Le Quotidien du 7 juin 2019 : Droit financier

[Brèves] Abus de marché et Ne bis in idem : condamnation de la France, sans réserve…

Réf. : CEDH, 6 juin 2019, Req. 47342/14 (N° Lexbase : A3061ZDQ)

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[Brèves] Abus de marché et Ne bis in idem : condamnation de la France, sans réserve…. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/51630101-0
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par June Perot

le 18 Juin 2019

► La double poursuite et la double condamnation d’une personne, par l’AMF et par les juridictions pénales, pour des faits identiques, entraîne un préjudice disproportionné et constitue ainsi une violation de l’article 4 du Protocole n° 7 de la CESDH (N° Lexbase : L4679LAK) ;

► Pour conclure à la violation de cet article, la Cour strasbourgeoise estime tout d’abord qu’il n’existait pas de lien matériel suffisamment étroit entre les deux procédures, l’AMF et les juridictions pénales, compte tenu, d’une part, de l’identité des buts visés et, dans une certaine mesure, d’une répétition dans le recueil des éléments de preuve par différents services d’enquête ; d’autre part et surtout, de l’absence d’un lien temporel suffisamment étroit pour considérer les procédures comme s’inscrivant dans le mécanisme intégré de sanctions, prévu par le droit français.

 

Telle est la position adoptée par la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt de chambre rendu le 6 juin 2019 (CEDH, 6 juin 2019, Req. 47342/14 N° Lexbase : A3061ZDQ).

 

Les faits de l’espèce concernaient un analyste financier français qui avait réalisé des transactions sur le titre d’une société cotée en bourse (FPR) en utilisant quatre comptes bancaires sur lesquels il disposait d’un pouvoir, afin de dégager une plus-value substantielle. Le secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a décidé de faire procéder à une enquête sur le marché du titre concerné à compter du 1er janvier 2006. Le 26 février 2006, la direction des enquêtes et de la surveillance des marchés de l’AMF a déposé son rapport d’enquête aux termes duquel les opérations effectuées par l’analyste requérant sur le titre FPR étaient susceptibles d’être considérées comme constitutives d’une opération de manipulation. Le rapport a relevé, notamment, la forte activité de l’intéressé sur le titre FPR au vu du nombre d’ordres passés et annulés, ainsi que des opérations réalisées, dont 25 en face-à-face entre les quatre comptes gérés par lui. Le rapport de l’AMF a conclu que cela avait eu pour effet de provoquer une hausse du cours, ainsi que des réservations de cotation de l’action à la hausse.

 

Le 20 décembre 2007, la Commission des sanctions de l’AMF a infligé une sanction de 250 000 euros à l’intéressé, outre la publication de la décision. La cour d’appel de Paris a rejeté le recours formé par l’analyste et la Cour de cassation a rejeté son pourvoi (Cass. com., 10 novembre 2009, n° 08-21.073, F-D N° Lexbase : A1852ENW). Informé des faits, le procureur de la République a chargé la brigade financière de procéder à une enquête préliminaire. Le 8 avril 2009, alors que le pourvoi relatif à la sanction prononcée par l’AMF était pendant, l’intéressé a été cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris, afin d’y être jugé pour délit d’entrave au fonctionnement régulier d’un marché financier. Estimant que la citation reprenait littéralement les mêmes faits que ceux pour lesquels il avait été condamné par l’AMF, ce dernier a déposé des conclusions soulevant la violation du principe ne bis in idem protégé par l’article 4 du Protocole n° 7 de la Convention. Le tribunal correctionnel a rejeté ses conclusions et l’a déclaré coupable des faits reprochés, le condamnant à 8 mois d’emprisonnement avec sursis. La cour d’appel a confirmé le jugement et a réduit la peine à 3 mois. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé.

 

La CEDH a été saisie. Pour conclure à la violation de l’article 4 du protocole, elle raisonne comme suit : elle constate d’abord que les faits reprochés étaient identiques dans les deux procédures. Ensuite, reprenant les critères de la décision «A. et B. c/ Norvège» (CEDH, 15 novembre 2016, Req. 24130/11 [lXB=A9900SGR]), elle rappelle que l’Etat défendeur doit établir de manière probante que les procédures mixtes en question étaient unies par un «lien matériel et temporel suffisamment étroit», autrement dit que les procédures devant l’AMF et devant les juridictions pénales se combinaient de manière à être intégrées dans un tout cohérent. A défaut, il y aurait violation de la Convention (v. également : CEDH, 16 avril 2019, Req. 72098/14 -disponible uniquement en anglais-).

 

Procédant à un examen méticuleux de ces deux critères, elle conclut qu’il n’existait pas de lien matériel suffisamment étroit entre les deux procédures, compte tenu de l’identité des buts visés par les procédures devant l’AMF et par les juridictions pénales, et dans une certaine mesure, d’une répétition dans le recueil des éléments de preuve par différents services d’enquête. Elle observe ensuite et surtout qu’un lien temporel suffisamment étroit pour considérer les procédures comme s’inscrivant dans le mécanisme intégré de sanctions, prévu par le droit français, fait défaut en l’espèce.

 

Il est intéressant de relever que la réserve formulée par la France au moment de la ratification, concernant l’article 4 du Protocole n° 7, n’a pas été soulevée par le Gouvernement français (§ 34, 35 et 36). Pour mémoire, selon cette réserve en marge du Protocole, la règle Ne bis in idem, ne trouve à s’appliquer que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n’interdit pas le prononcé de sanctions disciplinaires parallèlement aux sanctions infligées par le juge répressif.

 

Rappelons toutefois que la loi n° 2016-819, du 21 juin 2016 (N° Lexbase : L7614K8I) est venue réformer le système de répression des abus de marché en apportant deux modifications connexes aux dispositifs de répression des abus de marché, afin d’éviter la violation du principe ne bis in idem. D’une part, elle a augmenté le montant des amendes pénales encourues par les personnes reconnues coupables de telles infractions, afin de les aligner sur le montant maximum des sanctions pécuniaires pouvant être infligées par l’AMF (C. mon. fin., art. L. 465-3-1 N° Lexbase : L8943K8Q). D’autre part, elle a établi un mécanisme de coordination entre les autorités pénales et l’AMF, pour éviter un cumul de leurs actions répressives (C. mon. fin., art. L. 465-3-6 N° Lexbase : L8948K8W).

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