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par Sibylle Gustin, Avocat, Cabinet Fromont-Briens
le 20 Mai 2020
Depuis le 17 mars, le Gouvernement a formellement demandé aux employeurs de privilégier systématiquement le télétravail lorsqu’il était possible.
Cette demande a été réitérée dans le cadre de la levée des mesures de confinement au 11 mai dernier, le Gouvernement ayant appelé « au sens de la responsabilité des français » afin d’éviter un rebond de l’épidémie.
Dans ce contexte, le question-réponse spécifique au télétravail publié sur le site du ministère du Travail précise et remet en question un certain nombre des positions prises par le Gouvernement au cours des dernières semaines.
Ci-après un tour d’horizon des réponses pratiques apportées.
→ La mise en place du télétravail
Le télétravail peut être mis en place par la signature d’un accord collectif ou de manière unilatérale, il peut être encadré par une charte rédigée par l’employeur.
A défaut de charte ou d’accord fixant collectivement les règles encadrant ce dispositif, le télétravail peut également être mis en œuvre par simple accord entre l’employeur et le salarié.
La signature d’un avenant n’est pas nécessaire pour mettre en place le télétravail.
Pour autant, il est préférable de fixer les principales modalités par écrit (mail ou courrier...) avec le salarié pour éviter les contestations ultérieures. Notamment, pourront être utilement précisées les équipements mis à dispositions du télétravailleur, les plages horaires pendant lesquelles le salarié doit être disponibles, les modalités de contrôle du temps de travail...
→ L’activité partielle et le télétravail
Il est possible d’alterner des périodes d’activité partielle (réduction d’activité) et des périodes de télétravail.
Pour autant, le Q/R rappelle que ces périodes ne peuvent pas se cumuler de sorte que le salarié en période d’activité partielle ne peut télétravailler en même temps. Dans ces conditions, l’employeur qui demande à ses salariés de travailler alors qu’ils sont en même temps en activité partielle s’expose à des sanctions, y compris pénales.
→ Le refus ou l’accord de l’employeur sur le télétravail
Le Q/R précise que l’employeur peut refuser le télétravail, s’il estime que :
Dans tous les cas, il doit motiver le refus.
Il est également précisé que le classement en zone rouge ou orange du département où s’exerce le travail n’a pas d’incidence ni de priorité pour le télétravail dès lors que le poste n’est pas compatible avec ces modalités d’exécution à distance.
Au contraire, le Q/R rappelle que les difficultés d’accès au transport en commun ou encore la configuration du lieu où le télétravail est exercé peuvent être appréciées par l’employeur au cas par cas pour organiser tout ou partie de l’activité en télétravail.
👉 En pratique : quid des salariés pouvant exercer leurs fonctions en télétravail mais qui souhaitent revenir sur site ? Au regard des strictes conditions du Q/R, le maintien en télétravail des salariés qui le peuvent est fortement recommandé si leur présence n’est pas indispensable sur site. Néanmoins, une charte signée le 6 mai 2020 par la Région Ile de France et ses partenaires [1] portant sur les modalités d’organisation en Ile-de-France pour le recours aux transports en commun en période de confinement, pourrait ouvrir la voie à un assouplissement. En effet, cette dernière précise que « les salariés pour lesquels le télétravail pendant le confinement a engendré une souffrance peuvent se rendre sur leur lieu de travail (appréciation au cas par cas par la médecine du travail) ». Sur cette base et sous réserve des éventuelles précisions du Gouvernement, la question se pose donc de savoir si, au cas par cas, le retour sur site des salariés volontaires exprimant un besoin du fait de conditions dégradées de télétravail est possible. |
→ Les horaires de travail en télétravail
Les plages horaires pendant lesquelles le salarié est disponible et opérationnel doivent être précisément déterminées par l’employeur et respectées par le salarié.
La distinction entre temps de travail et temps de repos doit être claire et garantir le droit à la déconnexion des salariés.
Attention : Les modalités de suivi et de contrôle du temps de travail à distance ne pourront en aucun cas conduire à une surveillance systématique du poste de travail du salarié. |
→ Les outils du télétravail
L’employeur doit fournir au salarié l’équipement nécessaire lui permettant d’exercer ses fonctions à distance.
A cet égard, le Q/R précise que si l’employeur n’est pas en mesure de fournir les solutions techniques (accès VPN permettant accès aux mails et données professionnelles) pour exercer les fonctions à distance, le poste n’est pas compatible avec le télétravail, ce qui constitue un motif légitime de refus de sa part.
S’agissant des équipements personnels, qui faisaient déjà l’objet d’une tolérance dans le cadre de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005, le Q/R rappelle que l’employeur doit fournir un ordinateur si le salarié n’en a pas ou s’il ne souhaite pas utiliser son ordinateur personnel. En aucun cas, l’utilisation de l’ordinateur personnel ne peut être imposée au salarié.
Point sur le régime fiscal et social de l’indemnité de télétravail :
S’agissant du régime social de l’indemnité, il convient de noter que :
S’agissant du régime fiscal, comme pour les frais professionnels, l’article 81, 1° du Code général des impôts (N° Lexbase : L7431HM8) vise de manière exhaustive les diverses indemnités qui ne sont pas soumises à imposition et notamment « les allocations spéciales destinées à couvrir les frais inhérents à la fonction ou à l'emploi et effectivement utilisées conformément à leur objet ».
Ainsi, sous réserve du respect des conditions dudit article et de la position de l’Administration, les indemnités de télétravail versées pourraient également être exonérées d’impôt sur le revenu.
→ L’indemnisation du télétravail
Pour mémoire, la prise en charge par l'employeur de tous les coûts découlant directement de l'exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci, prévue par l’ex-article L. 1222-10 du Code du travail (N° Lexbase : L8105LGB) a été supprimée par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (N° Lexbase : L7629LGN).
Toutefois, le rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 précisait que l'accord collectif ou la charte, permettant la mise en place du télétravail, devait comporter les modalités de prise en charge des coûts découlant directement de l'exercice régulier du télétravail à la demande de l'employeur.
C’est cette position qui était reprise et étendue par l’une des questions-réponses de la FAQ générale du ministère du Travail (supprimée le 3 mai 2020) sur les conditions d’emploi pendant l’épidémie qui prévoyait que l’employeur devait verser à l’ensemble des salariés placés en télétravail une indemnité de télétravail, destinée à rembourser au salarié les frais découlant du télétravail, compte tenu de l’obligation de prise en charge des frais professionnels incombant à l’employeur.
Il était à ce titre recommandé de verser une somme forfaitaire exonérée de charges sociales par journée de télétravail sur la semaine, conformément aux tolérances fixées par l’Acoss et l’Urssaf, à hauteur de 10 € par mois, pour un salarié effectuant une journée de télétravail par semaine, 20 € par mois pour un salarié effectuant deux jours de télétravail par semaine, etc.
Pour autant, le dernier Q/R précise désormais que l’employeur n’est pas tenu de verser à son salarié une indemnité de télétravail destinée à lui rembourser les frais découlant du télétravail, sauf si l’entreprise est dotée d’un accord ou d’une charte qui la prévoit.
Il semblerait donc que le Gouvernement revienne sur la position générale initialement prise.
→ Le télétravail et les tickets restaurants
Le principe d’égalité de traitement entre les salariés placés en situation de télétravail et les salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise est issu des dispositions de l’article L. 1222-9 du Code du travail (N° Lexbase : L0292LMR) qui prévoit que « le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise ».
Les salariés en télétravail doivent donc bénéficier des mêmes conditions de travail que ceux présents physiquement dans les locaux de l’entreprise, ce qui inclut les tickets restaurant, sans distinction pour les salariés effectuant leur fonction en télétravail depuis leur domicile.
En effet, la règle d’attribution des titres restaurant, à savoir, la fourniture d’un ticket pour toute journée de travail organisée en deux vacations entrecoupées d’une pause réservée à la prise d’un repas, ne permet pas de justifier une différence de traitement sur la situation, ou non, de télétravail du salarié [2].
Ce point est d’ailleurs confirmé en dernier lieu par le Q/R du Gouvernement qui précise que les droits habituels en matière de restauration sont maintenus (tickets restaurant, primes de repas…).
→ Le télétravail et le Pass Navigo/abonnement de transport
S’agissant du maintien du remboursement du Pass Navigo/abonnement de transport aux salariés en télétravail, il n’existe pas de position tranchée de l’administration sur cette question alors que cette dernière s’est clairement prononcée en faveur du maintien des tickets restaurant pour les salariés en télétravail.
Pour autant, ces salariés n’étant pas amenés à se déplacer compte tenu de l’exercice de leur fonction depuis leur domicile, la différence de traitement entre les salariés présents sur site amenés à se déplacer est justifiable ce qui permettrait aux employeurs le souhaitant de stopper le remboursement du Pass Navigo/abonnements de transports.
Dans cette hypothèse, il sera nécessaire d’en informer les salariés concernés dès que possible, pour que ces derniers puissent le cas échéant suspendre le prélèvement annuel ou ne pas prendre d’abonnement mensuel pour le mois de mai/juin.
→ La sécurisation des réseaux et protection des données personnelles
En outre, la CNIL a mis à jour au 1er avril 2020 ses recommandations concernant la mise en place du télétravail [3].
Ainsi, afin de sécuriser le système d’information de l’entreprise et protéger ses données ainsi que celles du salarié, elle recommande désormais les actions suivantes :
Des recommandations spécifiques sont prévues en cas d’utilisation de services sur Internet, à savoir :
→ Le télétravail, une expérience à grande échelle dont l’entreprise doit tirer les enseignements
Le temps du déconfinement est aussi le temps du bilan.
Involontairement, la crise sanitaire liée au covid-19 a créé des espaces de test et d’expérimentation autour de nouveaux modes de management et d’organisation à distance.
Il serait dommage de ne pas en tirer des retours d’expérience et des leçons pour l’avenir, à l’heure ou plus de 70 % des français déclarent souhaiter, à l’avenir, continuer à télétravailler pour partie depuis leur domicile [4].
Cette aspiration est-elle compatible avec la notion même d’entreprise ?
[1] Les signataires de la charte sont les suivants MEDEF IDF, CFDT, CFTC, Préfecture IDF, région IDF, IDF Mobilité, l’AMIF, la Mairie de Paris, le MEDEF Île-de-France, la CPME Île-de-France, U2P, la CCI Paris Île-de-France, la Chambre de Métiers et de l’Artisanat Île-de-France, la CFDT, la CFTC, la RATP et Transilien SNCF.
[2] Sur ce point, l’article 4 de l’Accord National Interprofessionnel du 19 juillet 2005 sur le télétravail disposait d’ores et déjà que : « les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. Cependant, pour tenir compte des particularités du télétravail, des accords spécifiques complémentaires collectifs et/ou individuels peuvent être conclus ».
[4] Enquête Malakoff Humanis réalisée en avril 2020.
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