Réf. : Cass. crim., 17 juin 2020, n° 19-81.485, FS-P+B+I (N° Lexbase : A71273NB)
Lecture: 4 min
N3813BYU
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Adélaïde Léon
le 16 Juillet 2020
► La cour d’assises ne peut refuser d’entendre un témoin régulièrement signifié au motif que, visé par une plainte avec constitution de partie civile émanant de l’accusé de la procédure dans laquelle il doit déposer, son témoignage serait susceptible de porter atteinte à ses intérêts ;
Il n’appartient pas à la cour d’assises de préjuger de la portée d’une déposition sur la manifestation de la vérité pour l’écarter au profit du visionnage d’une mesure de garde à vue qu’elle estime suffisant.
Résumé des faits. À la suite de la découverte d’un corps, une information a été ouverte et un individu mis en examen avant d’être mis en accusation devant la cour d’assises pour meurtre, vol, dégradations volontaires par incendie et conduite sans permis. Parallèlement, l’accusé a déposé devant le doyen des juges d’instruction une plainte avec constitution de partie civile contre un inspecteur pour faux et usage de faux en particulier lors de l’établissement du procès-verbal de la deuxième audition de l’accusé en garde à vue.
La cour d’assises a déclaré l’accusé coupable des faits objet de l’accusation.
L’intéressé a interjeté appel de ce jugement et le ministère public a formé appel incident.
En cause d’appel. Par arrêt incident, la cour d’assises a refusé de procéder à l’audition de l’enquêteur cité par la défense en qualité de témoin. Elle a considéré que l’audition de cet officier de police, à l’encontre duquel l’accusé avait déposé une plainte avec constitution de partie civile, serait de nature à porter atteinte à ses droits.
Par ailleurs, la cour d’assises a estimé que le visionnage à l’audience de l’audition menée par l’enquêteur au cours de la garde à vue de l’accusé était susceptible d’apporter un éclairage suffisant à la cour et au jury sur les propos tenus par l’accusé.
L’accusé a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt incident rendu par la cour d’appel, reprochant à la cour d’assises d’avoir, en dépit de l’absence d’obstacle légal, écarté un témoin régulièrement cité par la défense et donc acquis aux débats.
Décision La Cour de cassation casse la décision de la cour d’assises au visa des articles 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), ainsi que 329 (N° Lexbase : L3542DGB), 330 (N° Lexbase : L3537DG4), 331 (N° Lexbase : L7526LPG) et 335 (N° Lexbase : L9566IQD) du Code de procédure pénale.
Elle énonce qu’il résulte de ces textes que tout témoin cité par le ministère public ou par les parties, dont le nom a été régulièrement signifié, est acquis aux débats devant la cour d’assises et doit déposer, après avoir prêté serment, sauf s’il se trouve dans un cas d’empêchement ou d’incapacité prévu par la loi, ou si toutes les parties ont renoncé à son audition.
Or, la Cour relève qu’en l’espèce, aucune dispense l’égale ne justifiait le refus d’entendre le témoin et, si le ministère public s’était opposé à cette audition, l’accusé en revanche n’y avait pas renoncé. En tout état de cause, elle affirme que l’audition sollicitée par l’accusé ne pouvait être valablement remplacée par le visionnage de la mesure de garde à vue.
Plus encore, la Haute juridiction répond aux inquiétudes formulées par la cour d’assises en rappelant que les règles encadrant les dépositions faites au cours de l’audience et les pouvoirs du président d’assises permettent de protéger les droits du témoin. La Cour rappelle que s’agissant des questions étrangères à l’objet des débats ou susceptible de compromettre leur dignité, le président de la cour d’assises a lui-même le pouvoir de les écarter. Elle précise également que le témoin interrogé sur des faits objet d’une procédure distincte de celle pour laquelle il dépose peut refuser de répondre.
Enfin, la Cour de cassation dénonce le raisonnement de la cour d’assises laquelle a préjugé que l’audition demandée n’était pas nécessaire à la manifestation de la vérité. Ce rappel à l’ordre paraissait indispensable tant il apparaît périlleux que la cour d’assises puisse, en amont d’une déposition et donc, logiquement, sans en connaître le contenu, préjuger de son impact potentiel sur la manifestation de la vérité pour décider de l’écarter et de lui substituer le visionnage d’une séquence vidéo.
Pour aller plus loin : B. Fiorini et J. Boudot, ETUDE : Le jugement des crimes, Audition des témoins, in Procédure pénale, (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E3402Z9U) |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:473813