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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Deux pas en avant, trois pas en arrière ; si l'accès à la justice, en tant que tel, était gratuit depuis la suppression, par l'ordonnance du 23 novembre 2003, du timbre fiscal de 15 euros qu'il fallait débourser devant les juridictions administratives, le Gouvernement actuel a souhaité réintroduire le droit d'accès à la justice, par le biais d'une contribution de 35 euros exigée du demandeur pour toute instance introduite, à compter du 1er octobre 2011, en matière civile, commerciale, prud'homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire ou, en matière administrative, devant les juridictions administratives. L'article 1635 bis Q du CGI a été inséré par l'article 54 de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011. Et, il est, tout naturellement, complété par un décret n° 2011-1202 du 28 septembre 2011, relatif au droit affecté au fonds d'indemnisation de la profession d'avoué près les cours d'appel et à la contribution pour l'aide juridique et par une circulaire du 30 septembre 2011. S'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, le Gouvernement aura tôt fait, dans cette affaire, comme sur bien d'autres, d'apporter une solution simple à un problème complexe, le financement de l'aide juridictionnelle, pour s'octroyer les faveurs d'une justice peu ou faiblement financée par l'Etat.
Le mariage, la dot et le justiciable. Le 14 avril 2011, un grand mariage fut célébré : celui de la garde à vue, nécessaire à l'investigation policière, et de demoiselle Liberté fondamentale et droit de la défense, encore pucelle en la matière. La noce, engagée par la Cour européenne des droits de l'Homme, et parrainée par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, mit tout de même quelques temps pour être célébrée ; d'autant que le prélat-Chancelier ne voulait, au début, rien n'y entendre, comme si la garde à vue et l'assistance judiciaire d'un avocat fleuraient mauvais la consanguinité. Toujours est-il, que l'union sacrée fut célébrée en grande pompe, mettant de côtés, pour un court moment, les problèmes inhérents à l'alliance entre deux puissantes familles, la police nationale et les avocats, auxiliaires de la Liberté. Seulement voilà, furieuse de ne pas avoir été invitée au mariage, Eris, déesse de la discorde, jeta une pomme d'or sur la table, au milieu des convives, avec l'inscription : "mais, qui finance la dot ?". A l'inverse des invités au mariage de Thétis et de Pelée, personne ne manifesta d'entrain, ni les avocats, ni les assureurs de protection juridique, ni les justiciables. Alors, l'Etat, gardien du glaive et de la balance, entreprit de confier à un simple mortel, Garde des Sceaux tout de même, le choix de répondre à cette épineuse question. Bien que mercier de son état (civil), les choses ne furent point cousues de fil en aiguille, pour le prélat-Chancelier ayant célébré la noce. Mais, attiré par la promesse d'un budget stable et peu ambitieux, il en conclut, d'abord, qu'une contribution sur les actes juridiques et judiciaires facturés par l'ensemble des professions juridiques passerait assurément mal et risquerait même la fronde des grands officiers du Sceau que sont les notaires ; ensuite, que les assureurs taxés sur le chiffre d'affaires généré par la pluri-protection juridique de leurs clients auraient tôt fait d'en répercuter le coût auprès de leurs souscripteurs. Alors, il se tourna, enfin, vers le justiciable, contribuable devant l'Eternel, pour lui remettre la pomme d'or de la discorde et lui intimer, à force de loi, de régler la dot.
La guerre des trois n'aura pas lieu. Chacun connaît la suite de l'histoire de Paris sur le mont Ida, de la belle Hélène qui le prit pour une poire et des achéens empressés d'aller en découdre sous les remparts de Troie ; point de ceci, rien de tout cela, dans notre mythologie judiciaire. La fronde, la guerre des trois (avocats, justiciables, Etat) n'aura pas lieu, parce que les premiers auront comme souci d'assurer la défense des droits des seconds, dans leurs démarches visant à la recherche de la justice ; et, que se pliant déjà à une assistance judiciaire faiblement indemnisée, ils continueront à faire oeuvre de service public et avanceront les frais de cette contribution inique pour leurs clients : que ce soit en collant des timbres fiscaux, ou bientôt par l'intermédiaire du réseau privé de la Justice. En outre, ils inviteront d'autant plus volontiers leurs clients à suivre les voies de la transaction, de l'arbitrage ou de la médiation, exonérées, elles, de contribution. Les justiciables, quant à eux, percevront cette contribution comme une autre : une taxation de plus pour des services en moins. La solidarité si chère aux Français commandera alors de s'acquitter de l'accise ; les indigents, bénéficiaires de l'aide juridictionnelle étant exonérés de ce droit d'entrée au Palais. Quant à l'Etat, il présage l'avenir, car il sait que la contribution de la discorde ne remplira pas son office, permettre une rémunération digne de l'AJ, et qu'il devra revenir sur son ouvrage et réclamer quelques subsides supplémentaires. Seulement voilà, le cheval de Troie est bien là, derrière les remparts du palais de Justice ; reste à espérer que la contribution de 35 euros et ses futurs frères d'armes ne mettent pas le feu aux poudres et brûlent du même coup l'idée d'une Justice égalitaire pour tous.
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