La lettre juridique n°788 du 27 juin 2019 : Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Pratique professionnelle] L’indemnisation judiciaire des préjudices du salarié en cas de faute inexcusable de l’employeur : de la théorie à la réalité

Lecture: 21 min

N9560BXD

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Pratique professionnelle] L’indemnisation judiciaire des préjudices du salarié en cas de faute inexcusable de l’employeur : de la théorie à la réalité. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/52028108-pratique-professionnelle-lindemnisation-judiciaire-des-prejudices-du-salarie-en-cas-de-faute-inexcus
Copier

par Rodolphe Olivier, Avocat associé, et Dorian Moore, Avocat - CMS Francis Lefebvre Avocats

le 26 Juin 2019

La décision de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), portant reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, emporte au profit du salarié qui en est la victime une meilleure indemnisation au plan du droit de la Sécurité sociale que lorsque lesdits accident et maladie ne relèvent pas de la législation professionnelle [1].

Parallèlement, en droit du travail, le salarié bénéficie en pareille situation d’une certaine protection [2], ce qui n’est pas le cas en présence d’une maladie «simple». Il perçoit également, lors de la rupture du contrat de travail, singulièrement lorsque son licenciement intervient en conséquence de son inaptitude physique, des indemnités de rupture majorées par rapport à un salarié déclaré par le médecin du travail inapte en raison d’une maladie qui n’a pas de lien avec son travail [3].

Le salarié a donc un intérêt légitime à se voir reconnaître, par la CPAM ou par le juge de la Sécurité sociale, la qualité de victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

De son côté, pour ne pas voir imputer sur son «compte employeur» les conséquences financières de la prise en charge de l’accident ou de la maladie au titre de la législation professionnelle, l’employeur aura tout intérêt à contester auprès de la commission de recours amiable de la CPAM, puis devant le juge de la Sécurité sociale, le caractère professionnel de ceux-ci et/ou à rechercher, à tout le moins, l’inopposabilité, à son profit, de la décision de reconnaissance de la CPAM, pour que celle-ci soit neutralisée dans ses effets et qu’il se voit retranché de ses bases de tarification les sommes indûment mises à sa charge, et obtienne la révision de son taux de cotisation auprès de la CARSAT.

L’optimisation financière recherchée par le salarié se trouve à un second niveau, en l’occurrence au moment de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par la juridiction de Sécurité sociale.

L'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5300ADN) précise en effet que «lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants».

La faute inexcusable de l’employeur est constituée lorsque ce dernier a eu ou aurait dû avoir conscience ou connaissance du danger auquel était exposé le salarié, et n'a pas pris les mesures nécessaires pour le prévenir ou l’en préserver [4]. Elle est, au plan juridique, la matérialisation de l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l’employeur.

Une fois admise par l’employeur (ce qui est rare en pratique) ou reconnue par le juge de la Sécurité sociale, la faute inexcusable est théoriquement de nature à permettre au salarié de bénéficier de l’indemnisation de ses différents préjudices, et de faire peser sur l’employeur les conséquences financières de sa propre faute (inexcusable).

Il sera successivement revenu :

  • sur les sources de préjudices visées à l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5302ADQ), qui constituent historiquement le socle d’indemnisation des préjudices observés par le salarié (1),
  • puis sur l’apport de la décision n° 2010-8 du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 (Cons. const., décision n° 2010-8 QPC, du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9572EZK), qui offre une ouverture significative en termes de prise en charge judiciaire des préjudices dès lors qu’ils ne trouvent pas leur origine dans l’une ou l’autre des dispositions expressément visées par le Livre IV du Code de la Sécurité sociale (2),
  • enfin sur la position de la Cour de cassation, qui depuis lors est venue mettre en application cette décision (3).

Il sera alors constaté que de nombreuses sources de préjudices ne peuvent donner lieu à indemnisation par le juge de la Sécurité sociale, ce qui peut frustrer les salariés espérant, en ayant fait reconnaître la faute inexcusable de leur employeur, atteindre le Graal financier.

1 - L’indemnisation visée à l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale : la base historique de la réparation des préjudices du salarié

Cet article précise que :

«Indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de Sécurité Sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

De même, en cas d'accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L. 434-7 et suivants (N° Lexbase : L5274ADP) ainsi que les ascendants et descendants qui n'ont pas droit à une rente en vertu desdits articles, peuvent demander à l'employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur».

Il résulte de ces dispositions qu’au-delà du fait qu’en cas de faute inexcusable de son employeur il observe mécaniquement une majoration de la rente qu’il percevait jusqu’alors (en conséquence de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle dont il a été victime) [5], le salarié qui fait reconnaître la faute inexcusable de son employeur peut demander réparation des préjudices suivants, pour autant bien entendu qu’ils soient démontrés aussi bien dans leur existence que dans leur étendue.

♦ Les souffrances physiques et morales endurées

Seules les souffrances observées avant la consolidation peuvent donner lieu à réparation. Sont ici concernées les souffrances liées au déficit fonctionnel temporaire qui vise, s’agissant de la période antérieure à la consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle, les temps correspondant à l’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique [6].

A l’inverse, les souffrances physiques ou morales postérieures à la consolidation ont été considérées par la Cour de cassation comme étant déjà indemnisées par la majoration de la rente au titre du déficit fonctionnel permanent. En effet, seules sont indemnisables les souffrances physiques ou morales non prises en charge au titre du déficit fonctionnel permanent, lequel est déjà réparé par l’attribution de la rente majorée [7].

Pour la Cour de cassation, il y a donc lieu de distinguer les souffrances observées pendant la période antérieure à la consolidation de l’état de la victime (susceptibles d’être indemnisées) et les souffrances permanentes indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent réparé par la rente d’accident du travail majorée, qui ne peuvent donner lieu à une indemnisation supplémentaire par le juge de la Sécurité sociale [8]. Ces souffrances ne sont pas réparées par la rente d’incapacité.

♦ Les préjudices esthétiques

Selon la Cour de cassation, le salarié peut solliciter une indemnisation au titre du préjudice esthétique temporaire, qui est distinct du préjudice esthétique permanent. Il doit être évalué en considération de son existence, avant la consolidation [9].

♦ Les préjudices d’agrément

Le préjudice d’agrément s’entend de «l'impossibilité de continuer à pratiquer une activité spécifique sportive ou de loisirs» [10]. Il est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir [11].

Il en résulte, selon la Cour de cassation, qu’une cour d'appel ne saurait allouer à la victime une indemnisation sur la base d'un préjudice d'agrément, sans rechercher si, au titre de ce préjudice, la victime justifiait d'une activité spécifique sportive ou de loisir [12] antérieure à la maladie [13].

Dans une affaire tranchée le 19 janvier 2017 [14], la Cour de cassation a pu estimer que le préjudice d’agrément était constitué en se fondant sur une attestation de l’épouse du salarié relatant que ce dernier ne pouvait plus s’adonner, du fait de sa maladie, aux activités de bricolage, de pétanque et de tir à l’arc.

De la même manière, une cour d’appel ne peut pas, pour fixer le quantum du préjudice d'agrément subi de son vivant par la victime, retenir que ce préjudice doit être réévalué en tenant compte des troubles graves ressentis dans ses conditions d'existence par le salarié à la fin de sa vie sans caractériser de troubles qui ne soient pas déjà réparés au titre du déficit fonctionnel permanent [15].

♦ Le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotions professionnelles

Selon la jurisprudence, la réparation de ce préjudice ne peut intervenir qu'à la condition que l'intéressé produise les éléments établissant que ses chances avaient un caractère sérieux et certain, et n'étaient pas seulement hypothétiques. Les juges du fond disposent à cet égard d'un pouvoir souverain d’appréciation.

A titre d’illustration, la Cour de cassation a estimé :

  • qu’il ne pouvait être fait droit à une demande d'indemnisation d'un événement futur favorable qu'à la condition que cet événement ne soit pas simplement virtuel et hypothétique et qu’il appartenait à celui qui entend obtenir réparation au titre de la perte de chance de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que la survenance de l'événement dont il a été privé était certaine avant la survenance du fait dommageable. De telle sorte que l'intéressé, en s'abstenant de justifier tant du cursus scolaire et professionnel dont il faisait état que d'un processus de chance de promotion professionnelle qui aurait été interrompu par la survenance du dommage, échoue dans cette démonstration [16] ;
  • que le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle dont la victime peut demander réparation à l'employeur qui se voit imputer une faute inexcusable à l'origine de l'accident, est distinct du préjudice résultant du déclassement professionnel déjà compensé par l'attribution d'une rente majorée. La cour d'appel retenant, d'une part, qu'au moment de l'accident la victime, qui avait échoué aux épreuves du CAP de cuisine, était employée par la société en qualité d'agent de fabrication, qu'au regard de son jeune âge, de sa très courte ancienneté, et de l'absence de qualification du poste occupé, elle n'établissait pas avoir eu dans l'entreprise ou dans cette filière professionnelle des chances sérieuses de promotion qu'elle aurait perdues par le fait de l'accident, et, d'autre part, que la qualification en secrétariat invoquée a été acquise postérieurement à l'accident, a pu en déduire l'absence de preuve d'un préjudice distinct de celui de la rente majorée [17] ;
  • qu'une cour d'appel peut décider que la preuve d'un préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle n'est pas rapportée dès lors que, au moment de l'accident, l'intéressé était âgé de 19 ans, n'avait aucune qualification, avait échoué à son examen de CAP, et ne prévoyait aucune formation qualifiante, l'évolution de carrière espérée, au travers notamment d'une embauche au sein de la société employant sa mère étant, par ailleurs, purement hypothétique [18] ;
  • que la victime d'un accident du travail doit être déboutée de sa demande de réparation de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle dès lors qu'elle ne démontre aucun préjudice, puisque l'intéressée, chef d'équipe et de chantier dans le bâtiment, a fait l'objet d'un licenciement économique peu de temps après son accident et, après échec de plusieurs tentatives de reclassement, n'a pas retrouvé d'emploi [19] ;
  • qu’une cour d'appel décide à juste titre que la demande en réparation d'un préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle n'est pas justifiée dès lors qu’au moment de l'accident, la victime, étudiante, ne possédait ni diplôme, ni formation professionnelle, ne travaillait pas, et que par ailleurs, sa situation ne pouvait lui laisser espérer une chance de promotion professionnelle [20] ;
  • qu’un travailleur saisonnier qui ne peut établir que son contrat de travail avait vocation à être renouvelé ou qu’il était susceptible d’évoluer dans l’entreprise ne peut invoquer une perte de promotion professionnelle [21].

2 - La décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 a étendu, sous certaines limites, l’indemnisation d’autres sources de préjudices que ceux visés ci-avant

Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a considéré dans une décision n° 2010-8 du 18 juin 2010 (préc.) «[…] qu’indépendamment de cette majoration, la victime ou, en cas de décès, ses ayants droit peuvent, devant la juridiction de Sécurité sociale, demander à l’employeur la réparation de certains chefs de préjudice énumérés par l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5302ADQ) ; qu’en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le Livre IV du Code de la Sécurité sociale».

Dans cette même décision, le Conseil constitutionnel a «validé», dans son considérant n° 17, le plafonnement de l’indemnisation destinée à compenser la perte de salaire, tel qu’institué à l’article L. 452-2 du Code de la Sécurité sociale. Une juste proportionnalité est, en effet, selon lui, respectée entre le souci d’indemnisation des victimes et les objectifs d’intérêt général.

Il ressort de cette décision du Conseil constitutionnel que le salarié, en la présence d’une faute inexcusable de son employeur, a la possibilité de présenter une demande indemnitaire concernant l’ensemble de ses préjudices, pour autant qu’ils ne soient pas couverts par l’une ou l’autre des dispositions se trouvant dans le Livre IV du Code de la Sécurité sociale.

La Cour de cassation a repris cette solution à son compte, au terme d’un arrêt qu’elle a rendu le 30 juin 2011 [22].

Puis, dans trois arrêts en date du 4 avril 2012 [23], la Haute cour a estimé que le salarié pouvait prétendre à la réparation de chefs de préjudices n’étant pas couverts, en tout ou en partie, par l’une ou l’autre des dispositions du Livre IV du Code de la Sécurité sociale. A l’inverse, elle a estimé que le salarié ne pouvait prétendre à la réparation des chefs de préjudices qui était assurée, en tout ou partie, par les prestations résultant du Livre IV précité.

On pouvait donc imaginer, à la lecture de la position exprimée par le Conseil constitutionnel, une réparation plus large, à l’initiative du juge de la Sécurité sociale, des différents préjudices subis par le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Ce fut le cas en partie.

Mais en pratique, force est de constater que l’ouverture -sous les conditions explicitées ci-avant- imaginée par le Conseil constitutionnel, prive en réalité les salariés d’une partie significative de leurs différentes sources de préjudices.

L’analyse de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui va suivre, le démontre aisément.

3 - L’application par la Cour de cassation du principe défini par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 juin 2010

La Cour de cassation, depuis la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010, a reconnu la prise en charge de certains préjudices (a). Elle rejette, en revanche, l’indemnisation de nombreuses sources de préjudices subies par le salarié dès lors qu’elles trouvent leur origine dans l’une des dispositions figurant dans le Livre IV du Code de la Sécurité sociale. Etant au demeurant précisé qu’elle juge régulièrement que la majoration de la rente, conséquence induite de la faute inexcusable de l’employeur, englobe en elle-même plusieurs sources de préjudices dont il n’est pas possible, pour le salarié, de demander réparation de manière spécifique (b).

a) Les préjudices réparés par le juge de la Sécurité sociale depuis la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010

En sus des préjudices expressément visés par l’article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, et susceptibles de donner lieu à une indemnisation par le juge de la Sécurité sociale, la Cour de cassation admet la prise en charge, notamment, des préjudices suivants :

♦ Le préjudice sexuel

Dans son arrêt du 4 avril 2012 [24], confirmé depuis lors [25], la Cour de cassation a considéré, en rupture avec sa jurisprudence antérieure, que le préjudice sexuel constituait un chef de préjudice distinct du préjudice d'agrément, et qu'il pouvait donc donner lieu à une réparation spécifique.

Le préjudice sexuel recouvre plusieurs situations : le préjudice sexuel morphologique (atteinte aux organes sexuels), le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même (perte du plaisir lié à l’acte sexuel) et le préjudice lié à l’impossibilité ou à la difficulté d’avoir des enfants.

Récemment, la Cour de cassation a jugé que «le préjudice sexuel comprend l’ensemble des préjudices touchant à la sphère sexuelle» [26].

Pour une illustration aussi originale que savoureuse sur ce sujet, on peut se référer à l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 1er février 2019 [27] qui a mentionné : «l'expert a relevé qu'il ressort de l'interrogatoire de M. X  [le salarié] que ce dernier se plaint de ne plus pouvoir réaliser certaines positions sexuelles en position debout. Il ne nous semble pas que cette position amoureuse soit la plus répandue (si l'on se réfère au guide du Kamasoutra qui fait autorité dans ce domaine). De ce fait, s'il existe un préjudice sexuel, il est très minime [...]».

♦ Le déficit fonctionnel temporaire

Selon la Cour de cassation, le déficit fonctionnel temporaire inclut plus généralement, pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique [28].

♦ Le préjudice permanent exceptionnel

Peut être indemnisé un préjudice permanent exceptionnel afférent à un préjudice extra-patrimonial atypique, directement lié au handicap permanent qui prend une résonance particulière pour certaines victimes en raison soit de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable, notamment de son caractère collectif pouvant exister lors de catastrophes naturelles, industrielles ou d'attentats.

♦ Le préjudice d’établissement

La Cour de cassation a défini ce préjudice indemnisable comme étant celui réparant la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap [29]. Tel n’est pas le cas, par exemple, d’un salarié âgé de 59 ans au jour de la décision, marié et père d’un enfant de 30 ans, qui vivait encore au domicile parental [30].

♦ Les frais d’aménagement du logement, dès lors qu’ils correspondent au besoin réel du salarié, tels que justifiés par son état de santé [31] et d’acquisition d’un véhicule adapté au handicap [32]

♦ Les frais d’assistance d’un médecin conseil à l’expertise médicale [33]

♦ Les frais d’assistance d’une tierce personne avant la consolidation [34]

♦ Les frais de déplacement engagés par le salarié pour se rendre à l’expertise ordonnée par le juge de la Sécurité sociale, ces dépenses ne figurant pas parmi les chefs de préjudice expressément couverts par le Livre IV du Code de la Sécurité sociale [35].

♦ Le préjudice résultant du refus d’assurance pour le prêt immobilier que le salarié entendait souscrire [36]

♦ Le préjudice universitaire constitué par les modifications successives d’orientation nécessitées par le handicap du salarié [37].

b) Les préjudices ne donnant pas lieu à indemnisation par le juge de la Sécurité sociale, car trouvant leur source dans le Livre IV du Code de la Sécurité sociale et étant déjà indemnisés via la majoration de la rente

Ne donnent ainsi pas lieu à indemnisation par le juge de la Sécurité sociale :

  • le préjudice lié au déficit fonctionnel permanent (lequel vise l’atteinte physiologique découlant de l’incapacité, la perte de gains professionnels pendant la phase traumatique, l’incidence professionnelle de l’incapacité et le préjudice d’établissement ainsi que le bouleversement de la vie familiale et personnelle), qui couvre déjà la perte de la qualité de vie de la victime, ainsi que les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité [38] ;
  • la perte des revenus professionnels résultant de l’incapacité permanente partielle qui subsiste le jour de la consolidation [39] ;
  • la perte de revenus professionnels pendant la période antérieure à la consolidation, qui est compensée par le versement d’indemnités journalières, la perte de gains professionnels résultant de l’incapacité permanente partielle qui subsistait au jour de la consolidation, ainsi que l’incidence professionnelle de l’incapacité et le déficit fonctionnel permanent subis par le salarié, lesquels sont indemnisés par l’attribution de la rente d’incapacité permanente majorée [40] ;
  • la demande d'un salarié victime d'un accident du travail tenant au paiement de la perte de salaire qu’il a subie. Le salarié estimait pouvoir bénéficier de la différence entre les salaires qu'il aurait dû percevoir s'il avait travaillé et les indemnités journalières dont il a bénéficié en conséquence de son arrêt de travail [41] ;
  • la perte de l’emploi ainsi que la perte de droits à retraite [42] ;
  • les frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires, les frais de transport et, d’une façon générale, les frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle et le reclassement de la victime, lesquels figurent parmi les chefs de préjudice expressément couverts par le Livre IV du Code de la Sécurité Sociale (CSS, art. L. 431-1, L. 432-6 N° Lexbase : L5254ADX à L. 432-12, L. 481-1 N° Lexbase : L5321ADG et L. 481-2 N° Lexbase : L0855IZP) [43] et les dépenses de santé actuelles et futures (CSS, art. L. 431-1 et L. 432-1 N° Lexbase : L8761KUZ à L 432-4-1) ;
  • le recours à l’assistance d’une tierce personne après la consolidation, qui est déjà indemnisé par l’article L. 434-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8917KUS) [44] ;
  • les frais de transport engagés pour se rendre chez le kinésithérapeute aux fins de bénéficier de soins en lien avec l'accident du travail [45] et plus généralement les frais de déplacement ;
  • les dépenses d’appareillage et de santé au sens de l’article L. 431-1 du Code de la Sécurité sociale (en l’espèce, les dépenses liées à l’acquisition d’une table de lit, d’un fauteuil électrique complémentaire ou de repos, de changes, d’alèses et de savon) [46] ;
  • les préjudices subis par la victime avant l’accident (exemple : souffrances endurées par la victime dans le contexte de conditions de travail particulièrement stressantes avant qu’elle ne commette un suicide) [47] ;

On peut ajouter à cette liste, notamment :

 

                                                                                                  ♦  ♦  ♦

 

Au plan des principes, la faute inexcusable permet au salarié de majorer significativement ses droits résultant de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle dont il a été la victime.

Encore faut-il qu’il recense puis qualifie justement les différentes sources de préjudices qu’il estime avoir subies afin d’éviter, autant que possible, d’en être débouté par le juge de la Sécurité sociale.

Il sera, pour partie, aiguillé, en cela, par le rapport de l’expert susceptible d’être désigné par la juridiction de la Sécurité sociale.

Ajoutons à cela le fait que, pour être audible, le salarié doit être crédible dans l’énoncé de ses chefs de préjudices, dans la justification de chacun d’eux, ainsi que dans l’étendue de l’indemnisation sollicitée.

Il reste que, sur certains sujets, le salarié pourra faire valoir d’autres sources de préjudices devant non plus le juge de la Sécurité sociale, mais le conseil de prud’hommes, singulièrement lorsqu’il s’est vu notifier son licenciement consécutivement à une inaptitude physique d’origine professionnelle.

 

[1] Cf. CSS, art. L. 431-1 et s. (N° Lexbase : L8044LGZ).

[2] En ce sens, notamment, article L. 1226-9 du Code du travail (N° Lexbase : L1024H9S).

[3] C. trav., art. L. 1226-14 (N° Lexbase : L1033H97).

[4] En ce sens notamment, Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-13.179, inédit au bulletin (N° Lexbase : A0616AYH) ; Cass. soc., 11 avril 2002, n° 00-16.535, publié, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4836AYR) ; Cass. civ. 2, 14 octobre 2003, n° 02-30.257, FS-D (N° Lexbase : A8348C93) ; Ass. plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038 (N° Lexbase : A8502DIQ).

[5] CSS, art. L. 452-2 (N° Lexbase : L7113IUY).

[6] En ce sens notamment, Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-14.311, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6498IH7) ; Cass. civ. 2, 7 mai 2014, n° 12-23.962, F-D (N° Lexbase : A9290MKB).

[7] En ce sens notamment, Cass. civ. 2, 25 janvier 2018, n° 17-10.299, F-D (N° Lexbase : A8488XBY) ; Cass. civ. 2, 28 février 2013, n° 11-19.850, FP-D (N° Lexbase : A8719I8G) ; Cass. civ. 2, 31 mars 2016, n° 14-30.015, FS-P+B (N° Lexbase : A1529RBA) ; Cass. civ. 2, 19 janvier 2017, n° 15-29.437, F-D (N° Lexbase : A7018S9S) ; Cass. civ. 2, 16 juin 2016, n° 15-18.592, F-D (N° Lexbase : A5518RTK) ; Cass. civ. 2, 26 mai 2016, n° 15-18.591, F-D (N° Lexbase : A0314RR3) ; Cass. civ. 2, 31 mars 2016, n° 14-30.015, FS-P+B (N° Lexbase : A1529RBA).

[8] Cass. civ. 2, 20 décembre 2018, n° 17-29.023, F-D (N° Lexbase : A6742YR7).

[9] Cass. civ. 2, 7 mai 2014, n° 13-16.204, F-D (N° Lexbase : A9324MKK).

[10] En ce sens notamment, Cass. civ. 2, 7 mai 2014, n° 12-23.962, F-D (N° Lexbase : A9290MKB).

[11] Cass. civ. 2, 28 février 2013, n° 11-21.015, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8812I8U).

[12] Par exemple, l’horticulture (Cass. civ. 2, 2 mars 2017, n° 15-27.523, F-P+B N° Lexbase : A9941TRM), le bricolage, le jardinage…

[13] En ce sens notamment Cass. civ. 2, 25 janvier 2018, n° 17-10.299, F-D (N° Lexbase : A8488XBY) ; Cass. civ. 2, 26 mai 2016, n° 15-18.591, F-D (N° Lexbase : A0314RR3) ; Cass. civ. 2, 9 juillet 2015, n° 14-16.006, F-D (N° Lexbase : A7659NMM) ; Cass. civ. 2, 17 décembre 2015, n° 14-28.858, F-D (N° Lexbase : A8627NZK).

[14] Cass. civ. 2, 19 janvier 2017, n° 15-29.437, F-D (N° Lexbase : A7018S9S).

[15] Cass. civ. 2, 14 mars 2013, n° 11-24.237, F-D (N° Lexbase : A9612I9U).

[16] Cass. civ. 2, 11 mars 2010, n° 09-12.451, F-D (N° Lexbase : A1805ETZ).

[17] Cass. civ. 2, 1er juillet 2010, n° 08-13.155, F-D (N° Lexbase : A2192E4X).

[18] Cass. civ. 2, 19 décembre 2013, n° 12-28.025, F-D (N° Lexbase : A7281KSH).

[19] Cass. civ. 2, 7 juillet 2011, n° 10-24.161, F-D (N° Lexbase : A9777HUN).

[20] Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-22.768, F-D (N° Lexbase : A6649HUS).

[21] Cass. civ. 2, 10 mai 2012, n° 11-13.381, F-D (N° Lexbase : A1185ILH).

[22] Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-19.475, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6615HUK).

[23] Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-18.014, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1272IIX) et n° 11-10.308, FS-P+B (N° Lexbase : A1246IIY).

[24] Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-14.311, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6498IH7).

[25] Cass. civ. 2, 28 juin 2012, n° 11-16.120, F-P+B (N° Lexbase : A1215IQ3) ; Cass. civ. 2, 28 février 2013, n° 11-21.015, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8812I8U).

[26] Cass. civ. 2, 4 avril 2019, n° 18-13.704, F-D (N° Lexbase : A3316Y8C).

[27] CA Aix-en-Provence, 1er février 2019, n° 16/09154 (N° Lexbase : A0191YWY).

[28] Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-14.311, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6498IH7).

[29] Cass. civ. 2, 2 mars 2017, n° 15-27.523, F-P+B (N° Lexbase : A9941TRM) ; Cass. civ. 2, 14 juin 2018, n° 17-20.125, F-D (N° Lexbase : A3321XRG).

[30] Cass. civ. 2, 14 juin 2018, n° 17-20.125, F-D (N° Lexbase : A3321XRG).

[31] Cass. civ. 2, 12 février 2015, n° 13-17.677, F-D (N° Lexbase : A4384NBY).

[32] Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-19.475, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6615HUK).

[33] Cass. civ. 2, 18 décembre 2014, n° 13-25.839, F-P+B (N° Lexbase : A2797M84) ; Cass. civ. 2, 12 février 2015, n° 13-17.677, F-D, préc..

[34] Cass. civ. 2, 11 octobre 2018, n° 17-23.312, F-D (N° Lexbase : A3239YG3).

[35] Cass. civ. 2, 4 avril 2019, n° 18-13.704, F-D (N° Lexbase : A3316Y8C).

[36] Cass. civ. 2, 11 octobre 2018, n° 17-23.312, F-D (N° Lexbase : A3239YG3).

[37] Cass. civ. 2, 18 mai 2017, n° 16-11.190, F-D (N° Lexbase : A5001WDL).

[38] Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-15.393, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6499IH8).

[39] Cass. civ. 2, 13 octobre 2011, n° 10-15.649, FS-D (N° Lexbase : A7707HY4).

[40] Cass. civ. 2, 30 novembre 2017, n° 16-25.058, F-D (N° Lexbase : A4662W4G).

[41] Cass. civ. 2, 20 septembre 2012, n° 11-20.798, F-D (N° Lexbase : A2590IT4).

[42] Cass. soc., 6 octobre 2015, n° 13-26.052, FS-P+B (N° Lexbase : A0549NTI) ; Cass. mixte, 9 janvier 2015, n° 13-12.310, P+B+R+I (N° Lexbase : A0773M9I) ; Cass. soc., 3 mai 2018, n° 14-20.214, FS-P+B (N° Lexbase : A4314XMQ).

[43] Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-18.014, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1272IIX) ; Cass. civ. 2, 7 novembre 2013, n° 12-25.744, F-D (N° Lexbase : A2109KPS) ; Cass. civ. 2, 20 décembre 2012, n° 11-21.518, FS-D (N° Lexbase : A1636IZM) ; Cass. civ. 2, 2 mars 2017, n° 15-27.523, F-P+B (N° Lexbase : A9941TRM).

[44] Cass. civ. 2, 20 juin 2013, n° 12-21.548, FS-P+B (N° Lexbase : A2014KH3) ; Cass. civ. 2, 2 mars 2017, n° 15-27.523, F-P+B (N° Lexbase : A9941TRM).

[45] Cass. civ. 2, 7 novembre 2013, n° 12-25.744, F-D (N° Lexbase : A2109KPS).

[46] Cass. civ. 2, 19 septembre 2013, n° 12-18.074, F-P+B (N° Lexbase : A4896KLW).

[47] Cass. civ. 2, 19 septembre 2013, n° 12-22.156, F-D (N° Lexbase : A5065KL8).

newsid:469560

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus