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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 08 Décembre 2011
L'idée selon laquelle les transactions financières devraient être taxées remonte à l'année 1972. Cette année-là, le lauréat du prix Nobel d'économie, James Tobin, propose l'instauration d'une taxe de 0,05 % à 1 %, assise sur le montant des transactions monétaires internationales. Dans l'esprit de son inventeur, cette taxe dissuaderait la spéculation à court terme et inciterait à la création de monnaies communes, comme l'euro. Le projet a été évoqué au sein de l'Organisation des Nations Unies et du G7 d'Halifax en 1995.
Cette idée de taxer les transactions financières date donc d'il y a près de 40 ans. Des projets de taxe sur les transactions financières sont régulièrement envisagés, à chaque fois qu'une crise financière met à mal l'économie mondiale, sans succès. La crise des "subprimes" a creusé les déficits publics des Etats dits "développés". Les chefs d'Etats ont pris conscience des impacts que pouvaient avoir ces déficits sur l'économie de leur pays. La "taxe Tobin" a été de nouveau avancée comme la solution "miracle" qui permettrait de faire sortir le monde des difficultés qu'il connaît actuellement. Les impératifs de développement durable, de santé, d'aide aux Etats et aux personnes les plus pauvres, imposent que la question de leur financement préoccupe au niveau mondial. Toutefois, la taxe sur les transactions financières ne semble pas être la solution retenue pour endiguer les problèmes liés à la dette publique.
La France, l'Espagne, la Finlande, la Belgique, l'Allemagne, se sont déjà prononcées en faveur de l'instauration d'une taxe sur les transactions financières. La France (en novembre 2001) et la Belgique (en juillet 2004) ont pourtant été les seuls Etats à voter une loi précisant qu'une taxe de type "Tobin" entrerait en vigueur lorsqu'elle aurait été votée dans tous les pays de la zone euro. Les Etats-Unis sont historiquement opposés à cette taxe. En 2009, le Canada, la Suisse, l'Australie, la Russie et l'Inde se sont aussi prononcés contre cette taxe, alors que le Royaume-Uni, au même moment se déclarait favorable. La Suède a abandonné une expérimentation de "taxe Tobin" mise en place dans les années 1990 car elle avait entraîné une forte baisse des échanges.
Plusieurs critiques ont été avancées contre l'instauration d'une taxe sur les transactions financières :
- elle constituerait un frein aux échanges en général, étant donné qu'elle serait également prélevée sur des transactions de paiement et transfert non-spéculatives, du fait des entreprises fonctionnant en réseau, et des contraintes d'optimisation de trésorerie en temps réel ;
- elle accentuerait la volatilité des cours des monnaies en diminuant les transactions sur les marchés et en les rendant ainsi moins liquides ;
- elle ne permettrait pas d'éviter les mouvements de capitaux de grande échelle, son taux n'étant pas assez élevé pour être dissuasif ;
- elle serait incompatible avec le secret bancaire, car elle nécessiterait la traçabilité des transactions financières, ce qui serait difficile à mettre en place administrativement ;
- elle devrait être mise en place à une échelle mondiale ou continentale, ce qui implique une entente difficile à obtenir. Une action isolée de quelques pays aurait des effets négatifs sur leur économie ;
- elle ferait vraisemblablement reposer le coût de la taxe non pas sur les organismes financiers ou spéculateurs mais sur les utilisateurs finaux de ces produits.
A l'issue du G20 de Pittsburgh sur la stabilité financière, l'étude de la faisabilité d'une telle taxe a été confiée au Fonds monétaire international qui l'a jugée inadaptée et lui a préféré un système d'assurance contre les risques systémiques financée directement par les banques responsables de la crise de 2008.
II - La taxe sur les transactions financières mondiales, une utopie
La France s'est fait le fer de lance de la négociation mondiale sur l'instauration d'une taxe sur les transactions financières globale. Elle a ainsi créé un groupe de travail de haut niveau pour faire avancer ce dossier à l'ONU, au FMI et au G20. Ce travail a permis de démontrer la faisabilité technique d'une telle taxe. Les derniers rapports du FMI et du G20 confirment la possibilité de cette instauration, sous réserve qu'il s'agisse d'une taxation assise sur la base la plus large possible et à un taux très faible.
Le Président de la République française, Nicolas Sarkozy, a fait de cette taxe un des objectifs du G20. Il a souligné que cette taxe était "techniquement possible, financièrement indispensable et moralement incontournable".
Toutefois, les velléités françaises n'ont pas été suivies d'effet. Lors du G20 qui s'est déroulé à Cannes les 3 et 4 novembre 2011, aucun accord n'a été trouvé. Pourtant, certains pays ont montré des signes en faveur de la création d'une telle taxe mondiale : c'est notamment le cas du Brésil et de l'Argentine. Les Etats-Unis n'ont pas exclu l'idée d'une contribution spécifique du monde financier, mais ont rejeté la proposition française.
Roger Karoutchi, sénateur français, a défendu la taxe sur les transactions financières devant les trente-trois autres membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il témoigne de la difficulté de faire entendre la voix française "je n'ai été soutenu que par trois, quatre pays, au maximum".
Lors du G20 de Londres, au mois d'avril 2009, la moralisation des marchés a été présentée comme nécessaire. La lutte contre le réchauffement climatique et l'aide à apporter aux pays en développement constituent deux autres enjeux majeurs en faveur de l'instauration d'une telle taxe, surtout à une époque où les fonds publics s'appauvrissent et ne semblent plus être en mesure de remplir des engagements pris dans le passé. Le G20 qui s'est déroulé à Pittsburgh en septembre 2009 a permis d'arrêter le principe d'une taxation spécifique sur certains types de transactions financières.
Les discussions sont difficiles, et ne semblent pas avancer. Pour la première fois dans l'histoire mondiale, le principe d'une taxe sur les transactions financières est reconnue comme constituant une possibilité pour endiguer la crise. Cette possibilité ne semble toutefois pas pouvoir connaître de réalité, faute de consensus. Ce qui est aujourd'hui impossible à l'échelle mondiale serait, semble-t-il, envisageable à l'échelle européenne.
III - La taxe sur les transactions financières dans l'Union européenne, un projet
Au sein de l'Union européenne (UE), la taxe sur les transactions financières se dessine de façon plus concrète. En effet, lors de la présentation des propositions de la Commission sur le budget pluriannuel de l'Union européenne pour 2014-2020, le 29 juin 2011, cette dernière a annoncé qu'elle souhaitait introduire de nouvelles ressources propres pour l'UE. Parmi ces deux ressources, elle propose de créer une taxe sur les transactions financières (lire N° Lexbase : N6999BSZ).
Cette proposition a provoqué la rédaction d'un projet franco-allemand, par François Baroin, ministre français de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, et Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances (lire N° Lexbase : N7720BSQ). Ce projet, présenté sous forme de lettre adressée à Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services, et Algirdas Semeta, commissaire européen chargé de la fiscalité, a été reçu le 9 septembre 2011. Selon cette lettre, la taxe doit être mise en place au niveau international ou européen. Au moins une des parties doit être établie dans l'UE pour que la taxe puisse être appliquée. Elle doit être simple, d'un taux faible pour préserver la compétitivité de l'industrie financière européenne, et frapper de manière homogène tous les types de transactions, c'est-à-dire les actions et obligations échangées sur un marché secondaire et les produits dérivés, listés ou échangés sur un marché de gré à gré. Différentes options sont proposées pour établir son assiette. Ainsi, la valeur retenue pourrait être :
- la valeur transmise ;
- la valeur du marché, déconnectée, le cas échéant, du prix fixé ; ou
- la valeur nominale.
Le projet franco-allemand prévoit que le produit de la taxe doit être réparti équitablement entre les Etats membres. Pour le recouvrement de la taxe, deux options sont proposées :
- la taxe est recouvrée par les intermédiaires (banques, etc.), par le biais d'une retenue à la source par exemple ;
- elle est collectée par les infrastructures des marchés.
Le fait générateur de la taxe devrait être la conclusion d'une transaction entre les contreparties, afin d'éviter les délais de paiement, les paiements multiples et l'obligation de rédiger un contrat. Ainsi, le fait générateur est délié du paiement du prix. Si la transaction échoue, la taxe ne serait pas remboursée.
Historiquement, l'UE a toujours été pressentie pour inaugurer la mise en place d'une telle taxe. Ainsi, la France et la Belgique ont prévu, dans des textes législatifs, qu'une telle taxe entrerait en vigueur lorsque tous les pays de la zone euro l'auront adoptée.
Le 20 janvier 2000, au Parlement européen, a été mise aux voix une résolution demandant à la Commission européenne de présenter dans les six mois un rapport sur la faisabilité de la mis en place de la "taxe Tobin". Cette initiative du Parlement européen reposait sur l'article 192 du Traité instituant la Communauté européenne (devenu l'article 225 du TFUE N° Lexbase : L2535IPL). Finalement, le texte soumis a été repoussé à une très faible majorité (229 voix contre 223) par la droite libérale et les députés britanniques du Labour.
En 2009, la Suède, assurant alors la présidence de l'UE, s'est prononcée très défavorablement sur la mise en place d'une telle taxe. Elle lui préfère le système d'assurance proposé par le FMI (voir supra). Ce pays avait connu des difficultés en instaurant cette taxe au niveau national en janvier 1984. En effet, la Suède avait, à cette époque, instauré une taxe générale sur les transactions financières, à hauteur de 0,5 % sur toute vente ou achat de valeurs boursières. En juillet 1986, ce taux avait été doublé. Or, le jour de l'annonce de la mise en place de cette taxe, les actions cotée sur le marché suédois ont plongé de 2,2 %, suivis d'une nouvelle baisse de 5,35 % au cours du mois suivant cette annonce. Lorsque la taxe fut doublée, les cours chutèrent de 1 % supplémentaire. Une autre fut, ensuite, créée par la Suède. Ainsi, en janvier 1989, une taxe sur les revenus des valeurs mobilières fut établie à 0,002 % sur toutes les valeurs d'une maturité de 90 jours ou moins, fixée à 0,003 % pour les actions ayant une maturité de cinq ans ou plus. Les volumes taxables s'étant effondrés, les revenus tirés de ces taxes furent décevants. Les conséquences économiques furent désastreuses : perte de 85 % du volume des échanges, monté à 98 % pour le volume des échanges futurs, disparition du marché des options. Le 15 avril 1990, la Suède a abrogé la taxe sur les revenus. En janvier 1991, le taux de la taxe sur les transactions fut divisé par deux, avant sa suppression à la fin de l'année 1991. A la suite de ces disparitions, les échanges ont repris rapidement.
En 2010, alors que la crise ne semble pas faiblir, et se durcit encore, la taxe sur les transactions financières apparaît comme la solution "miracle". Le 10 mars 2010, les élus européens se prononcent à une large majorité pour l'introduction d'une taxe sur les transactions financières, dont les recettes évaluées à 200 milliards d'euros par an dans l'UE permettraient de financer des projets européens. C'est Anni Podimata, élue socialiste grecque, qui propose sa création dans un amendement à une résolution approuvée par le Parlement. Elle a pour objet de demander à l'Union européenne d'encourager l'instauration d'une taxe sur les transactions financières à l'échelle mondiale. En juin et octobre 2010, la députée socialiste française Pervenche Bérès, dans un rapport sur la crise financière, prône l'adoption du principe d'une taxe sur les transactions financières à l'échelle européenne. Après des débats houleux, en mars 2011, le rapport d'Anni Podimata est approuvé en session plénière. Il appelle à l'introduction d'une taxe sur les transactions financières au niveau européen.
A nouveau, le 8 juin 2011, la Parlement européen appelle à l'introduction d'une telle taxe et demande à la Commission de présenter un projet. Celui-ci est contenu dans la présentation du budget pluriannuel de l'Union européenne. Le 28 septembre 2011, dans son discours annuel sur l'état de l'Union 2011, intitulé "Le Renouveau de l'Europe", le président de la Commission, José Manuel Barroso, a annoncé un projet de mise en place d'une taxe financière au plus tard pour 2014.
L'idée d'une taxe sur les transactions financières n'a jamais été aussi loin dans le processus décisionnel de l'Union européenne. Toutefois, un nouvel échec est probable. En effet, le Royaume-Uni s'insurge devant le projet d'une telle mesure. Cet Etat membre refuse toute adoption d'une telle taxe à un niveau infra global. Pour les britanniques, la taxe sur les transactions financières sera mondiale, ou ne sera pas. Le pays redoute, vraisemblablement, un départ des banques de la City vers des territoires plus cléments, en Asie notamment ou aux Etats-Unis.
Au contraire du Royaume-Uni, la France a une attitude très volontariste. Elle espère créer un groupe de vingt pays leaders sur cette question au sein de l'Union européenne. En attendant, Paris tente de montrer l'exemple.
IV - La taxe sur les transactions financières en France, un exemple ?
En France, le Sénat a voté l'instauration d'une taxe sur les transactions financières dans le cadre des discussions portant sur le projet de loi de finances pour 2012. Saisis de six amendements présentés par des élus tant de gauche que de droite, les sénateurs ont adopté la modification de l'article 235 ter ZD du CGI (N° Lexbase : L4999IEU). Le texte est souple : il prévoit qu'une taxe est instaurée sur l'ensemble des transactions financières dans un plafond de 0,05 %, à partir du 1er juillet 2012, charge étant laissée au Gouvernement de moduler le taux en fonction du type de transactions et de déterminer les modalités de liquidation et de recouvrement. La concertation avec les partenaires européens est mise en avant. Toutefois, cette taxe ne devrait pas voir le jour. En effet, le Gouvernement s'y est opposé, et l'Assemblée nationale, majoritairement de droite, a le dernier mot. Le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, Pierre Lellouche, avait d'ailleurs demandé en vain le retrait de l'amendement finalement adopté, car, selon lui, la France ne peut légiférer en cette matière de façon isolée sans nuire à sa place financière. Le Sénat espère que le délai de six mois laissé à la France pour convaincre ses partenaires européens et le taux fixé dans la fourchette de ce qui a été proposé par la Commission sauront apaiser les réticences. Sans crier victoire toutefois, les sénateurs ont refusé de retirer l'amendement adopté, afin d'envoyer un message politique fort aux pays européens, au partenaire allemand, et au monde entier.
Pourtant, la "taxe Tobin" est une tentation de la France depuis longtemps. En 2001, lors du vote de la loi de finances pour 2002 (loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001, de finances pour 2002 N° Lexbase : L2728AWX), l'Assemblée nationale avait voté l'instauration d'une taxe sur les transactions financières. Ce texte, codifié à l'article 235 ter ZD du CGI, prévoit que cette taxe entrera en vigueur lorsque tous les Etats de la zone euro auront repris son principe. Cette introduction législative, purement symbolique, taxe les transactions sur devises, au comptant ou à terme, sur leur montant brut, à un taux maximum de 0,1 %. Des exonérations sont même prévues par l'article, et portent sur les acquisitions ou livraisons intra-communautaires, les exportations ou importations effectives de biens et de services, les investissements directs étrangers, qu'ils soient étrangers en France ou français à l'étranger, et les opérations de change réalisées pour leur propre compte par les personnes physiques et dont le montant est inférieur à 75 000 euros. Son recouvrement est assuré par les établissements de crédit. Le Trésor public et la Banque de France sont, par ailleurs, exonérés.
A l'époque de son adoption, cet article constituait une avancée non négligeable pour la France aux niveaux européen et mondial. Mais ce texte est resté lettre morte, sa condition suspensive ne s'étant toujours pas réalisée.
Depuis, Yvon Collin et les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen ont présenté au Sénat le 11 février 2010 une proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières. Il était ainsi proposé de supprimer de l'article 235 ter ZD du CGI l'alinéa final, conditionnant l'entrée en vigueur de l'article à une instauration d'une taxe équivalente dans tous les Etats européens. Pourtant, la commission des finances, en charge d'étudier ce projet, a été très critique, ce qui a conduit au rejet de la proposition. Ainsi, une telle taxe doit être universelle, être mise en place au moins en Europe, aux Etats-Unis et au Japon, pour être efficace. L'instauration d'une "taxe Tobin" de façon isolée serait inopérante. La crise est un problème mondial qui appelle des solutions mondiales. En outre, cette instauration serait dommageable pour l'économie française. Le rejet de la proposition fut quasi unanime. Le même groupe a réitéré sa proposition lors de l'adoption, par le Sénat, du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Cette adoption a été immédiatement suivie d'un rejet par l'Assemblée nationale.
Le Sénat a opéré une avancée qui risque pourtant d'être stoppée par les députés. Les économistes sont formels : la mise en place isolée d'une telle taxe ne peut que porter préjudice à son initiateur. L'exemple de la Suède est probant.
Le récent rejet, par l'Assemblée nationale, du projet supporté dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale laisse pessimiste sur une adoption de la proposition faite par le Sénat dans le cadre de l'adoption du projet de loi de finances pour 2012.
Le projet de taxe sur les transactions financières est un symbole fort mais dangereux pour la France, qui doit tirer les leçons de l'exemple suédois et ne pas reproduire les erreurs du passé. Alors qu'elle fait l'objet d'un examen par une agence de notation, détentrice du pouvoir de lui ôter son triple A, la France ne peut se permettre de "se tirer une balle dans le pied"...
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