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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction
le 17 Novembre 2011
Gabriel Benesty : J'ai 48 ans. Je suis avocat publiciste depuis 1994 et diplômé de la première promotion 1989 de l'Institut de Droit public des affaires. J'exerce essentiellement auprès de personnes publiques en association avec deux confrères et nous accueillons cinq collaborateurs. Il n'y a plus d'avocat publiciste praticien au conseil de l'Ordre ce qui le laisse quelque peu désarmé dans ses relations avec notre second ordre de juridiction, c'est-à-dire, les juridictions administratives, dont le rôle dans la défense des libertés ne cesse de s'accroître.
La seconde raison de mon engagement est le combat que le barreau publiciste de Paris mène depuis un an contre la soumission des avocats aux procédures de marchés publics qui reposent sur le seul critère du prix au point de réduire la relation de tout client avec son avocat à un "achat de droit" à l'instar de l'achat d'une ramette de papier. J'assume la responsabilité d'un groupe de travail sur cette question au sein de la commission ouverte de droit public qui a établi les moyens d'enrayer cette dérive à travers un "observatoire" et un "guide de bonne pratique".
Lexbase : Quels sont vos arguments de campagne ?
Gabriel Benesty : D'abord, ma différence. Pas uniquement parce que notre conseil de l'Ordre doit, dans sa composition, refléter toute les facettes de nos activités, mais parce que je peux porter, sur les questions qui intéressent notre profession, un autre regard conscient d'une certaine perception de notre profession par les autorités publiques.
Il faut avoir à l'esprit que les textes relatifs à notre profession sont plus souvent soumis à l'étude de Conseillers d'Etat que de magistrats judiciaires. Malheureusement, la vision de l'avocat à la Cour par ces magistrats administratifs n'est pas historiquement des plus favorables à notre profession.
On peut en donner quelques exemples contemporains résultats de la nature et du fonctionnement du procès administratif. Il est interdit aux avocats à la Cour de prendre la parole devant le Conseil d'Etat alors qu'elle est donnée aux avocats au Conseil et, parfois accordée à nos clients. Le seul fait de se présenter en robe au Palais-Royal provoque déjà des froncements de sourcils inquiets ou réprobateurs. Demander un renvoi ou la réouverture des débats devant les juridictions administratives n'est prévu par aucun texte et nous devons espérer la clairvoyance du magistrat administratif. Dans les procédures d'expertises, nous devons nous en remettre à celle de l'expert car nous ne pouvons solliciter de nouvelles mises en cause deux mois après le début des opérations. Autre exemple issu de la jurisprudence du Conseil d'Etat : la compétence du Bâtonnier -et donc de la cour d'appel- en matière de taxation d'honoraires est écartée lorsque les sommes sont dues au titre d'un marché public. Enfin, notre soumission à des procédures de marchés publics simples "achat de droit" est le résultat d'une posture du Conseil d'Etat qui, écartant le libre choix de l'avocat, a cru nécessaire d'exiger plus d'obligations de mise en concurrence que n'en revendiquaient pour notre profession les Directives européennes.
De tout cela, il faut bien constater une difficulté à comprendre la fonction de l'avocat à la Cour et le lien qui l'unit à son client. Je crois qu'il nous faut construire avec le "conseil juridique de l'Etat" une nouvelle relation afin que les textes de notre profession qui lui seront soumis, soient regardés avec une constante volonté de protéger, pour l'intérêt général et le service public, la justice, l'indépendance, le secret et le libre choix de l'avocat. Nous bénéficions avec Monsieur Jean-Marc Sauvé d'un vice-Président du Conseil d'Etat attentif et ouvert à l'échange. Il nous faut saisir cette chance et je pourrais participer à ce travail.
Le second argument est mon expérience sur des sujets qui animent notre profession. L'inter-professionnalité d'abord. Notre cabinet -comme nombre de cabinets publicistes- ne s'est développé et n'a répondu aux besoins de sa clientèle que grâce à des groupements d'entreprises avec des experts comptables, des notaires, des architectes, des financiers et des techniciens. Dix ans après notre premier groupement, je sais que nous avons peu à craindre des autres professions réglementées. En revanche, nous devons être vigilants sur les autres professions. C'est ici la question dite du "périmètre du droit" qui est en cause. Dans les marchés publics, nous voyons de plus en plus les prestations juridiques être attribuées par les autorités publiques à des personnes n'ayant pas les qualités requises par la loi de 1971 (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ) et ce, avec une ignorance déconcertante de ce texte.
La formation des avocats est aussi une question où l'expérience d'un publiciste est utile. L'Institut de Droit public des affaires, collaboration entre la faculté de Sceaux et l'EFB, vient de fêter ses 20 ans et forme chaque année une vingtaine d'avocats au droit public en confiant à l'Université la théorie et à notre école l'acquisition d'une véritable pratique avec des cabinets référents donnant au stage toute sa valeur qui se prolonge souvent par une première collaboration. Cette formation spécifique n'aboutit pas qu'au CAPA : elle octroie également un diplôme universitaire que nous espérons bientôt voir transformé en master II.
Enfin, notre Bâtonnier siège de droit au conseil d'administration de l'Etablissement public du Palais de Justice de Paris (EPPJP) qui retiendra prochainement le groupement chargé du contrat de partenariat public-privé de construction et d'exploitation des bâtiments où grand nombre d'entre nous devra travailler quotidiennement. Nous devons être attentifs au contenu de ce contrat et nous assurer que les conditions financières et les espaces qui nous seront accordés sont compatibles avec nos besoins. Mon expérience de ce type de contrat me permettra d'en déceler les risques et d'argumenter nos contestations.
Lexbase : Quel projet phare souhaiteriez-vous mener à terme ?
Gabriel Benesty : Bien évidemment, de permettre que le travail des avocats publicistes contre les déviances des marchés publics de prestations juridiques devienne celui de notre Ordre et -parce que la question n'est pas parisienne- celui du CNB. Je suis convaincu que la question des marchés publics est topique d'une certaine acceptation de notre rôle par les pouvoirs publics et que, aboutir sur cette question, c'est renforcer la totalité de la profession.
Un autre projet, me tient à coeur. Il s'agit de la centrale d'achats des avocats, voulue par notre Bâtonnier désigné, Christiane Féral Schuhl. Au sein de l'association Praeferentia, créée à cet effet, je participe aux procédures de sélection des prestataires. Là aussi, mon expérience de publiciste est utile : dans un souci éthique, nous avons décidé de procéder à des mises en concurrence suivant les règles applicables aux personnes privées soumises, au niveau européen, aux obligations de transparence et de publicité.
La réussite de ces deux projets repose, dans un premier temps, sur l'implication des avocats mobilisés autour d'une action commune. Mais ils ne peuvent aboutir que via une appropriation par un Ordre solidaire de ses membres.
Lexbase : Enfin, quelle est votre vision de l'avocat de demain ?
Gabriel Benesty : Plus les champs d'intervention s'ouvrent à nous et plus nous devons maîtriser la technique par l'excellence de la formation et assurer notre cohérence par une conscience partagée avec tous de notre rôle social qui fait que la "fonction" de l'avocat -pour reprendre le terme de notre serment- s'appuie sur l'indépendance, le secret et le libre choix, le tout exprimé dans une déontologie.
En dehors, il ne me paraît pas possible d'avoir de vision de l'avocat de demain.
La diversité de nos modes et de nos domaines d'exercice est déjà grande et la faible participation lors des consultations ou des scrutins ordinaux est vue comme révélatrice d'un malaise de la représentativité de nos instances. Mais à côté, nous avons à Paris plus de 250 associations qui vont du cercle de pétanque -auquel je participe- aux plus sérieux syndicats. Il faut y ajouter le travail bénévole de réflexion dans les commissions ouvertes. Il y a donc une volonté de cohésion, de travail commun et l'avocat n'est pas un individualiste dans l'antre de son cabinet. Comme l'a rappelé le Bâtonnier Wickers lors de la Convention nationale des avocats, quel professionnel accepterait, avant de connaître sa rémunération, d'assurer une prestation : les avocats l'ont fait pour la garde à vue, conscients de leur rôle social.
L'avocat de demain sera peut être mandataire immobilier, agent sportif, "high-tech", en réseau pluridisciplinaire, en entreprise ou autre, mais il conservera sa mission d'écoute et d'appropriation des problèmes d'autrui pour qu'une réponse sociale adaptée soit apportée.
Il nous faut sans cesse convaincre -à mon sens, davantage les autorités publiques que les citoyens- que c'est d'abord cela être avocat, aujourd'hui comme demain. Il faut que nous en conservions les moyens si ce n'est la considération.
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