La lettre juridique n°826 du 4 juin 2020 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Le Conseil constitutionnel et les discriminations par ricochet : confirmations jurisprudentielles

Réf. : Cons. const., décision n° 2019-832/833 QPC du 3 avril 2020 (N° Lexbase : A56883KU)

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par Bastien Lignereux, Maître des requêtes au Conseil d’Etat

le 03 Juin 2020

Par une décision du 3 avril dernier, le Conseil constitutionnel a, pour la première fois, jugé conforme au principe d’égalité une discrimination à rebours dite « chimiquement pure » résultant de l’interprétation jurisprudentielle d’une loi fiscale à la lumière du droit de l’Union européenne. Plus qu’un revirement de jurisprudence, cette décision marque en réalité la confirmation d’un infléchissement de la solution « Metro Holding » engagé depuis 2017.

I - Les modalités spécifiques du contrôle des discriminations par ricochet au regard du principe d’égalité

A - La confirmation d’un infléchissement…

Par sa retentissante décision « Société Metro Holding France SA » du 3 février 2016[1], le Conseil constitutionnel a admis de contrôler au regard du principe d’égalité un régime fiscal résultant de dispositions législatives qui, pour garantir leur compatibilité avec les Directives européennes adoptées en matière de fiscalité directe, ont été rendues inapplicables aux situations mettant en cause deux Etats membres différents de l’Union (situations transnationales européennes). En l’espèce, il a censuré les dispositions relatives au régime « mère-fille » qui excluaient de son champ les titres sans droits de vote, en jugeant injustifiée la différence de traitement entre les situations purement internes, frappées par cette exclusion, et les situations transnationales européennes, pour lesquelles la Directive « mère-fille » faisait, en application d’une jurisprudence constante, obstacle à son application.

Cette décision, confirmée par deux censures ultérieures concernant notamment la célèbre « contribution de 3 % »[2], a pu laisser croire que toute discrimination « à rebours » s’exposait à une censure pour méconnaissance du principe d’égalité. Il en ressort en effet que la différence de situation purement géographique entre situations internes et situations transnationales ne saurait par elle-même justifier une différence de traitement fiscal. L’existence d’une différence de situation est toujours déterminée au regard de l’objet des dispositions législatives en cause ; or il est a priori peu probable qu’une différence induite par l’interprétation jurisprudentielle de la loi à la lumière d’exigences européennes qui n’avaient pas été initialement prises en compte par le législateur soit en rapport direct avec l’objectif qu’il a entendu poursuivre.

La jurisprudence rendue depuis lors a toutefois précisé et, à vrai dire, recentré, la portée de cette solution. D’une part, par sa décision « Epoux V. » du 9 mars 2017, le Conseil a considéré, s’agissant en l’espèce d’une différence de traitement entre les personnes relevant du régime de sécurité sociale d'un Etat membre de l’UE et celles relevant de la sécurité sociale d'un État tiers, que l’objectif poursuivi par les dispositions législatives contestées avait évolué au contact du droit de l’UE, en jugeant qu’elles « ont pour objet d'assurer le financement de la protection sociale dans le respect du droit de l'Union européenne qui exclut leur application aux personnes relevant d'un régime de sécurité sociale d'un autre Etat membre de l'Union »[3]. Ce que des commentaires aux cahiers ultérieurs ont qualifié de « mutation européenne de l’objet de la loi » conduit alors à juger qu’au regard de cet objet, il existe - par hypothèse - une différence de situation entre les deux catégories de contribuables traitées différemment.

D’autre part, parce qu’une telle évolution de l’objet de la loi au contact des exigences européennes conduirait à justifier mécaniquement la discrimination par ricochet contestée s’il s’arrêtait là dans son raisonnement, le Conseil exerce ensuite un contrôle de l’absence de dénaturation de l’objet initial de la loi : dans sa décision « Life Sciences Holdings » du 13 avril 2018, il s’est ainsi assuré que, compte tenu de l’objectif initialement poursuivi par le législateur, il ne résultait pas de la modification de la portée des dispositions examinées une différence de traitement « sans rapport avec » l'objet de la loi[4]. La décision « Calogero G. » du 15 novembre 2019 a confirmé ces modalités spécifiques de contrôle en vérifiant qu’il ne résultait pas des exigences européennes « une dénaturation de l'objet initial de la loi »[5].

Dans ce contexte, la décision du 3 avril 2020 commentée vient confirmer ces évolutions, en déployant la méthode de contrôle déjà appliquée dans le précédent « Calogero G. ». Le Conseil constitutionnel constate d’abord que les dispositions législatives relatives à l’imposition des plus-values mobilières des particuliers, telles qu’interprétées par le Conseil d’Etat à la lumière du droit de l’UE, traitent différemment les plus-values résultant de certaines opérations d’échange de titres placées en report d’imposition selon que l’opération a été réalisée avec une société établie dans un autre Etat de l’UE, auquel cas la Directive « fusions » impose[6], quelle que soit la date de l’échange, de leur octroyer le bénéfice des abattements pour durée de détention applicables à la date de la cession ultérieure des titres reçus en échange, ou dans un cadre national (ainsi qu’en dehors de l’UE), auquel cas elles n'en bénéficient que si elles ont été placées en report d'imposition à compter de la création de ces abattements le 1er janvier 2013, et à raison de la durée écoulée jusqu’à l’événement faisant naître le report. Il juge ensuite, d’une part, qu’il ne résulte pas de ces exigences européennes une dénaturation de l'objet initial de la loi : en effet, il relève que les régimes de report d'imposition en cause visent à garantir « une certaine neutralité fiscale » aux opérations d’échange, en évitant que le contribuable soit contraint de céder ses titres pour acquitter l'impôt, et estime dès lors que le respect du droit de l’UE impose seulement de « renforcer » la neutralité fiscale des opérations européennes d'échange de titres. D’autre part, il juge qu’au regard de l'objet de la loi, « telle que désormais interprétée », il existe une différence de situation, tenant au cadre, européen ou non, de l'opération d'échange de titres, justifiant la différence de traitement fiscal contestée.

L’intérêt de cette décision, comme le relève son commentaire aux cahiers, est de confirmer que l’infléchissement jurisprudentiel décrit ci-dessus ne se limite pas aux cas où la différence de traitement oppose l’UE aux pays tiers, mais vaut aussi dans l’hypothèse de discriminations à rebours dites « chimiquement pures », où les situations internes sont moins bien traitées que les situations européennes transnationales. En effet, les précédents « Epoux V. et Life Sciences Holdings » portaient tous deux sur le premier cas. Quant à la décision « Calogero G. », si l’exigence d’un agrément pour l’application du régime fiscal de faveur applicable aux titres attribués dans le cadre d’un apport partiel d’actif, rendue inapplicable aux opérations transnationales européennes par une jurisprudence constante du Conseil d’Etat tirant les conséquences de la Directive « fusions », continuait de s’appliquer à la fois aux opérations internes et aux opérations avec les pays tiers, seules étaient toutefois contestées devant le Conseil constitutionnel les dispositions législatives relatives aux opérations autres qu’internes[7].

B - …mais pas un abandon

Si la décision commentée confirme un resserrement de la portée de la solution « Metro Holding », elle ne conduit pas pour autant à l’abandonner purement et simplement[8]. Il reste en effet que le Conseil constitutionnel accepte de contrôler les discriminations « par ricochet » qui résultent de l’interprétation ultérieure de la loi par les juridictions assurant le respect du droit de l’UE. Il demeure exact que la différence géographique entre situations internes et situations transnationales ne saurait, par elle-même, justifier n’importe quelle différence de traitement fiscal. Cela étant, ce n’est que lorsque la différence de traitement « révélée » par la jurisprudence s’avère totalement orthogonale à l’objectif initialement poursuivi par le législateur qu’elle est jugée contraire au principe d’égalité. Comme l’indique le commentaire aux cahiers, il s’agit de « s’assurer qu’il n’y a pas une incompatibilité radicale entre ce qu’a entendu faire, initialement, le législateur français et ce qu’est devenue la loi une fois que le droit européen l’a faite évoluer ».

En cela, la jurisprudence constitutionnelle se montre respectueuse du champ d’application territorial des règles du droit de l’UE en matière de fiscalité directe. En effet, censurer systématiquement toute différence de traitement entre situations internes et situations transnationales européennes reviendrait à contraindre le législateur, sauf motif d’intérêt général, à étendre aux premières des règles européennes qui pourtant, à la lettre des Directives en cause, ne sont applicables qu’aux situations transnationales. Cela conduirait à ignorer la distinction posée par les traités entre fiscalité indirecte, pour laquelle l’article 113 du TFUE permet au Conseil d’adopter des Directives d’harmonisation, et la fiscalité directe qui, faute d’un fondement spécifique, ne peut donner lieu qu’à des Directives adoptées sur le fondement de l’article 115 de ce traité en vue du rapprochement des législations qui ont une incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marché intérieur. Ainsi, comme l’indique le commentaire aux cahiers de la décision du 3 avril, « Une solution différente aurait restreint la souveraineté fiscale de la France sur les situations uniquement nationales, puisque ces dernières n’auraient jamais pu connaître un traitement différent des situations européennes correspondantes. Une telle limitation de la souveraineté fiscale de la France n’est pas exigée par le droit européen ».[9]

Restera à préciser où se situe le curseur du contrôle de dénaturation effectué par le Conseil constitutionnel, ce que seule sa jurisprudence ultérieure permettra de connaître avec précision. A ce stade, les précédents jurisprudentiels permettent d’apporter les précisions suivantes.

En premier lieu, lorsque le législateur a entendu instituer un régime de neutralité fiscale, dont l’objectif est d’éviter l’imposition immédiate d’un revenu réalisé à raison d’une opération, le fait de retenir, pour les seules opérations transnationales européennes, d’autres modalités de neutralisation qui ne soient pas moins effectives, par exemple en rendant l’opération purement intercalaire, ne dénature pas l’objet initial de la loi. C’est l’apport de la décision rendue le 3 avril : comme l’expose son commentaire aux cahiers, « l’objet initial des dispositions étant justement d’assurer, à travers le temps, une certaine neutralité fiscale des opérations d’échange de titres, le renforcement de cette neutralité fiscale, au profit des seules opérations européennes, ne peut en aucun cas constituer une dénaturation de cet objet initial : l’intervention du droit européen n’a en rien fait perdre sa logique au dispositif d’origine »[10].

De même, ainsi que le montre la décision « Calogero G. », le fait de prévoir des modalités procédurales différentes pour l’octroi d’un régime de neutralité fiscale, allégées pour les opérations transnationales européennes par rapport aux autres opérations, en l’espèce soumises à une exigence d’agrément, n’est pas regardé comme une telle dénaturation : comme l’indique le commentaire de cette décision, « l’intervention du droit européen ne portait que sur les modalités et les conditions d’éligibilité au dispositif de neutralité fiscale des distributions consécutives à des apports partiels d’actif. Elle n’a pas remis en cause le principe de ce régime de neutralité fiscale et n’est pas non plus étrangère à ce régime ».[11]

Enfin, lorsque le législateur a entendu instituer un régime d'intégration fiscale assorti de certains avantages afin de garantir aux groupes se plaçant sous ce régime, qui ne concerne que des sociétés mères et filiales françaises, un traitement fiscal équivalent à celui d'une unique société dotée de plusieurs établissements, le fait d’étendre l’application de certains de ces avantages aux sociétés mères d'un groupe fiscalement intégré, pour ce qui concerne leurs filiales établies dans un autre Etat membre de l’UE, de dénature pas l’objectif poursuivi initialement, comme le Conseil constitutionnel l’a jugé dans la décision « Life Sciences Holdings ».

En revanche, lorsque la différence de traitement ne se limite pas à modifier la portée du régime fiscal institué par le législateur, ou ses modalités d’application, mais remet en cause le principe même de son application à une catégorie de contribuables, il n’est pas évident qu’elle demeure compatible avec l’objectif initialement poursuivi : ainsi du précédent « Société de participations financières », dans lequel il n’était guère cohérent, au regard de l’objectif de rendement initialement poursuivi, d’exonérer une vaste catégorie de distributions de la contribution dite de 3 %. La qualification par le Conseil constitutionnel de l’objectif initial du législateur, à la lumière des travaux préparatoires de la loi, sera ici déterminante.

II. La prise en compte de l’interprétation de la loi par les juridictions ordinaires

                La décision commentée présente un autre intérêt, en venant confirmer que, lorsqu’une disposition législative est contestée devant lui par le biais d’une QPC, le Conseil constitutionnel l’examine telle qu’interprétée par les juridictions ordinaires.

A - L’absence de remise en cause de l’interprétation de la loi retenue par les juridictions

On sait que, dès une décision du 6 octobre 2010, le Conseil constitutionnel a affirmé « qu’en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition »[12]. Ainsi, dans le cadre de la procédure de la QPC, il contrôle la constitutionnalité de la règle légale telle qu’elle est effectivement appliquée par les tribunaux : c’est la doctrine dite du « droit vivant ». D’ailleurs, l’adoption d’une nouvelle interprétation jurisprudentielle par les juridictions suprêmes des deux ordres, intervenant après une décision par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition législative contestée conforme à la Constitution, est susceptible de constituer une circonstance nouvelle de nature à permettre que soit posée une nouvelle QPC[13].

Si, ainsi que l’énonce le considérant de principe qui vient d’être cité, cette prise en compte de la jurisprudence permet d’abord aux justiciables de contester l’interprétation retenue par les juridictions, elle peut également conduire le Conseil constitutionnel à s’appuyer sur la jurisprudence constante des juridictions pour écarter la QPC qui lui a été renvoyée. Ainsi, dans une décision du 8 octobre 2014, pour écarter le grief tiré de ce que les dispositions législatives relatives au contentieux de la CSPE seraient entachées d’incompétence négative, il s’est fondé sur ce « qu'il résulte de la jurisprudence constante du Tribunal des conflits que le contentieux des impositions qui ne sont ni des contributions indirectes ni des impôts directs est compris dans le contentieux général des actes et des opérations de puissance publique relevant de la juridiction administrative ; qu'il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État que le contentieux de la contribution au service public de l'électricité relève, à ce titre, de la compétence de la juridiction administrative »[14]. Dans tous les cas, c’est sur la loi telle qu’interprétée par les tribunaux que le juge constitutionnel se prononce.

Certes, le Conseil peut être amené à assortir d’une réserve d’interprétation la déclaration de conformité de dispositions déjà interprétées par les juridictions suprêmes des deux ordres lorsque c’est nécessaire pour assurer leur conformité à la Constitution. C’est ce qu’il a fait par une décision du 20 septembre 2013, saisi d’une QPC qui faisait valoir qu’en réservant le bénéfice des exonérations d'impôt sur le revenu aux indemnités de licenciement allouées par le juge, à l’exclusion des indemnités versées en application d'un protocole d'accord transactionnel, les dispositions de l’article 80 duodecies du Code général des impôts (N° Lexbase : L6155LUI), telles qu'interprétées par le Conseil d'Etat, méconnaîtraient le principe d'égalité devant l'impôt et les charges publiques. Pour les juger conformes à la Constitution, il a en effet dit pour droit « que ces dispositions ne sauraient, sans instituer une différence de traitement sans rapport avec l'objet de la loi, conduire à ce que le bénéfice de ces exonérations varie selon que l'indemnité a été allouée en vertu d'un jugement, d'une sentence arbitrale ou d'une transaction ; qu'en particulier, en cas de transaction, il appartient à l'administration et, lorsqu'il est saisi, au juge de l'impôt de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction »[15].

Si le Conseil constitutionnel est donc susceptible de dicter une nouvelle interprétation de la loi déférée en vue d’assurer sa conformité à la Constitution, il n’en reste pas moins qu’il ne modifie pas de lui-même, avant d’avoir exercé son contrôle, l’interprétation de la loi retenue par les juridictions : son contrôle porte sur la loi telle qu’elle a été interprétée de manière constante par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation.

B - L’application au cas des discriminations par ricochet

La décision commentée vient confirmer ces principes en les appliquant à l’hypothèse spécifique des discriminations par ricochet.

A l’occasion des deux QPC qui lui avaient été transmises par le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel était en effet saisi d’une intervention aux fins de non-lieu, appelant l’aile Montpensier à retenir une interprétation des dispositions législatives contestées différente de celle retenue par le Conseil d’Etat dans sa décision de renvoi, conduisant à faire disparaître toute différence de traitement et donc à priver la QPC de son objet.

On sait en effet que les juridictions suprêmes s’autorisent à retenir une interprétation neutralisante de la loi visant, lorsqu’elle est susceptible de plusieurs lectures, à retenir celle qui est conforme aux principes constitutionnels[16]. En particulier, lorsqu’est en cause une disposition législative qui vise à assurer la transposition d’une Directive européenne régissant les situations transnationales, et qui a fait le choix d’étendre les règles qui en résultent aux situations internes, le juge s’efforce, afin de prévenir toute différence de traitement entre ces différentes situations, de retenir une interprétation uniforme de la loi, à la lumière de la Directive[17]. Ceci peut conduire à priver d’objet une QPC contestant au regard du principe d’égalité l’existence d’une telle différence de traitement. A titre d’exemple, s’agissant du régime « mère-fille », le Conseil d’Etat, dans une décision « SA Technicolor », a retenu une interprétation uniforme de la règle de conservation des titres pendant deux ans ouvrant droit à l’exonération, conduisant à un traitement identique de l’ensemble des sociétés mères françaises, qu’elles perçoivent des distributions de filiales établies en France ou dans d’autres Etats membres de l’UE, ce qui l’a conduit à refuser le renvoi d’une QPC contestant une différence de traitement sur ce point[18].

Toutefois, cet effort d’interprétation uniforme n’est pas sans limites et s’arrête lorsque la lettre de la loi s’y oppose clairement : une Directive ne peut être utilement invoquée pour donner de la loi, en tant qu’elle s’applique à des situations internes situées en dehors du champ de la Directive, une interprétation contraire à sa lettre[19].

Dans ses décisions de renvoi du 19 décembre 2019, le Conseil d’Etat avait confirmé, s’agissant des situations purement internes, l’interprétation constante qu’il retient des dispositions relatives aux reports d’imposition applicables aux opérations d’échanges de titres, selon laquelle les règles d’assiette (et notamment les abattements) applicables à la plus-value en report sont celles en vigueur à la date de l’opération faisant naître le report. Il a alors constaté une différence de traitement par rapport aux situations européennes transnationales, pour lesquelles la directive « fusions » impose de faire application, en matière d’abattements, des règles applicables lors de l’événement mettant fin au report. C’est ce qui l’a conduit à juger les QPC sérieuses.

Devant le Conseil constitutionnel, la partie intervenante estimait qu’il aurait été possible de faire application de la jurisprudence « SA Technicolor » pour retenir une interprétation uniforme de la loi, à la lumière de la Directive, en étendant aux situations internes la règle découlant des exigences européennes, ce qui aurait privé la QPC de son objet. Le Conseil n’a toutefois pu qu’écarter cette argumentation dès lors qu’elle « tend à remettre en cause l'appréciation du caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité par la décision de renvoi ».

Cette solution ne témoigne pas seulement du respect par le Conseil constitutionnel de l’office des juges du filtre de la QPC. En effet, il confirme ainsi que, statuant sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, il examine la loi telle qu’interprétée par la juridiction suprême qui lui a renvoyé la QPC : il ne saurait retenir de lui-même une interprétation différente. Comme le rappelle le commentaire aux cahiers, « si le Conseil constitutionnel est juge de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions législatives qui lui sont renvoyées dans le cadre d’une QPC, il n’a pas à se prononcer sur l’appréciation que la juridiction de renvoi a eue du caractère sérieux de la question, qui l’a d’ailleurs conduite à décider ce renvoi. De plus, le Conseil examine la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la disposition telle qu’interprétée par les juridictions de renvoi ».[20]

 

[1] Cons. const., décision n° 2015-520 QPC, du 3 février 2016 (N° Lexbase : A4423PA3).

[2] Cons. const., décision n° 2017-660 QPC, du 6 octobre 2017 (N° Lexbase : A8693WT7).

[3] Cons. const., décision n° 2016-615 QPC, du 9 mars 2017 (N° Lexbase : A6456TUN).

[4] Cons. const., décision n° 2018-699 QPC, du 13 avril 2018 (N° Lexbase : A8008XKS).

[5] Cons. const., décision n° 2019-813 QPC, du 15 novembre 2019 (N° Lexbase : A2402ZYM).

[6] A supposer que l’opération entre également dans le champ matériel d’application de cette Directive.

[7] Etait contesté l’article 121, 1, troisième alinéa du CGI portant sur les apports partiels d’actif effectués par une société étrangère, alors que les opérations internes sont régies par l’article 115 du CGI.

[8] Au demeurant, comme le relève le commentaire de la décision du 3 avril 2020 (p. 18), le contrôle de dénaturation de l’objet initial de la loi était presque déjà en germe dans la décision « Metro Holding » : « le législateur ayant entendu « favoriser l’implication des sociétés mères dans le développement économique de leurs filiales», le Conseil constitutionnel a jugé que « la différence de traitement entre les produits de titres de filiales, qui repose sur la localisation géographique de ces filiales, est sans rapport avec un tel objectif ». Cette première décision rend compte du fait que la différence de traitement était trop éloignée, dans sa justification, de l’objet initial de la disposition en cause ».

[9] Commentaire de la décision du 3 avril 2020 (p. 16).

[10] Commentaire de la décision du 3 avril 2020, p. 22.

[11] Commentaire de la décision n° 2019-813 QPC, p. 20.

[12] Cons. const., décision n° 2010-39 QPC, du 6 octobre 2010 (N° Lexbase : A9923GAR).

[13] CE 5° et 6° ch.-r., 20 décembre 2018, n° 418637, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8417YR8).

[14] Cons. const., décision n° 2014-419 QPC, du 8 octobre 2014 (N° Lexbase : A9168MXT).

[15] Cons. const., décision n° 2013-340 QPC, du 20 septembre 2013 (N° Lexbase : A4337KL9).

[16] CE 6° et 1° ch.-r., 19 mai 2010, n° 331025, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4091EXS).

[17] CE 9° et 10° ch.-r., 17 juin 2011, n° 314667, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6416HTS), et CE 9° et 10° ch.-r., 17 juin 2011, n° 324392, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6421HTY).

[18] CE 10° et 9° ch.-r., 15 décembre 2014, n° 380942, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7880M7Y).

[19] CE 9° et 10° ch.-r., 30 janvier 2013, n° 346683, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4388I4B).

[20] Commentaire de la décision du 3 avril 2020, p. 14.

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