Réf. : CJUE, 22 janvier 2019, aff. C-193/17 (N° Lexbase : A6807YTB)
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par Blanche Chaumet
le 23 Janvier 2019
► Une législation nationale telle que celle en cause (autrichienne), en vertu de laquelle, d’une part, le vendredi saint n’est un jour férié que pour les travailleurs qui sont membres de certaines églises chrétiennes et, d’autre part, seuls ces travailleurs ont droit, s’ils sont amenés à travailler durant ce jour férié, à une indemnité complémentaire, constitue une discrimination directe en raison de la religion.
Telle est la règle dégagée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans un arrêt rendu le 22 janvier 2019 (CJUE, 22 janvier 2019, aff. C-193/17 N° Lexbase : A6807YTB).
Rappel. En Autriche (où la majorité de la population appartient à l’Eglise catholique romaine), le vendredi saint est un jour férié payé uniquement pour les membres des Eglises protestantes des confessions d’Augsbourg et helvétique, de l’Eglise vieille-catholique et de l’Eglise évangélique méthodiste. Ce régime spécial vise à permettre aux membres de ces églises de pratiquer leur religion lors de ce jour de célébration particulièrement important pour eux sans devoir convenir d’un jour de congé avec leur employeur. Si un membre de l’une de ces églises travaille durant cette journée, il a droit à une indemnité complémentaire de jour férié.
Faits et procédure. Dans cette affaire, un salarié d’une agence de détectives privés en Autriche, membre d’aucune des églises en question, a estimé avoir été privé de manière discriminatoire de l’indemnité de jour férié pour le travail qu’il a effectué le 3 avril 2015, jour du vendredi saint, et a sollicité, à ce titre, le paiement, par son employeur, d’une indemnité.
Saisie de ce litige, la Cour suprême autrichienne a interrogé la CJUE sur la compatibilité de la réglementation autrichienne en cause avec l’interdiction de discrimination en raison de la religion prévue par le droit de l’Union.
Raisonnement de la CJUE. En énonçant la règle susvisée, la CJUE précise qu’une telle législation ne peut être justifiée ni au titre de mesures nécessaires à la préservation des droits et des libertés d’autrui ni au titre de mesures spécifiques destinées à compenser des désavantages liés à la religion. Aussi longtemps que l’Autriche n’aura pas modifié, afin de rétablir l’égalité de traitement, sa législation, un employeur privé soumis à cette législation a l’obligation d’accorder également à ses autres travailleurs le droit à un jour férié le vendredi saint, pour autant que ces derniers aient au préalable demandé à leur employeur de ne pas devoir travailler ce jour-là, et, par voie de conséquence, de reconnaître à ces travailleurs le droit à une indemnité complémentaire à la rémunération perçue pour les prestations accomplies durant cette journée, lorsque ledit employeur a refusé de faire droit à une telle demande.
En ce qui concerne l’existence d’une discrimination directe en raison de la religion, la Cour constate que la législation autrichienne en cause instaure une différence de traitement qui est directement fondée sur la religion des travailleurs. En effet, le critère de différenciation auquel a recours cette législation procède directement de l’appartenance des travailleurs à une religion déterminée. De plus, cette législation a pour effet de traiter différemment, en fonction de la religion, des situations comparables.
La Cour relève à cet égard, notamment, que l’octroi d’un jour férié le vendredi saint à un travailleur membre de l’une des églises en question n’est pas soumis à la condition de l’accomplissement, par le travailleur, d’une obligation religieuse déterminée au cours de cette journée, mais est soumis uniquement à l’appartenance formelle dudit travailleur à l’une de ces églises. Ce travailleur demeure ainsi libre de disposer à son gré, par exemple à des fins de repos ou de loisirs, de la période afférente à ce jour férié.
En ce qui concerne d’éventuelles justifications de cette discrimination directe, la Cour note que l’octroi d’un jour férié le vendredi saint aux travailleurs qui sont membres de l’une des églises en question a pour objectif de tenir compte de l’importance particulière que revêtent, pour les membres de ces églises, les célébrations religieuses associées à une telle journée. Toutefois, selon la Cour, la réglementation en cause ne peut pas être considérée comme étant nécessaire à la protection de la liberté de religion. En effet, la possibilité, pour les travailleurs qui n’appartiennent pas aux églises en question, de célébrer une fête religieuse ne coïncidant pas avec l’un des jours fériés communs en Autriche est prise en compte en droit autrichien, non par l’octroi d’un jour férié supplémentaire, mais principalement par le devoir de sollicitude des employeurs à l’égard de leurs employés, qui permet à ces derniers d’obtenir, le cas échéant, le droit de s’absenter de leur travail pour la durée nécessaire à l’accomplissement de certains rites religieux.
La législation autrichienne en cause ne peut pas non plus être considérée comme comportant des mesures spécifiques destinées à compenser un désavantage lié à la religion dans le respect du principe de proportionnalité et, dans toute la mesure du possible, du principe d’égalité. En effet, les dispositions en cause accordent une période de repos de 24 heures, le vendredi saint, aux travailleurs qui sont membres de l’une des églises en question, alors que les travailleurs appartenant à d’autres religions, dont les fêtes importantes ne coïncident pas avec les jours fériés communs en Autriche, ne peuvent, en principe, s’absenter de leur travail pour accomplir les rites religieux afférents à ces fêtes qu’en vertu d’une autorisation accordée par leur employeur dans le cadre du devoir de sollicitude. Il s’ensuit que les mesures en cause vont au-delà de ce qui est nécessaire pour compenser un tel désavantage supposé et qu’elles instaurent une différence de traitement entre travailleurs, confrontés à des obligations religieuses comparables, qui ne garantit pas, dans toute la mesure du possible, le respect du principe d’égalité (sur La prohibition des discriminations liées aux opinions politiques et convictions religieuses ; cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E2590ET4).
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