Réf. : Cass. soc. 9 octobre 2019, n° 18-13.529, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6603ZQM)
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par Patrice Adam, Professeur à l’Université de Lorraine
le 07 Novembre 2019
Résumé : Pour la prise en compte dans son évolution professionnelle de l’expérience acquise par le salarié dans l’exercice de ses mandats représentatifs ou syndicaux, un accord collectif peut prévoir un dispositif, facultatif pour l’intéressé, permettant une appréciation par l’employeur, en association avec l’organisation syndicale, des compétences mises en œuvre dans l’exercice du mandat, susceptible de donner lieu à une offre de formation et dont l’analyse est destinée à être intégrée dans l’évolution de carrière du salarié.
Par ailleurs, l’accord collectif qui prévoit, dans le cadre des dispositions visant à faciliter l’exercice de mandats syndicaux ou représentatifs par la valorisation des compétences mises en œuvre par les salariés dans l’exercice de ces mandats, l’élaboration par l’employeur, après négociation avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise, d’un référentiel dont l’objet est d’identifier ces compétences ainsi que leur degré d’acquisition dans le but de les intégrer au parcours professionnel du salarié et dont le juge a vérifié le caractère objectif et pertinent, ne porte pas atteinte au principe de la liberté syndicale, l’employeur étant tenu en tout état de cause dans la mise en œuvre de l’accord au respect des prescriptions des articles L. 1132-1 (N° Lexbase : L5538LQ8) et L. 2141-5, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L8734LGL).
La règle de non-discrimination, supportée par l’article L. 2141-5, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L8734LGL), est bien connue : «il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail». Cette règle, d’ordre public (C. trav., art. L. 2141-8 N° Lexbase : L2153H9M), est élément de protection de la liberté syndicale du travailleur -constitutionnellement garantie (Préambule du 27 octobre 1946, alinéa 6 N° Lexbase : L6821BH4)- ; liberté qui englobe à la fois la liberté d’adhérer (ou non) à un groupement syndical et la liberté d’exercer une activité ou des responsabilités syndicales. Elle bégaie partiellement le «principe de non-discrimination» énoncée à l’article L. 1132-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5538LQ8) (qui ne vise lui, expressis verbis, que «l’activité syndicale»). Son «fonctionnement» apparaît relativement simple : elle exclut simplement du champ des motifs licites de décision patronale «l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale». L’alinéa 2 de l’article L. 2141-8 du Code du travail organise la sanction civile [1] de la violation de cette interdiction : «toute mesure prise par l'employeur contrairement à ces dispositions est considérée comme abusive et donne lieu à dommages et intérêts». La sanction est enrichie par l’article L. 1132-4 du même code (N° Lexbase : L0680H93) selon lequel «toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance [du principe de non-discrimination] est nul».
I - De l’évaluation des compétences professionnelles...
Si le contentieux social offre mille exemples d’application de ces règles, il est une question qui, plus que d’autres, à poser singulières difficultés. Celle de l’évaluation par l’employeur des compétences professionnelles des salariés en mandat (la difficulté étant maximum lorsque les heures de délégation dont bénéficie le salarié l’éloigne durablement de son poste de travail) [2]. Comme il a été souligné, «en pratique […], les discriminations fondées sur des considérations de nature syndicale concernent souvent l'évolution de la carrière ou la rémunération» [3]. Il y a dix ans déjà, la Cour de cassation jugeait, sans surprise, que les critères d’évaluation ne peuvent inclure l’appartenance ou l’activité syndicale [4]. Quelques années plus tard, la Haute juridiction affinait sa jurisprudence en précisant que la simple mention d’une activité syndicale ou des absences liées à une telle activité laisse supposer l’existence d’une discrimination [5]. Par ailleurs, elle décidait également qu’est caractérisée la discrimination syndicale dès lors que l’employeur a exclu les salariés titulaires de mandats représentatifs du dispositif d’évaluation/notation les privant, ce faisant, d’une chance d’obtenir un avancement au choix [6]. N’échappe pas non plus au grief de discrimination, la décision par l’employeur d’instituer, unilatéralement, un dispositif d’évaluation propre aux représentants du personnel [7]. Quant à la fixation du montant des primes d’objectif, elle devait opérer pertinente distinction entre le temps d’exercice du mandat et le temps consacré à l’activité professionnelle (le niveau des objectifs devant être adapté en conséquence) [8]. La chose était entendue, sauf accord visant à en assurer la neutralité ou à le valoriser [9] -nombre d’accords instituent, de longue date, des procédures, des règles permettant un déroulement de carrière «normal» des salariés en mandat [10]- l'employeur ne peut prendre en considération l'exercice d'activités syndicales dans l'évaluation professionnelle du salarié [11].
Reste que ces décisions, aussi importantes soient-elle, ne portaient que sur l’évaluation des compétences professionnelles du salarié, c’est-à-dire des compétences qu’il mettait en œuvre dans l’exercice de son activité de travail. Celles qu’il pouvait acquérir et/ou mobiliser lors de l’exercice d’un mandat de représentation [12] restaient largement invisibles, maintenues dans un angle mort. Il faut dire que les organisations syndicales elles-mêmes ont «longtemps [été] réticentes à l’idée qu’un salarié mandaté puisse tirer un profit personnel d’une expérience tournée vers la défense de l’intérêt collectif» [13]. Les temps ont changé. Et si un travailleur accepte aujourd’hui de s’engager pour le collectif c’est, souvent, à la condition que sa carrière individuelle ne soit pas sacrifiée sur son autel. Et puis, va s’imposer peu à peu, une autre idée, celle «qu’il est nécessaire de protéger et de valoriser ceux qui s’investissent dans des tâches de représentation, et qui par leur contribution participent à la performance économique, sociale et environnementale dans tous types de structures privées et publiques et donc à la cohésion sociale» [14].
II - … à l’évaluation des compétences mobilisées dans l’exercice d’un mandat
La loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ) [15], modifiée par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 (N° Lexbase : L2618KG3), a donné -dans l’esprit du temps- à l’accord collectif un nouveau rôle : il doit déterminer «les mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie personnelle, la vie professionnelle et les fonctions syndicales et électives, en veillant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes. Cet accord prend en compte l'expérience acquise, dans le cadre de l'exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle» (C. trav., art. L. 2141-5, al. 2 N° Lexbase : L8734LGL [16]). L’expérience acquise dans l’exercice du mandat doit donc désormais être prise en compte, valorisée, par les politiques d’évolution professionnelle et de gestion de carrière selon les modalités définies conventionnellement [17]. Par ailleurs, l’article L. 2242-20, 6° (N° Lexbase : L9907LLI) dispose que dans les entreprises (groupes…) d'au moins trois cents salariés, ainsi que dans les entreprises et groupes d'entreprises de dimension communautaire comportant au moins un établissement ou une entreprise d'au moins cent cinquante salariés en France, l'employeur engage tous les trois ans, notamment sur le fondement des orientations stratégiques de l'entreprise et de leurs conséquences mentionnées à l'article L. 2323-10 (N° Lexbase : L2746H9L), une négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels et sur la mixité des métiers portant sur le déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales et l'exercice de leurs fonctions. De plus, le dernier alinéa de l’article L. 2141-5 (N° Lexbase : L8734LGL) dispose que «lorsque l'entretien professionnel est réalisé au terme d'un mandat de représentant du personnel titulaire ou d'un mandat syndical et que le titulaire du mandat dispose d'heures de délégation sur l'année représentant au moins 30 % de la durée de travail fixée dans son contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l'établissement, l'entretien permet de procéder au recensement des compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l'expérience acquise». Le texte est réécrit par l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 (N° Lexbase : L7628LGM) et la nouvelle version entrera en vigueur le 1er janvier 2020 [18].
A - L’affaire
Jusqu’à présent, ces dispositions, destinées à valoriser l’exercice d’un mandat (et donc peut-être à inciter les salariés à s’engager, plus qu’ils ne le font aujourd’hui, dans l’action syndicale ou représentative) n’ont guère suscité de contentieux. L’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 9 octobre 2019 n’en est que plus remarquable. Dans l’affaire qui lui a été déférée, la fédération CGT des syndicats du personnel de la banque et de l’assurance (FSPBA-CGT) et le syndicat CGT des personnels de Natixis et ses filiales ont fait assigner la société BPCE et les organisations syndicales signataires (CFDT, UNSA et CFE-CGC représentant 60 % des salariés) en contestation d’un accord conclu le 28 janvier 2016 sur le parcours professionnel des représentants du personnel au sein du groupe BPCE (ainsi que le syndicat FO) devant le tribunal de grande instance afin que l’article 3.1.1 dudit accord mettant en place un entretien d’appréciation des compétences et d’évaluation professionnelle soit déclaré illégal. Demande dont la cour d’appel de Paris les a sèchement déboutés. A l’appui de leur pourvoi, les organisations syndicales articulent plusieurs arguments. Trois en fait. Le premier : en application des stipulations conventionnelles contestées, «l’employeur peut être amené à prendre en considération l’évaluation qu’il fait de la façon dont le représentant du personnel concerné exerce ses mandats pour arrêter ses décisions le concernant en matière de formation, d’avancement ou de rémunération», ce qui serait contraire aux dispositions des articles L. 2141-5 (N° Lexbase : L8734LGL) et L. 2141-8 (N° Lexbase : L2153H9M). Le deuxième : des dispositions soutenues par les articles L. 2141-5 et L. 2141-8 étant d’ordre public, il est indifférent que le dispositif institué par l’article dont la légalité est mise en débat soit «l’aboutissement d’un long processus de négociation et que son adoption avait été approuvée par des syndicats représentant plus de 60 % des salariés du groupe BPCE». Il l’est tout autant qu’il présente un «caractère facultatif, le salarié ayant le libre choix de participer à l’entretien d’appréciation des compétences et d’évaluation professionnelle» prévu par l’accord collectif. Le dernier situe la discussion sur le terrain des normes supra-nationales : «le principe de liberté syndicale implique l’indépendance des syndicats dans l’exercice de leurs activités et leur protection contre tout acte d’ingérence de l’employeur dans leur fonctionnement et leur administration. Or, en l’espèce, […] l’évaluation des compétences mobilisées au titre de l’exercice des mandats prévue par les stipulations conventionnelles litigieuses est réalisée par le directeur des ressources humaines, sur la base de supports d’évaluation et d’appréciation élaborés par la direction, ce dernier appréciant notamment, au vu de l’évaluation ainsi réalisée, si une formation ou un accompagnement du représentant du personnel évalué est nécessaire». Aussi, d’après les auteurs du pourvoi, il s’en déduit que «le dispositif d’appréciation des compétences mis en place en application de ces dispositions conduit l’employeur à évaluer la qualité de l’activité syndicale des représentants du personnel et leurs besoins en formation dans ce cadre», ce qui violerait les dispositions de l’article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L6799BHB), ensemble celles de l’article 3 de la Convention n° 87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et de l’article 2 de la Convention n° 98 de l’OIT sur le droit d’organisation et de négociation collective. Et peu importe, à les suivre, que la cour d’appel ait pu constater que cette évaluation se faisait sous le «regard croisé» de l’organisation syndicale à laquelle appartient le salarié évalué, que le processus mis en place exclut toute appréciation discrétionnaire de la part de l’employeur et qu’il a été «validé», à l’issue d’une phase d’expérimentation par les organisations syndicales ayant signé l’accord.
A ces arguments, la Cour de cassation reste sourde. Au soutien de sa réponse, la Haute juridiction livre d’abord un énoncé de synthèse, quoique singulièrement enrichi, des dispositions supportées par l’article L. 2141-5 du Code du travail. Il résulte en effet de ces dispositions que «pour la prise en compte dans son évolution professionnelle de l’expérience acquise par le salarié dans l’exercice de ses mandats représentatifs ou syndicaux, un accord collectif peut prévoir un dispositif, facultatif pour l’intéressé, permettant une appréciation par l’employeur, en association avec l’organisation syndicale, des compétences mises en œuvre dans l’exercice du mandat, susceptible de donner lieu à une offre de formation et dont l’analyse est destinée à être intégrée dans l’évolution de carrière du salarié». A ce premier énoncé, la Haute juridiction en ajoute un second : «l’accord collectif qui prévoit, dans le cadre des dispositions visant à faciliter l’exercice de mandats syndicaux ou représentatifs par la valorisation des compétences mises en œuvre par les salariés dans l’exercice de ces mandats, l’élaboration par l’employeur, après négociation avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise, d’un référentiel dont l’objet est d’identifier ces compétences ainsi que leur degré d’acquisition dans le but de les intégrer au parcours professionnel du salarié et dont le juge a vérifié le caractère objectif et pertinent, ne porte pas atteinte au principe de la liberté syndicale, l’employeur étant tenu en tout état de cause dans la mise en œuvre de l’accord au respect des prescriptions des articles L. 1132-1 et L. 2141-5, alinéa 1er, du Code du travail».
B - Les conditions de validité du dispositif conventionnel
Appréciation unilatérale de l’employeur. Des modalités précises de prise en compte de l’expérience acquise dans l’exercice du mandat, la loi ne souffle mot. Il revient aux négociateurs de l’accord -si la loi ne le précise pas expressément, il doit bien s’agir, selon la Cour de cassation, d’un accord collectif- de déterminer ces modalités. Leur liberté de stipulation est-elle totale ? Sans doute pas. La règle d’interdiction de la discrimination syndicale étend, sans conteste, son empire sur leur activité normative (comme le prétendait d’ailleurs le pourvoi). Ainsi, par exemple, ne sauraient-ils instituer des modes de prise en compte de l’expérience acquise différents selon l’étiquette syndicale des salariés concernés. Mais au-delà de ce cas archétypal, qu’interdit exactement aux partenaires sociaux l’exigence de non-discrimination ? L’accord collectif pourrait-il ainsi confier à l’employeur le soin d’évaluer unilatéralement les compétences mobilisées dans l’exercice du mandat représentatif ? Il est peu probable que les négociateurs salariés acceptent facilement pareille délégation… Mais s’ils le font, que décider ? que les négociateurs de l’accord se sont rendus coupables d’une «incompétence négative» ? Pourquoi pas. Cette notion [19], apparue en droit administratif, après avoir migrée dans le champ du droit constitutionnel, pourrait utilement trouver sa place en droit du travail. A la «réserve de loi» de l’article 34 de la Constitution ferait écho la «réserve d’accord» supportée par plusieurs textes du Code du travail. Mais c’est là encore simple expectative. Il est question plus actuelle : semblable abandon au pouvoir d’appréciation patronal entre-t-il en contrariété avec la règle de non-discrimination ? On ne saurait l’exclure sans pour autant facilement l’admettre. Car, a priori, si une discrimination peut venir d’autant plus aisément se loger dans la décision d’évaluation que l’employeur la prend seul, cette décision ne peut pas pour autant être considérée comme discriminatoire au seul motif que l’employeur l’a prise seul ! Bien entendu que l’activité syndicale peut justifier alors -à travers les compétences reconnues par l’employeur- destins professionnels différents (et plus ou moins enviables), mais, en soi, ces différences trouvent ressort légal dans l’alinéa 2 de l’article L. 2141-5 du Code du travail, peu important (sauf importation de la règle d’incompétence négative) que l’accord collectif ait habilité l’employeur à évaluer seul des salariés concernés. La règle de condamnation de l’entrave (C. trav., art. L. 2146-1 N° Lexbase : L2229H9G) ne serait-elle ici obstacle plus pertinent ? On peut, croit-on, le soutenir. C’est qu’à l’évidence, le pouvoir unilatéral d’évaluation confié à l’employeur est de nature à exercer sur les salariés en mandat délétère pression sur la manière dont il se comporte. Elle fait peser sur eux une menace (l’employeur ne l’aurait jamais formulée) susceptible d’infléchir le cours de leurs actions de représentation. Voilà le véritable danger.
En tout état de cause, l’accord collectif dont le contenu était mis en débat devant la Chambre sociale de la Cour de cassation ne s’inscrivait manifestement pas dans l’horizon d’un pouvoir unilatéral d’évaluation attribué à l’employeur. Il résultait en effet des constatations des juges d’appel que «l’appréciation des compétences était menée selon un processus [20] en plusieurs étapes sous le regard croisé de l’organisation syndicale du salarié et d’un représentant de l’employeur devant avoir participé aux instances dans lesquelles le salarié exerce son mandat». Le spectre de l’unilatéralisme s’évanouit. Mais s’il avait hanté, comme le prétendaient les demandeurs au pourvoi, l’affaire qui nous retient, aurait-il suffit à invalider la disposition conventionnelle critiquée ? On peut le penser (V. supra). D’autant plus que la Cour de cassation, pour rejeter le pourvoi et donc valider la clause conventionnelle disputée, constate qu’elle contient des éléments précis et objectifs qui ont fait «l’objet d’une méthodologie excluant toute discrimination ou atteinte à la liberté syndicale». C’est bien, croit-on comprendre, cette «méthodologie», qui associe les organisations syndicales, à l’acte d’évaluation des compétences qui permet d’échapper à l’illicéité de la disposition de l’accord collectif.
Autres conditions. Mais chassé le spectre de l’unilatéralisme ne suffit point tout à fait à assurer la validité du mécanisme conventionnel mis en place. Encore faut-il, à lire l’arrêt du 9 octobre 2019, et sans que cela ne provoque la surprise, que l’évaluation réalisée le soit à partir de critères définis par l’accord collectif et -c’est là une seconde et cumulative condition- que ces critères soient «objectifs et vérifiables». L’évaluation des compétences ne peut être lieu de déploiement de l’arbitraire [21]. Par ailleurs, les juges semblent donner grande importance au «caractère transversal entre les métiers et le mandat des compétences contenues dans le référentiel».
Quid enfin de la référence au caractère facultatif du dispositif institué par la clause litigieuse (point 7 de l’arrêt) ? Faut-il y voir simple référence aux faits de l’espèce, sans la moindre portée normative ou réelle condition à la validité du mécanisme conventionnel de valorisation de compétences mobilisées en cours de mandat ? L’hésitation est permise. L’absence de référence, dans le point 9 de l’arrêt, au caractère facultatif du dispositif critiqué laisse à penser qu’il n’en est pas une condition de validité. On le comprend. Le fait que l’entrée dans le dispositif soit volontaire ou obligatoire semble étranger à la question de savoir s’il porte atteinte à la liberté syndicale ou caractérise une discrimination syndicale. L’accord donné par le salarié n’exclut ni l’un ni l’autre ; son absence d’accord n’implique ni l’un ni l’autre. Reste qu’il est sans doute plus conforme à l’objet des règles en cause (la valorisation des parcours syndicaux) que le dispositif mis en place soit facultatif et donc que chacun des salariés concernés puisse décider librement d’y adhérer ou non.
Pour conclure. Premier de son espèce, l’arrêt du 9 octobre 2019 en annonce sans doute bien d’autres. Le message qu’il envoie est clair : parce qu’il bénéfice à tous (aux salariés qui y trouve un porte-voix, à l’employeur qui y trouve un interlocuteur) l’exercice d’un mandat représentatif doit être, dans l’entreprise, une expérience valorisée. Encore faut-il que le dispositif d’évaluation mis en place par l’accord collectif ne se retourne pas contre la finalité qui lui est assignée et constitue un cheval de Troie de la discrimination ou de l’atteinte à la liberté syndicale.
👉 Quel impact dans ma pratique ? De cet arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation, un enseignement nous semble pouvoir être tiré : les négociateurs d’un accord ayant pour objet la prise en compte des compétences mobilisées par les salariés dans le cadre de leur fonction représentative (C. trav., art. L. 2141-5, al. 2 N° Lexbase : L8734LGL) devront prendre soin d’instituer un dispositif d’évaluation de ces compétences reposant sur des critères prédéfinis, objectifs et vérifiables. Par ailleurs, ils mettront en place une méthodologie d’évaluation associant étroitement l’employeur et les organisations syndicales. En l’état, la prudence commande par ailleurs de conférer un caractère simplement facultatif au dispositif d’évaluation mis en place. |
[1] L’article L. 2146-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2231H9I) en organise la répression pénale (voir également, C. pén., art. L. 225-1 N° Lexbase : L2676LBQ et art. L. 225-2 N° Lexbase : L7899LCK).
[2] M. Roussel, L’évaluation professionnelle des salariés, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit social, Tome 76, 2019, pp. 338 et s..
[3] B. Bossu, note sous Cass. soc., 6 juillet 2010, n° 09-41.354, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2379E4U), JCP éd. S, 2010, n° 1461 ; Ch. Radé, Rémunération et discrimination syndicale, Dr. soc., 1999, p. 773.
[4] Cass. soc., 27 mai 2008, n° 07-40.145, F-D (N° Lexbase : A7911D8I) et plus récemment, Cass. soc., 22 septembre 2015, n° 14-11.549, F-D (N° Lexbase : A8461NP3).
[5] Par ex., Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-16.655, FS-P (N° Lexbase : A5266IAB). L’arrêt casse l’arrêt d’appel ayant retenu «que la référence à ses activités syndicales constitue un simple constat dépourvu de jugement de valeur ne remettant pas en cause la qualité du travail de l'intéressé soulignée dans d'autres rubriques d'évaluation et que les éléments de fait présentés par le salarié ne laissent pas supposer l'existence d'une discrimination syndicale».
[6] Par ex., Cass. soc., 23 mars 2016, n° 14-23.751, F-D (N° Lexbase : A3593RAC).
[7] Cass. soc., 23 février 2005, n° 02-47.433, F-D (N° Lexbase : A8636DGX) ; Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-42.066, F-D (N° Lexbase : A6055D4Z).
[8] Cass. soc., 6 juillet 2010, précité : «l'exercice de mandats représentatifs ne pouvant avoir aucune incidence défavorable sur la rémunération du salarié de sorte que Mme L. avait droit à percevoir au titre de la prime litigieuse une somme fixée en tenant compte, pour la partie de son activité correspondant à ses mandats, au montant moyen de cette prime versée, pour un temps équivalent, aux autres salariés, et, pour la part correspondant à son temps de production, une somme calculée sur la base d'objectifs réduits à la mesure de ce temps».
[9] Cass. soc., 23 mars 2011, n° 09-72.733, F-D (N° Lexbase : A7690HIN) ; Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-40.935, n° 06-46.179 et n° 06-46.180, FS-P+B (N° Lexbase : A4854EAZ).
[10] Il résulte d’ailleurs de l’article L. 2261-22 du Code du travail (N° Lexbase : L8561LQ7) que, pour être étendue, une convention collective doit nécessairement comporter des dispositions relatives au «déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales et l'exercice de leurs fonctions».
[11] Cass. soc., 17 octobre 2006, n° 05-40.393, F-P+B (N° Lexbase : A9701DRQ), Dr. soc., 2006, p. 1186, obs. Ch. Radé ; Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 08-40.988, FS-P+B (N° Lexbase : A6023EIW).
[12] N. Maggi-Germain, La reconnaissance des compétences liées au mandat, Dr. soc., 2008, p. 32.
[13] I. Meftah, La carrière des salariés titulaires de mandat, RDT, 2019, p. 236.
[14] L. Marie et J.-F. Pilliard, Repérer, prévenir et lutter contre les discriminations syndicales, Les avis du CESE, juillet 2017, p. 3.
[15] Le même texte a également inséré l’exercice des responsabilités syndicales dans le champ de la VAE (C. trav., art. L. 6111-1, al. 3 N° Lexbase : L6961LRA, modifié par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 N° Lexbase : L6066IZP).
[16] Et l’alinéa 3 du même texte de prévoir qu’«au début de son mandat, le représentant du personnel titulaire, le délégué syndical ou le titulaire d'un mandat syndical bénéficie, à sa demande, d'un entretien individuel avec son employeur portant sur les modalités pratiques d'exercice de son mandat au sein de l'entreprise au regard de son emploi. Il peut se faire accompagner par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. Cet entretien ne se substitue pas à l'entretien professionnel mentionné à l'article L. 6315-1 (N° Lexbase : L9899LL9)».
[17] I. Meftah, art. préc., RDT, 2019, p. 234.
[18] «Lorsque l'entretien professionnel est réalisé au terme d'un mandat de représentant du personnel titulaire ou d'un mandat syndical, celui-ci permet de procéder au recensement des compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l'expérience acquise. Pour les entreprises dont l'effectif est inférieur à deux mille salariés, ce recensement est réservé au titulaire de mandat disposant d'heures de délégation sur l'année représentant au moins 30 % de la durée de travail fixée dans son contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l'établissement».
[19] Que l’on peut définir simplement comme le fait, pour l'autorité compétente, de n'avoir pas utilisé pleinement les pouvoirs que les textes lui ont attribués. P. Raapi, L'incompétence négative dans la QPC : de la double négation à la double incompréhension, Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 34, janvier 2012 ; G. Scmitter, L'incompétence négative du Législateur et des autorités administratives, AIJC, 1989, p. 137.
[20] Dont les juges constatent par ailleurs qu’il est le fruit d’une négociation, qui comprenait une phase d’expérimentation, et qui avait permis la prise en compte de plusieurs suggestions des organisations syndicales.
[21] M. Roussel, op. cit..
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