Réf. : Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 19-87.741, F-P+B+I (N° Lexbase : A46683A7)
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N1928BY3
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par June Perot
le 22 Janvier 2020
► La Chambre criminelle a considéré qu’une chambre de l’instruction, en autorisant la remise de l’intéressé en vertu d’un mandat d’arrêt européen, a justifié sa décision ; en effet, la note du procureur général de la République de Croatie qui prévoit que ledit procureur général a un statut autonome indépendant, permet de conclure que celui-ci est une autorité judiciaire au sens de l’article 6 § 1 de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002 (N° Lexbase : L2925LHS), tel qu’interprété par les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 27 mai 2019, aff. C-508/18 et C.82-19 N° Lexbase : A1496ZDR ; aff. C-509/18 N° Lexbase : A1497ZDS, CJUE, 12 décembre 2019, aff. C-566/19 et C.626-19 N° Lexbase : A7837Z7E) ;
► Concernant la condition de double incrimination, dès lors que l’intéressé n’a pas produit d’éléments conduisant à douter de la conformité du texte d’incrimination dans l’État d’émission au principe de légalité des délits et des peines, tel que consacré par l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX), la chambre de l’instruction a apprécié que les faits décrits dans le mandat étaient susceptibles de constituer une infraction au regard de la loi française.
C’est ainsi que se prononce la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 7 janvier 2020 (Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 19-87.741, F-P+B+I N° Lexbase : A46683A7).
Résumé des faits. Dans cette affaire, les autorités croates ont émis un mandat d’arrêt européen à l’encontre d’un homme pour l’exécution d’une décision du tribunal de comté de la ville de Sibenik, sur détermination de la détention provisoire. Ce mandat a été décerné pour l’exercice de poursuites pénales du chef d’infractions contre l’économie, par abus de confiance dans des opérations commerciales, visées à l’article 246, paragraphe 2, en liaison avec le paragraphe 1, du Code pénal croate, pour des faits commis de février à septembre 2015 au préjudice de deux sociétés dont la personne réclamée était propriétaire, faits imputés à cette dernière et à deux dirigeants de droit desdites sociétés, par usage des biens de celles-ci au bénéfice des intéressés et de tiers, les circonstances de plusieurs paiements litigieux étant décrites dans l’acte.
L’intéressé a été interpellé à l’aéroport de Nice. Il a reconnu que le mandat lui était applicable et a été placé sous contrôle judiciaire. Devant la chambre de l’instruction, il n’a pas consenti à sa remise.
En cause d’appel. La chambre de l’instruction a autorisé la remise de l’intéressé aux autorités croates.
S’agissant de la notion d’autorité judiciaire, les juges retiennent qu’une organisation hiérarchique des membres d’un parquet indépendant n’empêche pas ceux-ci d’être des autorités judiciaires au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, pourvu que le procureur au sommet de cette hiérarchie ne soit pas lui-même soumis à des ordres individuels de la part du pouvoir exécutif. Les juges ajoutent qu’il résulte d’une note du procureur général de la République de Croatie que l’article 125 (1) de la Constitution de cet État prévoit que ledit procureur général a un statut autonome et indépendant. Ils en déduisent que le parquet croate est une autorité judiciaire compétente pour émettre un mandat d’arrêt européen, peu important que le procureur général de la République exerce éventuellement un contrôle hiérarchique sur le procureur général du comté.
S’agissant de la condition de double incrimination requise par l’article 695-23 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5239LBN), les juges énoncent que le contrôle de cette condition s’opère par la recherche d’une qualification juridique connue de la loi française applicable aux faits poursuivis par l’État membre d’émission et non par comparaison de l’identité des éléments constitutifs des infractions dans les deux législations. Les faits décrits dans le mandat correspondent, selon la loi française, au délit d’abus de biens sociaux en ce qu’ils impliquent deux dirigeants de droit de sociétés avec lesquels l’intéressé a participé à des détournements de fonds et que, outre sa qualité de propriétaire des sociétés en cause, celle de membre de ces entités dont partie de l’actif a été détournée l’assimile à un dirigeant de fait susceptible de commettre l’infraction.
Un pourvoi a été formé par l’intéressé.
Le parquet croate : autorité judiciaire compétente. La Chambre criminelle approuve les juges d’appel en ce qu’ils ont retenu que le parquet croate est une autorité judiciaire compétente pour émettre un MAE. Elle considère par ailleurs qu’en l’absence de doute raisonnable sur l’interprétation de l’article 6 § 1 précité, il n’y a pas lieu de saisir sur ce point la Cour de justice de l’Union européenne.
La condition de double incrimination. Reprenant la solution susvisée, la Haute juridiction approuve de nouveau les juges d’appel sur ce point. Le principe de la double incrimination est affirmé à l’article 695-23, alinéa 1, du Code de procédure pénale qui dispose que l’exécution d'un mandat d'arrêt européen est refusée si le fait faisant l'objet dudit mandat ne constitue pas une infraction au regard de la loi française (v. par exemple, Cass. crim., 5 août 2004, n° 04-84.511, F-P+F N° Lexbase : A3391DDX). En pratique, c’est aux autorités judiciaires chargées de mettre en œuvre le mandat européen qu’il revient d’apprécier cette condition de double incrimination.
Pour aller plus loin : • P. Le Monnier de Gouville, Les mutations du parquet (colloque du 4 octobre 2019 à Clermont) : Réflexions sur le statut du parquet, Lexbase Pénal, décembre 2019 (N° Lexbase : N1475BYB) • T, Herran, La validité de la procédure d’émission du mandat d’arrêt européen mise en doute par les juridictions françaises, Lexbase Pénal, décembre 2019 (N° Lexbase : N1639BYD) • B. Thellier de Poncheville, Les autorités de poursuites : autorités judiciaires d’émission d’un mandat d’arrêt européen ?, Lexbase Pénal, juillet 2019 (N° Lexbase : N9861BXI) au sujet des arrêts CJUE, 27 mai 2019, aff. C-508/18 et aff. C-509/18 ; du même auteur, Validité d’un mandat d’arrêt européen émis par un juge du siège allemand reprenant un mandat d’arrêt européen émis par un procureur allemand, Lexbase Pénal, septembre 2019 (N° Lexbase : N0316BYD) |
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