvue en cassation en développant trois moyens.

A vrai dire, les trois moyens développés par la requérante à l'encontre de l'arrêt attaqué sont d'inégale importance au regard de l'application du Règlement (CE) n° 805/2004. C'est la raison pour laquelle seul le premier moyen sera évoqué ici (13). Ce moyen concerne les effets du certificat de titre exécutoire européen au regard de l'"actualité exécutoire" (14) de la décision de justice certifiée.

La requérante fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné -selon elle, en violation des articles 6 et 10 du Règlement (CE) n° 805/2004 (15)- la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée, en France, sur les comptes ouverts au nom de son ex-époux. Elle estime, en effet, que le juge de l'exécution n'était pas compétent pour connaître des contestations relatives au titre exécutoire européen litigieux. Plus précisément, elle prend appui sur l'article 6, § 2 du Règlement (CE) n° 805/2004, selon lequel "lorsqu'une décision certifiée en tant que titre exécutoire européen a cessé d'être exécutoire ou que son caractère exécutoire a été suspendu ou limité, un certificat indiquant la suspension ou la limitation de la force exécutoire est délivré, sur demande adressée à tout moment à la juridiction d'origine, au moyen d'un formulaire type figurant [en annexe du Règlement]" (16) et constate que cela n'a pas été le cas en l'espèce, le tribunal d'instance de Stuttgart n'ayant pas délivré un tel certificat mentionnant la suspension ou la limitation de la force exécutoire de l'ordonnance portant injonction de payer qu'il avait prononcé en octobre 2005. Après avoir repris à son compte la règle posée dans l'article 11 du Règlement (CE) n° 805/2004 suivant laquelle le "certificat de titre exécutoire européen ne produit ses effets que dans la limite de la force exécutoire de la décision", elle en déduit que le titre exécutoire européen litigieux a continué à produire ses effets.

La Cour de cassation rappelle, à son tour, la règle posée dans l'article 11 du Règlement (CE) n° 805/2004, mais pour parvenir à la solution opposée et rejeter le pourvoi. Selon la Cour de cassation, en effet, la cour d'appel de Caen a ordonné, à bon droit, la mainlevée de la saisie-attribution, dès lors qu'elle a relevé qu'une décision passée en force de chose jugée du tribunal de première instance de Konstanz d'octobre 2007 "avait annulé le mandat d'exécution européen du tribunal d'instance de Stuttgart homologué en titre exécutoire européen le 24 janvier 2006 par ce même tribunal" et "retenu exactement que, conformément à l'article 11 du Règlement européen n° 805/2004, le certificat de titre exécutoire européen ne produisait ses effets que dans la limite de la force exécutoire de la décision dont la cour d'appel de Karlsruhe avait certifié dans son arrêt du 12 août 2008 qu'elle n'était plus exécutoire, de sorte que la saisie-attribution n'avait plus de fondement juridique".

On le voit, dans cette décision, la Cour de cassation paraît retenir une interprétation extensive de la notion de "juridiction d'origine" visée dans l'article 6, § 2, du Règlement (CE) n° 805/2004, en admettant que la cour d'appel de Karlsruhe -et non le tribunal de première instance de Konstanz- avait rempli la formalité prévue par cet article. L'essentiel était-il sans doute d'éviter qu'une mesure d'exécution forcée, qui n'a plus de fondement juridique, puisse continuer à produire ses effets.


(1) JOUE n° L 12, 16 janvier 2001. Ce Règlement, on le sait, est sur le point d'être refondu. Sur ce point, voir notamment, la proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Refonte), COM(2010) 748 final, du 14 décembre 2010.
(2) JOUE n° L 143, 30 avril 2004, p. 15.
(3) Règlement (CE) n° 805/2004, spéc. art. 6.
(4) Voir spéc. les articles 6 (pour les décisions judiciaires), 24 (pour les transactions judiciaires) et 25 (pour les actes authentiques) de ce Règlement.
(5) Selon ces dispositions, une créance est réputée incontestée "si le débiteur ne s'y est jamais opposé, conformément aux règles de procédure de l'Etat membre d'origine, au cours de la procédure judiciaire" ou "si le débiteur n'a pas comparu ou ne s'est pas fait représenter lors d'une audience relative à cette créance après l'avoir initialement contestée au cours de la procédure judiciaire, pour autant que sa conduite soit assimilable à une reconnaissance tacite de la créance ou des faits invoqués par le créancier en vertu du droit de l'Etat membre d'origine".
(6) Règlement (CE) n° 805/2004, spéc. art. 12 à 19. Ces normes minimales ont trait à la notification et au contenu de l'acte introductif d'instance.
(7) Il s'agit des règles incluses dans les sections 3 et 6 du chapitre II du Règlement (CE) n° 44/2001, consacrées à la compétence en matière d'assurances et aux compétences exclusives.
(8) Voir par ex. J.-F. van Drooghenbroeck et S. Brijs, Un titre exécutoire européen, Larcier, Les dossiers du journal des tribunaux n° 53, 2006, p. 360.
(9) Domaine aujourd'hui défini par l'article 81 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2733IPW).
(10) Voir, par ex., Union internationale des huissiers de justice, Le titre exécutoire européen, Institut de droit international judiciaire privé et de droit de l'exécution (IDJPEX), Juris-Union n°1, novembre 2007, 70 p. ou encore F. Ferrand, Le titre exécutoire européen ou les possibles tensions entre jugement sans frontières et procès équitable, in Mélanges en l'honneur de Mariel Revillard, Defrénois, 2007, p. 107.
(11) Il s'agit principalement du Règlement (CE) n° 44/2001 précité du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale ; du Règlement (CE) n° 1896/2006 du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer (N° Lexbase : L1426IRA ; JOUE n° L 399, 30 décembre 2006, p. 1) et du Règlement (CE) n° 861/2007 du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne pour le règlement des petits litiges (N° Lexbase : L1110HYR, JOUE n° L 199, 31 juillet 2007, p. 1).
(12) Notons que cette cour d'appel est intervenue à deux reprises dans cette affaire. Tout d'abord, en juin 2008, pour rejeter l'appel formé, par l'ex-épouse, à l'encontre du jugement du tribunal de Konstanz du 25 octobre 2007 et, ensuite, en août 2008, pour rejeter l'opposition formée par cette même personne à l'encontre de son arrêt de juin 2008 pour un prétendu non-respect du droit d'être entendu par le juge.
(13) Dans le deuxième moyen, la requérante arguait de l'existence d'un "mandat apparent" (entre l'ex-époux et son notaire, à propos de la demande faite à la requérante de donner mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire contre paiement du solde du prix de vente de la propriété concernée) afin de conserver certaines sommes d'argent remises par son ex-mari. Dans le troisième moyen, la requérante contestait l'existence d'un abus de droit d'agir en justice et, partant, contestait le paiement de dommages et intérêts au profit de son ex-époux. Néanmoins, aucun des arguments avancés par la requérante ne sera couronné de succès. S'agissant de l'abus du droit d'agir en justice, la Cour de cassation indique que la cour d'appel de Caen a "suffisamment caractérisé le comportement fautif" de la requérante, justifiant sa condamnation à des dommages-intérêts, en relevant qu'elle "avait maintenu sa procédure d'appel alors même qu'elle savait [...] qu'elle ne disposait plus d'un titre exécutoire définitif justifiant la mesure de saisie-attribution et qu'elle ne pouvait raisonnablement croire que le versement opéré entre les mains de l'huissier de justice qu'elle avait mandaté pour inscrire une hypothèque judiciaire constituait, en l'état des contestations de sa dette soulevées par [son ex-époux] devant les juridictions allemandes, un paiement volontaire".
(14) Expression empruntée à J.-F. van Drooghenbroeck et S. Brijs, Un titre exécutoire européen, préc., p. 117.
(15) L'article 6 du Règlement précise les conditions de la certification en tant que titre exécutoire européen, alors que l'article 10 de ce même Règlement concerne la rectification ou le retrait du certificat de titre exécutoire européen.
(16) Par hypothèse, ce certificat devant ensuite être présenté aux juridictions compétentes de l'Etat membre d'exécution afin que ces dernières en tirent les conséquences quant aux mesures d'exécution d'ores et déjà pratiquées ou en cours sur le fondement de la décision de justice qui avait été certifiée en tant que titre exécutoire européen.

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