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par Fleur Chidaine, Avocate à la Cour
le 04 Février 2021
L’article 34 de la loi de finances pour 2019 (loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, de finances pour 2019 N° Lexbase : L6297LNK) est venue réformer totalement le dispositif limitant la déduction des charges financières. Comme indiqué dans notre article précédent, ce nouveau dispositif étant complexe, il fait l’objet d’une étude à part entière ci-dessous.
I - Sociétés non membres d’un groupe fiscal
A - Champ d’application
Entreprises concernées
Sont visées par le nouveau dispositif toutes les sociétés assujetties à l’impôt sur les sociétés. Sont par conséquent concernées par le dispositif les sociétés partiellement exonérées d’impôt, mais sur la part relevant du secteur taxable. Les sociétés non membres d’un groupe fiscal appliquent les dispositions de l’article 212 bis du Code général des impôts (N° Lexbase : L9039LN4), tandis que celles membres d’un groupe fiscal intégré appliquent le plafond prévu par l’article 223 B bis du Code général des impôts (N° Lexbase : L9038LN3).
Charges financières visées
Sont concernées par le nouveau dispositif les charges financières nettes obtenues par calcul de la différence entre les charges et produits financiers, c’est-à-dire les intérêts sur toutes formes de dettes (i.e. sommes laissées ou mises à disposition de l’entreprise ou par l’entreprise), quelle que soit l’origine des sommes laissées ou mises à disposition (tiers, associés, entreprises liées), rendues déductibles après application de l’article 212, I du Code général des impôts. Pour rappel, l’article 212, I du Code général des impôts prévoit un plafonnement du taux d’intérêt servi aux entreprises liées à un taux de référence et une non-déduction des charges d’intérêts versées à des entreprises liées lorsque les produits correspondants ne sont pas soumis à une imposition minimale d’au moins 25 % de l’impôt sur les sociétés.
A noter que le nouveau dispositif prévoit un champ de produits et charges retenus pour déterminer le montant des charges financières nettes plus large que le précédent.
L’article 34 de la loi de finances est venu transposer la Directive «ATAD», laquelle établit une règle de limitation de la déduction des intérêts sur la base des recommandations du projet BEPS mené par l’OCDE. A ce titre, certaines des charges qui n’entraient pas dans l’ancien dispositif sont à présent inclues dans son champ d’application.
A ce titre, la Directive vise expressément les paiements liés aux instruments issus de la finance islamique, catégorie qui pourrait également recouvrir les charges et produits liés aux nouveaux modes de financement dès lors que l’opération peut être considérée comme un prêt. Comme dans l’ancien dispositif, les intérêts capitalisés inclus dans le coût d’origine d’un actif (qui permet sur option aux entreprises d’inscrire à l’actif du bilan les intérêts d’emprunt afférents à l’acquisition de certaines immobilisations en lieu et place d’une comptabilisation immédiate en charges), sont retenus dans l’assiette des charges financières nettes de l’entreprise pour leur montant intégral au titre de l’exercice de cession ou de mise au rebut de l’actif en présence d’une immobilisation non amortissable. Nouvel élément inclus dans le champ d’application du fait de la transposition de la Directive, les montants mesurés par référence à un rendement financier déterminé par comparaison avec des entreprises similaires exploitées normalement au sens de l’article 57 restent, à ce stade, difficiles à cerner. Ils pourraient viser toutes les opérations de prix de transfert entre entreprises d’un même groupe dans le cadre desquelles est réalisée une facturation d’intérêts entre une société et ses filiales ou succursales. Les gains et pertes de change relatifs à des prêts, emprunts et instruments liés à des financements qui n’étaient auparavant pas inclus dans le champ d’application le sont à présent, de même que les frais de dossier et de garantie liés à des opérations de financement. A noter que le législateur a également prévu dans son nouveau dispositif une sorte de clause balai incluant dans le champ d’application tous les «autres coûts ou produits équivalents à des intérêts», incluant ainsi toutes les sommes qui par leur nature ou objets sont économiquement assimilables à des intérêts.
B - Principe de limitation de déduction
Plafond de déduction de droit commun
- Entreprises qui ne sont pas sous-capitalisées : l’article 212 bis, II du Code général des impôts prévoit une possibilité pour les entreprises n’étant pas sous-capitalisées de déduire leurs charges financières nettes dans la limite du montant le plus élevé entre (i) 3 millions d’euros par exercice de douze mois et (ii) 30 % du résultat fiscal avant impôt, intérêts, dépréciations et amortissements (Ebitda fiscal). L’Ebitda fiscal se calcule par référence au résultat fiscal (déterminé au tableau de la liasse n° 2058-A), duquel il convient de retraiter un certain nombre de postes afin d’obtenir la base d’application de la nouvelle limitation de la déductibilité des charges financières.
- Entreprises sous-capitalisées : le dispositif de lutte contre la sous-capitalisation est désormais intégré à l’article 212 bis, VII du Code général des impôts. Auparavant, la situation de sous-capitalisation était caractérisée en cas de dépassement (i) du ratio d’endettement ou (ii) du ratio de couverture d’intérêts ou (iii) du ratio d’intérêts servis à des entreprises liées. Désormais, le seul dépassement du ratio d’endettement suffit à caractériser une situation de sous-capitalisation. Une société est donc placée en situation de sous-capitalisation dès lors que le montant moyen de ses dettes vis-à-vis d’entreprises liées excède une fois et demie le montant de ses fonds propres. Il convient de préciser que deux différences importantes existent en comparaison avec le ratio d’endettement prévu à l’article 212, II du Code général des impôts : (i) le nouveau ratio compare le montant moyen des dettes aux fonds propres là où l’ancien ratio comparait ce montant aux capitaux propres, et (ii) les dettes vis-à-vis d’entreprises tierces garanties par des entreprises liées ne sont plus prises en comptes. La définition de la sous-capitalisation est donc durcie par rapport à l’ancien dispositif. Le plafond prévu en cas de sous-capitalisation suppose la détermination de deux assiettes de charges financières nettes :
La première assiette est constituée par les intérêts relatifs à la dette vis-à-vis d’entreprises non liées et à la dette vis-à-vis d’entreprises liées n’excédant pas une fois et demie les fonds propres : la déduction est possible à hauteur de 30 % de l’Ebitda fiscal proratisé ou de 3 millions d’euros proratisés si ce dernier montant est plus élevé ;
La seconde assiette est constituée des intérêts relatifs à la dette vis-à-vis d’entreprises liées excédant une fois et demie les fonds propres : la déduction est alors limitée à 10 % de l’Ebitda fiscal proratisé ou à 1 millions d’euros proratisés si ce dernier montant est plus élevé.
En principe, une entreprise sous-capitalisée ne bénéficie pas de la déduction supplémentaire prévue pour les entreprises membres d’un groupe consolidé, le montant de charges financières nettes déductibles est donc constitué par la somme des deux plafonds ci-dessus décrits, sauf à ce que le groupe consolidé auquel appartient l’entreprise en question soit davantage sous-capitalisé. Ainsi, et comme dans l’ancien dispositif, une clause de sauvegarde permet aux sociétés sous-capitalisées d’échapper aux plafonds précités à condition de prouver que leur ratio d’endettement (dettes / fonds propres) est inférieur ou égal au ratio d’endettement du groupe consolidé auquel elle appartient.
Clause prévue pour les entreprises membres d’un groupe consolidé
Les entreprises membres d’un groupe consolidé bénéficient d’un complément de déduction lorsque le ratio entre leurs fonds propres et l’ensemble de leurs actifs est égal ou supérieur à ce même ratio déterminé au niveau du groupe consolidé auquel elle appartient. La directive prévoit par ailleurs que ce ratio est considéré comme égal à celui de l’entreprise lorsque la différence entre les deux ratios est inférieure à deux points de pourcentage.
La déduction supplémentaire est limitée à 75 % du montant des charges financières nettes qui n’ont pu faire l’objet d’une déduction en application des plafonds de droit commun précités. Les charges financières nettes placées en report, non admises en déduction au titre d’exercices antérieurs, ne se voient pas appliquer le complément de déduction. Une difficulté est susceptible d’intervenir pour la notion de fonds propres qui n’existe en principe pas pour l’établissement de comptes consolidés. Les normes françaises prévoient une catégorie « autres fonds propres consolidés » qui pourrait être ajoutée aux capitaux propres consolidés afin de déterminer les fonds propres consolidés, mais des précisions de l’administration fiscale sont attendues.
C - Report des charges non déduites
L’article 212 bis, VIII du Code général des impôts prévoit des mécanismes de report des charges financières non admises en déduction et des capacités de déduction non utilisées au cours d’un exercice. Ce dispositif est novateur par rapport à l’ancien régime.
- Charges financières non admises en déduction : l’article 212 bis, VIII-1 du Code général des impôts prévoit que les charges financières restantes après application des plafonds de déduction, de la clause de sauvegarde prévoyant une déduction supplémentaire pour les entreprises membres d’un groupe consolidé et des deux plafonds de dispositif de sous-capitalisation ne sont pas définitivement exclues de la déductions mais reportées sans limite de temps afin de faire l’objet d’une déduction ultérieure, étant précisé qu’en cas de sous-capitalisation, la partie restante de charges financières après application du deuxième plafond prévu en cas de sous-capitalisation n’est reportable qu’à hauteur du tiers de leur montant.
- Charges reportées d’exercices antérieurs : selon que la sous-capitalisation est caractérisée au cours de l’exercice d’imputation, les modalités de déduction des charges financières placées en report diffèrent :
En cas d’absence de sous-capitalisation au titre de l’exercice de déduction des charges financières antérieures, l’excédent de charges financières peut être déduit à hauteur de la différence entre la limite de droit commun précitée (i.e. 3 millions d’euros ou 30 % de l’Ebitda fiscal) et les charges financières de l’exercice ;
En cas de sous-capitalisation caractérisée au cours de l’exercice de déduction des charges financières antérieures, les charges financières antérieures ne peuvent être déduites que dans la limite de la différence entre les deux plafonds de droit commun précités (i.e. 3 millions d’euros proratisés ou 30 % de l’Ebitda fiscal) et les charges financières nettes de l’exercice minorées de celles soumises au second plafond (i.e. 10 % de l’Ebitda fiscal ou 1 million d’euros proratisés)
L’article 212 bis, VIII-2 du Code général des impôts permet de reporter la capacité de déduction inemployée au cours d’un exercice sur les cinq exercices suivants afin de déduire les charges financières nettes non admises en déduction au cours d’un exercice, cette capacité de déduction étant égale à la différence entre la limite de droit commun précitée et les charges financières nettes admises en déduction au titre de cet exercice en application de la règle de droit commun, de la clause de sauvegarde et de la clause de report dans le temps des charges financières non déduites.
D - Ordre d’imputation des dispositifs
L’ordre d’imputation des différents dispositifs est le suivant : 1. Application des règles de l’article 212, I du Code général des impôts afférent au taux d’intérêt limite et aux intérêts versés à des entreprises non soumises à une imposition au moins égale à 25 % de l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun et 2. Nouveau plafonnement aux charges financières nettes.
II - Sociétés membres d’un groupe d’intégration fiscale
Comme dans l’ancien dispositif, la règle de plafonnement de déduction des charges financières s’applique au niveau du groupe intégré. Les règles sont identiques pour la plupart à celles applicables aux entreprises non membres d’un groupe fiscal intégré.
A - Champ d’application et plafond de déduction de droit commun
L’article 223 B du Code général des impôts (N° Lexbase : L9036LNY), dans sa nouvelle rédaction prévoit que le groupe fiscal se doit de déterminer la somme des produits et charges financiers tels que définis précédemment de l’ensemble des sociétés du groupe intégré afin de déterminer le montant des charges financières nettes de l’intégration. En outre, l’Ebitda fiscal (en partant du résultat d’ensemble du groupe avant imputation des déficits à l’exception des déficits antérieurs à l’intégration que les sociétés membres auraient imputé sur leur résultat propre) doit être déterminé au niveau du groupe et un certain nombre de charges financières doivent être réintégrées au niveau du résultat d’ensemble du groupe.
La clause de sauvegarde précitée permettant une déduction supplémentaire de 75 % des charges financières excédant 30 % de l’Ebitda fiscal nécessite de comparer le ratio fonds propres sur les actifs du groupe intégré au ratio fonds propres sur actifs du groupe consolidé auquel les sociétés membres de l’intégration appartiennent. Pour appliquer la clause de sauvegarde il convient de réaliser un palier de sous consolidation au niveau de l’intégration fiscale permettant de déterminer les montants des fonds propres et des actifs du groupe fiscal.
B - Sous-capitalisation
Dans l’ancien dispositif, la sous-capitalisation devait être caractérisée au niveau de chaque société membre du groupe d’intégration. Le nouveau dispositif prévoit que la situation de sous-capitalisation est désormais caractérisée au niveau du groupe fiscalement intégré. Pour déterminer la présence d’un groupe sous-capitalisé, il convient de calculer son ratio d’endettement aux bornes de l’intégration fiscale en comparant les fonds propres consolidés de l’intégration aux dettes existantes vis-à-vis d’entreprises liées mais non membres du groupe d’intégration fiscale (i.e. somme de l’ensemble des dettes vis-à-vis d’entreprises liées non membres du groupe d’intégration divisée par le nombre de jours de l’exercice).
C - Report des charges financières non déduites
Comme pour le régime de droit commun, les règles de report permettent d’imputer sur des exercices ultérieures (i) les charges financières non déduites et (ii) la capacité de déduction inutilisée au cours des exercices précédents. En revanche, en cas d’entrée dans un groupe de sociétés qui disposent de charges financières nettes ou de capacité de déduction inemployée en report avant l’entrée dans le groupe ne pourront être utilisés tant que la société est membre de l’intégration. En revanche, elle pourra le faire en cas de sortie du groupe et dans un délai de cinq ans pour la capacité de déduction inemployée auparavant.
D - Ordre d’application des dispositifs
Une possible difficulté qui devra être éclairée par les précisions de l’administration fiscale existe en matière d’ordre d’application des dispositifs. Ainsi, l’article 223 B bis du Code général des impôts tel que rédigé par la loi de finances pour 2019 ne précise pas si le plafonnement s’applique avant ou après application du dispositif de l’amendement Charasse. Outre cette précision qui devra être apportée incessamment sous peu par l’administration fiscale, l’ordre d’application des dispositifs en cas de groupe intégré est le même qu’en l’absence de groupe intégré.
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