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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
le 10 Novembre 2011
Après avoir, à l'article 1108 du Code civil (N° Lexbase : L1014AB8), expressément fait du "consentement de la partie qui s'oblige" l'une des quatre "conditions [...] essentielles pour la validité d'une convention", et avoir indiqué, à l'article 1109 (N° Lexbase : L1197ABX), qu'"il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol", l'article 1110 (N° Lexbase : L1198ABY) précise les cas dans lesquels l'erreur est susceptible d'entraîner la nullité du contrat. Ainsi est-il énoncé, dans un alinéa premier, que "l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet", tandis que l'alinéa second, lui, exclut que la nullité puisse résulter d'une erreur sur la personne du cocontractant, "à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention". Si l'erreur sur la personne ne donne lieu, en définitive, qu'à un contentieux assez limité, du moins en droit commun des obligations (l'erreur de l'article 180 du Code civil N° Lexbase : L1359HI8 en droit de la famille ayant connu, à une époque récente, un relatif regain d'intérêt, notamment lorsqu'on s'est demandé si la virginité pouvait constituer une qualité essentielle au sens du texte (1)), il en va différemment de l'erreur sur la substance, particulièrement dans le domaine de la vente d'oeuvres d'art, où la jurisprudence a décidé que l'authenticité constituait bien, précisément, une qualité substantielle (2).
En l'espèce, lors d'une vente aux enchères publiques, des époux avaient acquis un meuble mis en vente par la Fondation nationale des arts graphiques et plastiques (FAGP) et présenté au catalogue sous les mentions suivantes : "table à écrire en marqueterie Boulle et placage ébène. Elle s'ouvre à deux tiroirs sur les côtés et repose sur des pieds fuselés. Riche ornementation de bronze ciselé et doré à décor masques rayonnants, rosaces, frises de fleurs et de feuilles, sabots feuillagés. Estampillé C.I. B... et J.M.E., époque Louis XVI (accidents et restaurations) H.79 cm. L.93 cm. P.63 cm, mise à prix 60/80 000 francs". Soutenant avoir découvert que le meuble avait été transformé au XIXème siècle et non simplement restauré, les acquéreurs ont, entre autres, poursuivi l'annulation de la vente pour erreur. Alors que la Cour de cassation, sur premier pourvoi, avait effectivement accueilli cette demande, décidant, sous le visa de l'article 1110 du Code civil, que "les mentions du catalogue, par leur insuffisance, n'étaient pas conformes à la réalité et avaient entraîné la conviction erronée et excusable des acquéreurs que bien que réparé et accidenté [le] meuble n'avait subi aucune transformation depuis l'époque Louis XVI de référence" (3), la cour d'appel de renvoi a résisté (4), refusant d'admettre la nullité. Sur second pourvoi, la Cour de cassation se rallie finalement à la position des juges du fond, énonçant en effet, pour écarter l'erreur, "qu'après avoir constaté que l'installation de la marqueterie incontestée Boulle sur ce meuble d'époque Louis XVI et l'estampille C.I. B... constituaient son originalité, la cour d'appel a estimé que les époux Z s'en étaient portés acquéreurs en considération de ces éléments, comme de la provenance du meuble issu de la collection Salomon de Rothschild".
L'arrêt est intéressant en ce qu'il montre que la seule insuffisance, appréciée purement objectivement, des mentions du catalogue ne permet pas d'établir à coup sûr l'existence d'une erreur sur la substance. Sans doute ces mentions constituent-elles, pour les magistrats, un outil précieux en la matière, notamment toutes les fois que, parce que trompeuses, il est avéré qu'elles ont conduit le contractant à se méprendre sur la qualité de la chose déterminante de son consentement : ainsi a-t-on admis la nullité pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue de la vente aux enchères d'une oeuvre dont le catalogue ne mentionnait pas qu'il s'agissait seulement d'une partie d'un décor de scène créé par Dali et non d'une oeuvre réalisée par Dali lui-même, la qualification de "tableau", s'agissant d'une simple partie de châssis de coulisse, étant inexacte (5). Mais il reste que, pour que l'erreur puisse effectivement être établie, il faut toujours démontrer qu'elle porte sur un élément déterminant du consentement (6). Aussi bien, lorsqu'il ressort des circonstances de fait que la fausse représentation de la réalité n'a pas été déterminante du consentement, ce qui suppose par hypothèse que le motif impulsif et déterminant du consentement ait résidé ailleurs, on ne saurait induire de la seule insuffisance des mentions du catalogue une erreur. Pour le dire autrement, toutes les fois que les circonstances de fait permettent de considérer qu'en dépit de l'insuffisance des mentions du catalogue, le contractant aurait bien contracté, et ce parce que, en tout état de cause, le motif déterminant de son consentement ne tenait pas à la fausse représentation de la réalité, il n'y a pas lieu d'admettre l'erreur.
Tel paraissait précisément être le cas en l'espèce, les acquéreurs ne démontrant pas qu'ils avaient consenti à la vente en considération de la seule intégrité matérielle du bien en son entier et avec la volonté d'acquérir un meuble conservé dans son état d'origine ou restauré par des artistes ayant appliqué les mêmes techniques et utilisé les mêmes matériaux que l'ébéniste ayant construit le meuble. Sous cet aspect, la solution de l'arrêt mérite d'être approuvée, en ce qu'elle correspond, d'un point de vue méthodologique, à la conception subjective de l'erreur sur la substance : l'insuffisance des mentions du catalogue, soit ; mais ce qui importe avant tout, c'est la qualité de la chose déterminante du consentement. Là où l'on éprouvera tout de même une certaine gêne à la lecture de l'arrêt, c'est dans le fait que les magistrats ne se contentent pas d'affirmer que les demandeurs ne rapportent pas la preuve de l'erreur, mais, allant au-delà, énoncent que "l'installation de la marqueterie incontestée Boulle sur ce meuble d'époque Louis XVI et l'estampille C.I. B.." en constituaient l'originalité et, donc, la raison pour laquelle les époux acquéreurs avaient entendu contracter. En somme, le juge vient dire ce qui doit être considéré comme constituant, plus objectivement (selon l'opinion commune ?) que subjectivement nous semble-t-il, la qualité substantielle (7). Mais peut-être est-ce la rançon d'une notion aussi psychologique, et donc difficile à saisir, que l'erreur...
La définition de la clause pénale fait l'objet, depuis de nombreuses années déjà, d'une jurisprudence abondante qui s'explique notamment par le souci d'encadrer et de cantonner le pouvoir de révision que le juge tient de l'article 1152, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ). Une partie de la doctrine, revenant à la distinction initiale faite par les rédacteurs du Code civil entre, d'une part, l'évaluation forfaitaire des dommages et intérêts visés par l'article 1152 et, d'autre part, la clause pénale de l'article 1226 (N° Lexbase : L1340ABA), a certes pu émettre l'idée selon laquelle la clause visée à l'article 1152 ne s'identifierait pas nécessairement à la clause pénale, ce texte, figurant dans une section relative aux dommages et intérêts dus en cas d'inexécution de l'obligation, concernant a priori toute convention relative aux dommages et intérêts (8). Autrement dit, le domaine du pouvoir judiciaire de révision, tel qu'il résulte de l'article 1152, alinéa 2, du Code civil, serait plus étendu que celui de la clause pénale et serait "constitué par les hypothèses d'évaluation conventionnelle de sommes dues à titre de dommages-intérêts, pour le cas d'inexécution de la convention" (9). Toujours est-il que la Cour de cassation n'a pas entendu consacrer une telle analyse et décide, à tort ou à raison (10), de subordonner la mise en oeuvre du pouvoir de révision que le juge reçoit de l'article 1152, alinéa 2, du Code civil à la qualification de la clause en clause pénale. Mais tel n'est pas le seul intérêt attaché à la définition de la clause ainsi qu'à la détermination de sa nature juridique et, par suite, de son régime : on s'est en effet demandé s'il était nécessaire, pour déclencher l'application de la pénalité contractuelle, que le créancier ait subi un préjudice du fait de l'inexécution imputable au débiteur ou bien, au contraire, si le seul constat de la faute du débiteur suffisait à mettre en oeuvre la clause, et ce même en l'absence de préjudice pour le créancier ? Un récent arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 octobre 2011, bien qu'inédit, mérite d'être ici signalé dans la mesure où il vient confirmer une solution qui nous paraît, au plan des principes, parfaitement cohérente.
Les faits de l'espèce, dont l'arrêt ne livre d'ailleurs pas toute la substance, révèlent tout de même que l'affaire opposait un maître de l'ouvrage à un maître d'oeuvre, celui-ci ayant, à la suite de l'abandon du projet par le maître de l'ouvrage, réclamé l'application d'une clause du contrat fixant le montant de l'indemnité forfaitaire de résiliation représentant 20 % de la partie des honoraires qui lui aurait été versée en cas d'exécution de son entière mission. Les premiers juges ayant fait droit à cette demande, le maître de l'ouvrage contestait devoir cette indemnité, qui s'analysait en une clause pénale, dans la mesure où le maître d'oeuvre ne justifiait d'aucun préjudice. La Cour de cassation rejette cependant assez sèchement le pourvoi en énonçant que "la clause pénale, sanction du manquement d'une partie à ses obligations, s'appliquant du seul fait de cette inexécution, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes relatives à l'existence du préjudice".
La Cour de cassation confirme ainsi une solution déjà admise antérieurement (11) : la clause pénale s'applique dès lors qu'une inexécution contractuelle imputable au débiteur est établie, malgré l'absence de préjudice souffert par le créancier. Comme avait justement pu le dire un auteur, la règle suivant laquelle la production d'un préjudice est sans influence sur l'exécution de la peine est une conséquence logique de la primauté, "mieux de l'exclusivité" de la faute en matière de clause pénale : "puisque l'inexécution illicite est une condition suffisante de l'exécution de la peine, peu importe qu'un préjudice ait été causé" (12). C'est en effet pour inciter le débiteur à exécuter son obligation que les parties conviennent à l'avance que, si tel n'était finalement pas le cas, il devrait la pénalité prévue au contrat, pénalité qui, en cas de préjudice, se substitue aux dommages et intérêts de droit commun. On peut ainsi considérer que la garantie de l'exécution constitue la cause finale, donc le but poursuivi par les contractants, de la clause pénale, l'inexécution par le débiteur de l'obligation principale constituant, elle, la cause efficiente de la peine, autrement dit "le fait sans lequel ni l'exécution, ni même l'existence d'une peine ne sont concevables" (13). On comprend donc que, l'inexécution illicite étant le fondement nécessaire et suffisant de la clause pénale, l'existence d'un préjudice subi par le créancier du fait de cette inexécution ne soit pas nécessaire à l'exécution de la peine.
On pourrait, il est vrai, s'interroger sur le point de savoir si la solution ne risquerait pas d'être contournée dans l'hypothèse dans laquelle le débiteur, plutôt que de plaider l'impossibilité pour le créancier de se prévaloir de la pénalité en raison d'une absence de préjudice, préfèrerait demander au juge de réviser le montant de la peine en application de l'article 1152, alinéa 2, du Code civil, et ferait valoir, sur ce fondement, que, faute de préjudice, le juge devrait procéder à la suppression pure et simple de la clause. On n'ignore pas, en effet, que certaines décisions ont eu l'occasion de considérer que, en l'absence de préjudice pour le créancier, le juge, saisi d'une demande en révision au motif que la pénalité contractuelle serait manifestement excessive, dispose du pouvoir d'exonérer totalement le débiteur du paiement de la peine convenue (14). L'arrêt du 4 octobre 2011 ne permet pas bien de savoir si la demande consistait dans l'inapplicabilité de la clause litigieuse faute de préjudice ou dans la suppression de la clause par le juge qui exercerait son pouvoir de révision au sens de l'article 1152, alinéa 2. En tout état de cause, dans cette dernière hypothèse, on redira, après d'autres, que la suppression de la pénalité en l'absence de préjudice pour le créancier ne saurait être approuvée dans la mesure où cette solution conduit non seulement à faire peu de cas de la lettre même de l'article 1152, alinéa 2, du Code civil qui n'a guère autorisé le juge qu'à "modérer" la peine manifestement excessive ou dérisoire, et non à la supprimer, mais encore et surtout, à méconnaître la nature réelle de ladite clause (15).
(1) Voir infra.
(2) Sur la question, v. not. Chatelain, Etudes Flour, Defrénois, 1979, p. 63 ; et pour des illustrations en jurisprudence : Cass. civ. 1, 23 février 1970, n° 68-13.563 (N° Lexbase : A6519CIB), JCP 1970, II, 16347 ; Cass. civ. 1, 22 février 1978, n° 76-11.551 (N° Lexbase : A0563AYI), Grands arrêts de la jurisprudence civile, n° 148 ; Cass. civ. 1, 13 janvier 1998, n° 96-11.881 (N° Lexbase : A2203ACL), Bull. civ. I, n° 17 ; Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 06-20.298 (N° Lexbase : A5831EA9), Bull. civ. I, n° 117.
(3) Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-17.523, F-P+B (N° Lexbase : A0616EBG).
(4) CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 septembre 2010, n° 08/21208 N° Lexbase : A1811GAC).
(5) Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, préc..
(6) Ce qui explique d'ailleurs que, saisis d'une action en nullité pour cause d'erreur, les juges du fond apprécient souverainement les qualités qui, dans le contrat, doivent être considérées comme substantielles aux yeux des parties : Cass. civ. 1, 26 février 1980, n° 78-15.631 (N° Lexbase : A0416CKM), Bull. civ. I, n° 66 ; Cass. civ. 3, 9 juin 2010, n° 08-13.969, FS-D (N° Lexbase : A0010EZE) ; Contrats, conc., consom. 2010, n° 222, obs. L. Leveneur.
(7) Le juge ne fait-il d'ailleurs pas de même lorsqu'il s'agit d'apprécier l'erreur sur les qualités essentielles de la personne au sens de l'article 180 du Code civil ? V. not, au sujet du point de savoir si la virginité est une qualité essentielle de la personne (CA Douai, 1ère ch., sect. 1, 17 novembre 2008, n° 08/03786 N° Lexbase : A3937EBG, JCP éd. G, 2008, II, 10005, note Ph. Malaurie ; Adeline Gouttenoire,En mariage trompe qui peut..., Lexbase Hebdo n° 328 du 27 novembre 2008 - édition privée N° Lexbase : N7668BHH).
(8) Ph. Malaurie, La révision judiciaire des clauses pénales, Defrénois, 1976, art. 31075, p. 533 ; J. Mestre, Les conditions de la révision judiciaire dans le cadre de l'article 1152 du Code civil, de la peine convenue entre les parties, RTDCiv., 1985, p. 372 ; D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, 1992, préf. F. Chabas, n° 258.
(9) J. Mestre in RTDCiv., 1986, p. 103.
(10) Sur cette question, V. not. Ph. Malinvaud, De l'application de l'article 1152 du Code civil aux clauses limitatives de responsabilité, in L'avenir du droit, Mélanges F. Terré, Dalloz-PUF-JurisClasseur, 1999, p. 689.
(11) Cass. civ. 3, 12 janvier 1994, n° 91-19.540 (N° Lexbase : A6543ABX), Bull. civ. III, n° 5 ; Cass. civ. 3, 20 décembre 2006, n° 05-20.065, FS-P+B (N° Lexbase : A1023DT3), JCP éd. G, 2007, II, 10024, nos obs..
(12) D. Mazeaud, op. cit., spéc., n° 564, p. 322.
(13) D. Mazeaud, op. cit., n° 424.
(14) Cass. com, 28 avril 1980, n° 78-16.463 (N° Lexbase : A3169CKL), Bull. civ. IV, n° 167 ; Cass. com., 16 juillet 1991, n° 89-19.080 (N° Lexbase : A3027CUN), D., 1992, p. 365, note D. Mazeaud ; Cass. com., 14 octobre 1997, n° 95-11.448 (N° Lexbase : A1732AC7), Defrénois, 1998, art. 36753, p. 358, obs. D. Mazeaud.
(15) V. déjà, de façon tout à fait convaincante, la note de D. Mazeaud sous Cass. com., 16 juillet 1991, préc..
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