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par Marie-Claire Sgarra et Joséphine Pasieczny
le 23 Octobre 2019
Laurent Dommergues, avocat et directeur de mission en fiscalité internationale au sein du cabinet d'expertise comptable, fiscale et sociale, d'audit et de conseil GMBA, a accepté de revenir pour Lexradio et Lexbase Edition fiscale sur le dispositif de la TVA intracommunautaire.
Lexbase Edition fiscale : Qu’est-ce que la TVA intracommunautaire ? (définition, principe et application)
Laurent Dommergues : La TVA intracommunautaire est un ensemble de règles fiscales applicables aux entreprises qui vendent des biens et des services dans l’Union européenne. Les opérations intracommunautaires sont celles qui font intervenir des opérateurs d’au moins deux Etats membres de l’UE.
S’agissant des biens, le régime applicable en B2C depuis les années 90 est celui des «ventes à distance».
En B2B, on applique depuis 1993 un régime dit «transitoire». Le fonctionnement est le suivant : lorsqu’une entreprise d’un Etat membre vend un bien à une société d’un autre Etat membre, l’opération est scindée en deux : d’une part une livraison intracommunautaire dans le pays de départ, et d’autre part une acquisition intracommunautaire dans le pays d’arrivée.
En ce qui concerne les prestations de services, il existe une règle générale en B2B, une règle générale en B2C et une série de dérogations. En B2C, la prestation est généralement taxée au lieu d’établissement du prestataire alors qu’en B2B, l’opération est taxée dans le pays d’établissement du preneur.
Lexbase Edition fiscale : Pouvez-vous nous donner une définition de l’autoliquidation ?
Laurent Dommergues : Le principe en matière de TVA est que la taxe est due par le fournisseur ou le prestataire. C’est ce dernier qui est redevable légal de la taxe et doit, dès lors, la facturer à son client puis la reverser à l’Etat. La dérogation à cette règle est le mécanisme dit d’ «autoliquidation», en application duquel le client doit liquider et déclarer la TVA à l’Etat, au lieu et place du vendeur. S’il dispose d’un droit complet à déduction, le client qui autoliquide peut déduire immédiatement la taxe.
Le mécanisme d’autoliquidation a plusieurs finalités. Il peut s’agir d’une mesure de simplification, évitant à une société d’un Etat membre qui vend des biens à une entreprise dans un autre pays européen de s’immatriculer à la TVA. Le client est désigné redevable de la taxe, dispensant ainsi le vendeur non établi de toute obligation. Mais il peut également s’agir d’un dispositif anti-fraude, en particulier dans le secteur de la sous-traitance immobilière.
Lexbase Edition fiscale : Quel est le principe du système définitif de TVA et quelles sont les avancées sur le sujet ?
Laurent Dommergues : Il faut en premier lieu évoquer le régime «transitoire» entré en vigueur en 1993 et qui aurait dû prendre fin en 1996. Plus de 25 ans après, ce régime est toujours en vigueur.
Pour mémoire, ce régime consiste à scinder les opérations intracommunautaires en une livraison intracommunautaire exonérée dans l’Etat membre de départ suivie d’une acquisition intracommunautaire taxée par voie d’autoliquidation dans l’Etat membre d’arrivée.
Le système définitif mettrait fin à cette scission en ne retenant qu’une seule opération au plan fiscal. La vente serait taxée directement dans le pays d’arrivée, au taux applicable localement.
Dans ce nouveau contexte, deux modalités de collecte de la TVA sont envisagées. La première modalité concerne les clients bénéficiant du statut d’ « assujetti certifié », lesquels autoliquideront la taxe. La deuxième modalité, applicable aux autres entreprises, est le guichet unique. Ce régime existe déjà en B2C et serait ainsi étendu aux ventes B2B.
La proposition de Directive du 25 mai 2018 prévoyait une entrée en vigueur du régime définitif au 1er juillet 2022. Mais ce régime soulève des difficultés techniques et politiques, en raison de la règle de l’unanimité fiscale (accord de tous les Etats membres).
Au plan technique, de nombreuses questions restent en suspens. Si l’autoliquidation par des «assujettis certifiés» devrait fonctionner, en revanche le guichet unique avec des assujettis non certifiés suscite des interrogations. A titre d’exemple, une société française vendant des biens à une société espagnole devrait, dans le cadre du régime définitif de taxation, facturer la TVA espagnole et la reverser via le guichet unique français. La société espagnole pourrait déduire immédiatement cette TVA. L’une des questions qui se pose est comment l’administration fiscale espagnole pourrait-elle être certaine que la TVA espagnole a bien été collectée en amont par la société française et payée via le guichet unique ? Quelle sera l’administration compétente pour contrôler l’opération ? Les services espagnols qui ne sont pas sur place pour contrôler la société française ou les services français pour lesquels le recouvrement de la TVA espagnole n’est peut-être pas prioritaire ?
Lexbase Edition Fiscale : Quelles sont les avancées des travaux de la Commission européenne ces dernières années en matière de lutte contre la fraude à la TVA ?
Laurent Dommergues : En matière de lutte contre la fraude à la TVA, deux réformes entreront en vigueur prochainement.
La première réforme s’intitule les «quick fixes» et entrera en vigueur le 1er janvier 2020. Elle introduit quatre dispositifs qui apportent des solutions à des problématiques récurrentes en matière de TVA intracommunautaire. Le premier dispositif durcit au 1er janvier les conditions d’exonération des livraisons intracommunautaires de biens. Les vendeurs devront systématiquement s’assurer de la validité du numéro de TVA de leur client et souscrire une déclaration d’échange de biens exhaustive et correcte pour chaque opération. La deuxième mesure introduit un cadre commun au niveau européen en matière de preuve du transport intracommunautaire. Les deux derniers dispositifs, plus techniques, sont des mesures de simplification pour les ventes sous contrat de dépôt («call-off stock»), et les ventes en chaîne. Le renforcement des conditions d’exonération des livraisons intracommunautaires a pour objectif de réduire les pertes de recettes fiscales.
Le deuxième ensemble de règles entrera en vigueur le 1er janvier 2021. Il s’agit du «paquet TVA sur le commerce électronique», lequel modifie en profondeur les règles de TVA sur l’e-commerce dans les relations B2C. C’était l’une des priorités de la stratégie du marché unique numérique. Les objectifs annoncés par la Commission européenne sont les suivants : lutter contre la fraude, faciliter l’e-commerce en simplifiant les règles pour les opérateurs et assurer des conditions de concurrence équitables entre les opérateurs européens et les opérateurs établis dans des pays tiers.
La première mesure est la réforme du régime des ventes à distance. Ce régime date des années 90 et fonctionne par seuil. A titre d’exemple, une société française qui exploite un site d’e-commerce et vend des biens dans dix pays de l’Union européenne doit s’immatriculer à la TVA dans ces 10 pays si elle dépasse les seuils applicables localement.
Ces seuils de vente à distance seront supprimés et remplacés par un seuil unique de 10 000 euros. Pour faciliter l’application de ce nouveau régime, une simplification est prévue. Il s’agira d’opter pour le régime du guichet unique (OSS) lequel, dans notre exemple, permettra à la société française de déclarer en France l’ensemble des opérations qu’elle réalise dans l’Union européenne.
La deuxième mesure est la création d’un guichet unique pour les ventes à distance de biens importés de pays tiers dont la valeur n’excède pas 150 euros (IOSS).
La troisième mesure phare du paquet TVA est l’élargissement du mini guichet unique à tous les services B2C étant précisé qu’à ce jour le mini guichet unique (MOSS) ne concerne que certains services, en particulier les services fournis par voie électronique (téléchargements d’applications, musiques, films et jeux en ligne). En 2021, tous les services fournis en B to C pourront être déclarés dans le cadre du mini guichet unique.
Le mini guichet unique a été un succès : 70 % des ventes de services fournis par voie électronique ont été déclarés via le MOSS. Le système d’e-commerce tel qu’il existe aujourd’hui n’est pas satisfaisant en termes de résistance à la fraude. Les pertes sont estimées à 5 milliards d’euros. En 2021 avec l’essor du commerce électronique et les nouvelles règles, la Commission européenne attend plus de 7 milliards d’euros de recettes supplémentaires au niveau de l’UE.
C’est à mon sens une très bonne réforme pour les entreprises, en particulier les TPE et les PME qui ne peuvent pas supporter les coûts déclaratifs à l’étranger. C’est également une bonne nouvelle pour les Etats membres si l’objectif d’augmentation des recettes fiscales est atteint.
Un dernier volet doit être évoqué. Il concerne les «marketplaces». Sur les plateformes les plus connues sur lesquelles on peut acheter des biens provenant du monde entier, une grande partie des produits sont vendus par des micro-entreprises, des TPE ou des PME de pays tiers.
La plateforme est considérée comme un simple intermédiaire qui facilite la vente et facture une commission. Des difficultés de collecte de la TVA ayant été détectées avec les fournisseurs de pays tiers, un dispositif de responsabilité des plateformes a été introduit.
Le nouveau régime applicable aux opérations réalisées par des vendeurs établis hors UE implique qu’une plateforme d’e-commerce qui facilite les ventes à distance sera considérée comme ayant acheté et revendu les biens. C’est dès lors la plateforme qui devra collecter la TVA sur la vente et non plus le fournisseur.
C’est d’abord une volonté politique car les plateformes ont un rôle crucial de rapprochement du vendeur et du client final. Les plateformes disposent en outre de toutes les données pour déclarer correctement les flux.
Lexbase Edition fiscale : quelles seront les problématiques auxquelles devra se confronter l’Union européenne dans les années à venir en matière de TVA ?
Laurent Dommergues : Le sujet essentiel est la collecte de la TVA et la lutte contre la fraude. Des études annuelles de la Commission européenne viennent mesurer l’écart entre les recettes attendues et les recettes effectivement perçues par les Etats membres (le «VAT Gap»). Sur ce sujet, le dernier rapport de la Commission du 4 septembre 2019 estime à 137 milliards d’euros le montant des pertes de recettes fiscales dans l’Union européenne, la part se rapportant à la France étant estimée, pour 2017, à 12 milliards d’euros.
Par ailleurs, il faudra suivre de près la problématique de la responsabilité des plateformes et évaluer si cela améliore la collecte de la TVA. Il s’agira aussi de déterminer si les «quick fixes» apportent des solutions pérennes et efficaces. D’autres sujets que l’on peut évoquer sont la généralisation de la facturation électronique et la liste noire des plateformes, lesquels figurent dans le Projet de Loi de Finances pour 2020. Une autre obligation, également présentée dans le PLF 2020 est l’obligation pour les entrepôts logistiques français de tenir un registre de tous les envois de biens qui arrivent en France, permettant ainsi à l’administration fiscale et aux douanes d’intensifier les contrôles. Sur ce point, la France irait plus loin que ses voisins européens.
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