La lettre juridique n°473 du 16 février 2012 : Aide juridictionnelle

[Le point sur...] Aide juridictionnelle : rôle et obligations de l'avocat

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par Samantha Gruosso, Avocat au barreau de Paris

le 16 Février 2012

L'aide juridique prend son origine dans la loi du 22 janvier 1851, l'idée étant alors l'esprit de charité. Une réforme intervient dans de nombreux pays après la Seconde guerre mondiale et la terminologie change pour l'expression "assistance judiciaire", puis "aide judiciaire", la solidarité remplaçant la charité. Puis, avec la loi de 1991 (loi n° 91-647 N° Lexbase : L8607BBE), l'expression "aide juridictionnelle" naît et participe pleinement à rendre effectif l'accès à la justice. Ainsi, l'AJ a 22 ans ; elle couvre les besoins d'une population qui avoisine le million de justiciables et sa réforme est souhaitée depuis dix ans maintenant comme l'a rappelé le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Lille, René Despieghelaere, à l'occasion de l'introduction de la journée des Etats généraux de l'aide juridictionnelle, organisée le 25 juin 2010. Et, les griefs contre le système actuel sont nombreux : un avocat sur deux fait une mission d'AJ par mois avec un tarif qui ne couvre ni les charges, ni la rémunération de l'avocat ; les moyens pour l'AJ sont insuffisants et entraînent des retards conséquents ; la pratique de l'AJ devient dévalorisante pour un avocat et la crainte d'un barreau à deux vitesses émerge progressivement. Pour autant, les conditions d'accès et le régime de l'aide juridictionnelle viennent de faire l'objet d'une nouvelle réforme par l'intermédiaire de six lois, rien qu'en 2011 ! Après avoir présenté les conditions d'accès (lire N° Lexbase : N9950BSC) et le régime de l'AJ (lire N° Lexbase : N0048BTX), Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, de revenir sur le rôle et les obligations de l'avocat en cas de désignation au titre de l'aide juridictionnelle et des commissions d'office. I - Le rôle et les obligations de l'avocat

L'avocat est tenu d'une obligation à l'égard de son client qui doit être suffisamment informé de la possibilité de bénéficier de l'aide juridictionnelle "obligation de précaution". Les désignations dans le cadre de l'aide juridictionnelle ou les commissions d'office impliquent pour l'avocat qui a accepté ces missions, de se mettre au service du justiciable en étant rémunéré par la collectivité publique, en remplissant convenablement la mission, et en la menant à son terme.

L'article 1.3. du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) dispose que les principes essentiels de la profession guident le comportement de l'avocat en toutes circonstances. L'avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment. Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d'honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie. Il fait preuve, à l'égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

S'agissant de l'obligation de diligence incombant à chaque avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle, il appartient, en cas de manquements à cette obligation, au juge de surseoir à statuer en mettant l'avocat désigné en demeure d'accomplir les diligences qui lui incombaient ou en portant sa carence à la connaissance du requérant afin de le mettre en mesure de choisir un autre représentant (CE 4° et 5° s-s-r., 28 novembre 2008, n° 292772 N° Lexbase : A4466EBZ).

Certains avocats ont été sanctionnés par le conseil de discipline de l'Ordre des avocats de Paris pour violation des dispositions de l'article 1.3 du RIN. En l'espèce, un avocat avait été désigné par le bureau d'aide juridictionnelle pour assister une justiciable dans le cadre d'un contentieux prud'homal. Il lui est reproché de s'être abstenu de toutes diligences à l'exception d'un unique rendez-vous et d'avoir attendu quatre ans pour restituer à la cliente son dossier. Le conseil a considéré que l'avocat s'était rendu coupable d'un manquement aux principes essentiels de la profession et notamment ceux de confraternité, de courtoisie, et de diligence et qu'il a en conséquence violé les dispositions de l'article 1.3. du RIN (décision du conseil de discipline de l'Ordre des avocats de Paris, séance du 31 mars 2009).

L'article P.40.1 du RIBP intitulé "Désignations au titre de l'aide juridictionnelle et de l'aide à l'accès au droit" dispose que l'avocat est tenu de déférer aux désignations au titre de l'aide juridictionnelle et de l'aide à l'accès au droit qui lui sont confiées et ne peut refuser son concours qu'après avoir fait approuver les motifs d'excuse ou d'empêchement par l'autorité qui l'a désigné.

Chaque Bâtonnier apprécie si le fait de ne pas répondre à ces commissions constitue ou non un manquement à l'application dans l'exercice effectif de la profession.

Une décision rendue le 25 octobre 2011 par la première chambre de la cour d'appel d'Angers (CA Angers, 25 octobre 2011, n° 11/01782 N° Lexbase : A2163HZ7) a jugé qu'un avocat, régulièrement désigné par le Bâtonnier au titre des permanences pour l'intervention en garde à vue, est tenu d'y déférer, à moins que l'Ordre n'approuve le motif d'excuse avancé. L'invocation par l'avocat de son incompétence en droit pénal n'est pas un motif d'exonération.

L'article P.40.2 du RIBP intitulé "Commission d'office en matière pénale" énonce les règles applicables à l'avocat notamment "l'avocat commis par le Bâtonnier pour assister un déféré au débat contradictoire devant le juge d'instruction ou pour assurer la défense d'un prévenu en comparution immédiate, doit poursuivre sa mission si le débat est différé ou si l'affaire est renvoyée à une nouvelle audience".

Le décret du 15 mars 2011 prévoit, notamment, que la part contributive versée par l'Etat à l'avocat choisi ou désigné pour assister plusieurs personnes dans une procédure reposant sur les mêmes faits et comportant des prétentions ayant un objet similaire dans les autres matières, est réduite de 30 % pour la deuxième affaire, de 40 % pour la troisième, de 50 % pour la quatrième et de 60 % pour la cinquième et s'il y a lieu pour les affaires supplémentaires (décret n° 2011-272, portant diverses dispositions en matière d'aide juridictionnelle et d'aide à l'intervention de l'avocat N° Lexbase : L7533IPP).

Par quatre arrêts du 15 avril 2011, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu immédiatement applicable le droit à l'assistance d'un avocat dès le début de la garde à vue et pendant les interrogatoires, issu de la loi du 14 avril 2011 (loi n° 2011-392 N° Lexbase : L9584IPN) (Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts, n° 10-17.049, P+B+R+I N° Lexbase : A5043HN4 ; n° 10-30.242, P+B+R+I N° Lexbase : A5044HN7 ; n° 10-30.313, P+B+R+I N° Lexbase : A5050HND et n° 10-30.316, P+B+R+I N° Lexbase : A5045HN8). Cette garantie était prévue par la loi du 14 avril 2011 qui ne devait entrer en vigueur qu'à partir du 1er juin 2011.

Les nouvelles dispositions concernent principalement le droit pour le gardé à vue d'être assisté par un avocat, de répondre aux questions ou se taire (art. 3), de demander un avocat auprès de l'aide juridictionnelle (art. 6), la possibilité pour l'avocat d'assister aux auditions et de consulter le dossier (art. 8) et la confidentialité des échanges entre l'avocat et son client (art. 7).

La réforme de la garde à vue a modifié l'organisation des barreaux et a créé d'importantes difficultés d'organisation notamment au sein des barreaux de taille petite ou moyenne comme en témoigne l'arrêt précité rendu par la cour d'appel d'Angers, le 25 octobre 2011.

Le décret du 6 juillet 2011 (décret n° 2011-810 N° Lexbase : L7032IQI) a modifié le décret du 19 décembre 1991. Il fixe les modalités de rétribution des avocats désignés d'office intervenant au cours de la garde à vue ou de la retenue douanière. Ce texte prévoit également que, lorsque l'avocat effectue plusieurs interventions dans une période de 24 heures, le montant total de la contribution due ne peut excéder un plafond de 1 200 euros. Ces nouvelles dispositions sont applicables aux demandes de règlement présentées au titre des missions accomplies à compter du 15 avril 2011.

L'article P40.3 du RIBP intitulé "Aide Juridictionnelle" reprend les règles applicables énoncées à l'article 33 et suivants de la loi du 10 juillet 1991, en matière de rémunération de l'avocat dans le cadre de l'aide juridictionnelle partielle et totale.

L'article P40.5 intitulé "Charte de l'accès au droit et de l'aide juridictionnelle" dispose, quant à lui, que "tout avocat qui veut être inscrit sur les listes de l'accès au droit et de l'aide juridictionnelle tenues par les services de l'Ordre, devra préalablement signer la charte de l'avocat intervenant dans le cadre de l'accès au droit et de l'aide juridictionnelle et le livret 'pratique de l'aide juridictionnelle'.
Il s'engage à en respecter les dispositions. Pour demeurer inscrit sur les listes des volontaires, il devra suivre une formation continue dans ses domaines d'interventions et en justifier.
Il s'engage également au début de la mission qu'il remplit au titre de l'aide juridictionnelle à remettre au justiciable une charte qui lui est spécifiquement destinée".

II - Dispositions applicables en cas de succession d'avocat dans un dossier en matière d'aide juridictionnelle

Conformément à l'alinéa 3 de l'article 9.3 du RIN, l'avocat qui succède à un confrère intervenant au titre de l'aide juridictionnelle ne peut réclamer des honoraires que si son client a expressément renoncé au bénéfice de celle-ci. Il informe auparavant son client des conséquences de cette renonciation. En outre, il informe de son intervention son confrère précédemment mandaté, le bureau d'aide juridictionnelle et le Bâtonnier.

Les difficultés relatives à la rémunération de l'avocat initialement saisi ou à la restitution par ce dernier des pièces du dossier sont soumises au Bâtonnier.

Et, selon l'article 103 du décret du 19 décembre 1991, lorsqu'un avocat désigné ou choisi au titre de l'aide juridictionnelle est, en cours de procédure, remplacé au même titre pour raison légitime par un autre avocat, il n'est dû qu'une seule contribution de l'Etat. Cette contribution est versée au second avocat, à charge pour lui de la partager avec le premier dans une proportion qui, à défaut d'accord, est fixée par le Bâtonnier.

Dans le cas où les avocats n'appartiennent pas au même barreau, la décision est prise conjointement par les bâtonniers des barreaux intéressés.

Les mêmes règles sont applicables lorsque le remplacement a lieu au cours de pourparlers transactionnels.

En matière de succession d'avocat et dans le cadre de la détermination du montant de l'aide juridictionnelle, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a réaffirmé plusieurs principes issus des dispositions légales, notamment :

- le principe selon lequel le premier avocat est payé par l'aide juridictionnelle et le second par honoraires libres (Cass. civ. 2, 21 décembre 2006, n° 05-15.581, F-D N° Lexbase : A0929DTL et Cass. civ. 2, 15 février 2007, n° 05-16.244, F-D N° Lexbase : A2094DU4) ;

- l'exercice en cours de procédure de la liberté de choix de son avocat par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle emporte renonciation rétroactive à cette aide (Cass. civ. 2, 11 février 2010, n° 09-65.078, F-D N° Lexbase : A7877ER8).

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