Lexbase Affaires n°269 du 20 octobre 2011 :

[Brèves] Contre-garantie autonome, prescription et refus d'exequatur

Réf. : Cass. com., 13 septembre 2011, n° 10-19.384, FS-P+B (N° Lexbase : A7461HXM)

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par Gaël Piette, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Membre de l'IRDAP

le 19 Octobre 2011

Un organisme de droit public égyptien conclut avec une société de droit français un contrat portant sur la livraison de denrées animales. La bonne fin des livraisons est garantie à concurrence de 484 000 US Dollars par un établissement bancaire égyptien, lui-même contre-garanti par une banque française par acte du 25 avril 1983.
Le créancier égyptien ayant appelé la garantie, le garant en avise, le 9 avril 1984, le contre-garant, afin de lui réclamer l'exécution de son obligation. En 1987, le créancier assigne le garant en paiement devant une juridiction égyptienne. La procédure aboutit à un arrêt de la cour d'appel du Caire, le 26 avril 1994, par lequel le garant et le contre-garant sont condamnés à exécuter leurs engagements respectifs. Le garant verse au créancier la somme convenue en novembre 1995, et assigne, le 31 décembre 2001, le contre-garant aux fins d'exequatur en France de l'arrêt rendu par la cour d'appel du Caire. Devant le rejet de sa demande, par jugement du 5 mai 2004, le garant assigne en paiement son contre-garant.
La cour d'appel de Versailles, par arrêt du 18 février 2010, déclare l'action du garant irrecevable parce que prescrite. Le garant se pourvoit alors en cassation, contestant cette solution de la cour d'appel par deux moyens. D'une part, il estime que le point de départ du délai de prescription n'est pas l'exigibilité de la contre-garantie, mais la date à laquelle le garant est tenu légalement de payer la garantie. D'autre part, il considère que l'assignation devant une juridiction égyptienne avait interrompu cette prescription. La Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 13 septembre 2011, confirme l'arrêt de la cour d'appel de Versailles et rejette le pourvoi. La Cour affirme, d'abord, que le point de départ du délai de prescription est l'exigibilité de la contre-garantie, laquelle n'est pas subordonnée à l'exécution par le garant de premier rang de sa propre obligation. La Cour retient, ensuite, que la prescription, si elle avait été interrompue par la saisine d'une juridiction égyptienne, avait repris cours en raison du refus des juridictions françaises de revêtir de l'exequatur la décision égyptienne.

Ainsi, cette décision apporte deux importantes précisions en matière de prescription de l'action du garant envers le contre-garant : le point de départ (I) et l'interruption de la prescription (II).

I - Le point de départ de la prescription

Le délai de prescription de l'action du garant envers son contre-garant court à compter de l'exigibilité de la contre-garantie. La solution est classique, inspirée d'un adage célèbre : "Actioni non natae non currit praescriptio" (la prescription ne court pas tant que l'action n'est pas née). La jurisprudence a fait sienne cette idée (cf., Ass. plén., 6 juin 2003, n° 01-12.453, publié N° Lexbase : A9491C7N, qui s'appuie sur "la règle selon laquelle le point de départ d'un délai à l'expiration duquel une action ne peut plus s'exercer se situe à la date de l'exigibilité de l'obligation qui lui a donné naissance"). L'introduction de points de départ flottants par la loi du 17 juin 2008 (loi n° 2008-561 N° Lexbase : L9102H3I) est indifférente sur ce point.

La question qui se pose est alors celle de savoir quel est le moment de l'exigibilité de la contre-garantie. Est-ce la date à laquelle le garant paye effectivement le bénéficiaire, ou celle à laquelle le garant demande exécution de ses obligations par le contre-garant ?

La Cour de cassation opère un raisonnement parfaitement fondé : puisque la garantie et la contre-garantie sont des garanties autonomes, l'exigibilité de la contre-garantie n'est pas subordonnée à l'exécution par son bénéficiaire (c'est-à-dire le garant de premier rang) de son propre engagement.

L'exigibilité de la contre-garantie se situe donc au moment où le garant demande au contre-garant l'exécution de ses engagements.

Ainsi, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, la prescription courait à compter du 9 avril 1984, date à laquelle le garant avait réclamé l'exécution de la contre-garantie, et non à compter du 15 novembre 1995, comme le soutenait le garant, date à laquelle ce dernier avait payé le créancier bénéficiaire.

Cette solution se justifie pleinement au regard des notions de garantie autonome et de contre-garantie. La spécificité de cette sûreté personnelle (et son critère distinctif du cautionnement) réside dans son autonomie. La garantie de premier rang est autonome du rapport fondamental, et la contre-garantie est autonome de la garantie de premier rang (Cass. com., 12 décembre 1984, n° 83-15.389 N° Lexbase : A2616AA7 ; D., 1985. 269, note M. Vasseur ; JCP éd. G, 1985, II. 20436, note J. Stoufflet ; RTDCom., 1985, p.548, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié ; Gaz. Pal., 1985, 1, panor. 99, note A. Piedelièvre). Il est dès lors impossible de faire dépendre l'exigibilité de la contre-garantie de l'exécution -ou de l'inexécution- de ses engagements par le garant de premier rang.

Il n'est pas davantage possible de considérer, comme en matière de cautionnement (Cass. com., 19 février 1979, n° 77-13.340 N° Lexbase : A1047CIM, Bull. civ. IV, n° 65 ; Cass. civ. 1, 20 juillet 1981, n° 80-11.731 N° Lexbase : A7538AYT, Bull. civ. I, n° 266), que la date d'exigibilité de la sûreté est la même que celle de l'obligation garantie.

II - L'interruption de la prescription

Le requérant invoquait également à l'appui de son pourvoi l'interruption de la prescription provoquée par la saisine d'une juridiction égyptienne par le créancier en 1987. Pour ce faire, le garant se fonde sur l'article 2246 du Code civil (N° Lexbase : L7176IAZ), en sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, qui disposait que "la citation en justice, donnée même devant un juge incompétent, interrompt la prescription" (règle désormais énoncée par l'article 2241, alinéa 2 N° Lexbase : L7181IA9).

Mais la Cour de cassation considère que la saisine de la juridiction égyptienne n'a pas été interruptive de prescription, en raison du refus par le tribunal de grande instance de Nanterre d'accorder l'exequatur. L'article 2247 du Code civil (N° Lexbase : L7175IAY) énonçait que l'interruption de prescription est regardée comme non avenue lorsque la demande en justice est rejetée (règle figurant dorénavant à l'article 2243 N° Lexbase : L7179IA7). Ce texte ne distinguant pas "selon que la demande est définitivement rejetée par un moyen de fond ou qu'elle est repoussée soit par un moyen de forme, soit par une fin de non-recevoir laissant subsister le droit d'action", la Cour de cassation estime que le refus d'exequatur est un rejet de la demande au sens de l'ancien article 2247.

Le refus d'exequatur par les juridictions françaises a ainsi eu une double conséquence sur la prescription de la contre-garantie. D'une part, puisque la décision étrangère n'a pas été revêtue de l'exequatur, elle n'a aucun effet exécutoire en France. Le garant ne peut donc l'invoquer comme titre exécutoire à l'encontre du contre-garant. Le seul titre que pourrait invoquer le garant serait donc l'acte de contre-garantie lui-même. Mais comme, d'autre part, le défaut d'exequatur prive la décision étrangère de son effet interruptif de prescription, sur le fondement de l'article 2247 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008, la prescription du contrat de contre-garantie a commencé à courir à son exigibilité, c'est-à-dire à la date à laquelle le garant a demandé au contre-garant l'exécution de ses engagements, sans être depuis interrompu.

Par conséquent, la condamnation du garant de premier rang à payer les sommes dues au créancier bénéficiaire n'a eu aucun impact, en termes d'interruption de prescription, sur la contre-garantie.

Ainsi, la prescription de la garantie autonome (en l'espèce, la contre-garantie, mais qui n'est ni plus ni moins qu'une garantie autonome : A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Traité de Droit civil ; les sûretés personnelles, LGDJ, 2010, n° 1387) ne souffre pas des éventuelles condamnations à payer dont peut faire l'objet le débiteur garanti.

Plus largement, il apparaît que l'interruption de la prescription à l'égard du garant de premier rang n'a pas d'effet sur la prescription de l'engagement du contre-garant.

Une fois encore, la solution se justifie parfaitement, ne constituant qu'une manifestation supplémentaire de l'autonomie de la garantie à première demande par rapport à l'obligation garantie. En effet, la solution n'est pas la même en matière de cautionnement. En raison du caractère accessoire de cette sûreté, le Code civil (C. civ., art. 1206 N° Lexbase : L1308AB3 pour la caution solidaire et art. 2246 N° Lexbase : L7176IAZ (actuel) pour la caution simple) et la jurisprudence (Cass. com., 13 avril 1999, n° 96-12.620 N° Lexbase : A0102AUC ; RJDA, 6/1999, n° 725) considèrent que l'interruption de la prescription à l'égard du débiteur principal emporte effet à l'égard de la caution.

Sans surprise, cet arrêt retient au final que l'autonomie de la garantie autonome se manifeste aussi au niveau de sa prescription. Le contraire eut été étonnant, et particulièrement critiquable.

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