La lettre juridique n°797 du 3 octobre 2019 : Travail illégal

[Jurisprudence] Du respect par l’URSSAF des règles d’audition dans le cadre du travail dissimulé

Réf. : Cass. civ. 2, 19 septembre 2019, n° 18-19.929 (N° Lexbase : A8475ZN9) et n° 18-19.847 (N° Lexbase : A8474ZN8), F-P+B+I

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par François Taquet, Professeur de Droit social (IESEG, Skema BS), avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale, Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA

le 02 Octobre 2019


Résumé : Les auditions auxquelles les agents de contrôle procèdent pour la recherche et le constat des infractions en matière de travail illégal ne peuvent être réalisées qu’avec le consentement des personnes entendues (pourvoi n° 18-19.929).

En cas de contrôle opéré dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé, l’audition d’une personne rémunérée intervenue après la notification de la lettre d’observations consécutive au procès-verbal de constatation d’infraction n’entre pas dans le champ d’application des opérations de recherche et de constat d’infraction. Une cour d’appel ne saurait en conséquence annuler cette audition, le contrôle, le redressement et la mise en demeure de la société employeur au motif d’un manquement au principe du contradictoire (pourvoi n° 18-19.847).


Par deux arrêts publiés du 19 septembre 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient énoncer quelques règles quant à la mise en œuvre d’auditions dans le cadre de la procédure de travail dissimulé. Deux idées fortes se dégagent de ces décisions : d’abord, et pendant le contrôle, il ne saurait y avoir d’audition sans le consentement de l’intéressé (I) ; ensuite, et après le contrôle, il y a absence d’application des règles protectrices de l’article L. 8271-6-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5006K8W) (II).

I - Pendant le contrôle : pas d’audition sans le consentement de l’intéressé

Dans le pourvoi n° 18-19.929, les faits étaient les suivants : dans le cadre de ses missions de recherche et de constatation d’infractions constitutives de travail illégal, une URSSAF avait effectué un contrôle d’une société au cours duquel l’inspecteur du recouvrement avait procédé, le 15 janvier 2013, à l’audition de son représentant, sans que son consentement n’ait été recueilli. A la suite de ce contrôle, l’organisme de recouvrement avait notifié à la société un redressement résultant de l’infraction de travail dissimulé, que la société avait contesté. Dans un arrêt du 22 mai 2018, la cour d’appel d’Orléans (CA Orléans, 22 mai 2018, n° 15/03699 N° Lexbase : A3099XPH) avait rejeté l’ensemble des arguments de la société : d’une part, l’URSSAF n’avait pas l’obligation de faire parvenir au cotisant le procès-verbal constatant le délit (transmis au Parquet le 13 mars 2013), étant entendu que la lettre d’observations était «très complète…et lui permettait d’être informée des infractions reprochées et des montant des cotisations réclamées» ; d’autre part, pour les juges du fond, ce n’est que lorsque l’organisme contrôleur entend exclusivement fonder un redressement sur les déclarations d’un témoin ou d’un dirigeant qu’il doit procéder à son audition en respectant les formes prévues par l’article L. 8271-6-1 du Code du travail ; or, tel n’était pas le cas en l’espèce, puisque l’URSSAF n’avait pas fondé à titre principal le redressement sur l’audition du représentant de la société, mais sur les vérifications des livres comptables, l’intéressé n’ayant été entendu qu’à titre d’information pour expliciter les éléments  découverts dans ces documents comptables.

Cette démonstration est balayée par la Cour de cassation : d’abord, les auditions auxquelles les agents de contrôle procèdent pour la recherche et le constat des infractions en matière de travail illégal ne peuvent être réalisées qu’avec le consentement des personnes entendues, ensuite, les dispositions qui confèrent aux agents de contrôle des pouvoirs d’investigation sont d’application stricte.

Soulignons, à titre liminaire, que le choix de procédure quant à la constatation du travail dissimulé peut se révéler relativement complexe. Pratiquement, trois hypothèses peuvent être retenues.

Soit le travail dissimulé est constaté par l’URSSAF (lors d’un contrôle de cotisations, par exemple) et alors, cet organisme dispose d’un choix de procédure :

→ celle qui relève de l’article L. 8271-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9980IQP), qui se réfère notamment aux «agents des organismes de Sécurité sociale et des caisses de mutualité sociale agricole agréés à cet effet et assermentés» ;

→ ou encore, celle qui relève des articles L. 243-7 (N° Lexbase : L8234LRE) et R. 243-59 (N° Lexbase : L8752LGA) du Code de la Sécurité sociale [1].

Soit le travail dissimulé est constaté par une autorité autre que l’URSSAF :

→ la procédure sera celle prévue par les articles L. 8271-1 du Code du travail et R. 133-8 (N° Lexbase : L8680IY7) du Code de la Sécurité sociale.

Soit enfin, la procédure est menée conjointement par une autorité et des services de l'URSSAF :

→ et dans ce cas, la procédure sera celle prévue par les articles L. 8271-1 et R. 133-8 susvisés.

C’est ce qui ressort d’une espèce où un contrôle avait été réalisé par les services de police «en partenariat», pour reprendre les termes de la lettre d'observations, avec l'URSSAF, en vue de constater d'éventuelles infractions aux interdictions mentionnées aux articles L. 8221-1 (N° Lexbase : L3589H9S) et L. 8221-2 (N° Lexbase : L3591H9U) du Code du travail. Pour les juges du fond, les dispositions de l'article L. 243-7 du Code de la Sécurité sociale ne trouvaient donc pas à s'appliquer (en particulier, l'URSSAF n'avait aucune obligation d'adresser préalablement un avis de passage). Dès lors, les dispositions de l'article R. 133-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8680IY7) trouvaient application (avec obligation de signature du document par le directeur de l’organisme) [2].

Le choix de procédure est d’autant plus important que les garanties des cotisants ne sont pas équivalentes dans les différents cas de figure [3]. S’agissant des dispositions du Code du travail, on relèvera que les agents de contrôle, mentionnés à l'article L. 8271-1-2 (N° Lexbase : L7433K98), sont habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit «et avec son consentement», tout employeur ou son représentant et toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l'employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature de ses activités. Ces auditions peuvent faire l'objet d'un procès-verbal signé des agents de contrôle et des personnes entendues [4]. S’agissant maintenant, des dispositions spécifiques au Code de la Sécurité sociale, l’article R. 243-59, II, alinéa 5 [5] précise que «lorsqu'il est fait application des dispositions de l'article L. 8271-6-1 du Code du travail, il est fait mention au procès-verbal d'audition du consentement de la personne entendue. La signature du procès-verbal d'audition par la personne entendue vaut consentement de sa part à l'audition». La situation est donc claire : dans tous les cas, il appartient à l’URSSAF d’apporter la preuve que le consentement des personnes concernées a été préalablement recueilli pour les auditions [6]. En l’absence de cette preuve, le redressement est empreint de nullité. Et cette obligation de consentement vaut et ce, même si l’organisme n’a pas fondé à titre principal le redressement sur l’audition du représentant de la société, mais sur les vérifications de documents comptables. Le manquement formel (mais substantiel) rejaillit sur l’intégralité du contrôle. Comme le rappelle la deuxième chambre civile, «les dispositions qui confèrent aux agents de contrôle des pouvoirs d’investigation sont d’application stricte» [7].

II - Après le contrôle : absence d’application des règles protectrices de l’article L. 8271-6-1 du Code du travail

Cependant, ces pouvoirs stricts des agents de contrôle connaissent une limite : celle de la vérification elle-même. Ce principe est démontré dans le pourvoi n° 18-19.847, dans une affaire où les dates ont leur importance.

En l’espèce, et toujours dans le cadre de la recherche et de la constatation d’infractions constitutives de travail illégal, une URSSAF avait effectué, le 30 avril 2013, un contrôle dans les locaux d’un hôtel à la suite duquel elle lui avait adressé une lettre d’observations en date du 23 mai 2013 opérant un redressement. Le même jour, l’organisme établissait un procès-verbal pour dissimulation d’emploi salarié (personne hébergée gratuitement dans l’hôtel en contrepartie d’une activité de gardiennage). A la suite de la réponse de la société à la lettre d’observations, l’agent de contrôle avait procédé, le 16 juillet 2013 (soit postérieurement à la clôture des opérations de contrôle) à l’audition d’une salariée, suivant procès-verbal ne mentionnant pas, toutefois, son consentement mais indiquant que l’audition était recueillie sur le fondement de la recherche des infractions de travail dissimulé (les éléments de l’audition ayant été cités dans la réponse de l’URSSAF du 26 juillet 2013).

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 16 mai 2018, avait décidé que le déroulement de la procédure caractérisait «des manquements graves et caractérisé au principe du contradictoire» puisque le procès-verbal d’audition ne mentionnait pas le consentement de la salariée et que le cotisant n’avait pu répondre aux éléments d’audition cités dans la lettre de l’URSSAF du 26 juillet 2013. Elle ajoutait même que la condamnation pénale de la société était indifférente dès lors que la validité de la procédure de contrôle ne pouvait être appréciée que par la juridiction sociale. Cette position est censurée par les juges suprêmes : l’audition litigieuse étant intervenue après la notification de la lettre d’observations consécutive au procès-verbal de constatation d’infraction, elle n’entrait pas dans le champ d’application des opérations de recherche et de constat d’infraction.

La démonstration de la Cour de cassation peut sembler imparable ! Après tout, l’audition étant intervenue après les opérations de contrôle, les garanties prévues en faveur du cotisant (dont le consentement de la personne interrogée) ne pouvaient trouver application. Après tout, les dispositions de l’article R. 243-59, II, al. 5 du Code de la Sécurité sociale susmentionné, précisant que quand les dispositions de l'article L. 8271-6-1 du Code du travail trouvent application, il est spécifié au procès-verbal d'audition le consentement de la personne entendue, ne trouvent application qu’en matière de contrôle [8].

Cependant, cette solution laisse un certain nombre de doutes et de questions sans réponse :

▪ d’abord, on peut s’interroger sur les garanties dont disposent les personnes interrogées après la procédure de contrôle. En effet, l’article L. 8271-6-1 du Code du travail traite de deux garanties en faveur de la personne auditionnée : son consentement et l’application des dispositions de l’article 61-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7470LPD). Or, à la lecture de la décision, ces protections semblent disparaître dès lors que l’audition se situe après le contrôle…

▪ ensuite, l’argument suivant lequel l’audition survenue après une opération de vérification n’entre pas dans le champ d’application des opérations de recherche et de constat d’infraction de travail dissimulé mériterait pour le moins d’être étayé. Car, si l’article L. 8271-6-1 susmentionné ne semble concerner que les opérations de contrôle, la référence est reprise à l’article R. 243-59, II, al. 5 du Code de la Sécurité sociale, article qui, par ailleurs traite non seulement du contrôle mais aussi de l’ensemble de la procédure contradictoire, et ce, dans une section intitulée «Contrôle». En un mot, les rédacteurs du Code de la Sécurité sociale ne semblent pas avoir limité les garanties des personnes interrogées lors du simple temps du contrôle…

▪ enfin, la solution dégagée par la Cour de cassation pose un véritable problème au regard de la procédure contradictoire [9]. En effet, les éléments de l’audition avaient été cités par l’URSSAF dans le courrier du 26 juillet 2013, soit deux mois après la lettre d’observations et surtout après la réponse du cotisant. Or, cette manière de procéder ne laissait plus la faculté au cotisant de faire valoir ses arguments dans le cadre de la procédure contradictoire. L’URSSAF s’appuyant sur de nouveaux fondements pour appuyer son redressement, il aurait semblé cohérent que des échanges contradictoires puissent intervenir afin de susciter un dialogue avant tout contentieux.

Ainsi, ce dernier arrêt de la Cour de cassation laisse des interrogations essentielles sans réponse. Qui plus est, il réduit les garanties des cotisants au milieu d’un droit qui ne leur en accorde pas suffisamment.

Il est étrange de constater que dans la même journée, la Cour de cassation ait soufflé le chaud et le froid ! Sans doute la solution adoptée par le pourvoi n° 18-19.847 mérite-t-elle de plus amples précisions.

👉 Quel impact dans ma pratique ?

La définition du travail illégal est particulièrement vaste, à tel point que d’aucuns ont pu considérer que maints employeurs le pratiquaient sans même le savoir…

Les moyens donnés, notamment aux URSSAF, pour lutter contre ce phénomène sont très importants.

Les sanctions applicables sont redoutables.

Dans ces conditions, le professionnel confronté à un contentieux relatif au travail illégal va d’abord vérifier le respect de la procédure.

Dans le pourvoi n° 18-19.929 la Cour de cassation conforte sa jurisprudence selon laquelle les dispositions qui confèrent aux agents de contrôle des pouvoirs d’investigation sont d’application stricte.

La solution dégagée par le pourvoi n° 18-19.847 demande, quant à elle, à être précisée car le professionnel ne saurait se contenter d’incertitudes quant aux garanties des employeurs confrontés à une situation de travail illégal.

 

[1] Cass. civ. 2, 7 juillet 2016, n° 15-16.110, FS-P+B (N° Lexbase : A0051RX8) : si la recherche des infractions constitutives de travail illégal mentionnées à l'article L. 8211-1 du Code du travail (N° Lexbase : A8472WYG) est soumise aux articles L. 8271-1 (N° Lexbase : L9980IQP) et suivants du même Code, ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'un organisme de recouvrement procède, dans le cadre du contrôle de l'application de la législation de Sécurité sociale par les employeurs et les travailleurs indépendants prévu par l'article L. 243-7 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8234LRE), à la recherche des infractions susmentionnées aux seules fins de recouvrement des cotisations afférentes. V. dans le même sens : Cass. civ. 2, 9 novembre 2017, n° 16-23.484, F-P+B (N° Lexbase : A0051RX8) - rappelons que les garanties de procédure ne sont pas identiques s’agissant des articles L. 8271-1 du Code du travail et R. 133-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8680IY7), d’une part, et L. 243-7 et R. 243-59 (N° Lexbase : L8752LGA) du Code de la Sécurité sociale, d’autre part.

[2] CA Versailles, 12 septembre 2019, n° 18/04400 (N° Lexbase : A3113ZNM).

[3] V. notre article, 3 questions - Travail dissimulé : un choix de procédure pour les URSSAF, JCP éd. E, 2018, 562.

[4] C. trav., art. L. 8271-6-1 (N° Lexbase : L5006K8W).

[5] Dans la version issue du décret n° 2016-941 du 8 juillet 2016 (N° Lexbase : L2678K93).

[6] V. Cass. civ. 2, 9 octobre 2014, n° 13-19.493, FS-P+B (N° Lexbase : A2168MYX) - V. également : CA Rennes, 17 avril 2013, n° 12/05614 (N° Lexbase : A2958KCK) ; CA Rennes, 17 décembre 2014, n° 13/07994 (N° Lexbase : A8429M7C) et n° 13/08000 (N° Lexbase : A8512M7E) ; CA Rennes, 14 octobre 2015, n° 13/08889 (N° Lexbase : A2616NT3) ; CA Agen, 27 septembre 2016, n° 15/00140 (N° Lexbase : A3451R4L) ; CA Rouen, 15 mars 2017, n° 15/05232 (N° Lexbase : A1914T7Z) ; CA Paris, Pôle 6, 12ème ch., 1er juin 2017, n° 14/04653 (N° Lexbase : A9158WEW) ; CA Rouen, 11 octobre 2017, n° 15/04256 (N° Lexbase : A4613WUE) ; CA Versailles, 17 mai 2018, n° 16/00907 (N° Lexbase : A0017XNX).

[7] V. en ce sens : Cass. civ. 2, 10 mai 2005, n° 04-30.046, F-D (N° Lexbase : A2429DIS).

[8] D’ailleurs, cet article trouve sa place dans une section intitulée «Contrôle».

[9] V. notre article, Quelques réflexions sur le respect du principe du contradictoire dans le contrôle URSSAF, Gaz Pal., 27 février 2018, n° 8, p. 16 et s..

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