La lettre juridique n°799 du 17 octobre 2019 : Responsabilité

[Brèves] Mise en balance, par le juge, entre le droit à la protection de la vie privée et la liberté d’expression d’identique valeur normative

Réf. : Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-21.871, F-P+B+I (N° Lexbase : A0008ZRQ)

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par Manon Rouanne

le 16 Octobre 2019

► Lorsqu’est violé le droit au respect de sa vie privée et familiale consacré à l’article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) et à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4798AQR), au nom de la liberté d’expression consacrée à l’article 10 de la même Convention (N° Lexbase : L4743AQQ) et donc de même valeur normative, il appartient au juge, par une pesée des intérêts en présence, de faire pencher la balance au profit du droit qui a le plus de poids en l’espèce, de sorte que, c’est à bon droit que ce dernier, après avoir caractérisé, en l’occurrence, une atteinte à la vie privée du demandeur, a mis en balance cette atteinte avec la liberté d’expression et décidé de faire primer, eu égard aux faits de l’espèce, la liberté d’informer ayant pour conséquence le rejet de l’indemnisation de la victime.

Tel est l’équilibre recherché par la première chambre civile de la Cour de cassation entre des droits de même valeur normative dans un arrêt en date du 10 octobre 2019 (Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-21.871, F-P+B+I N° Lexbase : A0008ZRQ ; en ce sens, Cass. civ. 1, 23 avril 2003, n° 01-01.851, FS-P N° Lexbase : A5089BMG ; Cass. civ. 1, 9 juillet 2003, n° 00-20.289, FS-P N° Lexbase : A0906C9G).

En l’espèce, à la suite de la diffusion, à la télévision, d’un reportage consacré à la crise de la production laitière, le président du conseil de surveillance de la société laitière, se prévalant d’une atteinte portée à sa vie privée du fait de la mention, dans une séquence, du nom de sa résidence secondaire, de sa localisation précise et de la présentation de vues aériennes de son domicile, a assigné la société France télévisions en réparation de son préjudice sur le fondement des articles 9 du Code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme consacrant le droit de chacun au respect de sa privée et familiale.

Tout en retenant, l’atteinte à sa vie privée, la cour d’appel rejette la demande de la victime de cette violation (CA Angers, 26 juin 2018, n° 17/02010 N° Lexbase : A0740XUX) en décidant de donner plus de poids, en l’espèce, à la liberté d’expression, après mise en balance de ces deux droits de valeur normative identique.

Cette dernière a, alors, formé un pourvoi en cassation, d’une part, en alléguant comme moyens, l’absence de prise en compte, par les juges du fond, dans la mise en balance des intérêts en présence, de certains critères que sont la répercussion de la publication, les circonstances des prises de vue et la gravité des sanctions encourues et, d’autre part, en contestant la caractérisation par la cour d’appel, en l’espèce, des critères ayant conduit celle-ci à faire primer la liberté d’expression que sont la disponibilité, dans le domaine public, des informations litigieuses, le comportement du requérant face aux divulgations précédentes de ces informations et l’existence d’un débat d’intérêt général sur la crise du lait.

Confortant la position adoptée par la juridiction de second degré, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Après avoir rappelé, qu’en cas de conflit entre la liberté d’expression et la protection de la vie privée ayant la même valeur normative, il appartient au juge de privilégier le droit qui a le plus de poids en l’espèce (Cass. civ. 1, 21 mars 2018, n° 16-28.741, FS-P+B N° Lexbase : A8014XHB) eu égard à la contribution de la publication litigieuse à un débat d’intérêt général, la notoriété et le comportement antérieur de la personne visée et l’objet, le contenu, la forme et les répercussions du reportage (CEDH, 10 novembre 2015, Req. 40454/07, § 93, Couderc et Hachette Filipacchi Associés c/France N° Lexbase : A2074NWQ), la Haute juridiction fait primer, en l’occurrence, la liberté d’expression. En effet, dans la mise en balance de ces droits de même valeur qui s’opposent, la Cour de cassation, à l’instar de la cour d’appel, considère que le fait qu’il ne soit révélé, dans le reportage, que la localisation de la résidence secondaire du dirigeant déjà divulguée précédemment dans la presse, que ce dernier soit un personnage public, que les journalistes n’ont pas pénétré dans la propriété privée et que la publication s’inscrivait dans un débat d’intérêt général, font pencher la balance en faveur du droit à l’information légitimant, ainsi, l’atteinte à la vie privée du requérant.

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