La lettre juridique n°833 du 23 juillet 2020 : Terrorisme

[Jurisprudence] Recel de biens provenant d’apologie d’actes de terrorisme : rétablir l’ordre ne règle pas nécessairement le problème

Réf. : Cons. const., décision n° 2020-845 QPC, du 19 juin 2020 (N° Lexbase : A85303NA)

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N4051BYP

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par Amane Gogorza, Maître de conférences à l’Université Toulouse

le 06 Décembre 2020

 


Mots-clés : recel de biens • apologie d’actes de terrorisme • adhésion • idéologie • liberté d’expression et de communication • intention terroriste • intention apologétique

Sans grande surprise le Conseil constitutionnel s’est opposé à la répression du recel d’apologie d’actes de terrorisme telle que consacrée par la Chambre criminelle. S’alignant sur les décisions relatives à la consultation habituelle des sites terroristes, les Sages ont naturellement relevé l’absence de nécessité, l’inadéquation et le défaut de proportionnalité de l’incrimination au regard de la liberté d’expression et de communication. Le rétablissement de la cohérence répressive ne doit cependant pas occulter les difficultés propres à la question examinée, loin d’être toutes résolues.


 

Par une décision du 19 juin 2020 [1], le Conseil constitutionnel vient confirmer ce qui était très largement attendu : telle qu’issue de la jurisprudence de la Cour de cassation, la répression du recel de biens provenant d’apologie d’actes de terrorisme méconnait la liberté d’expression et de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1358A98). Le contexte et les précédents de la décision sont connus. Le 7 janvier 2020 [2] la Chambre criminelle jugeait « qu’entre dans les prévisions des articles 321-1 (N° Lexbase : L1940AMS) et 421-2-5 (N° Lexbase : L8378I43) du Code pénal le fait de détenir, à la suite d'un téléchargement effectué en toute connaissance de cause, des fichiers caractérisant l'apologie d'actes de terrorisme ». Elle relevait cependant qu’ « une condamnation de ce chef n'est compatible avec l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme que si est caractérisée, en la personne du receleur, son adhésion à l'idéologie exprimée dans de tels fichiers ». L’étonnement suscité par cet arrêt, lequel revenait à réhabiliter le délit de consultation habituelle des sites terroristes, conduisit la Chambre criminelle à soumettre sa jurisprudence à l’examen des Sages.

Le 24 mars 2020 [3], une question prioritaire de constitutionnalité leur était donc transmise afin que la toute récente solution soit mise à l’épreuve de la liberté d’expression et de communication ainsi que des décisions ayant abrogé l’ancien délit de l’article 421-2-5-2 du Code pénal (N° Lexbase : L4801K8C) [4]. Bien que s’étant déjà prononcé sur la constitutionnalité du délit d’apologie d’actes de terrorisme [5], le Conseil relevait un changement de circonstances consécutif à l’arrêt du 7 janvier 2020 et acceptait de revenir sur la question afin de vérifier si les termes « ou de faire publiquement l’apologie de ces actes » figurant à l’article 421-2-5 du Code pénal pouvaient être interprétés comme participant d’un délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme. À l'image de 2017, le Conseil constitutionnel procédait à l’examen de la nécessité de l’atteinte portée à la liberté d’expression et de communication puis à celui de son adaptation et de sa proportionnalité.


Relativement au premier point, le Conseil reproduit quasiment mot pour mot l’argumentaire mené en matière de consultation habituelle des sites terroristes. Le délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme a certes pour objet de prévenir la diffusion d’idées ou de propos dangereux en lien avec le terrorisme et l’endoctrinement d’individus susceptibles de passer à l’acte (§ 14). Il reste que l’arsenal répressif est déjà suffisamment complet, indépendamment du délit contesté, pour parvenir à cette fin (§ 22). Et au Conseil de rappeler, comme il l’avait déjà fait à deux reprises en 2017, la liste des infractions de prévention existantes, les mesures d’investigation particulièrement performantes applicables à la lutte antiterroriste et les prérogatives des autorités administratives, soit pour retirer les contenus apologétiques publiés en ligne, soit pour surveiller des individus constituant une menace terroriste (§§ 16 à 22).  Les mêmes causes produisant les mêmes effets [6], le Conseil constitutionnel ne pouvait que conclure à l’inutilité du délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme reconnu par la Chambre criminelle.

L’analyse du second point, bien que proche de celle menée en 2017, invite à certaines réflexions. Si, telle que conçue par la Chambre criminelle, l’incrimination du recel d’apologie d’actes de terrorisme est inadéquate, c’est que l’adhésion à l’idéologie terroriste ajoutée à l’acte matériel de détention des fichiers apologétiques est insusceptible d’établir l’existence d’une volonté de commettre des actes terroristes ou d’en faire la glorification (§ 24). En somme, l’inadéquation du délit examiné résulte d’abord de ce que la figure délictive ne prolonge en rien la criminalité de l’infraction d’origine et, ensuite, qu’elle ne s’inscrit dans aucun projet terroriste clair. À défaut d’intention terroriste ou apologétique, l’incrimination de la détention de fichiers ou documents apologétiques serait dépourvue de cohérence et sa répression disproportionnée, des peines allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement étant manifestement excessives compte tenu d’une exigence morale aussi mince (§ 25). Incontestable sur le plan constitutionnel, la censure n’en fait pas moins remonter les difficultés de droit pénal spécial que la Chambre criminelle avait cru résoudre. En effet, en imposant que la condamnation pour recel d’apologie d’actes de terrorisme dépende, au moins [7], de l’adhésion du receleur à l’idéologie exprimée par les fichiers détenus, la Chambre criminelle entendait réduire le périmètre de l’infraction en s’assurant des liens entretenus entre délits d’origine et de conséquence. Certes, la démarche était doublement maladroite. D’abord, cette condition subjective supplémentaire rappelait la seconde mouture du délit de consultation habituelle de sites terroristes que le Conseil avait clairement réfutée au motif qu’une version édulcorée de l’intention terroriste ne suffisait pas à emporter pareille qualification [8]. Ensuite, l’accent mis sur l’idéologie de l’auteur prêtait à confusion : étrangère à la qualification d’apologie d’actes de terrorisme et non impliquée par celle de recel [9], elle venait contredire l’exigence de légalité criminelle et l’interprétation stricte de la loi pénale. Le problème demeurerait si, d’aventure, la Chambre criminelle admettait la condamnation du détenteur de fichiers litigieux en cas d’intention apologétique ou terroriste. Le recel étant une infraction autonome, son élément moral ne saurait être emprunté à l’infraction d’origine (intention apologétique) ni à la catégorie dont elle prolonge la criminalité (intention terroriste). Le fait que le degré de culpabilité exigé par le Conseil constitutionnel soit plus marqué que celui dégagé par le juge pénal ne change rien à cette réalité. D’ailleurs, ainsi reconfiguré, le recel d’apologie d’actes de terrorisme aurait bien du mal à trouver une place dans le paysage antiterroriste actuel. La détention de fichiers apologétiques accompagnée de cette même intention impliquerait un nouvel acte d’apologie ; doublée de l’intention de commettre des actes terroristes, elle s’insinuerait au stade immédiatement antérieur à l’entreprise terroriste individuelle (C. pén., art. 421-2-6 N° Lexbase : L7543LP3) ou à l’association de malfaiteurs terroriste (C. pén., art. 421-2-1 N° Lexbase : L1874AMD), pour appréhender la préparation de la préparation des actes terroristes...

La question, il est vrai, ne devrait pas se poser, le Conseil Constitutionnel ayant de toute façon conclu à l’absence de nécessité de l’infraction dès lors que notre droit est suffisamment pourvu pour « surveiller une personne consultant ou collectant des messages apologétiques » et même « pour l’interpeller et la sanctionner » lorsque pareille démarche est accompagnée « d’un comportement relevant une intention terroriste, avant même que le projet ne soit entré en phase d’exécution » (§ 22). Il reste que, d’une manière générale, le recours à une intention terroriste [10] afin de combler les carences matérielles de l’infraction doit être reçu avec prudence. Certes, le Conseil constitutionnel ne fait que répondre à la question posée. Rejoignant le point d’équilibre dégagé lors des décisions relatives à la consultation habituelle des sites terroristes, il insiste sur l’état d’esprit à même de colorer pénalement la détention, par nature équivoque [11], de fichiers apologétiques.

Pour autant, le rapprochement avec les précédentes décisions trouve ses limites dans la mesure où il lui revenait de se prononcer sur l’application d’une infraction de conséquence – le recel – dont les éléments constitutifs ne sauraient varier selon les caractéristiques de l’infraction d’origine [12], non de fixer les limites constitutionnelles des infractions terroristes. Cela conduit à penser que la discussion de départ était mal engagée : si le fait de télécharger et de détenir des fichiers apologétiques ne peut être constitutif d’un recel d’apologie d’actes de terrorisme c’est tout simplement qu’il est difficile de concevoir que ces actes prolongent, d’un point de vue matériel, la criminalité résultant de la diffusion au public de tels messages. C’est peut-être ce que suggère le Conseil constitutionnel, observant que la détention de fichiers ou de documents apologétiques ne participe à la diffusion d’idées et de propos dangereux qu’à « la condition de donner lieu ensuite à une nouvelle diffusion publique » (§ 23). Ainsi que le relève un auteur [13], ferait alors défaut le résultat de l’infraction, la détention d’un fichier apologétique ne permettant pas, en l’absence de publicité, de perpétrer l’atteinte réalisée par l’infraction dont le recel n’est qu’un épilogue [14]. Mais ce sont, il est vrai, des considérations de droit pénal spécial dont l’analyse détaillée ne relève pas de la compétence du Conseil constitutionnel. Pour sa part, il importait seulement de relever que les mots « ou faire publiquement l’apologie de ces actes (de terrorisme) » ne sauraient, sans méconnaître la liberté d’expression et de communication être interprétés comme réprimant le recel d’apologie d’actes de terrorisme (§ 26). 

 

[1] Cons. const., décision n° 2020-845 QPC, du 19 juin 2020 (N° Lexbase : A85303NA).

[2] Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 19-80.136, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5582Z9M), G. Beaussonie, Sanction du recel de fichiers caractérisant l'apologie d'actes de terrorisme, JCP G, 2020, n° 12, p. 341 ; V. Malabat, Recel de biens provenant d’apologie d’actes de terrorisme, RPDP 2020,  p. 121 ;  F. Safi, Le recel de l’apologie du terrorisme : du juge qui prononce la lettre de la loi au juge qui trahit l’esprit de la loi, Lexbase Pénal, mars 2020 (N° Lexbase : N2501BYB).

[3] Cass. crim., 24 mars 2020, n° 19-86.706, FD (N° Lexbase : A18073K7).

[4] Cons. const., décision n° 2016-611 QPC, du 10 février 2017 (N° Lexbase : A7723TBN), JCP G, 2017, p. 343, note A. Gogorza et B. de Lamy ; Dr. pén., 2017, comm. 85, Ph. Conte ; Cons. const., décision n° 2017-682 QPC, du 15 décembre 2017, (N° Lexbase : A7105W7B), O. Cahn, Délit de consultation de sites terroristes : ni fleurs, ni couronnes..., Lexbase Pénal, janvier 2018 (N° Lexbase : N2232BXX), JCP G, 2018, 109, note A. Gogorza et B. de Lamy.

[5] Cons. const., décision n° 2018-706 QPC, du 18 mai 2018 (N° Lexbase : A9687XMQ).

[6] Déjà en ce sens relativement à la deuxième décision portant sur la consultation habituelle des sites terroristes, O. Cahn, préc.

[7] Précision introduite par l’arrêt Cass. crim., 24 mars 2020, n° 19-86.706, préc.

[8] Cons. const., décision n° 2017-682 QPC, du 15 décembre 2017, préc., cons. 14.

[9] G. Beaussonie, préc.

[10] J. Alix, Flux et reflux de l’intention terroriste, RSC, 2020, p. 505. 

[11] G. Beaussonie préc. ; V. Malabat, préc.

[12] G. Beaussonie, préc.

[13] V. Malabat, préc.

[14] A. Vitu, Traité de droit criminel, Droit pénal spécial, 1982, Cujas, n° 2451.

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