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N7973BS4
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par Christian Lopez, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise et Avocat
le 05 Octobre 2011
Le Conseil d'Etat, dans sa décision du 13 juillet 2011, vient de refuser de renvoyer devant le Conseil constitutionnel une question portant sur l'article 1745 du CGI (N° Lexbase : L1736HNM) concernant la solidarité de paiement des impôts fraudés et des pénalités en matière de fraude fiscale. Aux termes de l'article 1745 du CGI : "tous ceux qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive prononcée en application des articles 1741 (N° Lexbase : L1670IPK), 1742 (N° Lexbase : L1734HNK) ou 1743 (N° Lexbase : L3101IQW) peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l'impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu'à celui des pénalités fiscales y afférentes". Il est rappelé que la solidarité prévue par l'article 1745 est une mesure pénale prononcée par le juge répressif. En l'espèce, le contribuable avait été condamné comme complice d'un délit de fraude fiscale. Le juge répressif avait prononcé la solidarité du gérant et le Conseil d'Etat rappelle également qu'il était seul compétent pour décider s'il y a lieu de le déclarer solidairement tenue au paiement de l'impôt fraudé et des pénalités fiscales correspondantes. C'est la raison pour laquelle la Haute juridiction refuse de renvoyer devant le Conseil constitutionnel la QPC relative à l'article 1745 car, si le débiteur solidaire est recevable à contester la procédure et le bien-fondé des impositions mises à la charge du redevable principal, il ne peut utilement contester devant le juge de l'impôt le principe ou l'étendue de la solidarité qui lui a été assignée par la juridiction pénale en vertu de l'article 1745 du CGI.
Dans une précédente chronique (lire nos obs., Chronique de droit pénal fiscal - Mai 2011 N° Lexbase : N2888BSR) nous avions eu l'occasion de commenter une décision de la Cour de cassation qui venait de préciser que la demande d'un contribuable de saisir le Conseil constitutionnel sur la question de la conformité de l'article 1745 du CGI au principe de personnalisation des peines qui découle des dispositions de l'article 8 de la Déclaration du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1372A9P), n'est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux. Dans son arrêt du 6 avril 2011, la Cour de cassation avait précisé que cette mesure n'avait pas un caractère obligatoire et qu'ainsi, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce, le juge n'était pas tenu de prononcer la solidarité. Il n'y avait donc pas lieu de renvoyer cette question devant le Conseil constitutionnel (Cass. crim., 6 avril 2011, n° 10-87.634, F-D N° Lexbase : A6905HN3). Rappelons que les personnes tenues par la solidarité édictée par l'article 1745 du CGI sont tous les auteurs, coauteurs ou complices d'une même infraction qui ne sont pas le redevable légal de l'impôt fraudé. En effet, la solidarité ne peut affecter la situation du redevable légal qui, par application des règles propres au droit fiscal, demeure tenu au paiement total des impôts fraudés et des pénalités qui sont la conséquence de cette fraude. Par ailleurs, lorsque le redevable légal de l'impôt fraudé est une personne morale, la Cour de cassation a jugé que la solidarité n'est encourue par le dirigeant poursuivi pénalement que dans la mesure où ce dernier avait la direction de la société au sein de laquelle la fraude fiscale a été perpétrée (Cass. crim., 6 avril 1987, n° 85-96.581 N° Lexbase : A0042AAS).
Il appartient donc au juge répressif d'apprécier souverainement s'il y a lieu d'ordonner la solidarité, pour le paiement de l'impôt fraudé et des pénalités fiscales y afférentes, entre le redevable légal de l'impôt et les personnes qui ont été condamnées, comme auteur ou comme complice, par application des articles 1741, 1742 et 1743 du CGI (Cass. crim., 22 décembre 1986, n° 85-91.140 N° Lexbase : A6784AAI ; Cass. crim., 10 juin 1987, n° 86-94.488 N° Lexbase : A8419AA3 ; Cass. crim., 16 novembre 1992, n° 91-83.504, inédit au Bulletin N° Lexbase : A4277CUX ; CAA Versailles, 3ème ch., 8 novembre 2005, n° 04VE01914, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9468DLA).
La charge de la preuve est un problème essentiel en droit. Au regard des difficultés d'établissement de la preuve rencontrées par les services chargés de constations des faits, le législateur a mis en place, afin de défendre les intérêts supérieurs de la société, de véritables présomptions de responsabilité ou de culpabilité. Il s'agit d'une atteinte relativement choquante au principe fondamental de présomption d'innocence qui doit bénéficier à tout mis en cause. Il s'agit, en fait, de procéder à un renversement de la charge de la preuve, puisque la personne poursuivie doit apporter la preuve de son innocence. Il convient de souligner que la Cour européenne des droits de l'Homme n'a pas condamné ce type de présomption mais elle les contrôle de manière étroite. En effet, aux termes mêmes de l'article 6 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), il convient de limiter raisonnablement ces présomptions en prenant en compte la gravité de l'enjeu et en préservant les droits de la défense. La Cour européenne a précisé que sa tâche "consiste à rechercher si le texte mettant en oeuvre une présomption a été appliqué au requérant d'une manière compatible avec la présomption d'innocence" (CEDH 7 octobre 1988, Req. 14/1987/137/191 N° Lexbase : A6478AWT ; CEDH 25 septembre 1992, Req. 66/1991/318/390 N° Lexbase : A6527AWN). Le Conseil constitutionnel a également tranché en faveur de cette catégorie de présomption en considérant "qu'en principe, le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive, toutefois de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas un caractère irréfragable" et que soit assuré le respect des droits de la défense. Il faut enfin que les faits induisent, par eux-mêmes, la vraisemblance de l'imputabilité (Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC N° Lexbase : A8780AC8). La Cour de cassation a eu l'occasion d'adopter dans des termes similaires la position de la Cour européenne (Cass. crim., 10 février 1992, n° 91-80.216, inédit N° Lexbase : A6525CQQ).
L'objet de la présomption légale permet de considérer comme avérée l'existence de l'élément matériel et de son imputation à une personne considérée comme auteur. La personne mise en cause doit alors renverser la présomption. Dans l'affaire qui nous occupe, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l'occasion de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité transmise par un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 16 février 2011, dans le cadre d'une procédure suivie, du chef de contrebande de marchandises prohibées. Il était demandé à la cour d'appel d'ordonner le renvoi de la procédure devant la Cour de cassation afin qu'il soit statué sur la constitutionnalité des dispositions des articles 392.1 (N° Lexbase : L0999ANC) et 419 (N° Lexbase : L1025ANB) du Code des douanes qui, selon le requérant, portent atteinte à la présomption d'innocence.
Aux termes de l'article 392-1 du Code des douanes, il ressort que "le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude. Par ailleurs, selon l'article 419 du même code certaines marchandises [il s agit de celles visées aux articles 2 ter, 215, 215 bis et 215 ter concernant essentiellement les marchandises dangereuses pour la santé, la sécurité, la moralité publique ou encore de marchandises contrefaites] sont réputées avoir été importées en contrebande à défaut soit de justification d'origine, soit de présentation de l'un des documents prévus par ces mêmes articles ou si les documents présentés sont faux, inexacts, incomplets ou non applicables". L'article 419-3 précise que "lorsqu'ils auront eu connaissance que celui qui leur a délivré les justifications d'origine ne pouvait le faire valablement ou que celui qui leur a vendu, cédé, échangé ou confié les marchandises n'était pas en mesure de justifier de leur détention régulière, les détenteurs et transporteurs seront condamnés aux mêmes peines et les marchandises seront saisies et confisquées dans les mêmes conditions que ci-dessus, quelles que soient les justifications qui auront pu être produites".
Après avoir rappelé que ces textes n'ont pas fait l'objet d'une déclaration de conformité à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de l'une des décisions rendues par celui-ci, il a été jugé que les articles 392-1 et 419 du Code des douanes n'instituent que des présomptions simples, justifiées par la nature particulière des infractions douanières et reposant sur une vraisemblance raisonnable, l'imputabilité des faits étant appréciée, dans chaque cas, par une juridiction. Il a donc été décidé que la question posée ne présente pas un caractère sérieux et qu'il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Le principe de l'individualisation des peines est invoqué dans de nombreux contentieux. Ce principe a été rattaché explicitement à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, par une décision du 22 juillet 2005 (Cons. const., 22 juillet 2005, n° 2005-520 DC N° Lexbase : A1641DKY) à propos du "plaider-coupable" (loi n° 2005-847 du 26 juillet 2005, précisant le déroulement de l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité N° Lexbase : L8805G9Y). Ce principe qui découle du principe de nécessité des peines avait déjà été mentionné par le Conseil constitutionnel dans une décision relative à la loi portant réforme de la procédure pénale sur la police judiciaire et le jury d'assises (Cons. const., 27 juillet 1978, n° 78-97 DC N° Lexbase : A7977ACG ; également Cons. const., 20 janvier 1981, n° 80-127 DC N° Lexbase : A8028ACC). Le Conseil constitutionnel avait repris, en les adaptant aux sanctions fiscales, les motifs déjà retenus antérieurement (Cons. const., 9 août 2007, n° 2007-554 DC N° Lexbase : A6394DX4) à propos des "peines-planchers" prévues par la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 N° Lexbase : L1390HY7). Il avait été souligné que le principe d'individualisation des peines ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions. A ce stade, il convient de souligner que le Conseil constitutionnel retient, pour l'application des normes constitutionnelles, la même grille d'analyse que celle mise en oeuvre par le Conseil d'Etat pour juger qu'au regard de la question de la modulation des peines en fonction de la gravité de l'infraction, la loi ne méconnaît pas les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, que ce soit pour la pénalité de l'article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB) (CE 8° et 9° s-s-r., avis, 8 juillet 1998, n° 195664, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9122AHC, RJF, 8-9/98, n° 970, concl. J. Arrighi de Casanova) ou la pénalité pour défaut ou retard de déclaration de l'article 1728 du CGI (N° Lexbase : L1715HNT) (CE 9° et 10° s-s-r., 8 mars 2002, n° 224304, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2610AYC, RJF, 6/02, n° 671, concl. G. Goulard, BDCF, 6/02, n° 82). En effet, les motifs de ces décisions sont, dans leur essence, identiques à ceux retenus par le Conseil d'Etat.
Dans la décision commentée, la requête du contribuable consistait à demander d'annuler le jugement du 12 octobre 2010 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant notamment à la décharge des pénalités dont ont été assorties les cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2003 et 2004, conformément à l'article 1728 du CGI. Aux termes de cet article, dans sa rédaction applicable aux impositions contestées : "1. Lorsqu'une personne physique ou morale ou une association tenue de souscrire une déclaration ou de présenter un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la direction générale des impôts s'abstient de souscrire cette déclaration ou de présenter cet acte dans les délais, le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 10 %. [...] 3. La majoration visée au 1 est portée à : 40 % lorsque le document n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure notifiée par pli recommandé d'avoir à le produire dans ce délai". Par ailleurs, il ressort qu'aux termes de l'article L. 247 du LPF (N° Lexbase : L1531IPE) : "l'administration peut accorder sur la demande du contribuable : [...] 2° Des remises totales ou partielles d'amendes fiscales ou de majorations d'impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s'ajoutent sont définitives ; 3° Par voie de transaction, une atténuation d'amendes fiscales ou de majorations d'impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s'ajoutent ne sont pas définitives". Selon l'article R. 247-4 du même livre (N° Lexbase : L3301AEY), dans sa rédaction applicable au litige : "sauf en matière de contributions indirectes, la décision sur les demandes des contribuables tendant à obtenir une modération, remise ou transaction appartient : a) Au directeur chargé d'une direction des services fiscaux ou au directeur chargé d'un service à compétence nationale ou d'une direction spécialisée pour les affaires relatives à des impositions établies à l'initiative des agents placés sous son autorité, lorsque les sommes faisant l'objet de la demande n'excèdent pas 150 000 euros par cote, exercice ou affaire, selon la nature des impôts ; b) Au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, après avis du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes, dans les autres cas".
En l'espèce, le contribuable ayant été mis en demeure de déposer ses déclarations d'impôt sur le revenu (modèle n° 2042), les cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2003 et 2004 ont été assorties de la majoration de 40 %, prévue au 3 de l'article 1728 du CGI. Au-delà de deux réclamations contentieuses introduites auprès du directeur des services fiscaux, le contribuable a présenté, sur le fondement des dispositions de l'article L. 247 du LPF, une demande de remise gracieuse de cette majoration, à laquelle il a été favorablement répondu par le ministre, après avis du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes, dans le cadre d'une transaction ayant été proposée au contribuable, qui l'a refusée. Ce dernier interjette appel du jugement par lequel le tribunal administratif d'Orléans, saisi à la suite du rejet partiel de ses réclamations contentieuses, a rejeté sa demande tendant à la décharge des pénalités litigieuses.
Indépendamment des moyens tendant à obtenir la communication de l'avis par lequel le comité du contentieux fiscal, douanier et des changes s'était prononcé sur l'opportunité d'une remise gracieuse des pénalités, le contribuable invoquait l'incompatibilité de la majoration de 40 % prévue au 3 de l'article 1728 du CGI avec les stipulations de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment de l'impossibilité pour le juge de moduler ladite majoration. La cour administrative d'appel précise, dans un premier temps, que l'existence du pouvoir gracieux de l'administration d'accorder sur la demande du contribuable, en application de l'article L. 247 du LPF, par voie de transaction, une atténuation de la majoration litigieuse ne révèle pas, par elle-même, une telle incompatibilité. Elle rappelle, par ailleurs, que, selon la décision du Conseil constitutionnel en date du 17 mars 2011 (Cons. const., décision n° 2010-105 QPC du 17 mars 2011 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 4202052, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cons. const., d\u00e9cision n\u00b0 2010-105 QPC, du 17-03-2011", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A8914HC7"}}), les dispositions du deuxième alinéa du 3 de l'article 1728 du CGI, dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2006, sont conformes à la Constitution. Par conséquent, le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte au principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ne peut en aucun cas être invoqué.
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