La lettre juridique n°799 du 17 octobre 2019 : Avocats/Déontologie

[Brèves] Citation à comparaître devant la juridiction disciplinaire  : précisions sur son contenu

Réf. : Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-21.966, FS-P+B (N° Lexbase : A0061ZRP)

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par Marie Le Guerroué

le 28 Octobre 2019

► La nullité de la citation à comparaître devant la juridiction disciplinaire doit être écartée lorsque l’avocat poursuivi suffisamment informé des faits servant de base aux poursuites disciplinaires a été en mesure de présenter ses moyens de défense ;

► Si la juridiction disciplinaire est tenue de statuer dans la limite des faits dénoncés dans la citation, c’est à elle qu’il incombe, dans le respect du principe de la contradiction, de leur restituer une exacte qualification juridique et de se prononcer conformément aux règles de droit en vigueur au moment de leur commission, au rang desquelles figurent les dispositions du règlement intérieur du barreau auquel l’avocat est inscrit, pris en application de l’article 17, 1°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), conformes aux prescriptions légales et réglementaires. 

Telles sont, notamment, les solutions rendues par la Cour de cassation dans un arrêt du 10 octobre 2019 (Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-21.966, FS-P+B N° Lexbase : A0061ZRP). 

Faits/Procédure. En l’espèce, un avocat au barreau de Paris, avait, en exécution d’un compromis en date du 19 juin 1995, présidé un tribunal arbitral dans un litige à propos des donations qu’un artiste et son épouse avaient consenties à une fondation. Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mai 2014, devenu irrévocable après le rejet d’un pourvoi en cassation (Cass. civ. 1, 4 novembre 2015, n° 14-22.630, F-P+B N° Lexbase : A0244NWX, Bull. civ. I, 2015, n° 265), avait annulé, pour fraude, la sentence arbitrale et la sentence rectificative. Une procédure disciplinaire avait été ouverte par le Bâtonnier de l’Ordre des avocats au barreau de Paris, autorité de poursuite, à l’encontre de l’avocat. Ce dernier forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris en ce qu’il l’a déclaré coupable de manquement au principe essentiel d’honneur et pour avoir prononcé, en conséquence, des sanctions disciplinaires (CA Paris, 2, 1, 28 juin 2018, n° 16/16859 N° Lexbase : A6401XUM ; v., aussi, J. Bouëssel du Bourg, Un avocat ne peut pas présider un tribunal arbitral qui manque d’indépendancein Lexbase Professions, n° 269, 2018 N° Lexbase : N5270BXH).  

  • Sur l’imprécision des faits de la citation à comparaître 

Grief. L’avocat faisait grief à l’arrêt de rejeter l’exception de nullité de la citation.  

Analyse de la Cour. La Cour de cassation énonce, d’une part, que la nullité de la citation doit être écartée lorsque l’avocat poursuivi, suffisamment informé des faits servant de base aux poursuites disciplinaires, a été en mesure de présenter ses moyens de défense, d’autre part, que, si la juridiction disciplinaire est tenue de statuer dans la limite des faits dénoncés dans la citation, c’est à elle qu’il incombe, dans le respect du principe de la contradiction, de leur restituer une exacte qualification juridique et de se prononcer conformément aux règles de droit en vigueur au moment de leur commission, au rang desquelles figurent les dispositions du règlement intérieur du barreau auquel l’avocat est inscrit, pris en application de l’article 17, 1°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, conformes aux prescriptions légales et réglementaires. En l’espèce, la Cour relève, qu’après avoir constaté que les manquements poursuivis étaient clairement précisés en pages 16 à 18 de la citation, la cour d’appel a retenu que celle-ci renseignait l’avocat sur les faits reprochés et le fondement juridique invoqué, peu important le visa erroné de l’article 1.3 du règlement intérieur national (RIN), dans la mesure où les faits contraires à l’honneur que, seuls, elle retenait contre l’avocat, étaient prévus par l’article 1.3 du RIBP (règlement intérieur du barreau de Paris). La cour avait aussi ajouté que l’article 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat N° Lexbase : L8168AID, qui énonce les sanctions encourues, était également mentionné, de sorte que l’intéressé avait pu utilement se défendre en toute connaissance de cause. Le premier moyen invoqué par l’avocat n’est donc selon la Cour pas fondé. 

  • Sur le fondement juridique de la citation 

Grief. L’avocat soutenait, aussi, que l’arrêt attaqué était contraire au principe de non-rétroactivité des lois et règlements, notamment, en ce, d’abord, qu’il était fondé sur l’article 1.3 du RIN institué par le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA) et par la décision du 12 juillet 2007 du Conseil national des barreaux alors les faits imputés à l’avocat était survenus en 1995 et en ce qu’il était, ensuite, fondé sur l’article 1.3 RIBP non visé par la citation. 

Analyse de la Cour. Toutefois, la Cour de cassation relève, en premier lieu, que la citation délivrée à l’avocat ne se référait pas exclusivement à l’article 1.3 du RIN, mais aussi aux articles 183 et 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 précité qui définissent et sanctionnent les fautes disciplinaires, au rang desquelles se trouve le manquement à l’honneur. Elle relève, en second lieu, que la condamnation de l’avocat à une sanction disciplinaire n’est pas fondée sur l’article 1.3 du RIN, mais sur l’article 1.3 du RIBP en vigueur au moment de la commission des faits, qui, conformément à l’article 183 susmentionné, prévoyait que le manquement à l’honneur était une faute disciplinaire. Le deuxième moyen n’est donc pas fondé. 

  • Sur l’imprescribilité des poursuites disciplinaires 

Grief. L’avocat fait grief à l’arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription des poursuites disciplinaires. Il estime qu’en considérant que l’imprescriptibilité des poursuites disciplinaires dont peut faire l’objet un avocat ne portait pas atteinte au droit à un procès équitable et qu’ainsi, l’ancienneté des faits imputés à l’avocat, survenus vingt ans avant l’engagement des poursuites, ne faisait pas obstacle à celles-ci, il estime que la cour d’appel a violé l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) (v., déjà, sur ce point, Cons. const., décision n° 2018-738 QPC, du 11 octobre 2018 (N° Lexbase : A0164YG8). 

Jurisprudence CEDH. Mais pour la Cour, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, d’une part, que l’introduction d’un délai de prescription ne doit pas avoir pour effet de limiter ou de restreindre le droit d’accès à un tribunal, de telle façon ou à un degré tel qu’il s’en trouverait atteint dans sa substance même (CEDH, 11 mars 2014, Req. 52067/10 N° Lexbase : A2773S4H), et que, si la fixation d’un tel délai n’est pas en soi incompatible avec la Convention, il y a lieu de déterminer si la nature de ce délai et/ou la manière dont il est appliqué se concilie avec la Convention (CEDH, 20 décembre 2007, Req. 23890/02 N° Lexbase : A8034IDW ; CEDH, 7 juillet 2009, Req. 1062/07 N° Lexbase : A6444EII), d’autre part, que les Etats contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation (CEDH, 22 octobre 1996, Req. 36-37/1995/542 N° Lexbase : A8348AW4). 

Rejet. La cour d’appel a procédé́, pour la Cour de cassation, comme il le lui incombait, à une analyse in concreto des faits à elle soumis dont elle a déduit que, même à supposer qu’il faille appliquer, au regard des exigences de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, un délai de prescription de trois ans, l’action disciplinaire engagée par le Bâtonnier, le 30 novembre 2015, n’était pas prescrite, les conditions exactes de l’arbitrage litigieux n’ayant été portées avec certitude à la connaissance de l’autorité de poursuite qu’à l’occasion de l’annulation de la sentence arbitrale par l’arrêt du 27 mai 2014. Le moyen n’est, donc pour la Cour, pas plus fondé. 

  • Sur la caractérisation de la faute disciplinaire. 

Analyse de la Cour. La Cour considère qu’en appréciant souverainement les faits constitutifs d’un manquement à l’honneur, la cour d’appel a caractérisé la faute disciplinaire en retenant qu’il résultait d’un faisceau de circonstances que l’avocat avait gravement exposé à la critique sa profession et la réputation de son barreau d’appartenance. Le moyen est inopérant dès lors que se trouve seule en débat la responsabilité disciplinaire de l’avocat.

  • Sur la communication des conclusions du Bâtonnier  

Grief. Enfin, l’avocat énonce au soutien de ses prétentions que la cour d’appel qui statue en matière disciplinaire doit s’assurer que les conclusions du Bâtonnier, partie poursuivante, ont été communiquées à l’avocat poursuivi dans des conditions lui permettant d’y répondre utilement. L’arrêt relève que le Bâtonnier a conclu de façon motivée à la confirmation de la décision entreprise, sans préciser si le Bâtonnier avait déposé en ce sens des conclusions écrites préalablement à l’audience, ni constater, le cas échéant, que l’avocat en avait reçu communication dans des conditions lui permettant d’y répondre utilement, ce en quoi, pour l’avocat, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 6, § 1, de la CESDH et 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q). 

Rejet. Toutefois, la Cour de cassation rappelle, qu’aux termes de l’article 459 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6569H7G), l’omission ou l’inexactitude d’une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s’il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d’audience ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été, en fait, observées. En l’espèce, si l’arrêt ne comporte aucune mention sur le dépôt, par le Bâtonnier, de conclusions écrites préalablement à l’audience et ne précise pas qu’en ce cas, le professionnel poursuivi en avait reçu communication afin d’y répondre utilement, il ressort, cependant, de la production des notes d’audience, signées du greffier et du président, certifiées conformes par le greffier en chef, que le Bâtonnier n’a conclu qu’oralement à l’audience. Le cinquième moyen n’est pas plus fondé.  

Décision. Le pourvoi de l’avocat est donc rejeté (cf. l'Ouvrage “La profession d’avocat” N° Lexbase : E0093EUY et N° Lexbase : E9158ETD). 

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