Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 6 février 2019, n° 425509, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6211YWX)
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N8106BXI
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par Karin Ciavaldini, Rapporteur public au Conseil d'Etat
le 20 Mars 2019
Dans un avis du 6 février 2019, le Conseil d’Etat a jugé qu’une déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de sa décision, cette déclaration peut être invoquée dans toutes les procédures contentieuses en cours, quelle que soit la période d'imposition sur laquelle porte le litige. Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Karin Ciavaldini.
1. Par votre avis contentieux du 11 janvier 2019, «SCI Maximoise de création et SAS AEGIR»[1], vous vous êtes prononcés sur le point de savoir si une décision du Conseil constitutionnel constatant la non-conformité à la Constitution d’une disposition législative, rendue à la suite d’une QPC, constitue un «événement», au sens des articles R. 196-1 (N° Lexbase : L4380IXI) et R. 196-2 (N° Lexbase : L4379IXH) du Livre des procédures fiscales. Les questions que vous a transmises le tribunal administratif de Dijon par deux jugements du 19 novembre 2018 dans les affaires qui viennent d’être appelées vont vous permettre de compléter les réponses fournies dans cet avis.
Dans le prolongement de la question à laquelle vous avez déjà répondu, le tribunal vous demande d’abord, dans l’affaire n° 425511 :
- si, lorsque le Conseil constitutionnel précise que la déclaration d’inconstitutionnalité est applicable «à toutes les affaires non jugées définitivement» à la date de publication de sa décision, un requérant qui a présenté une réclamation contentieuse postérieurement à cette date est fondé à se prévaloir de cette décision à l’appui d’une demande en décharge d’impositions établies sur le fondement de la disposition déclarée contraire à la Constitution ;
- et si, en cas de réponse positive à cette question, la période susceptible de faire l’objet d’une action en restitution fondée sur une déclaration d’inconstitutionnalité résultant d’une décision du Conseil constitutionnel statuant sur une QPC est limitée dans le temps et, le cas échéant, quelles sont les règles applicables à la détermination de cette période.
Le tribunal vous demande également, dans l’affaire n° 425509, si une décision du Conseil constitutionnel qui énonce une réserve d’interprétation peut être regardée comme un «événement», au sens du c) de l’article R. 196-1 du Livre des procédures fiscales et, en cas de réponse positive, si la période susceptible de faire l’objet d’une action en restitution à ce titre est limitée dans le temps et, si oui, quelles sont les règles applicables à la détermination de cette période.
2. La recevabilité des demandes d’avis ne soulève pas de difficulté au regard des conditions posées par l’article L. 113-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2626ALT), que vous appréciez de manière bienveillante. Les questions de droit sont nouvelles (y compris par rapport à ce que vous avez jugé dans l’avis du 11 janvier 2019) et peuvent être regardées comme soulevant une difficulté sérieuse. Elles sont susceptibles de se poser dans de nombreux litiges.
3. Nous commencerons par un bref rappel de l’évolution des textes applicables en matière de procédure fiscale contentieuse.
Dans les années 80, avant notamment l’intervention de votre décision d’Assemblée du 20 octobre 1989, «Nicolo», le conflit de normes était pour vous une situation pratiquement inconnue. A cette époque, l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L8480AES) prévoyait seulement que les réclamations concernant les impôts établis ou recouvrés par les agents de la direction générale des impôts relevaient de la juridiction contentieuse lorsqu’elles tendaient «à obtenir soit la réparation d’erreurs commises dans l’assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d’un droit résultant d’une disposition législative ou réglementaire». La Cour de cassation avait jugé que n’entraient pas dans le champ du Livre des procédures fiscales les cas de contrariété de la loi fiscale avec une norme internationale, de sorte que s’appliquaient dans ce cas, non les délais de réclamation prévus par le Livre des procédures fiscales, mais les règles beaucoup plus favorables de la prescription trentenaire de droit commun de l’époque (Cass. com., 17 janvier 1989, n° 114 P, «Decelle»[2]).
A la suite de cet arrêt, le législateur a modifié l’article L. 190 du LPF pour faire entrer dans son champ les cas de non-conformité de la règle de droit dont il avait été fait application à une règle de droit supérieure (loi n° 89-936 du 29 décembre 1989, de finances rectificative pour 1989, art. 36 N° Lexbase : L1137ATB). Il a également limité, par rapport à la date d’intervention d’une décision juridictionnelle révélant la non-conformité, la période au titre de laquelle le contribuable pouvait introduire une réclamation. Par l’article 117 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 (N° Lexbase : A9026EPY), il a complété la mention de «décision juridictionnelle» par celle d’«avis rendu au contentieux» et précisé qu’il fallait entendre par là les décisions du Conseil d’Etat statuant au contentieux, les arrêts de la Cour de cassation, les avis contentieux rendus par ces deux juridictions, ainsi que les arrêts du Tribunal des conflits et les arrêts de la CJCE.
La dernière modification importante est intervenue avec la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L7970IUQ), qui a remplacé l’alinéa de l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales limitant la période répétible par un alinéa renvoyant, pour ces actions, aux règles générales de délais fixées par le Livre des procédures fiscales et renvoyant à un décret en Conseil d’Etat le soin de fixer les conditions d’application de cette règle. En conséquence, les articles R. 196-1 et R. 196-2 du Livre des procédures fiscales, qui prévoyaient que, pour être recevables, les réclamations devaient être présentées au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, notamment, «de la réalisation de l’événement qui motive la réclamation» ont été modifiés pour ajouter que : «Ne constitue pas un tel événement une décision juridictionnelle ou un avis mentionné aux troisième et cinquième alinéas de l’article L. 190»[3].
A un état du droit dans lequel les décisions juridictionnelles mentionnées à l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales étaient regardées comme un événement, au sens des articles R. 196-1 et R. 196-2 («Société Rallye»[4] concernant un arrêt de la CJUE), ont donc succédé des règles textuelles précisant expressément que ces décisions ne constituaient pas un tel événement. La liste des décisions juridictionnelles et avis rendus au contentieux fixée par l’article L. 190 étant limitative, on est donc passé d’une situation où on pouvait estimer que les décisions du Conseil constitutionnel ne constituaient pas un événement, au sens des articles R. 196-1 et R. 196-2, à une situation où la réponse à cette question pouvait paraître plus incertaine. D’où des questionnements de la part des juges du fond …
4. Dans votre avis du 11 janvier 2019, vous avez d’abord jugé qu’il résultait des dispositions de l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales, ainsi que de ses articles R. 196-1 et R. 196-2, que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas au nombre des décisions juridictionnelles ou avis mentionnés aux troisième et cinquième alinéas de l’article L. 190, pour lesquels la deuxième phrase du c) de l’article R. 196-1 et du b) de l’article R. 196-2 écarte la qualification d’événement constituant le point de départ d’un nouveau délai de réclamation. Vous avez ensuite rappelé que seuls doivent être regardés comme constituant le point de départ de ce délai les événements «qui ont une incidence directe sur le principe même de l’imposition, son régime ou son mode de calcul»[5]. Vous avez ensuite jugé qu’une décision par laquelle le Conseil constitutionnel, statuant sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), déclare inconstitutionnelle une disposition législative ne constitue pas, en elle-même, un tel événement susceptible d’ouvrir un nouveau délai de réclamation. Vous avez ajouté qu’il appartient au seul Conseil constitutionnel lorsque, saisi d’une QPC, il a déclaré contraire à la Constitution la disposition législative ayant fondé l’imposition en litige de prévoir si, et le cas échéant dans quelles conditions, les effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration sont remis en cause, au regard des règles, notamment de recevabilité, applicables à la date de sa décision.
Il ressort des conclusions du rapporteur public Marie-Gabrielle Merloz que la position prise est liée au fait que le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH) confie au Conseil constitutionnel le pouvoir de fixer les conditions d’application dans le temps des déclarations d’inconstitutionnalité qu’il prononce en QPC, à la fois pour l’avenir (la disposition «est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision») et pour le passé («Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause»).
5. Nous commencerons par examiner les questions posées dans l’affaire n° 425511.
5.1. La première question est celle à laquelle vous avez répondu dans votre avis du 11 janvier 2019 : la question de savoir si une décision QPC du Conseil constitutionnel constitue un événement, au sens de la deuxième phrase du c) de l’article R. 196-1 et du b) de l’article R. 196-2 du Livre des procédures fiscales, dépend de la portée qu’a entendu lui donner le Conseil. Précisons qu’il nous semble, comme le faisait valoir Marie-Gabrielle Merloz, que, si le Conseil constitutionnel entend juger que sa décision constitue un événement, il le précisera explicitement, comme il l’a d’ailleurs fait dans la décision n° 2015-503 QPC du 4 décembre 2015[6] (Cons. const., décision du 4 décembre 2015, n° 2015-503 QPC N° Lexbase : A4918NYS) sur laquelle nous reviendrons.
5.2. Le tribunal vous demande ensuite si, lorsque le Conseil constitutionnel précise que la déclaration d’inconstitutionnalité est applicable «à toutes les affaires non jugées définitivement» à la date de publication de sa décision, un requérant qui a présenté une réclamation contentieuse postérieurement à cette date est fondé à se prévaloir de cette décision à l’appui d’une demande en décharge d’impositions établies sur le fondement de la disposition déclarée contraire à la Constitution. Comme l’envisageait Stéphane Austry dans l’article «QPC fiscale et effets de la décision dans le temps» paru en octobre 2011[7], le fait que la réclamation contentieuse ne soit présentée qu’après l’intervention de la décision du Conseil constitutionnel peut être imposé au contribuable, si les impositions supplémentaires résultant du contrôle auquel il a été soumis n’ont été mises en recouvrement que postérieurement à cette décision.
Si, «en principe, une déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la question prioritaire de constitutionnalité», selon la formulation des décisions du Conseil constitutionnel[8], il a pu arriver que le Conseil déroge à cette règle afin d’éviter que la déclaration d’inconstitutionnalité ne méconnaisse des objectifs supérieurs et n’entraîne des conséquences manifestement excessives[9]. Mais, le plus souvent, le Conseil constitutionnel rend applicable la déclaration d’inconstitutionnalité dans l’affaire à l’origine de la QPC ainsi que dans «toutes les affaires non jugées définitivement». Comme l’explique Marc Guillaume dans l’article du Répertoire de contentieux administratif Dalloz consacré à «La question prioritaire de constitutionnalité»[10], cette mention ne fait qu’expliciter un effet «de droit commun» de la déclaration d’inconstitutionnalité.
Cette formulation inclut les contentieux déjà introduits devant le juge et dans lesquels n’a pas été rendue une décision irrévocable, donc y compris ceux devant le juge de cassation (28 novembre 2016, «min. c/ SAS Autoguadeloupe Développement»[11]). Elle inclut également les litiges avec l’administration fiscale qui ont fait l’objet d’une réclamation préalable, celle-ci constituant, en matière fiscale, une «instance ressortissant à la juridiction contentieuse» (Ass., 31 octobre 1975, «Société Coq-France»[12]).
La question qui vous est posée est de savoir si elle vise aussi les litiges potentiels, qui n’en sont pas encore au stade de la réclamation préalable.
Dans un premier mouvement, on pourrait être tenté de répondre négativement, en donnant au mot «affaire» employé par le Conseil constitutionnel le sens étroit d’«instance».
Ce n’est toutefois pas la solution que nous vous proposons, pour deux types de raisons.
D’abord, des raisons tirées de l’analyse des différentes formulations utilisées par le Conseil constitutionnel.
En premier lieu, le Conseil a également utilisé une formule, plus explicite, rendant sa décision «applicable aux affaires nouvelles ainsi qu’aux affaires non jugées définitivement à la date de [sa] publication». Comme l’indique le commentaire de la décision n° 2013-360 QPC du 9 janvier 2014 (Cons. const., décision du 9 janvier 2014, n° 2013-360 QPC N° Lexbase : A0728KT7) par laquelle cette formule a été introduite[13], cette évolution de la formule a eu pour objet d’en préciser la portée, sans en changer le sens. La lecture des termes «affaires non jugées définitivement» que nous proposons nous semble confirmée par la décision n° 2017-629 QPC du 19 mai 2017 (Cons. const., décision du 19 mai 2017, n° 2017-629 QPC N° Lexbase : A4790WDR)[14] : le Conseil a rendu la déclaration d’inconstitutionnalité prononcée «applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date [date de publication de la décision], sous réserve du respect des délais et conditions prévus par le livre des procédures fiscales». Le commentaire indique que la décision peut être invoquée dans toutes les instances contentieuses en cours ou à venir, dès lors que les conditions du Livre des procédures fiscales, notamment celles relatives au délai de réclamation, sont satisfaites.
En second lieu, en matière fiscale notamment, lorsque, pour éviter des effets d’aubaine, le Conseil constitutionnel décide que la déclaration d’inconstitutionnalité ne peut être invoquée à l’encontre des impositions définitivement acquittées et qui n’ont pas été contestées avant la date de publication de sa décision, il l’indique explicitement (cf. décisions n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013 : Cons. const., décision du 25 octobre 2013, n° 2013-351 QPC N° Lexbase : A4369KN7[15] ; n° 2013-362 QPC du 6 février 2014 : Cons. const., décision du 6 février 2014, n° 2013-362 QPC N° Lexbase : A5825MD4[16] ; n° 2016-620 QPC du 30 mars 2017 : Cons. const., décision du 30 mars 2017, n° 2016-620 QPC N° Lexbase : A4587UPL[17]).
Le second fondement de notre position tient au fait qu’exclure la possibilité d’invoquer la déclaration d’inconstitutionnalité dans des affaires qui n’en sont pas encore au stade du précontentieux, mais pour lesquelles le contribuable n’est pas forclos, constitue une limitation du droit au recours garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789. Cette limitation doit être justifiée par un motif d’intérêt général, qui ne peut être présumé et n’existe d’ailleurs pas toujours. Il appartient au Conseil constitutionnel d’identifier, s’il y a lieu, un tel motif et d’en tirer les conséquences.
Nous vous proposons donc de répondre positivement à la deuxième question.
5.3. Par sa troisième question, le tribunal vous demande si la période susceptible de faire l’objet d’une action en restitution fondée sur une déclaration d’inconstitutionnalité résultant d’une décision du Conseil constitutionnel statuant sur une QPC est limitée dans le temps et, le cas échéant, quelles sont les règles applicables à la détermination de cette période.
Même si le tribunal ne l’a pas précisé, on peut penser que, comme dans la demande d’avis n° 425509, il n’a posé cette troisième question qu’au cas où vous jugeriez qu’une décision QPC déclarant une disposition législative contraire à la Constitution constitue un événement rouvrant un délai de réclamation. C’est en effet dans un tel cas que la question présenterait une difficulté. Lorsque, par la loi de finances rectificative pour 1989, il a introduit dans le champ du droit commun du contentieux fiscal, tel que défini à l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales, les actions fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, le législateur a, comme nous l’avons dit, ajouté lui-même une règle de prescription spécifique.
Mais il est déjà jugé qu’une décision QPC du Conseil constitutionnel déclarant une disposition législative contraire à la Constitution ne constitue pas, en elle-même, un événement susceptible d’ouvrir un nouveau délai de réclamation. Dans ce cadre, le droit à restitution est limité par les délais de réclamation initiaux contre l’imposition en cause, ces délais étant assimilés, par leurs effets, à des règles de prescription (cf. sur ce dernier point, votre décision du 14 février 2001, min. c/ S.A. Champagne Jeanmaire[18], avec les conclusions de J. Courtial).
6. Nous pouvons passer aux questions posées par le tribunal administratif de Dijon dans l’affaire n° 425509, qui concernent les réserves d’interprétation dont le Conseil constitutionnel assortit parfois la déclaration de conformité à la Constitution de la disposition législative qui lui est soumise.
6.1. Le tribunal vous demande d’abord si une décision du Conseil constitutionnel qui énonce une réserve d’interprétation peut être regardée comme un événement, au sens du c) de l’article R. 196-1 du Livre des procédures fiscales.
Comme le rappelait S. Austry dans l’article déjà mentionné, les réserves d’interprétation prononcées par le Conseil constitutionnel apparaissent à la fois dans les motifs et le dispositif de sa décision, et vous-mêmes, comme la Cour de cassation, jugez que la réserve vous lie quant à l’interprétation à donner du texte[19]. Il rappelait aussi que les déclarations d’inconstitutionnalité en QPC étaient rares en matière fiscale et les déclarations de conformité sous réserve en revanche assez nombreuses. Sur un plan plus général, le constat de la pratique fréquente, en QPC, des déclarations de conformité sous réserve ne peut qu’être confirmé aujourd’hui, au vu de la longue liste de décisions (88 décisions, toutes matières confondues) qui figure dans l’article de Marc Guillaume déjà mentionné[20].
Cette technique a été utilisée en QPC pour la première fois dans la décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010 (Cons. const., décision du 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC N° Lexbase : A9572EZK), sans que le Conseil constitutionnel s’appuie pour cela sur une disposition constitutionnelle expresse. En principe, ses effets sont différents de ceux d’une déclaration d’inconstitutionnalité en QPC : une déclaration de conformité de la loi à la Constitution, assortie d’une réserve, donne du texte législatif en cause une interprétation qui ne vaut pas d’abord pour l’avenir, mais s’incorpore à lui ab initio.
Il en résulte que la question posée par le tribunal peut sembler appeler de manière évidente une réponse négative. Mais sa raison d’être vient de la nature des réserves que le Conseil constitutionnel prononce parfois en QPC, qui estompe la différence entre déclaration d’inconstitutionnalité et déclaration de constitutionnalité assortie d’une réserve. Ainsi, dans la décision n° 2016-610 QPC du 10 février 2017 (Cons. const., décision du 10 février 2017, n° 2016-610 N° Lexbase : A7722TBM)[21], en cause dans le litige de fond qui a conduit le tribunal administratif à vous saisir, le Conseil constitutionnel a énoncé une réserve d’interprétation allant directement contre la lettre des textes, dont la combinaison ne présentait aucune ambiguïté. On peut aussi penser à la décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016 (Cons. const., décision du 22 avril 2016, n° 2016-538 QPC N° Lexbase : A7198RKS)[22], par laquelle le Conseil a prononcé deux réserves d’interprétation conduisant chacune à modifier sensiblement le régime découlant directement de la lettre du texte. Dès lors que les réserves d’interprétation prononcées par le Conseil constitutionnel en QPC équivalent parfois à une «abrogation en tant que», la question posée par le tribunal administratif se comprend mieux.
Elle nous paraît devoir appeler la même réponse que celle que vous avez faite dans votre avis du 11 janvier 2019. En effet, sans fondement textuel, le Conseil constitutionnel s’est reconnu le même type de pouvoirs, en matière d’application dans le temps, lorsqu’il prononce une déclaration de conformité avec réserve que lorsqu’il prononce une déclaration d’inconstitutionnalité.
Ainsi, dans la décision n° 2015-473 QPC du 26 juin 2015 (Cons. const., décision du 26 juin 2015, n° 2015-473 QPC N° Lexbase : A7912NLM)[23], il a indiqué que la réserve qu’il prononçait était applicable seulement aux impositions contestées avant la date de publication de la décision. Le commentaire accompagnant la décision n° 2012-251 QPC du 8 juin 2012 (Cons. const., décision du 8 juin 2012, n° 2012-251 QPC N° Lexbase : A3379INH)[24] semble indiquer qu’à l’inverse, lorsque le Conseil constitutionnel n’indique rien, la réserve qu’il prononce peut être invoquée sans limitation, sous réserve des règles de délais prévues aux articles R. 196-1 et R. 196-2 du Livre des procédures fiscales.
Dans la décision n° 2015-503 QPC du 4 décembre 2015, relative aux effets de la représentation mutuelle des personnes soumises à imposition commune postérieurement à leur séparation, il a émis une réserve d’interprétation et prévu que celle-ci n’était applicable qu’aux cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu établies à compter de la date de publication de sa décision. Mais, pour préserver l’effet utile de sa décision pour les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu établies antérieurement à celle-ci, il a rouvert, en se fondant expressément sur la notion d’«événement», un délai propre de réclamation, dans des cas qu’il a précisément définis, pour l’ex-conjoint qui n’avait pas été destinataire de la décision d’imposition.
Ces exemples montrent l’ampleur des pouvoirs que le Conseil constitutionnel s’est reconnus en matière de définition des conditions d’application dans le temps des décisions QPC par lesquelles il prononce une déclaration de conformité à la Constitution assortie d’une réserve. Nous vous proposons en conséquence de transposer à ces décisions la solution retenue par votre avis du 11 janvier 2019.
6.2. Comme dans l’affaire n° 425511, la seconde question posée par le tribunal est de savoir si, en cas de réponse positive à la première question, la période susceptible de faire l’objet d’une action en restitution à ce titre est limitée dans le temps et, le cas échéant, quelles sont les règles applicables à la détermination de cette période. Si vous répondez par la négative à la première question, vous pourrez, si cela vous semble utile, apporter à cette seconde question la même réponse que dans l’affaire n° 425511.
Tel est le sens de nos conclusions dans ces deux affaires.
[1] CE 9° et 10° ch-r., 11 janvier 2019, n° 424819 et n° 424821, publiés au recueil Lebon (N° Lexbase : A0149YTP).
[2] RJF 3/89 n° 386.
[3] Décret n° 2013-643 du 18 juillet 2013, relatif aux délais de réclamation applicables aux actions mentionnées aux troisième et cinquième alinéas de l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L5076LLL).
[4] CE Contentieux, 30 décembre 2013, n° 350100, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9241KS3), p. 360, à la RJF, 3/14, n° 290, cl. N. Escaut au BDCF, 3/14, n° 36.
[5] Formulation la plus récente (CE Contentieux, 9 mars 2016, n° 371463, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5409QYY, p. 61, RJF, 5/16, n° 480) ; pour des formulations antérieures, voir, entre autres :
- CE 3° et 8° ch.-r., 30 décembre 2011, n° 336602, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8326H8U) et à la RJF, 4/12, n° 413, concl. L. Olléon, BDCF, 4/12, n° 49 : «de nature à exercer une influence sur le bien-fondé de l’imposition, soit dans son principe, soit dans son montant» ;
- CE 3° et 8° ch.-r., 5 octobre 2007, n° 294318, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6694DYL) (RJF, 12/07, n° 1479) : «de nature à exercer une influence sur le principe même de l’imposition, son régime ou son mode de calcul» ;
- CE 9° et 8° ch.-r., 4 mai 1977, n° 03308, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2852B7R) (p. 204) : «de nature à exercer une influence sur le bien-fondé de l’imposition, soit dans son principe, soit dans son montant».
[6] M. Gabor R. [Effets de la représentation mutuelle des personnes soumises à imposition commune postérieurement à leur séparation].
[7] Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 33 (Dossier : «le Conseil constitutionnel et l’impôt»).
[8] cf. décisions n° 2010-108 QPC et n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011 (Cons. const, décisions du 25 mars 2011, n° 2010-108 N° Lexbase : A3844HHT et 2010-110 QPC N° Lexbase : A3846HHW).
[9] Décision n° 2010-14/22 QPC, du 30 juillet 2010 relative à la garde à vue (N° Lexbase : A4551E7P).
[10] A jour en mai 2018, § 382.
[11] CE 10° et 9° ch.-r., 28 novembre 2016, n° 390638, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3765SLZ) et à la RJF, 2/17, n° 162, cl. E. Crépey au C 162.
[12] CE Assemblée, 31 octobre 1975, n° 97234, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1377B9U), p. 534, RJF, 1975, n° 578, avec chron. B. Martin Laprade, p. 373, concl. Mme Latournerie, Dr. Fisc., 51/75, comm. 1656.
[13] Mme Jalila K.
[14] Société FB Finance [Taux effectif de la CVAE pour les sociétés membres de groupes fiscalement intégrés].
[15] Société Boulanger [Taxe locale sur la publicité extérieure II].
[16] TF1 SA [Taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision].
[17] Société EDI-TV [Taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision].
[18] CE 9° et 10° ch.-r., 14 février 2001, n° 202966, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8869AQK) p. 60 et à la RJF, 5/01, n° 671, cl. J. Courtial au BDCF, 5/01, n° 70.
[19] CE Contentieux, 11 mars 1994, n° 115052, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9675ARR) ; Cass. civ 2, 28 juin 1995, n° 94-50.002 (N° Lexbase : A6192ABX).
[20] § 379.
[21] Epoux G. [Majoration de 25 % de l’assiette des contributions sociales sur les rémunérations et avantages occultes].
[22] Epoux M.D. [Exclusion des plus-values mobilières placées en report d’imposition de l’abattement pour durée de détention] ; cons. 11 et 15.
[23] Epoux P. [Imposition des dividendes au barème de l'impôt sur le revenu - Conditions d'application de l'abattement forfaitaire].
[24] Copacel et autres [Taxe sur les boues d’épuration].
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