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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var
le 26 Mai 2016
Quel est le point de départ du délai de déclaration de créance ? En droit commun, la réponse est simple : la publication au BODACC du jugement d'ouverture. Ce principe est tenu en échec pour les créanciers titulaires de sûretés publiées ou de contrats publiés. A leur égard, le délai de déclaration de créance court à compter d'un avertissement personnel qu'ils reçoivent.
Si ces règles sont simples en leur énoncé, des difficultés pratiques peuvent se présenter pour leur application, comme en témoigne un arrêt rendu le 31 janvier 2012 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, au centre duquel se trouve la question du point de départ du délai de déclaration des créances.
En l'espèce, un masseur-kinésithérapeute avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire le 4 février 2008, publiée au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales le 28 février. La caisse de retraite (CARPIMKO), avec laquelle ce professionnel libéral était obligatoirement lié par une convention d'affiliation, n'avait cependant déclaré sa créance de cotisations impayées que le 21 janvier 2009. Après avoir contesté, en vain, devant les juges du fond, le caractère tardif de sa déclaration, la caisse de retraite s'était pourvue en cassation en arguant du fait que le délai de déclaration de créances n'avait pas couru à son égard.
Au soutien de son pourvoi, la CARPIMKO faisait valoir deux arguments, au demeurant inconciliables entre eux. A titre principal, il était soutenu que le créancier devait bénéficier d'un avertissement personnel en tant que titulaire d'un contrat publié. Si l'opinion était suivie, le deuxième argument n'aurait plus d'intérêt. Au contraire, si l'argumentation était rejetée, de façon subsidiaire, le créancier soutenait que, du fait d'une mention erronée dans la publication au BODACC du jugement d'ouverture, le délai de déclaration de créance n'avait pas couru à son encontre. Ainsi, l'occasion était-elle donnée à la Cour de cassation de s'intéresser d'abord à la notion de créancier lié au débiteur au titre d'un contrat publié (I) et, ensuite, à l'incidence du caractère erroné d'une mention figurant dans la publicité du jugement d'ouverture au BODACC (II).
I - Appréciation stricte de la notion de créancier lié au débiteur par un contrat publié
De premier chef, la caisse de retraite soutenait qu'elle devait être assimilée à un créancier lié au débiteur par un contrat publié au sens de l'article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L3455ICX) qui énonce, dans son premier alinéa, que "les créanciers [...] liés au débiteur par un contrat publié sont avertis personnellement ou, s'il y a lieu, à domicile élu [d'avoir à déclarer leurs créances]. A leur égard, le délai de déclaration de créances de deux mois court à compter de la notification de cet avertissement". Aux yeux de la CARPIMKO, cette assimilation devait découler de ce qu'elle était liée à son adhérent par une convention d'affiliation obligatoirement conclue en application de l'article R. 643-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7874ADY) qui, s'agissant d'un texte réglementaire, avait été publié.
Cette argumentation ne convainc pas la Cour de cassation qui considère que "la cour d'appel a exactement énoncé que le caractère obligatoire, en application d'un texte légal publié, de l'affiliation, par voie de déclaration, de tout professionnel libéral à la section de la caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales dont il relève, telle la CARPIMKO, n'a pas pour effet de lier les parties par un contrat publié au sens de l'article L. 622-24, alinéa 1er, du Code de commerce [...], de sorte que la CARPIMKO n'avait pas à être avertie personnellement d'avoir à déclarer sa créance".
Cette solution doit être approuvée. Elle s'avère non seulement conforme à la lettre, parfaitement claire, du texte, mais également à son esprit.
A sa lettre d'abord : d'évidence, la caisse de retraite n'est pas liée à son adhérent par un contrat publié, condition qu'exige le texte pour que le créancier soit obligatoirement averti d'avoir à déclarer sa créance. D'une part, il n'y a pas de contrat, mais seulement une affiliation. D'autre part, cette affiliation ne fait l'objet d'aucune publicité au sens du Code de commerce.
A son esprit, ensuite : l'objectif du législateur a été d'"offrir" un avertissement obligatoire au propriétaire de meubles, titulaire par ailleurs d'un autre avantage sur le terrain des revendications dans la mesure où il est dispensé de faire reconnaître son droit de propriété lorsque le contrat portant sur son bien a fait l'objet d'une publicité (C. com., art. L. 624- 10 N° Lexbase : L5569HDM). Pour s'en convaincre, il suffit de s'intéresser aux dispositions de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L4126BMR), dans leur rédaction issue de la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7). Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, l'ancien article L. 621-43, alinéa 1er in fine (N° Lexbase : L6895AI9), obligeait à avertir les crédit-bailleurs. La loi de sauvegarde (loi n° 2005-645 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT) a étendu l'obligation d'avertissement à tous les créanciers titulaires d'un contrat publié et l'on comprend bien que, dans l'esprit du législateur sont donc visés ici non plus seulement les crédit-bailleurs, mais également les loueurs financiers, les titulaires de contrats de vente avec clause de réserve de propriété ou le créancier prêteur subrogé dans leurs droits, les créanciers ayant donné en location-gérance leur fonds de commerce ou encore les titulaires de contrats portant sur les marques et brevets, c'est-à-dire tous les créanciers qui sont soumis à une publicité obligatoire ou qui, dans le cas contraire, peuvent facultativement publier leurs contrats "en l'absence de règlementation particulière, au registre mentionné à l'article R. 313-4 du Code monétaire et financier ( N° Lexbase : L5049HCY) [c'est-à-dire selon les formes de publicité du contrat de crédit-bail] ou au registre prévu au troisième alinéa de l'article R. 621- 8 (N° Lexbase : L3592IND) [registre spécial ouvert au greffe du tribunal de grande instance lorsque la personne n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 621-8])".
Si le premier argument avait peu de chances de convaincre les juges, le second argument paraissait plus solide.
II - Incidence de l'irrégularité de la publicité du jugement d'ouverture au BODACC
A l'appui de son pourvoi, la caisse de retraite soutenait également qu'une irrégularité dans l'insertion au BODACC de l'avis d'ouverture de la procédure avait empêché le délai de déclaration de créances de courir.
L'alinéa 4 de l'article R. 621-8 du Code de commerce (1) prévoit qu'un avis du jugement d'ouverture de la procédure collective est adressé pour insertion au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. La date de publication au Bodacc conditionne le point de départ de certains délais, dont le délai de déclaration de créances.
Le contenu de cette publication est très précisément détaillé. Elle comporte l'avis aux créanciers d'avoir à déclarer leur créance entre les mains du mandataire judiciaire ou du liquidateur. L'insertion contient également des mentions relatives aux organes de la procédure : nom et adresse du mandataire judiciaire ou du liquidateur et de l'administrateur judiciaire, s'il en a été nommé un, et l'indication de ses pouvoirs. Doivent en outre être indiquées, la date du jugement d'ouverture, ainsi que diverses mentions relatives à l'identification du débiteur, telle que l'indication de son nom, du siège de l'entreprise, de son numéro d'immatriculation au registre ou répertoire (registre du commerce et des sociétés, répertoire des métiers ou des entreprises, registre spécial ouvert au greffe du tribunal de grande instance, selon le cas), de son activité. C'est précisément sur ce dernier élément qu'une irrégularité s'était glissée dans la publicité. L'insertion au BODACC indiquait que le débiteur exerçait une activité d'ostéopathe alors que ce dernier était masseur-kinésithérapeute.
La caisse de retraite soutenait que cette erreur rendait la publication irrégulière et, partant, impropre à faire courir le délai de déclaration de créances et ce, peu important l'absence de grief (2) que cette irrégularité avait pu lui causer.
La Chambre commerciale rejette le pourvoi dans les termes suivants : "attendu que l'arrêt [d'appel] relève que figurent sur l'extrait du BODACC tous les renseignements personnels relatifs [...au débiteur], l'erreur portant seulement sur l'indication de son activité ; que par ces seuls motifs, dont il résultait que tout créancier, quelle que soit sa qualité, pouvait, au vu de la publicité du jugement d'ouverture du redressement judiciaire, identifier le débiteur par des éléments essentiels, la cour d'appel, par une appréciation objective du vice invoqué et constaté, a pu décider que ce vice n'était pas de nature à entraîner la nullité de la publication".
A première vue, cet arrêt ne semble pas parfaitement conforme à la position qui avait antérieurement été adoptée par arrêt du 12 avril 2005 (3), dans lequel la Chambre commerciale avait jugé que "qu'une erreur sur la date du jugement d'ouverture, ne serait-ce que d'une journée, est une irrégularité concernant un élément essentiel de la publication, dès lors que cette mention obligatoire [...], qui détermine les créances soumises à l'obligation de déclaration, permet également aux créanciers d'arrêter le montant des créances qu'ils déclarent ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à prendre en considération l'existence ou non d'un grief causé à la banque par l'irrégularité de la publication dès lors qu'il lui était demandé, non de relever le créancier de la forclusion, mais de dire que l'insertion litigieuse n'avait pu, en raison du vice dont elle était atteinte et dont l'existence devait s'apprécier objectivement, faire courir le délai de déclaration des créances applicable à tous les créanciers du débiteur soumis à la procédure collective".
L'arrêt du 31 janvier 2012 constitue-t-il un revirement de jurisprudence ? A notre avis, il n'en est rien. Ces deux arrêts constituent, au contraire, deux pièces d'un puzzle qui s'assemblent et leur lecture permet d'affirmer que :
- l'irrégularité dans la publicité pourra conduire à son inefficacité en dehors même de tout grief causé au créancier qui s'en prévaut ;
- cependant, pour quel tel soit le cas, encore faut-il que cette irrégularité porte sur un élément essentiel de la publicité.
Cette irrégularité doit être appréciée objectivement par le juge et à l'égard de tous les créanciers concernés par cette publicité, raison pour laquelle l'existence ou non d'un grief à l'égard du créancier qui se prévaut de l'irrégularité est indifférent.
La date du jugement d'ouverture est considérée comme un élément essentiel, puisque cette mention obligatoire détermine les créances soumises à l'obligation de déclaration et permet également aux créanciers d'arrêter le montant des créances à déclarer. C'est pourquoi une erreur sur cette date a pour effet d'invalider la publicité et d'empêcher, en conséquence, le cours du délai de déclaration de créance (4). Il en est de même de l'erreur empêchant l'identification du débiteur (5), qu'il s'agisse d'une erreur portant sur le nom du débiteur, de l'omission ou de l'erreur portant sur le numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés (6). Empêche encore le cours du délai de déclaration de créance, l'absence d'indication, dans la publication au Bodacc, du devoir imparti au créancier de déclarer sa créance (7).
En revanche, à l'égard des créanciers, la mention de l'activité exercée n'apparaît pas un élément essentiel de la publicité, le débiteur étant parfaitement identifiable au moyen des autres mentions. En conséquence, cette irrégularité n'empêche pas le délai de déclaration de courir.
Symétriquement, il serait logique que les mêmes solutions soient applicables en matière de contenu du courrier d'avertissement obligatoire adressé aux créanciers titulaires de sûreté publiée ou liés avec le débiteur par un contrat publié imposé par l'article L. 622-24. Cet avertissement a, lui aussi, pour effet de marquer le point de départ du délai de déclaration des créanciers concernés. Cet avertissement doit être effectué en la forme recommandée (C. com., art. R. 622-21 N° Lexbase : L9260ICX). La jurisprudence considère qu'une inobservation de la forme recommandée rendait, sous l'empire de la législation ancienne, inopposable aux créanciers la forclusion éditée par le Code de commerce (8), peu important l'absence de grief causé par cette inobservation. Elle doit désormais, au regard de la modification législative issue de la loi du 26 juillet 2005, faire obstacle au cours du délai de déclaration, même si le créancier, averti par courrier simple, ne conteste pas avoir reçu l'avertissement (9) ou ne nie pas avoir eu connaissance du jugement d'ouverture (10).
En revanche, si une irrégularité est contenue dans les mentions portées dans l'avertissement, celui-ci ne devrait être tenu pour inexistant que si cette irrégularité porte sur un élément essentiel de la publicité (11).
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon
Sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, aux termes de l'article L. 623-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L7033AIC, anciennement loi du 25 janvier 1985, art. 173), "ne sont susceptibles ni d'opposition ni de tierce opposition, ni d'appel ni de recours en cassation [...] deuxièmement les jugements sur lesquels le tribunal statue sur le recours formé contre les ordonnances rendues par le juge-commissaire dans la limite de ses attributions, à l'exception de ceux statuant sur les revendications".
Le principe était donc extrêmement simple. Les jugements statuant sur opposition aux ordonnances du juge-commissaire n'étaient pas susceptibles de recours réformation (12), fut-ce le pourvoi en cassation (13). A cet égard, auraient été sans incidence, les précisions erronées contenues dans le jugement aux termes desquelles ce dernier serait rendu en premier ressort (14). Le tribunal statuant sur opposition aux ordonnances du juge-commissaire était ainsi considéré comme la juridiction d'appel.
La loi du 25 janvier 1985 réservait cependant une exception. Après avoir posé le principe de fermeture des recours sur les jugements statuant sur opposition aux ordonnances du juge-commissaire, l'article L. 623-4 du Code de commerce (anciennement loi du 25 janvier 1985, art. 173, 2°) admettait, en effet, la recevabilité de l'appel de pareilles décisions, en matière de revendication. La justification de cet appel devait être trouvée dans l'idée que l'inopposabilité d'un droit de propriété, question posée par l'action en revendication, était chose grave et qu'il fallait autoriser une reconsidération de la question par une juridiction autre que celle à laquelle appartenait le juge-commissaire (15).
L'action en revendication, dont il était ici question, était celle régie par les articles L. 621-115 (N° Lexbase : L6967AIU) et suivants du Code de commerce. Ne rentrait pas dans l'exception, l'action en restitution d'une somme d'argent née de l'existence d'un dépôt de garantie (16).
Une difficulté s'était toutefois présentée, qui résultait de la modification introduite par la loi du 10 juin 1994 et de l'instauration des demandes en restitution. Le législateur de 1994 n'avait pas réglementé, sur le terrain procédural de l'article L. 623-4, 2°, les demandes en restitution. L'interprétation par analogie a conduit la Cour de cassation à admettre la recevabilité de l'appel à l'encontre des jugements statuant sur les recours contre les ordonnances du juge-commissaire statuant en matière de restitution (17).
Logiquement, il avait été jugé que l'ouverture de l'appel à l'encontre du jugement statuant sur le recours formé contre l'ordonnance du juge-commissaire statuant en matière de revendication ou de restitution entraîne l'irrecevabilité du pourvoi en cassation directement formé à l'encontre du jugement (18).
Sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, il faut encore faire état de l'article L. 623-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L7034AID, anciennement loi du 25 janvier 1985, art. 173-1), qui énonçait que "ne sont susceptibles que d'un appel ou d'un pourvoi en cassation, de la part du ministère public, les jugements statuant sur les recours formés contre les ordonnances du juge-commissaire rendues en application des articles L. 622-16(N° Lexbase : L7011AII), L. 622-17 (N° Lexbase : L7012AIK) et L. 622-18 (N° Lexbase : L7013AIL) [anciennement loi du 25 janvier 1985, art. 154, 155 et 156]". Ainsi, les jugements statuant sur opposition aux ordonnances du juge-commissaire rendues en matière d'autorisation de réalisation d'actifs immobiliers (C. com., art. L. 622-16), d'unité de production (C. com., art. L. 622-17) ou d'actifs mobiliers (C. com., art. L. 622-18), n'étaient susceptibles d'appel que de la part du ministère public.
Mais, l'appel, dont il est ici question, est l'appel réformation. La fermeture de l'appel réformation conduit à admettre la recevabilité de l'appel nullité, mais à la condition que le juge-commissaire ait commis un excès de pouvoir, confirmé par le tribunal statuant sur recours, ou que le tribunal ait commis directement un excès de pouvoir.
Sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, le terrain d'élection du recours nullité a précisément été celui de l'appel formé à l'encontre des jugements statuant sur les recours à l'encontre des ordonnances du juge-commissaire.
La loi de sauvegarde des entreprises a bouleversé la donne, en supprimant la règle de l'irrecevabilité du recours contre les jugements statuant sur recours contre les ordonnances du juge-commissaire. Faute de restriction, le principe est donc inverse : celui de la recevabilité de l'appel des jugements statuant sur recours à l'encontre des ordonnances du juge-commissaire. La solution résulte d'un amendement présenté à l'Assemblée nationale (19). La commission des lois du Sénat s'est montrée favorable à la rédaction du texte adopté à l'Assemblée nationale. Elle a estimé inopportune la multiplication des exceptions au principe selon lequel les jugements rendus contre les ordonnances du juge-commissaire ne sont pas susceptibles de recours. Elle a aussi observé que le droit à un procès équitable justifiait la solution (20). Il peut à l'inverse être observé qu'il y a là trois degrés de juridiction (21), outre le pourvoi, contrairement au droit commun de la procédure civile (22). C'est donc un droit au procès "très équitable" qui est ici offert et qui aboutit inéluctablement à ralentir les procédures. Peut-être, de lege ferenda, serait-il souhaitable de réserver le recours devant le tribunal aux litiges inférieurs à un certain montant et d'ouvrir directement, sur l'ordonnance, la voie de l'appel, au-delà d'un certain montant, ainsi que pour les demandes d'un montant indéterminé.
Par exception au principe de recevabilité de l'appel et du pourvoi en cassation sur le jugement rendu sur recours formé à l'encontre d'une ordonnance du juge-commissaire, les jugements statuant sur le recours formé à l'encontre d'une ordonnance du juge-commissaire en matière de réalisation d'actifs du débiteur en liquidation judiciaire ne sont pas susceptibles d'appel.
Pour être exhaustif, précisons que le décret du 12 février 2009 (décret n° 2009-160 N° Lexbase : L9187ICA) a, une nouvelle fois, modifié la matière des voies de recours, non sur les jugements statuant sur recours à l'encontre des ordonnances du juge-commissaire, mais sur les ordonnances elles-mêmes, en prévoyant, dans la matière des réalisation d'actifs isolés du débiteur, en liquidation judiciaire -ce qui n'englobe donc pas la cession d'entreprise-, un appel direct à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire. En ce qui concerne la réalisation des immeubles, la solution résulte de l'article R. 642-37-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L0334INP). En ce qui concerne, les meubles, il s'agit de l'article R. 642-37-3, alinéa 2 (N° Lexbase : L9406ICD).
C'est cette évolution de la matière des voies de recours sur les jugements statuant sur les recours formés à l'encontre des ordonnances du juge-commissaire, qui est au centre de l'arrêt rendu par la Chambre commerciale, le 7 février 2012.
En l'espèce, dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire ouverte le 20 mai 2009, le juge-commissaire est amené à constater la résiliation de plein droit du bail consenti à la société débitrice. Un recours est formé, devant le tribunal, à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire. Cette décision, rendue par le tribunal, est frappée d'un pourvoi. Celui-ci était-il recevable ? Non, répond, sans surprise, la Cour de cassation.
Mais là n'est pas l'intérêt de la décision. La Cour de cassation, à la manière d'un arrêt de principe, énonce que "les jugements statuant sur les recours formés contre les ordonnances rendues par le juge-commissaire, qui ne sont pas visés par les dispositions spéciales de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises réglementant les voies de recours, sont susceptibles de recours dans les termes du droit commun ; qu'il s'ensuit que le jugement attaqué, bien qu'inexactement qualifié en dernier ressort, était susceptible d'appel, ne peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation".
La procédure collective, ouverte en mai 2009, était soumise à la loi de sauvegarde des entreprises, telle que modifiée par l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT) et son décret d'application du 12 février 2009.
Or, comme nous l'avons rappelé, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, dans sa rédaction d'origine du 26 juillet 2005 et du décret d'application du 28 décembre 2005 (décret n° 2005-1677 N° Lexbase : L3297HET), dont les solutions n'ont pas, sur ce point, été modifiées par la réforme de 2008, la règle de l'irrecevabilité du recours contre les jugements statuant sur recours contre les ordonnances du juge-commissaire, qui était posée par l'article L. 623-4 du Code de commerce, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, a été supprimée par la loi de sauvegarde. Faute de fermeture explicite, le principe est donc inverse : celui de la recevabilité de l'appel des jugements statuant sur recours à l'encontre des ordonnances du juge-commissaire. C'est la solution qu'affirme avec force l'arrêt du 7 février 2012. Ce n'est là que l'affirmation d'un principe général de procédure civile : celui de la recevabilité de l'appel à l'encontre d'un jugement, et c'est ce qui explique le visa par la Cour de cassation de l'article 543 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6694H73), selon lequel "la voie de l'appel est ouverte en toutes matières, même gracieuses, contre les jugements de première instance s'il n'en est autrement disposé".
L'ouverture de l'appel entraîne, par principe, celle du pourvoi en cassation sur l'arrêt rendu par la cour d'appel. En revanche, l'ouverture de l'appel entraîne l'irrecevabilité du pourvoi directement formé contre le jugement, ce qui justifie le visa, par l'arrêt commenté, de l'article 605 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6762H7L), selon lequel "le pourvoi en cassation n'est ouvert qu'à l'encontre de jugements rendus en dernier ressort".
Le principe de recevabilité de l'appel à l'encontre du jugement statuant sur le recours formé contre une ordonnance du juge-commissaire ne peut être écarté que par un texte spécial du droit des entreprises en difficulté. Il en est ainsi, par exemple, des jugements statuant sur le recours contre les ordonnances du juge-commissaire par lesquelles il est statué sur la demande de nomination des contrôleurs. Le recours est fermé, sauf de la part du ministère public, en application de l'article L. 661-6, I, 1° du Code de commerce (N° Lexbase : L3486IC4). Le candidat au poste de contrôleur est donc, sauf démonstration d'un excès de pouvoir, irrecevable à exercer une voie de recours sur le jugement statuant sur recours à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire ayant refusé sa nomination (23).
Dans la présente affaire, il restera au plaideur, le cas échéant, à se prévaloir de la notification irrégulière effectuée par le greffe de la décision du tribunal, qualifiée à tort de décision rendue en dernier ressort. Si cela ne suffit pas, comme le rappelle ici la Cour de cassation, à rendre recevable le pourvoi en cassation, en revanche, la partie victime de cette notification irrégulière peut se prévaloir de cette dernière, pour considérer que la décision n'a pas été correctement notifiée. Dès lors, le délai de la voie de recours adéquate n'a pas commencé à courir, et rien ne semble interdire à notre plaideur de former un appel à l'encontre de la décision du tribunal, si ce dernier présente encore un intérêt. Mais c'est là une autre histoire...
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
(1) Disposition applicable en sauvegarde et, par renvoi, en redressement (C. com., art. R. 631-7 N° Lexbase : L0990HZP) et en liquidation judiciaire (C. com., art. R. 641-7 N° Lexbase : L9285ICU).
(2) A l'évidence, la caisse de retraite avait pu parfaitement identifier le débiteur au regard des autres mentions portées dans l'insertion.
(3) Cass. com., 12 avril 2005, n° 03-20.691, F-P+B (N° Lexbase : A8727DHP), Bull. civ. IV, n° 84, D., 2005, AJ 1227, obs. A. Lienhard, RTDCom., 2005/3, p. 601, n° 12, obs. A. Martin-Serf.
(4) Cass. com., 5 février 2002, n° 99-12.863, F-D (N° Lexbase : A9182AXD), Act. proc. coll., 2002/7, n° 84 ; RD banc. et fin., 2002/3, p. 134, n° 103, obs. F.-X. Lucas ; Rev. proc. coll., 2003/1, p. 25, n° 7, obs. F. Legrand ; Cass. com. 12 avril 2005, n° 03-20.691, préc. et les obs. préc...
(5) Cass. com. 14 février 1995, n° 93-10.151, publié (N° Lexbase : A8208ABM), Bull. civ. IV, n° 47, D., 1996. Somm. 85, obs. A. Honorat, Rev. proc. coll., 1995, 309, n° 5, obs. B. Dureuil ; Cass. com., 9 novembre 2004, n° 02-13.015, F-D (N° Lexbase : A9292DDI).
(6) Cass. com., 5 février 2002, préc. et les obs. préc..
(7) Cass. com., 6 juillet 1993, n° 91-12.636 (N° Lexbase : A7944AHP), Rev. proc. coll., 1994, p. 51, n° 6, obs. B. Dureuil.
(8) Cass. com. 14 mars 2000, n° 97-14.912, publié (N° Lexbase : A8160AGC), Bull. civ. IV, n° 57, D., 2000, AJ 169, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2000/8, n° 88, JCP éd. E, 2000, chron. 1563, n° 3-b-6, obs. Ph. Pétel, RTDCom., 2000. 716, obs. A. Martin-Serf, RD banc. et fin., 2000/2, n° 69, obs. F.-X. Lucas ; Cass. com., 2 mai 2001, n° 98-13.131, F-D (N° Lexbase : A3406ATC), Act. proc. coll., 2001/11, n° 136 ; Cass. com., 17 juillet 2001, n° 98-18.310, F-D (N° Lexbase : A2122AU7), Act. proc. coll., 2001/18, n° 234, Rev. proc. coll., 2002, p. 97, n° 13, obs. F. Legrand ; Cass. com., 16 octobre 2001, n° 98-20.551, F-D (N° Lexbase : A4781AWY), Rev. proc. coll., 2002, p. 97, n° 13, obs. F. Legrand ; Cass. com., 24 juin 2003, n° 00-16.658, F-D (N° Lexbase : A9649C8U).
(9) Cass. com., 14 mars 2000, n° 97-14.912, préc et les obs. préc ; Cass. com. 2 mai 2001, n° 98-13.131, préc. et les obs. préc. ; Cass. com., 17 juillet 2001, n° 98-18.310, préc et les obs. préc. ; Cass com., 24 juin 2003, n° 00-16.658, préc. ; adde CA Paris, 3ème ch., sect. A, 14 septembre 2004, n° 04/1177 (N° Lexbase : A7888DEU).
(10) Cass. com., 16 octobre 2001, n° 98-20.551, préc., Rev. proc. coll., 2002, préc..
(11) Il ne semble donc pas que s'applique ici le régime des nullités de fond. Contra P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2012/2013, 6ème éd, n° 665.84.
(12) Cass. com., 26 octobre 1999, n° 96-13.186, publié (N° Lexbase : A1214CK8), Bull. civ. IV, n° 191, D., 2000., Somm. 330, obs. A. Honorat ; Cass. com., 9 janvier 2001, 97-18.857, inédit (N° Lexbase : A4110ARN), Act. proc. coll., 2001/5, n° 70 ; Cass. com., 2 juin 2004, n° 03-11.559, F-D (N° Lexbase : A5222DCE).
(13) Cass. com., 26 juin 2001, deux arrêts, n° 98-14.017, inédit (N° Lexbase : A7783ATG), n° 98-14.247, inédit (N° Lexbase : A7805ATA), JCP éd. E, 2002, jur. 1081, note A. Perdriau ; Cass. com., 7 janvier 2003, n° 99-15.660, F-D (N° Lexbase : A6032A48) ; Cass. com., 2 juin 2004, n° 03-11.559, F-D (N° Lexbase : A5222DCE) ; Cass. com., 12 juillet 2004, n° 03-12.913, F-D (N° Lexbase : A1141DDM) ; Cass. com., 29 novembre 2005, n° 04-16.699, FD (N° Lexbase : A8497DLB) ; Cass. com., 12 juillet 2011, n° 10-17.395, F-D (N° Lexbase : A0467HW9).
(14) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 25 juin 1996, Rev. proc. coll., 1996, p. 329, n° 8, obs. B. Soinne.
(15) Cass. com. 20 mars 2001, n° 98-14.125, inédit (N° Lexbase : A1238ATZ), RJDA, 2001, n° 794.
(16) CA Versailles, 12ème ch., sect. B, 20 janvier 2005, n° 2003/05810 (N° Lexbase : A7165DGH).
(17) Cass. com., 3 février 2009, n° 07-18.931, FS-P+B (N° Lexbase : A9478ECZ), Bull. civ. IV, n° 14 ; Act. proc. coll. 2009/6, n° 102, note F. Petit.
(18) Cass. com., 8 janvier 2008, n° 06-15.462, F-D (N° Lexbase : A2624D3L).
(19) Amendement n° 330 d'Arlette Grosskost, JOAN CR, 8 mars 2005, p. 1803.
(20) Rapport de J.-J. Hyest, n° 335, p. 504.
(21) Aussi Ph. Gerbay, La procédure d'appel dans le tourbillon des réformes, RJ com., 2007, 9 et s., sp. p. 14, n° 13.
(22) P. Cagnoli, La qualité pour agir, questions procédurales, Rev. proc. coll., 2006/2, p. 209 et s., sp. p. 211 et 212.
(23) Cass. com., 16 mars 2010, n° 09-13.578, F-P+B (N° Lexbase : A8240ETD), Bull. civ. IV, n° 57 ; D., 2010, chron. 1113, obs. M.-L. Bélaval ; Gaz. Pal., éd. sp. droit des entreprises en difficulté, 2 et 3 juillet 2010, n° 183 et 184, p. 22, note N. Fricéro; RTDCom., 2010, 430, n° 10, note J.-L. Vallens ; Procédures, 2010, comm. 190, obs. B. Rolland ; LEDEN, 2010/5, p. 4, obs. O. Staës ; Rev. sociétés, 2010, 195, note Ph. Roussel Galle ; Rev. proc. coll., mars/avril 2011, comm. 26, p. 34, note P. Cagnoli.
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