La lettre juridique n°788 du 27 juin 2019 : Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] Quand l'exception de parodie tourne à l'humour

Réf. : Cass civ. 1, 22 mai 2019, n° 18-12.718, FS-P+B (N° Lexbase : A5986ZCP)

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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, Avocats à la cour

le 26 Juin 2019

 

 

Après les affaires «Klasen»  puis «Koons» , l'exception dite de «parodie» propre au droit d'auteur est plus que jamais sous les feux de l'actualité, sous la pression récurrente de la liberté d'expression.

Par un singulier arrêt du 22 mai 2019 ayant vocation à être publié au Bulletin d'information de la Cour de cassation, la première chambre civile a rejeté le pourvoi de la veuve d'Alain Gourdon, dit Aslan, sculpteur du célèbre buste de Marianne sous les traits de Brigitte Bardot, lequel avait été partiellement reproduit, sans autorisation, au sein du photomontage de couverture du magazine Le Point consacré aux «corporatistes intouchables, tueurs de réformes, lepéno-cégétistes… Les naufrageurs - La France coule, ce n'est pas leur problème». Pour la Cour de cassation, c'est à bon droit que la cour d'appel dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, a jugé que la reproduction litigieuse caractérisait un usage parodique qui ne portait pas une atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes de l'auteur et de son ayant-droit. L'exception de parodie de l'article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L0306LMB) faisait donc obstacle au droit exclusif de l'auteur. Sous des airs d'évidence, cet arrêt ne va pas sans soulever quelques interrogations à propos de la notion même de parodie.

 

I - Vers la clarification de la notion de «parodie»

 

La parodie, le pastiche et la caricature constituent autant d'exceptions aux droits patrimoniaux dont jouit l'auteur sur son œuvre.

 

Désormais codifiée à l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, l'exception de parodie, était prévue auparavant à l'article 41 de la loi n° 57-298 du 11 mars 1957, sur la propriété littéraire et artistique (N° Lexbase : L6924IQI). En l'absence de précision dans le texte même de la loi, il est naturellement revenu à la jurisprudence française de préciser les contours de la notion de «parodie […] compte tenu des lois du genres».

Au niveau communautaire, l'exception de parodie trouve son fondement textuel au sein des dispositions de l'article 5.3 de la Directive (CE) 2001/29 du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (N° Lexbase : L3222LQE), lequel organise une dérogation aux droits de reproduction et de représentation de l'auteur lorsqu'il "s'agit d'une utilisation à des fins de caricature, de parodie ou de pastiche".

 

L'article 5.3 précité rappelle par ailleurs que cette exception au droit d'auteur ne représente qu'une simple faculté, dont la transposition dans l'ordre juridique national est laissée à l'appréciation des Etats membres. Pour autant, l'objectif d'harmonisation juridique poursuivi par l'Union européenne reste inchangé : l'application uniforme du droit de l'Union et le principe d'égalité requièrent donc qu'il soit réalisé une interprétation autonome et uniforme de la notion de «parodie» sur le territoire de l'Union. En l'absence de renvoi au droit des Etats membres pour déterminer son sens et sa portée, la Cour de justice [1] a dit pour droit qu'il s'agit d'une notion autonome du droit de l'Union, à l'instar de la notion d' «originalité» en droit d'auteur ou encore de celle d’«illustration» concernant les dessins et modèles communautaires [2].

 

Pour le dire autrement, les juges communautaires se voient reconnaître pleine et entière compétence pour fixer les contours de la notion de «parodie». C'est alors à la lumière de l'enseignement de leurs décisions qu'il convient de procéder à l'interprétation des dispositions nationales, dont celles de l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle.

 

A l'occasion d'un important arrêt «Deckmyn» du 3 septembre 2014, la CJUE s'est attachée à proposer une définition de la notion de «parodie» conformément au sens habituel de ce terme dans le langage courant tout en tenant compte du contexte dans lequel il est utilisé et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie [3]. Elle en a déduit que «la parodie a pour caractéristiques essentielles, d'une part, d'évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d'autre part, de constituer une manifestation d'humour ou une raillerie». En pratique, cette définition se révèle d'ailleurs relativement proche de celle adoptée de longue date par les juridictions françaises qui requièrent la réunion d'un élément moral et d'un élément matériel : le caractère humoristique de l'œuvre seconde et l'absence de tout risque de confusion avec l'œuvre parodiée.

En renfort de cette définition «positive» mais relativement vague [4] de la notion de parodie, les juges communautaires en proposent une définition en creux, en énumérant certains critères qui ne sont pas pertinents pour la caractériser : l'originalité de la parodie, la faculté d'en attribuer l'origine à une personne autre que l'auteur de l'œuvre originale elle-même, le fait qu'elle porte sur l'œuvre originale elle-même ou encore la mention de la source de l'œuvre originale [5].

 

II - Une notion aux contours malgré tout indécis

 

Le litige qui nous occupe portait sur la couverture du journal Le Point paru en juin 2014 et consacrée aux «corporatistes intouchables, tueurs de réformes, lepéno-cégétistes… Les naufrageurs - La France coule, ce n'est pas leur problème». Afin d'illustrer cet article on ne peut plus sérieux, l'hebdomadaire avait eu recours à un photomontage reproduisant partiellement la sculpture de la Marianne dont Aslan est l'auteur. Cette reproduction d'une des œuvres emblématiques de l'artiste n'ayant pas été autorisée par sa veuve et légataire universelle, celle-ci a engagé une action en justice après les échanges précontentieux d'usage.

Le tribunal de grande instance de Paris [6] puis la cour d'appel de Paris [7] avaient accueilli l'exception dite de «parodie» invoquée par le magazine, sur le fondement des dispositions de l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Le 22 mai 2019, la première chambre civile a rejeté le pourvoi formé par l'ayant droit d'Aslan et définitivement retenu le bénéfice de l'exception de parodie. En dépit du caractère pleinement concordant des différentes décisions rendues dans cette affaire, le résultat auquel elles parviennent ne nous semble pas pleinement satisfaisant, pour les raisons que nous nous proposons d'exposer ici.  

 

A - Des enseignements communautaires désormais intégrés à la jurisprudence nationale

 

La première chambre civile s'attache tout d'abord à placer son arrêt sous l'égide de l'arrêt «Deckmyn» précité de la Cour de justice et à reprendre à son compte certains de ses enseignements, que ce soit pour qualifier la parodie de notion autonome du droit de l'Union ou pour rappeler qu'elle n'est pas soumise à des conditions selon lesquelles la parodie devrait mentionner la source de l'œuvre parodiée ou porter sur l'œuvre originale elle-même. Elle approuve ensuite la cour d'appel de Paris d'avoir énoncé que, pour être qualifiée de parodie, l'œuvre seconde doit revêtir un caractère humoristique et éviter tout risque de confusion avec l'œuvre parodiée.

En revanche, il est intéressant de relever que l'arrêt du 22 mai 2019 ne reprend pas à son compte une troisième condition qui avait été mise en avant par l'arrêt d'appel, à savoir permettre l'identification de l'œuvre parodiée.

 

Par ailleurs, la Cour de cassation évite de revenir sur certaines appréciations (il est vrai surprenantes) de l'arrêt d'appel, pourtant visées dans le pourvoi de la veuve d'Aslan. Ainsi, l'arrêt du 22 décembre 2017, après avoir rappelé que la Marianne sculptée sous les traits de Brigitte Bardot est l'une des plus connues par le public, avait cru pouvoir en déduire que les ayants-droit du sculpteur ne sauraient s'approprier cette «représentation de la République Française ayant vocation à représenter la France» [8].

A suivre l'arrêt d'appel, l'artiste se serait trouvé en quelque sorte exproprié au bénéfice de l'intérêt général à raison même du sujet de son œuvre, alors pourtant que le genre, la forme d'expression ou encore le mérite sont en principe indifférents, conformément aux dispositions de l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3333ADS). En l'absence de quelque fondement textuel que ce soit et sauf à s'intéresser au régime prétorien des actes officiels [9], l'on était bien en peine de comprendre ce qui aurait pu justifier ce traitement de défaveur ; à plus forte raison, dès lors que l'hebdomadaire Le Point n'était certainement pas contraint d'utiliser précisément ce buste de Marianne et aurait pu avoir recours à d'autres interprétations de Marianne. Or, ainsi que l'avait très justement retenu le tribunal en première instance [10], ce n'était pas l'emblème de la Marianne qui avait été reproduit par le magazine sur sa page de couverture mais bien la création de forme concrète portant l'empreinte de la personnalité du sculpteur Aslan [11]. Celui-ci, tout comme ses ayants-droit, pouvait donc légitimement s'opposer à toute exploitation non autorisée de son œuvre. Ce point nous semble difficilement contestable.

 

B - Des critères d'application source d'insécurité juridique

 

La première chambre civile approuve la cour d'appel de Paris d'avoir, dans l'exercice de son pouvoir souverain, écarté l'existence d'un risque de confusion après avoir relevé que le photomontage incriminé reproduisait partiellement [12] l'œuvre en y adjoignant des éléments propres, tels qu'un fond bleu et une immersion ; l'élément matériel précité aurait donc été dument caractérisé. Par ailleurs, en estimant que cette reproduction partielle du buste de Marianne constituait une métaphore humoristique du naufrage prétendu de la République, destinée à illustrer le propos de l'article, «peu important le caractère sérieux de celui-ci», la cour d'appel aurait caractérisé un usage parodique. Les conditions de la parodie étant ainsi réunies, ce serait donc à bon droit que le magazine Le Point aurait invoqué le bénéfice de l'exception de parodie permettant de s'affranchir des droits patrimoniaux d'auteur. A notre sens, la solution juridique ainsi retenue n'est pourtant pas exempte de critique.

 

1°) La parodie ne semble pas pouvoir s'accommoder d'une reproduction à l'identique de l'œuvre supposément parodiée

 

En premier lieu, l'existence même d'une parodie aurait pu à tout le moins prêter à débat. En effet, si la notion de parodie requiert la démonstration de l'absence de «tout risque de confusion avec l'œuvre parodiée», il nous semble légitime d'en déduire une condition pré-requise, à savoir l'existence d'une «œuvre parodiée», autrement dit d'une œuvre transformée. Cette analyse est d'ailleurs confortée par l'arrêt précité du 3 septembre 2014 de la Cour de justice, lequel insiste sur le fait que la parodie doit «évoquer» une œuvre existante «tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci». Par ailleurs, la Cour souligne à plusieurs reprises que le terme "parodie" doit être entendu dans son sens habituel dans le langage courant et prend alors la peine de renvoyer au point 48 des conclusions de l'Avocat général, lesquelles la synthétisent comme suit : «la parodie est, dans son énoncé le plus schématique, structurellement une ‘imitation’ et fonctionnellement ‘burlesque’» [13]. Notons également que, au terme de ses conclusions, l'Avocat général propose une définition de la parodie, «combin[ant] des éléments d'une œuvre antérieure clairement reconnaissable et des éléments suffisamment originaux pour ne pas être raisonnablement confondus avec l'œuvre originale» [14].

 

A la lumière de ces éléments, la notion de parodie nous semble de facto exclure toute reproduction à l'identique de l'œuvre «parodiée». Tel est d'ailleurs globalement le sens de la jurisprudence française [15] (en ce compris celle de la Cour de cassation [16]), requérant «un démarquage, un travestissement ou une subversion de l'œuvre parodiée» [17] ou à tout le moins une «distanciation» [18]. A défaut, l'existence d'un risque de confusion ne saurait être écartée.

 

L'arrêt de la première chambre civile rappelle certes que l'arrêt «Deckmyn» a dit pour droit qu'il est indifférent pour apprécier l'existence d'une parodie que celle-ci porte sur l'œuvre originale elle-même.

A cet égard, il est essentiel de garder à l'esprit que la Cour de justice répondait alors aux questions préjudicielles qui lui étaient posées par le hof van beroep te Brussel, lesquelles étaient donc étroitement liées aux faits de l'espèce dont cette juridiction avait à connaitre : dans cette affaire, un dessin de bandes dessinées représentant un personnage revêtu d'une tunique blanche et jetant des pièces de monnaie à des personnes essayant de les ramasser (l'œuvre parodiée) avait été repris tout en remplaçant le personnage principal par le bourgmestre de la ville de Gand et les collecteurs de pièces par des personnes voilées et de couleur. La question à laquelle l'arrêt du 3 septembre 2014 a donc entendu répondre était la suivante : «une parodie doit-elle […] viser à faire de l’humour ou à railler, sans qu’il importe que la critique éventuellement émise à ce titre touche l’œuvre originaire ou bien quelque chose ou quelqu’un d’autre ?».

En d'autres termes, la Cour de justice a dit pour droit qu'il importe peu que la finalité de la parodie porte sur l'œuvre originale elle-même («parodie de») ou que l'œuvre originale parodiée soit simplement utilisée comme instrument pour transmettre un message humoristique («parodie au moyen de») [19]. Effectivement, dans l'affaire «Deckmyn», la parodie (au sens d'intention critique / humoristique) ne portait pas sur l'œuvre parodiée elle-même [20] mais sur la politique économique du maire de Gand. Pour autant, l'œuvre parodiée avait bien fait l'objet d'une réinterprétation humoristique, pour donner lieu à un dessin nouveau.

Il serait donc, selon nous, inexact d'en déduire que la parodie pourrait être réalisée par reproduction à l'identique de l'œuvre, ce que la formulation ambigüe de l'arrêt du 3 septembre 2014 («œuvre originale elle-même») aurait éventuellement pu laisser à penser.

 

En l'espèce, force est de constater que le photomontage en question ne propose aucune réinterprétation -a fortiori humoristique- de la Marianne du sculpteur Aslan, l'œuvre prétendument parodiée. Force est en effet de constater que ce buste est reproduit à l'identique, de façon certes partielle. Selon nous, l'adjonction d'éléments visuels [21] ne change rien à l'affaire, en l'absence d'une quelconque modification apportée au buste en tant que tel : c'est en effet le buste de Marianne lui-même qui a été reproduit et non pas une parodie de celui-ci. Si la sculpture fait incontestablement partie d'un photomontage à visée éventuellement humoristique, elle n'est qu'une des composantes de la mise en scène, l'objectif n'étant pas de la «parodier». Dès lors, il nous semble abusif de prétendre que le buste de Marianne constituerait à proprement parler une «œuvre parodiée», a fortiori selon les lois du genre visées à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle [22].

Le public continuant à identifier le buste de Marianne comme la création d'Aslan en l'absence de distanciation comique [23], l'existence d'un risque de confusion avec l'«œuvre parodiée» nous semblait difficilement contestable.

 

Quand bien même, de prime abord, elle semblerait conforme à la jurisprudence communautaire, la solution retenue par la première chambre civile n'en reste donc pas moins surprenante. A suivre la Cour de cassation, il suffirait en effet d'associer des éléments visuels même secondaires et d'accoler un message vaguement «humoristique» à une œuvre de l'esprit pour être autorisé à la reproduire intégralement, sans autorisation préalable de son auteur.

Ainsi, les contrefacteurs obtiendraient sur le fondement de la parodie ce que la jurisprudence française leur a toujours refusé au titre de l'exception de courte citation. L'on se souviendra, en effet, que cette même première chambre civile a dit pour droit que «la représentation intégrale d'une œuvre, quelle qu'en soit la forme ou la durée, ne peut relever de l'exercice» du droit de courte citation [24]. Cette différence d'appréciation est-elle véritablement justifiable ?

 

2°) La parodie ne saurait être confondue avec une hypothétique exception d'humour

 

A cela s'ajoute une difficulté liée au caractère pour le moins vague et imprécis du critère moral de «caractère humoristique» requis par la jurisprudence. Laissée au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, cette notion ne va pas sans générer une certaine insécurité juridique.

 

Dans l'affaire qui nous occupe, la cour d'appel de Paris a jugé que si les propos journalistiques illustrés par le photomontage en cause «ne peuvent être qualifiés de satiriques, il n’empêche que le recours à l’humour et à la parodie leur est permis et, force est de constater que la présentation d’un emblème de la République française, immergé tel un naufragé, constitue une illustration humoristique, indépendamment des propos eux-mêmes et de leur sérieux». Ce faisant, elle a retenu une acception singulièrement accueillante de la notion d'humour, libérée de toute envire de faire rire pour se contenter, au mieux, de faire sourire.

Pourtant, il nous semblait que la notion de parodie -dont la Cour de justice rappelle qu'elle doit s'apprécier conformément au sens habituel de ce terme dans le langage courant [25]- contient à tout le moins une dimension comique supplémentaire, proche du «burlesque» ainsi que l'avait d'ailleurs souligné l'Avocat général [26]. Certaines décisions françaises mettent ainsi en avant un critère de «dérision» [27], quand d'autres précisent que la parodie doit viser «à travestir ou à subvertir l'œuvre dans une forme humoristique, avec le dessein de moquer, de tourner en dérision pour faire rire ou sourire» [28].

A cet égard, il est intéressant de relever que, dans une autre affaire, la cour d'appel de Paris a jugé que le seul fait de transformer le visage d'un homme politique en celui d'un singe, accompagné du slogan «CULTURAL (R)EVOLUTION» et d'un pendentif n'avait rien de burlesque et n'avait pas pour but de faire rire [29] ; une décision dont le résultat apparaît dès lors diamétralement opposé à celui retenu ici. Il a également été jugé que la parodie ne peut pas être invoquée lorsqu'est caractérisée une intention de nuire [30] ou à des fins discriminatoires [31].

 

Il convient donc de rappeler avec force que l'exception de parodie doit, par nature, recueillir une interprétation stricte [32], de sorte qu'elle ne saurait être confondue avec une hypothétique exception d'humour qui, concrètement, n'a aucune existence légale.

 

III - Le test des trois étapes ou la nécessaire prise en compte des intérêts légitimes de l’auteur

 

L'article 9.2 de la Convention de Berne prévoit que la reproduction d'une œuvre protégée peut être permise «dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur». L'article 5.5 de la Directive (CE) 2001/29 précitée tout comme l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle contiennent une disposition au libellé quasi similaire, rappelant donc que les exceptions aux droits exclusifs de l'auteur ne vont pas elles-mêmes sans limite et ne doivent pas remettre en question l'équilibre économique du droit d'auteur. Ce «test des 3 étapes» venant ainsi encadrer les exceptions légales aux droits d'auteur il convient de vérifier si ses conditions en sont remplies lorsque le bénéfice d'une de ces exceptions a été retenu par les juridictions.

 

En l'espèce, pour écarter toute exploitation contraire à un usage normal de l'œuvre ou aux intérêts légitimes de l'auteur, la cour d'appel de Paris avait jugé que «la reproduction en cause […] a été ponctuelle, limitée à un seul numéro du Point aujourd'hui écoulé». Elle a été approuvée en cela par la première chambre civile de la Cour de cassation qui écarte toute atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes de l'auteur.

Pourtant, la motivation retenue par l'arrêt du 22 décembre 2017 tend à laisser sceptique dans la mesure où que le caractère passé de la contrefaçon est sans incidence sur sa gravité. Par ailleurs, si cette atteinte a certes été ponctuelle et limitée à un seul numéro, la couverture en cause a été diffusée à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires et a à tout le moins fait l'objet d'un affichage sur les kiosques. Le préjudice subi par l'auteur et son ayant-droit aurait donc été établi.

 

En définitive, il importe de replacer l'exception de parodie dans son contexte et de rappeler qu'elle vient retranscrire une réflexion portant sur la conciliation de différents droits fondamentaux d'égale importance à savoir, d'une part, le droit de propriété dont les droits de propriété intellectuelle sont l'une des manifestations et, d'autre part, la liberté d'expression et l'intérêt général. Cette recherche d'un juste équilibre entre des intérêts antagonistes a été parfaitement exposée par la Cour de justice dans son arrêt «Deckmyn» [33] précité. Le jugement rendu en première instance dans l'affaire qui nous occupe était également très clair à cet égard [34].

 

En l'espèce, la solution finalement retenue ne pourrait s'expliquer que par la circonstance que le buste de Marianne avait été reproduit en couverture d'un magazine pour illustrer un article de presse, outre l'absence d'exploitation commerciale propre [35]. Il faut en tout cas l'espérer. A défaut, l'on comprendrait mal que la liberté d'expression puisse ainsi paralyser le droit d'auteur. D'ailleurs, dans l'affaire «Klasen» concernant également une hypothèse de reproduction à l'identique des œuvres d'autrui, la cour d'appel de renvoi a rendu le 16 mars 2018 un arrêt aux termes duquel elle a rappelé que l'interdiction de représenter ou reproduire les trois photographies originales sans le consentement de leur auteur était proportionnée au but poursuivi, alors au surplus que ces photographies étaient parfaitement substituables et qu'il aurait été loisible de solliciter l'autorisation préalable de cet auteur [36]. Ce raisonnement était selon nous parfaitement transposable à la présente espèce. Il apparaît qu'une solution semble-t-il diamétralement opposée ait été retenue dans la présente affaire. A suivre…

 

[1] CJUE, 3 septembre 2014, aff. C-201/13 (N° Lexbase : A9174MUC).

[2] CJUE, 13 novembre 2018, aff. C-310/17 (N° Lexbase : A0243YLL) ; CJUE, 27 septembre 2017, aff. jointes C-24/16 et C-25/16 (N° Lexbase : A0354WTB).

[3] CJUE, 3 septembre 2014, préc., points 19 et s..

[4] Dans ses conclusions présentées le 22 mai 2014, l'Avocat général M. Pedro Cruz Villalon précise que la nature de «notion autonome» du droit de l'Union n'exclut pas que les Etats membres peuvent jouir d'une large marge d'appréciation pour déterminer ses critères (point 38). Il estime ainsi que, au-delà du rappel des traits structurels incontournables de la parodie, le droit de l'Union laisse suffisamment de marge à la détermination par les ordres juridiques nationaux des Etats membres ayant prévu une telle exception et, en définitive, par leurs tribunaux (point 54).

[5] CJUE, 3 septembre 2014, préc., points 20 et 21.

[6] TGI Paris, 3ème ch., 6 octobre 2016, n° 15/10296 (N° Lexbase : A8628R7P).

[7] CA Paris, 22 décembre 2017, n° 16/20387, préc..

[8] L'arrêt d'appel fourmillait d'ailleurs de références au «symbole» que représente la Marianne, ainsi qu'à son caractère métaphorique et d'«emblème» de la République française.

[9] A l'instar des billets de banque, Cass. civ. 1, 5 février 2002, n° 00-11.588, FS-P (N° Lexbase : A9332AXW).

[10] «Il convient tout d'abord de souligner que l'œuvre revendiquée n'est pas le symbole de Marianne ou de la République, mais la sculpture du buste de Brigitte Bardot en Marianne créée par Aslan sur laquelle les ayants-droit de ce dernier ont des droits d'auteur. Aussi le défendeur ne peut légitimement soutenir que ce buste est insusceptible d'appropriation».

[11] La cour d'appel soutient pourtant le contraire en insistant sur le fait que l'œuvre d'Aslan ne serait pas atteinte dans son intégrité, ni dévalorisée «dans la mesure où c'est la République française qui est représentée sous forme de la métaphore du buste de Marianne en train de sombrer»…

[12] Seule la tête du buste de Marianne était reproduite.

[13] Cf également, points 49 et 50 : «sous l'angle que je me permets de qualifier de structurel, la parodie est en même temps copie et création. […] Cette œuvre antérieure, dont certaines des caractéristiques sont copiées, doit également être reconnaissable par le public auquel la parodie s'adresse» ; point 67 : «en définitive, la parodie vise un effet déterminé, presque comme conséquence nécessaire du remaniement d'une œuvre antérieure».

[14] Point 89.

[15] CA Versailles 16 mars 2018, 15/06029 (N° Lexbase : A1114XHQ), sur renvoi après cassation («l'exception de parodie concerne l'œuvre en elle-même ; elle ne saurait être caractérisée par la seule reprise de celle-ci dans une œuvre même à visée de critique sociale […] ; force est de constater qu'en elles-mêmes, les photographies de M. Alix Malka ne sont pas parodiées») ; TGI Paris, 3ème ch., 5 juillet 2002, n° 02/05387 (N° Lexbase : A6087A7L ; ayant retenu l'existence d'un risque de confusion s'agissant de la couverture d'un magazine reprise aux deux tiers à l'identique au sein d'un montage) ; TGI Paris, 13 février 2002 («Il convient cependant de relever que les photographies en cause ont été largement diffusées dans le cadre de reportages […] ; que leur reproduction pure et simple, que la légère altération de leur contour ne vient pas atténuer, ne permet pas d'éviter le risque de confusion avec l'œuvre première alors que celle-ci, intacte, demeure chargée dans son sens premier nonobstant les légendes qui peuvent y être associées»).

[16] Cass. civ. 1, 3 juin 1997, n° 95-14. 664, publié (N° Lexbase : A0478ACP) : «[…] sans avoir à répondre au moyen tiré du caractère caricatural ou parodique de la publication, que ses constatations démentaient, la photographie publiée ne constituant aucune modification ou travestissement de l'œuvre dans le sens invoqué […]».

[17] TGI Paris, 19 avril 2013, n° 13/52513 (N° Lexbase : A7324KM9).

[18] CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 18 février 2011, n° 09/19272 (N° Lexbase : A2998GXC).

[19] En ce sens, Conclusions de l'Avocat général du 22 mai 2014, point 61.

[20] L'intention du parodiste n'étant manifestement pas de se moquer du dessin en tant que tel.

[21] D'ailleurs très secondaires.

[22] En ce sens, CA Versailles, 7 septembre 2018, n° 16/08909 (N° Lexbase : A6255X33) : la cour soulignait notamment que la reproduction litigieuse transformait la photographie en un dessin.

[23] En ce sens, CA Paris, 1ère ch., sect. B, 17 janvier 2003, n° 2000/19027 (N° Lexbase : A7724C8L).

[24] Cass civ. 1, 13 novembre 2003, n° 01-14.385, FS-P (N° Lexbase : A1248DAH) ; Cass. civ. 1, 4 juillet 1995, n° 92-20.199, publié (N° Lexbase : A7347ABQ).

[25] CJUE, 3 septembre 2014, préc. point 19.

[26] Cf. conclusions de l'Avocat général présentées le 22 mai 2014, notamment les points 47, 48 et 89.

[27] CA Versailles, 16 mars 2018, préc., sur renvoi après cassation.

[28] CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 18 février 2011, n° 09/19272 (N° Lexbase : A2998GXC).

[29] CA Paris, 4ème ch., sect. B, 13 octobre 2006, n° 05/13815 (N° Lexbase : A6805DST).

[30] TGI Paris, 3ème ch.,15 janvier 2015, n° 14/13168 (N° Lexbase : A6525NAW)   : transformation de L'aigle noir de Barbara en Le rat noir.

[31] CJUE, 3 septembre 2014, préc. (les titulaires de droits ayant un intérêt légitime à ce que l'œuvre protégée ne soit pas associée à un tel message).

[32] Exceptio est strictissimae interpretationis.

[33] CJUE, 3 septembre 2014, préc., points 25 et 26.

[34] «C'est le principe de la liberté d'expression qui sous-tend l'exception légale de parodie prévue en droit d'auteur par le Code de la propriété intellectuelle. La parodie ou la satire sont des formes d'expression artistique et de commentaire social qui visent à provoquer un débat d'intérêt général».

[35] Quand bien même, conformément à la liberté d’expression, l’utilisation d’une illustration dans le seul but commercial et publicitaire n’exclut pas l’exception de parodie : CA Versailles, 7 septembre 2018, n° 16/08909, préc. ; CA Paris, 13 octobre 2006, n° 05/13815, préc..

[36] CA Versailles, 16 mars 2018, n° 15/06029, préc..

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