Réf. : Cass. civ. 3, 12 septembre 2019, n° 18-20.727, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0802ZNZ)
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par Julien Laurent, Professeur à l'Université Toulouse 1-Capitole, IEJUC (EA 1919)
le 17 Octobre 2019
L’arrêt ici commenté rendu par la troisième chambre civile le 12 septembre 2019 mobilise des questions de théorie classique de droit des biens, tout en étant d’une très grande portée pratique. La Cour de cassation considère, sur le fondement des articles 546 (N° Lexbase : L3120AB8) et 547 (N° Lexbase : L3121AB9) du Code civil, que les loyers d’une sous-location interdite échoient au bailleur-propriétaire par accession.
Notons tout de suite que la Cour de cassation approuve, quoiqu’en des termes plus nets, le raisonnement déjà tenu par les juges de la cour d’appel dans une décision déjà commentée dans ces colonnes (CA Paris, Pôle 4, 4ème ch., 5 juin 2018, n° 16/10684 N° Lexbase : A2680XQC) [1], consistant à considérer que les sous-loyers perçus par le locataire à l’occasion d’une sous-location interdite constituent des fruits civils, lesquels appartiennent au propriétaire en vertu du mécanisme de l’accession, comme le prévoient conjointement les articles 546 et 547 du Code civil. Ce dont il résulte que le locataire en doit intégralement restitution au propriétaire-bailleur.
Les faits ayant donné lieu au litige étaient simples. Un bail d’habitation ayant pour objet un appartement avait été conclu entre une SCI et deux particuliers, avant que le nouveau propriétaire de l’immeuble ne délivre un congé pour reprise aux locataires. Découvrant que l’appartement avait été sous-loué via la fameuse plateforme en ligne Airbnb, alors que la sous-location était interdite sans l’accord du bailleur, le propriétaire sollicita le remboursement des sous-loyers perçus. La cour d’appel donna raison au propriétaire, sur quoi le locataire forma pourvoi en cassation.
Le premier moyen du pourvoi (seul digne d’intérêt ici) tenait en deux points, tous deux visant à combattre l’attribution des sous-loyers au propriétaire par le mécanisme de l’accession. En premier lieu, les sous-loyers perçus par le locataire au titre de la sous-location ne constitueraient pas des fruits civils mais l’«équivalent économique du droit de jouissance» conféré au preneur. Ces sous-loyers seraient donc, selon le demandeur, dus au preneur, sauf pour le bailleur à démontrer qu’il aurait subi un préjudice en raison de la sous-location prohibée. En second lieu, la sous-location étant prohibée, elle serait inopposable au propriétaire tandis qu’elle produirait tous ses effets entre le locataire (principal) et le sous-locataire. Seul le locataire serait par conséquent créancier des sous-loyers, qui ne sauraient appartenir au propriétaire-bailleur, et ne pourraient donner lieu à restitution. En retenant le contraire, les juges du fond auraient violé ensemble les articles 546 et 547 du Code civil -qui prévoient l’attribution des fruits civils au propriétaire par accession- et l’article 1231-1 du même code (N° Lexbase : L0613KZQ), fondant le principe de réparation du préjudice résultant d’une inexécution contractuelle.
La Cour de cassation rejette en bloc ces arguments. Elle considère que, «sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire». La sous-location ayant été en l’espèce conclue sans l’accord du bailleur, la cour d’appel en a exactement déduit, «nonobstant l’inopposabilité de la sous-location au bailleur, que les sommes perçues à ce titre devaient lui être remboursées». La généralité des termes de l’attendu suggère que la solution vaudrait pour tout type de location, lorsque la sous-location est interdite. Elle est donc d’une grande portée.
Si la solution apparaît, à certains égards, séduisante (I) elle repose, à notre avis, sur un fondement fragile (II). Elle apparaît surtout mue par un objectif d’efficacité, dans un contexte de régulation des sous-locations touristiques, notamment via Airbnb (III).
I. Le raisonnement développé par la Cour de cassation repose entièrement sur une mobilisation du mécanisme de droit des biens de l’acquisition par accession, que consacrent ensemble les articles 546 et 547 du Code civil. Rappelons qu’en vertu du premier de ces textes, la propriété d’une chose donne droit à tout ce que cette chose produit. De fait, le propriétaire exerçant un rapport d’exclusivité sur le bien, il est parfaitement logique de considérer que les biens générés par un autre bien échoient par principe au propriétaire du bien qui en est la source. Le Code civil désigne cette prérogative à son article 546 sous le terme de «droit d’accession». Le modèle des biens générés par un autre est le fruit, qui désigne ce bien produit par un autre sans en altérer ni en diminuer la substance. C’est la raison pour laquelle le Code choisit, afin d’illustrer le droit d’accession par production, la catégorie des fruits. Aux termes de l’article 547 du Code civil, en effet, les fruits civils appartiennent au propriétaire par «droit d’accession».
Les loyers étant expressément qualifiés de fruits civils par la loi (C. civ., art. 584 N° Lexbase : L3165ABT), il résulte de la combinaison de la règle de l’accession et de cette qualification légale que les loyers échoient par principe au propriétaire. Une exception doit être relevée d’évidence à ce principe : l’hypothèse dans laquelle le propriétaire a concédé à un tiers la jouissance de sa chose, droit qui implique le droit aux fruits ; ainsi, d’un usufruit (C. civ., art. 578 N° Lexbase : L3159ABM) ou, précisément comme en l’espèce, d’une location (C. civ., art. 1709 N° Lexbase : L1832ABH). Mais la propriété des fruits ne peut échapper au propriétaire que s’il a consenti à cette concession de jouissance, car seul le maître du bien peut renoncer volontairement à l’accession ; or, en l’espèce, tel n’était pas le cas puisque la sous-location se révélait interdite. Une hésitation pourrait naître, toutefois, sur la parfaite solidité de cette solution. Selon certains auteurs, il existe en effet un principe non formulé de manière générale par la loi, mais essaimé çà et là (C. civ., art. 549 N° Lexbase : L3123ABB ; C. civ., art. 856 N° Lexbase : L9997HNL ; C. civ., art. 928 N° Lexbase : L0080HPN ; C. civ., art. 1682, al. 2 N° Lexbase : L1792ABY, etc.) selon lequel le possesseur acquiert les fruits de la chose qu’il possède. Le fondement de cette acquisition est que les fruits récompensent celui qui a administré la chose : ils sont selon l’adage dus au possesseur pro cura et cultura (F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens, 3ème éd., PUF, 2008, n° 127 et n° 505 et s.). L’effet acquisitif de la possession peut, toutefois, être écarté par la volonté du propriétaire, qui est en mesure d’évincer le détenteur précaire qu’il autorise à jouir de la chose (F. Zenati-Castaing et Th. Revet, op. cit., n° 509). Tel était précisément le cas, en l’espèce, puisque le contrat de location (comme c’est couramment le cas) interdisait la sous-location. Quant à l’article 549 du Code civil, qui prévoit que le possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi, il ne concerne que l’hypothèse d’un possesseur ayant été évincé par le versus dominus mais ayant cru de bonne foi à l’authenticité de son titre (C. civ., art. 548 N° Lexbase : L3122ABA et 549 N° Lexbase : L3123ABB du Code civil).
II. Si la solution est en apparence assez convaincante du point de vue des effets qu’elle fait produire à l’accession -les fruits devant échoir en principe au propriétaire en raison du droit d’accession et la sous-location étant interdite, on paralyse le droit aux fruits du locataire entraînant l’acquisition ipso facto les sous-loyers par le propriétaire-bailleur-, elle suscite plus d’hésitation quant à l’application de règles pensées pour les fruits naturels, et étendues ici sans réserve aux fruits civils, catégorie de fruits pourtant tout à fait singulière eu égard à leur artificialité. Rappelons que les fruits civils sont des créances qui naissent de la mise à disposition prorata temporis du bien (C. civ., art. 584 N° Lexbase : L3165ABT). Ces fruits trouvent donc leur source dans la contrepartie de la jouissance concédée et non dans le bien lui-même. Or l’immeuble loué à usage d’habitation n’est pas un bien frugifère à proprement parler, les loyers ne prenant leur véritable source que dans le contrat qui les prévoit ; ce n’est qu’indirectement que l’immeuble produit ces créances de loyers. Pour le dire autrement, c’est la position contractuelle de bailleur (ici de sous-bailleur) qui fait du locataire le créancier des sous-loyers. Or, la sous-location étant interdite, on doit comprendre que ce contrat est par conséquent inopposable au propriétaire. Dès lors, l’on ne voit pas à quel titre il pourrait être considéré comme créancier des loyers et avoir droit à ces fruits civils. C’est précisément ce que tente de faire valoir le pourvoi, lorsqu’il prend soin de relever que la sous-location irrégulièrement consentie étant inopposable au propriétaire, seul le locataire est créancier des sous-loyers.
En faisant acquérir les sous-loyers automatiquement au propriétaire par voie d’accession, la Cour de cassation nous semble par conséquent raisonner par une sorte d’ellipse : tout se passe comme si c’était directement l’immeuble qui était productif des loyers, faisant ainsi du locataire (privé du jus fruendi) un simple percepteur des fruits pour le compte du propriétaire. C’est, à notre avis, pousser trop loin l’assimilation des fruits civils aux fruits naturels. Les fruits civils ne devraient pouvoir, en toute rigueur, échoir au propriétaire de l’immeuble que si ce dernier revêt, à leur égard, la qualité de sous-bailleur. Or tel n’est pas le cas puisque, comme l’observe la Cour de cassation elle-même, la sous-location était irrégulière.
III. Derrière la déformation des concepts de fruits civils et d’accession par l’arrêt, on devine surtout la volonté des juges du droit de trouver une parade dissuasive à la faute lucrative que constitue la sous-location interdite : si tous les sous-loyers sont à l’avenir récupérables automatiquement sur le fondement de l’accession, il est clair que les locataires ne s’y risqueront pas. Assurément, la solution a le mérite de l’efficacité. Par comparaison, la voie du droit des contrats ne semble pas assez énergique, même si le locataire indélicat encourt la résiliation de son bail. En raison de l’interdiction des dommages et intérêts punitifs, la réparation sur le fondement d’une inexécution contractuelle engagée contre le locataire paraît par comparaison bien moins énergique, sauf à démontrer que le préjudice subi par le bailleur correspondrait à l’intégralité des loyers perçus, ce qui paraît difficile à admettre. Une action en responsabilité délictuelle qu’intenterait le bailleur contre le sous-locataire indélicat est également envisageable, mais l’on se heurtera alors au principe de réparation intégrale : on doute qu’il puisse être estimé à hauteur des sous-loyers perçus. Si ces voies sont effectivement fermées et si, néanmoins, la Cour de cassation devait dans l’avenir abandonner sa solution fondée sur l’accession, une alternative envisageable pourrait consister, puisqu’il s’agirait de faute lucrative, dans l’attribution de dommages et intérêts restitutoires, évoqués dans le cadre du débat sur la réforme de la responsabilité civile [2]. Ces dommages et intérêts auraient pour objet de compenser la différence entre les dommages et intérêts obtenus pour inexécution contractuelle et le montant des sous-loyers perçus par le locataire principal.
[1] M. Jaoul, Lexbase, éd. priv., n° 746, 2018 (N° Lexbase : N4632BXT).
[2] V. not. les propositions faites par la cour d’appel de Paris, dans le cadre d’un groupe de travail, Rapport sur la réforme du droit français de la responsabilité civile et les relations économiques, avril 2019.
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