La lettre juridique n°457 du 13 octobre 2011 : Pénal

[Jurisprudence] L'inconstitutionnalité de l'inscription de l'inceste sur mineur dans le Code pénal

Réf. : Cons. const., décision n° 2011-163 QPC, du 16 septembre 2011 (N° Lexbase : A7447HX4)

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N8129BSU

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 13 Octobre 2011

Par une action conjuguée de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, le principal dispositif instauré par la loi n° 2010-121 du 8 février 2010, tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux (N° Lexbase : L5319IG4) (1), vient d'être réduit à néant ! Le nouvel article 222-31-1 du Code pénal (N° Lexbase : L5376IG9) selon lequel "les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une soeur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait", a, en effet, été déclaré inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel dans une décision du 16 septembre 2011 au nom du principe de la légalité des délits et des peines (Cons. const., décision n° 2011-163 QPC, du 16 septembre 2011). Cette censure qui peut paraître compréhensible (I) entraîne une remise en cause regrettable de l'inscription de l'inceste dans le Code pénal, qui avait pourtant été salué comme un progrès dans la lutte contre les violences sexuelles intra-familiales (II). I - La censure fondée sur le principe de légalité des délits et des peines

Renvoi par la Cour de cassation. Le Conseil avait été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de cassation qui avait accepté son renvoi dans un arrêt de la Chambre criminelle du 22 juin 2011 (22). La Cour de cassation avait, en effet, considéré que les différentes conditions de renvoi de la QPC étaient réunies. D'une part, l'article 222-31-1 du Code pénal était applicable à la procédure, l'auteur du pourvoi et de la QPC ayant été condamné pour viols aggravés qualifiés d'incestueux. D'autre part, cette disposition n'avait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, la loi n'ayant pas fait l'objet d'un examen de ce dernier lors de son élaboration. Enfin, et surtout, la Cour de cassation considère que la QPC qui lui est soumise "est sérieuse au regard du principe de légalité des délits et des peines dès lors que la famille au sein de laquelle doivent être commis les actes incestueux, dont la qualification se superpose à celles de viols et agressions sexuelles, n'est pas définie avec suffisamment de précision pour exclure l'arbitraire".

Légalité des délits et des peines. C'est ce même argument qui est repris par le Conseil constitutionnel, quoique sur un fondement quelque peu différent, qui considère que "s'il était loisible au législateur d'instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s'abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille".

Imprécision de la définition de la famille. Cette décision repose sur une analyse stricte de l'exigence de lisibilité de la loi pénale. Le Conseil, ainsi que la Cour de cassation, considèrent en effet que l'expression "toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait" n'est pas suffisamment précise pour définir les membres de la famille dont les abus sexuels pourraient être qualifiés d'incestueux au regard de l'article 222-31-1 du Code pénal. Cette formule reposait sur une conception large et ouverte de la famille dans le but bien compris d'offrir à l'enfant victime d'inceste une meilleure protection. Lorsque l'auteur des faits n'était ni un ascendant, ni un frère ou une soeur, l'agression sexuelle qu'il avait commise pouvait être qualifiée d'incestueuse selon un double critère : il fallait qu'elle ait été commise par une personne de la famille qui, exerçait sur l'enfant une autorité de fait ou de droit. C'est la référence à la famille sans autre précision qui a, semble-t-il, particulièrement gêné le Conseil constitutionnel. Il est vrai qu'aucune définition légale de la famille n'est contenue dans les textes. Il n'en reste pas moins qu'une définition assez communément admise permet de considérer que la famille s'entend de l'ensemble des personnes liées par une parenté ou une alliance. Sur ce second point sans doute la définition reste un peu floue : l'alliance implique-t-elle les concubins ? Les pacsés ? La réponse de la doctrine et de la jurisprudence à cette question paraît aujourd'hui clairement positive lorsqu'il s'agit de concubins hétérosexuels, sans doute est-elle moins péremptoire quand il s'agit de concubins homosexuels. Il n'en demeurait pas moins que la définition laissait persister des hésitations que le Conseil constitutionnel a pu juger incompatibles avec le principe des délits et des peines même si le second critère, celui de l'autorité de fait ou de droit, permettait d'atténuer l'effet de cette zone de flou. On aurait sans doute pu considérer que cette précision conférait à la définition de l'acte incestueux une certaine souplesse sans pour autant la rendre totalement aléatoire. Cependant, les magistrats de la Cour de cassation ont vu dans cette définition souple un risque d'arbitraire et le Conseil constitutionnel a considéré qu'elle ne répondait aux exigences du principe de légalité des délits et des peines.

II - La remise en cause de l'inscription de l'inceste dans le Code pénal

Défaut d'enjeu de la surqualification. Le défaut d'enjeu de la "surqualification" d'inceste, qui ne modifie pas la peine prévue par le Code pénal, n'a exercé aucune influence sur la censure du Conseil constitutionnel. Il est intéressant de constater qu'il n'a pas non plus dissuadé l'auteur de la QPC, poursuivi pour viol aggravé. Cette réaction tend à démontrer que la surqualification d'inceste, notamment en raison de son inscription sur le casier judiciaire de la personne condamnée, dépasse finalement la portée essentiellement symbolique pour les victimes que l'on avait identifié au moment de l'entrée en vigueur de la loi, Mais c'est justement toute la symbolique de l'entrée de l'inceste dans le Code pénal qui est frappée de plein fouet.

Abrogation immédiate. Le Conseil constitutionnel n'a même pas voulu laisser au législateur -comme il l'a fait à plusieurs reprises dans d'autres domaines (3)-, le temps de préciser le texte, affirmant que "l'abrogation de l'article 222-31-1 du Code pénal prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'à compter de cette date, aucune condamnation ne peut retenir la qualification de crime ou de délit incestueux' prévue par cet article ; que, lorsque l'affaire a été définitivement jugée à cette date, la mention de cette qualification ne peut plus figurer au casier judiciaire". Par cette dernière formule, le Conseil constitutionnel revient même sur les condamnations passées, prononcées avant sa décision, ce qui confère à celle-ci une portée rétroactive. En effet, en raison de la neutralité répressive de la loi du 8 février 2010 pour ce qui concerne la qualification d'inceste, on avait pu considérer que, ni plus sévère ni plus douce, elle pouvait s'appliquer aux procès en cours (4).

Anéantissement du dispositif légal. Avant même que l'article 222-31-1 du Code pénal ait vraiment été appliqué (on dénombre à ce jour cinq décisions examinées par la Cour de cassation qui visent ce texte), le dispositif qu'il contenait a été anéanti, au nom des droits de la défense. Or, ce texte constituait l'apport essentiel de la loi du 8 février 2010, dont il ne reste finalement rien ou presque, si ce n'est la nouvelle définition de la contrainte morale, qui constitue un progrès non négligeable dans la répression des violences sexuelles intra-familiales. L'inceste sur mineur n'aura finalement fait qu'une brève apparition dans le Code pénal. Son retour est désormais subordonné à une réécriture par le législateur de la définition de la famille dans le Code pénal.

Nouvelle définition de la famille. Pour satisfaire les exigences du Conseil constitutionnel, il faudrait sans doute établir une liste précise et exhaustive des personnes susceptibles de commettre des actes incestueux, ce qu'avait d'ailleurs proposé à l'origine la mission parlementaire présidée par Christian Estrosi. La liste visait l'ascendant légitime, naturel ou adoptif, l'oncle ou la tante légitime, naturel ou adoptif, le frère ou la soeur, légitime naturel ou adoptif, ainsi que le conjoint, le concubin, ou partenaire de l'une de ces personnes. Outre, la suppression de la distinction entre la parenté légitime ou naturelle qui n'a plus lieu d'être depuis la réforme de la filiation de 2005, cette énumération pourrait être utilement complétée par la mention du cousin, et de la cousine, du beau-frère et de la belle-soeur. Il restera à savoir s'il faut malgré tout conserver le critère d'autorité de fait ou de droit qui ne serait finalement, plus nécessaire en présence d'une liste précise, au regard des exigences tirées du principe de la légalité. Il faut en tout état de cause formuler le souhait que le texte sera effectivement réécrit et que l'inceste sur mineurs après avoir fait brièvement l'objet d'une qualification pénale ne retourne pas complètement dans l'ombre...


(1) A. Lepage, Réflexions sur l'inscription de l'inceste dans le Code pénal par la loi du 8 février 2010, JCP éd. G, 2010, 335 ; G. Delors, L'inceste dans le Code pénal : de l'ombre à la lumière, RSC, 2010, p. 599 ; A. Bourra-Gueguen, Commentaire de la loi du 8 février 2010 tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal, Dr. fam., 2010, Etude n° 15 ; P. Bonfils, La loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux, RSC, 2010, p. 462.
(2) Cass. QPC, 22 juin 2011, n° 10-84.992 (N° Lexbase : A9073HUL) ; un autre arrêt du même jour (Cass. QPC, 22 juin 2011, n° 10-88.885 N° Lexbase : A9074HUM) refuse de renvoyer la même question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel au motif qu'il a déjà été saisi de cette question par la Cour de cassation.
(3) En dernier lieu à propos de l'impartialité du juge des enfants dans ses décisions du 8 juillet (Cons. const., décision n° 2011-147 QPC, du 8 juillet 2011 N° Lexbase : A9354HUY) et du 4 août 2011 (Cons. const., décision n° 2011-635 DC, du 4 août 2011 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 4764376, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cons. const., d\u00e9cision n\u00b0 2011-635 DC, du 04-08-2011, Loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice p\u00e9nale et le jugement des mineurs", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A9170HWK"}}).

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