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N9272BS9
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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers - Institut de droit public
le 15 Décembre 2011
Progressivement, la jurisprudence complète et précise les dispositions du Code de justice administrative relatives au référé contractuel. L'intervention du juge administratif est salutaire car il faut bien avouer que ces dispositions, qui trouvent leur source dans l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L1548IE3), ne brillent pas par leur clarté. L'arrêt ici commenté du 30 novembre 2011 s'inscrit, ainsi, dans la lignée des décisions fondatrices (1) du Conseil d'Etat en matière de référé contractuel (2). Il vient utilement préciser l'étendue des pouvoirs du juge du référé contractuel, et les conditions dans lesquelles il peut les exercer, en cas de signature d'un marché public en violation du délai de standstill.
Avant d'évoquer l'apport de cet arrêt, il convient de faire un bref rappel des solutions intervenues en matière de référé contractuel. On se souvient que, par l'arrêt "France Agrimer" du 10 novembre 2010 (3), le Conseil d'Etat a indiqué que les dispositions de l'article L. 551-14 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1603IE4) n'ont pas pour effet de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par un concurrent évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel alors qu'il était dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché par suite d'un manquement du pouvoir adjudicateur au respect des dispositions de l'article 80 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L0165IRK). Pour le dire autrement, le Conseil d'Etat a ajouté une exception jurisprudentielle au principe interdisant à un même requérant de présenter successivement des conclusions en référé précontractuel, puis en référé contractuel. Cette solution de fond s'est traduite sur le plan procédural par l'affirmation de la possibilité, pour le requérant, de présenter ses conclusions en référé contractuel dans le cadre d'une instance ouverte par un référé précontractuel.
L'arrêt "Grand port maritime du Havre" du 19 janvier 2011 (4) témoigne, quant à lui, des efforts réalisés par le Conseil d'Etat pour éviter que le référé contractuel ne devienne l'équivalent du référé précontractuel après la signature du contrat. Ainsi que l'écrit le Professeur G. Eckert, le référé contractuel n'est "que le moyen de sauvegarder le référé précontractuel" (5). Cela s'est traduit, avec la décision du 19 janvier 2011, par une limitation des moyens invocables devant le juge du référé contractuel, limitation parfaitement en phase avec la lettre du Code de justice administrative. Ainsi que le précise cet arrêt, "les manquements susceptibles d'être utilement invoqués dans le cadre du référé contractuel sont, comme les sanctions auxquelles ils peuvent donner lieu, limitativement définis aux articles L. 551-18 (N° Lexbase : L1598IEW) à L. 551-20 du Code de justice administrative". Il en résulte que le juge du référé contractuel ne peut prononcer que les sanctions prévues par les dispositions précitées et dans les conditions déterminées par ces dispositions. Un marché public passé selon une procédure adaptée ne peut donc être annulé que dans les conditions posées par les deux premiers alinéas de l'article L. 551-18, c'est-à-dire en l'absence de mesures de publicité requises pour sa passation, ou en cas de méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. L'annulation n'est pas possible en vertu de l'alinéa 3 de l'article L. 551-18, et spécialement dans l'hypothèse où le contrat a été signé en violation du délai de standstill, car l'on sait que cette obligation de standstill ne concerne que les marchés passés selon une procédure formalisée.
L'arrêt du 30 novembre 2011 conforte cet édifice jurisprudentiel. En l'espèce, un centre hospitalier avait lancé une procédure de passation d'un marché de gardiennage, divisé en plusieurs lots. Le premier lot avait été attribué à la société X et les lots n° 3 et n° 4 à la société Y. La société Z avait concouru mais son offre n'avait pas été retenue ; elle a saisi le juge du référé précontractuel qui a rejeté son recours. Saisi à son tour, le juge du référé contractuel a annulé les contrats litigieux au motif que la société Z avait été privée de la possibilité d'introduire un référé précontractuel du fait de la violation du délai de standstill, et que l'établissement public hospitalier avait appliqué un critère de sélection non prévu par le règlement de consultation (pour le lot n° 1) et avait attribué les lots n° 3 et n° 4 à la société Y, alors que le nombre de points qui lui avait été accordés était inférieur à celui de la société Z. Le Conseil d'Etat annule l'ordonnance du juge du référé contractuel au terme d'un raisonnement implacable qui confirme que le juge administratif entend s'en tenir strictement à la lettre de l'article L. 551-18 du Code de justice administrative. Pour le Conseil d'Etat, le juge du référé contractuel a commis une erreur de droit en annulant les contrats querellés sans avoir recherché, comme le lui imposaient les termes de l'article L. 551-18, si les manquements du centre hospitalier à ses obligations de publicité et de mise en concurrence avaient affecté les chances de la société requérante d'obtenir les contrats. Cette censure montre que le Conseil d'Etat n'entend absolument pas faire du référé contractuel une sorte de procès objectif fait par un concurrent évincé à un contrat, mais bien un recours subjectif exercé par un concurrent évincé qui a véritablement été lésé par le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence commis par le pouvoir adjudicateur. L'on retrouve ici une logique de subjectivisation du référé contractuel qui rejoint celle développée en matière de référé précontractuel depuis l'arrêt "Smirgeomes" (6).
Réglant l'affaire au fond, le Conseil d'Etat a considéré, comme il l'avait déjà admis dans la jurisprudence "France Agrimer", que la société requérante était tout à fait recevable à formuler des conclusions en référé contractuel après avoir appris en cours d'instance que le contrat avait été signé, et que son référé précontractuel serait donc rejeté. De la même façon, le Conseil d'Etat a confirmé la récente jurisprudence "Opievoy" (7), selon laquelle le pouvoir adjudicateur doit non seulement informer les candidats dont l'offre n'a pas été retenue du rejet de leur offre, du nom de l'attributaire et des motifs du rejet de leurs offres, mais, également, et surtout, de la date à laquelle les contrats seront signés. Cette précision n'est absolument pas secondaire. Elle signifie très concrètement que le délai de standstill ne commence pas à courir si la notification faite aux concurrents évincés n'est pas complète. La question centrale posée par l'arrêt était, cependant, ailleurs. Elle était de déterminer dans quelle mesure la violation du délai de standstill pouvait conduire le juge du référé contractuel à annuler les marchés publics litigieux.
Lorsque les trois conditions posées par l'article L. 551-18, alinéa 3, sont réunies, le juge du référé contractuel est tenu de prononcer la nullité du contrat. Il faut, pour cela, que le contrat ait été signé en violation du délai de standstill. C'était assurément le cas en l'espèce, puisque les contrats avaient été signés deux jours après que le nom des attributaires ait été communiqué aux concurrents évincés, alors que le délai fixé par l'article 80 du Code des marchés publics est de 16 jours (réduit à 11 jours en cas de communication électronique). Il faut, ensuite, que la violation du délai de standstill ait pour effet de priver le demandeur de son droit d'exercer un référé précontractuel, ce qui était, là aussi, le cas. Mais la nullité ne s'impose au juge que si une troisième condition est réalisée. Il faut, en effet, que les obligations de publicité et de mise en concurrence aient été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat. C'est précisément au stade de l'examen de cette troisième condition que se manifeste la dimension subjective du référé contractuel. La nullité étant la sanction la plus grave que le juge puisse infliger, il semble tout à fait naturel d'exiger que le manquement commis ait véritablement lésé le concurrent évincé en l'ayant empêché d'obtenir un contrat qu'il pouvait espérer emporter. En l'espèce, le Conseil d'Etat a considéré, s'agissant des lots n° 3 et n° 4, que le centre hospitalier avait méconnu les critères de jugement des offres et avait, ainsi, affecté les chances de la société requérante d'obtenir les marchés. Il a donc annulé les deux marchés s'y rapportant, après avoir souligné qu'aucune raison impérieuse d'intérêt général ne justifiait, en l'espèce, que soit prononcée l'une des sanctions alternatives prévues par l'article L. 551-19 du Code de justice administrative (résiliation, réduction de la durée du contrat, pénalité financière). En revanche, compte tenu de la nécessité d'assurer la continuité des prestations de gardiennage, de surveillance et de télésurveillance durant le délai nécessaire au lancement d'une nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence et à l'attribution des nouveaux marchés, et de l'intérêt général qui s'attache à ce que cette continuité soit préservée, cette annulation est différée de quatre mois.
Tout différent est le sort réservé au marché portant sur le lot n° 1. La Haute juridiction a considéré, à juste titre nous semble-t-il, que le centre hospitalier n'avait pas manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence dans des conditions ayant affecté les chances de la société Z d'obtenir le contrat. D'une part, l'attribution d'une note identique était justifiée par le caractère négligeable de l'écart entre les deux offres (109 euros d'écart pour des offres de 289 000 euros environ) ; d'autre part, la préférence accordée à l'offre de la société X se justifiait au regard de l'innovation qu'elle comportait, innovation qui constituait non pas un critère à proprement parler, mais tout simplement un élément d'appréciation du critère de la valeur technique. Le Conseil d'Etat n'était donc pas tenu par les termes de l'article L. 551-18, et n'était dès lors, pas obligé de prononcer la nullité du marché public portant sur le lot n° 1. Pouvait-il cependant s'abstenir de prononcer toute sanction ? Sans doute pas, car l'article 2 sexies de la Directive (CE) 89/665 du 21 décembre 1989 (N° Lexbase : L9939AUN) (introduit par la Directive (CE) 2007/66 du 11 décembre 2007 N° Lexbase : L7337H37) dispose que, lorsque le contrat est conclu pendant le délai de standstill, ou durant l'instance devant le juge du référé précontractuel, les Etats membres doivent prévoir l'absence d'effets du marché ou des sanctions de substitution effectives, proportionnées et dissuasives et qui consistent, soit à imposer des pénalités financières au pouvoir adjudicateur, soit à abréger la durée du marché.
C'est précisément pour tenir compte des exigences (très fortes) du droit de l'Union européenne qu'a été introduit un article L. 551-20 (N° Lexbase : L1585IEG) dans le Code de justice administrative. Ce dernier vient en quelque sorte prolonger l'article L. 551-18, en envisageant spécifiquement les sanctions qui peuvent être infligées, dans les cas précis de violation du délai de standstill ou de non respect de la suspension de la signature dans l'instance de référé précontractuel. Sur le fondement de cette disposition, le juge du référé contractuel dispose du pouvoir de prononcer la nullité du contrat. Mais cette nullité ne s'impose pas à lui comme c'est le cas dans le cadre de l'article L. 551-18. Elle n'est qu'une sanction possible parmi d'autres. Ainsi que le relève le présent arrêt, "pour déterminer la mesure qui s'impose, le juge du référé contractuel peut prendre en compte, notamment, la nature et l'ampleur de la méconnaissance constatée, ses conséquences pour l'auteur du recours, ainsi que la nature, le montant et la durée du contrat en cause et le comportement du pouvoir adjudicateur". Utilisant cette marge d'appréciation, le Conseil d'Etat juge en l'espèce que la violation du délai de standstill commande, en ce qui concerne le marché public se rapportant au lot n° 1, d'infliger une pénalité financière de 10 000 euros au centre hospitalier. La violation était assurément grave mais elle ne justifiait pas une sanction plus sévère, compte tenu du fait que la méconnaissance du délai de suspension de la signature n'affectait pas la substance de la concurrence.
Les marchés publics passés selon une procédure adaptée présentent la particularité d'offrir un espace de liberté aux pouvoirs adjudicateurs beaucoup plus vaste que celui dont ils disposent dans le cadre des marchés publics conclus selon une procédure formalisée. L'arrêt n° 353121 du 30 novembre 2011 vient conforter cette solution en reconnaissant au pouvoir adjudicateur la possibilité de négocier avec les candidats ayant présenté une offre inappropriée, irrégulière ou inacceptable. Cette possibilité est, cependant, soumise au respect de strictes conditions.
Le principe de la négociation des marchés publics conclus selon une procédure adaptée est posé par l'article 28 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L3682IRS). Ce dernier dispose, en effet, que "le pouvoir adjudicateur peut négocier avec les candidats ayant présenté une offre. Cette négociation peut porter sur tous les éléments de l'offre, notamment sur le prix". La circulaire du 29 décembre 2009, relative au Guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics (N° Lexbase : L1825IGP), indique, au surplus, que "la négociation constitue un élément décisif de la qualité de l'achat public, d'autant plus qu'elle sera accomplie en toute transparence. Si l'acheteur décide de recourir à cette possibilité, il doit en informer les candidats potentiels dès le début de la procédure, dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation" (point 10.3.2.1). Dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat, le ministre de la Défense avait fait usage de ce pouvoir de négociation au sujet d'un marché portant sur des travaux de démantèlement, de désamiantage et de démolition de bâtiments sur l'île du Levant. Seulement, l'EURL X lui reprochait de ne pas l'avoir admise à négocier au motif que l'offre qu'elle avait présentée était incomplète et donc irrégulière.
Les règles relatives aux offres incomplètes sont déterminées par l'article 53-III du Code des marchés publics (N° Lexbase : L1072IR7), lequel s'applique aussi bien aux procédures formalisées qu'aux procédures adaptées. Cette disposition prévoit que "les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées. Les autres offres sont classées par ordre décroissant. L'offre la mieux classée est retenue". Elle doit, cependant, être lue, pour les MAPA, en combinaison avec l'article 28 qui attribue un pouvoir de négociation au pouvoir adjudicateur. De la lecture croisée de ces deux dispositions, le Conseil d'Etat déduit que le pouvoir adjudicateur peut librement choisir les candidats avec lesquels il souhaite négocier, et peut, en conséquence, admettre à la négociation les candidats ayant remis des offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables, et ne pas les éliminer d'emblée.
Cette possibilité est, cependant, soumise au respect de strictes conditions. En premier lieu, il incombe au pouvoir adjudicateur de respecter le principe d'égalité de traitement entre les candidats. Il n'est donc pas possible d'admettre un candidat à la négociation et de refuser cette possibilité à d'autres. En deuxième lieu, il appartient logiquement au pouvoir adjudicateur de rejeter, sans les classer, les offres qui sont demeurées inappropriées, irrégulières ou inacceptables à l'issue de la négociation. Enfin, et surtout, si le pouvoir adjudicateur peut entamer une négociation avec les candidats ayant présenté une offre inadaptée, ce n'est nullement une obligation pour lui. L'EURL requérante n'était donc pas fondée, en l'espèce, à exiger du ministre de la Défense qu'il l'admette à négocier.
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