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par June Perot, Rédactrice en chef - Lexbase Pénal
le 19 Décembre 2018
Le 21 novembre 2018, lors de l’examen du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice à l’Assemblée nationale, Madame Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, a annoncé son intention de légiférer par ordonnance sur la justice des mineurs.
A cette occasion, le Professeur Philippe Bonfils a accepté de répondre à nos questions.
Lexbase Pénal : la ministre de la Justice vient d’annoncer dans le cadre des débats relatifs à la loi de programmation pour la Justice 2018-2022 son intention de faire habiliter le Gouvernement à adopter par ordonnance un Code de justice pénale des mineurs. Que vous inspire cette annonce ?
Ph. Bonfils : sur le fond, c'est à mon sens une très bonne idée de reprendre le projet d'un Code de la justice pénale des mineurs. L'ordonnance du 2 février 1945 n'a plus guère de 1945 que son nom. Elle a été modifiée près de cinquante fois, et cette frénésie législative a fragilisé la réponse pénale. De fait, le texte manque de clarté, notamment parce qu'à ces réformes de l'ordonnance s'ajoutent celles du droit commun (Code pénal ou plus encore Code de procédure pénale) qui s'applique dans une large mesure en droit pénal des mineurs. Enfin, au-delà des imperfections techniques de l'ordonnance de 1945, c'est parfois sa philosophie qui semble manquer de visibilité. Dans un tel contexte, marqué en outre par la constitutionnalisation du droit pénal des mineurs et la reconnaissance du caractère auto-exécutoire d'une partie de la Convention internationale des droits de l'enfant, une codification paraît éminemment souhaitable.
Mais sur la forme, je regrette le choix de procéder par ordonnance. Le droit pénal des mineurs délinquants couvre un domaine relativement réduit, et il n'est techniquement pas difficile de soumettre au Parlement une telle réforme. Le Code pénal, autrement plus volumineux, a donné lieu à une vraie codification (sauf erreur, c'est le dernier code véritablement discuté), et on devrait pouvoir procéder de la même manière pour le Code de justice pénale des mineurs. Cela me paraît d'autant plus important que la matière est sensible, et que les juristes ont souvent un attachement presque affectif à l'ordonnance de 1945.
Lexbase Pénal : la Commission «Varinard» a remis son rapport en décembre 2008 et en 2009 apparaissait un avant-projet de Code de justice pénale des mineurs resté lettre morte. En 10 ans comment a évolué le droit pénal des mineurs ?
Ph. Bonfils : depuis le rapport «Varinard», de nombreuses réformes sont intervenues, dont certaines ont repris des propositions de la Commission «Varinard» (loi du 10 août 2011 notamment). Sur cette période, le droit pénal des mineurs a connu des modifications importantes, comme la création de la césure du procès pénal et du dossier unique de personnalité (loi du 10 août 2011 N° Lexbase : L9731IQH), la suppression des peines planchers (loi du 15 août 2014 N° Lexbase : L0488I4T), la suppression du tribunal correctionnel des mineurs et l'extension de la primauté de l'éducation sur la répression (loi du 18 novembre 2016 N° Lexbase : L1605LB3).
La principale proposition de la Commission «Varinard» était de réaliser un Code de justice pénal des mineurs, et deux avant-projets de Code de justice pénale des mineurs ont été rédigés par les services du ministère de la justice, en 2009, puis quelques années plus tard. Ayant été membre de la commission «Varinard», j'ai été consulté sur ces projets, et j'ai pu constater leur qualité et leur proximité. Sans doute y a-t-il déjà dans les services du ministère de la Justice un projet qui s'inscrit dans la continuité des deux précédents.
Lexbase Pénal : certaines propositions de la Commission, et l’avant-projet furent assez vivement critiqués à l’époque (disparition du terme «enfants», limitation du nombre de sanctions éducatives, âge pour l’emprisonnement…), peut-on craindre une réaction similaire 10 ans plus tard ?
Ph. Bonfils : en 2008, le droit pénal des mineurs était très méconnu, même chez les juristes. Peu de gens savaient, par exemple, qu'un mineur âgé de 17 ans pouvait être condamné à la réclusion criminelle à perpétuité... Les travaux de la commission «Varinard» ont révélé au grand public et à la plupart des juristes les solutions du droit pénal des mineurs. Les critiques concernaient en définitive autant le droit positif que les propositions de réforme.
Depuis, le droit pénal des mineurs a été médiatisé, et la matière est aujourd'hui mieux connue, et mieux enseignée. Pour autant, c'est une matière sensible, et il n'est pas impossible qu'une réforme d'ensemble suscite des réactions vives, et parfois irrationnelles. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la ministre de la Justice semble préférer la voie de la codification par ordonnance, en ne soumettant au Parlement qu'une loi de ratification.
Lexbase Pénal : sur le plan symbolique et historique, que signifierait l’abrogation de l’ordonnance de 1945 ?
Ph. Bonfils : c'est une bonne question, à laquelle la Commission «Varinard» avait beaucoup réfléchi. De manière schématique, il y a trois manières de procéder à une réforme d'ensemble du droit pénal des mineurs délinquants. La première consiste à réécrire totalement l'ordonnance de 1945, qui ne garderait donc de 1945 que son nom. Cette solution ne paraît pas satisfaisante, car elle est finalement assez hypocrite et ne donne pas à la matière la reconnaissance qu'elle mérite. La deuxième est d'insérer dans chacun des Codes -pénal et de procédure pénale- un nouveau titre, comprenant les dispositions spécifiques aux mineurs. Cette solution donnerait l'impression d'un recul de la spécificité du droit pénal des mineurs, et de surcroît casserait la conception systémique du droit pénal des mineurs. Reste alors la troisième solution, consistant à adopter un Code de justice pénale des mineurs, regroupant l'ensemble des dispositions de fond et de procédure. La matière peut alors être profondément renouvelée, tout en conservant et même en renforçant l'autonomie du droit pénal des mineurs.
Il suffit de consulter rapidement Légifrance pour constater qu'il existe une multitude de codes (civil, pénal, de procédure civile, mais aussi de l'environnement, des images animées et du cinéma, du blé, minier, du sport, ...) et il ne serait pas choquant qu'il existe un Code de la justice pénale des mineurs. Plus largement même, on pourrait imaginer un Code des mineurs, regroupant les dispositions relatives au mineur délinquants, mais aussi celles relatives au mineur en danger, ou au mineur victime...
L'attachement à l'ordonnance du 2 février 1945 est fort, presque affectif, et parfois même irrationnel. C'est un des premiers textes adoptés par le Gouvernement provisoire de la République Française, sous l'égide d'un professeur de droit alors ministre du Général de Gaulle, François de Menthon, et dans une perspective humaniste et de réaction aux atrocités de la guerre. L'exposé des motifs de cette ordonnance est du reste souvent cité, tant elle a marqué les esprits, et donné la philosophie originaire de ce texte. Mais, précisément parce qu'elle a été adoptée dans l'urgence, l'ordonnance de 1945 est aussi un texte qui manquait dès l'origine de clarté, et qui a nourri des débats importants sur des questions pourtant essentielles comme la responsabilité ou l'irresponsabilité pénale des mineurs. Son remplacement par un Code de justice pénale des mineurs serait une rupture importante, du moins sur un plan symbolique. Mais ce serait aussi l'occasion de reconnaître l'autonomie du droit pénal des mineurs, son évolution, et son encadrement à un niveau supralégislatif.
Lexbase Pénal : comment serait encadrée cette réforme au niveaux européens et international ? La CIDE et la CESDH sont-elles à même de guider la plume du législateur ?
Ph. Bonfils : le droit pénal des mineurs est aujourd'hui largement encadré par des normes supra-législatives. En 2002, le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle du principe d'autonomie du droit pénal des mineurs et, en 2005, la Cour de cassation a reconnu le caractère auto-exécutoire de certaines dispositions de la Convention internationale des droits de l'enfant. Dans le même temps, la Cour européenne des droits de l'Homme a rendu en droit pénal des mineurs plusieurs décisions importantes, qui sont venues encadrer la matière.
La réforme du droit pénal des mineurs délinquants ne peut donc ignorer ces nouvelles sources de la matière. Du reste, les deux avant-projets précédents avaient accordé une large place aux apports du droit constitutionnel et du droit européen, et il est vraisemblable qu'il en ira de même de celui-ci.
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